Propriétés physico-chimiques des nanocristaux semiconducteurs 2D

Propriétés physico-chimiques des nanocristaux semiconducteurs 2D

Généralités sur les matériaux semi-conducteurs

Lorsque des atomes forment une molécule, il y a hybridation des orbitales atomiques pour former des orbitales moléculaires dont les HOMO (Highest Occupied Molecular Orbital) et LUMO (Lowest Unoccupied Molecular Orbital) sont respectivement la dernière orbitale moléculaire remplie et la première orbitale moléculaire vide d’électron. Plus le nombre d’atomes augmente dans la molécule, plus le nombre de niveaux d’énergie devient élevé. Pour un matériau massif, la densité des états est telle qu’elle crée un continuum d’énergie appelé bande. La LUMO du matériau est la bande de conduction du semiconducteur, tandis que la HOMO est la bande de valence (Figure 1). Les bandes de conduction et de valence sont séparées par une plage d’énergie interdite appelée largeur de bande interdite

Dans un semiconducteur, les électrons de la bande de valence peuvent passer dans la bande de conduction par apport d’énergie au système (photon par exemple). Si cette bande d’énergie est trop importante (E > 2,5 eV), le matériau est dit isolant. Il existe une troisième catégorie de matériau : les métaux. Dans ces matériaux, la bande de valence et celle de conduction se chevauchent, permettant ainsi la circulation des électrons dans tout le solide. L’intérêt des semiconducteurs est qu’en l’absence d’apport d’énergie, ils présentent les mêmes propriétés électriques qu’un isolant, tandis que sous un stimulus extérieur (rayonnement électromagnétique, chaleur…), ils peuvent conduire les électrons. Grace à cette propriété, les semiconducteurs ont de nombreuses applications dans les dispositifs électroniques et optoélectroniques [16] tels que les cellules photovoltaïques [10], les transistors [17] ou les diodes électroluminescentes [18], [19]. De plus, la miniaturisation de ces matériaux leur procure de nouvelles propriétés optiques et électroniques [20]–[22]. Dans ce manuscrit, nous étudierons des nanocristaux à base de cadmium et de mercure. Les chalcogénures de cadmium sont des matériaux à grande énergie de bande interdite, ce qui leur procure des propriétés optiques dans le visible. Quant aux nanocristaux de chalcogénures de mercure, ils possèdent des propriétés optiques dans l’infrarouge, du fait de leur faible énergie de bande interdite.

Différents régimes de confinement quantique

Lors de la formation des nanoparticules, il est possible de contrôler la taille de chaque dimension de l’espace indépendamment. Ainsi, nous pouvons réaliser la synthèse de nanocristaux de formes et de tailles différentes. Les nano-objets obtenus peuvent être classés en trois catégories :
– Systèmes ayant un confinement sur 1 dimension (structures lamellaires, films minces , puits quantiques [30], [7])
– Systèmes ayant un confinement sur 2 dimensions (fils quantiques [31])
– Systèmes ayant un confinement sur 3 dimensions (boîtes quantiques appelées quantum dots [28], [32]) La variation du nombre de dimensions subissant un confinement quantique a une forte influence sur les propriétés optiques et électroniques pour une composition donnée. La densité d’état en est particulièrement modifiée. Par exemple, un matériau massif (sans confinement) possède une densité d’état continue proportionnelle à E1/2, où E est l’énergie, alors que dans un puits quantique (confinement dans une direction) la densité d’état évolue en marche. Dans le cas d’une boîte quantique, la courbe de densité d’état évolue comme une suite de pics de Dirac, procurant des niveaux d’énergie discrets.

Confinement dans un puits quantique 

Dans un puits quantique, une seule direction est plus petite que le rayon Bohr, par conséquent les porteurs de charge sont uniquement confinés dans l’épaisseur du matériau. Depuis leur introduction dans les années 1970s [33], les puits quantiques sont synthétisés dans la plupart des cas par épitaxie : Molecular Beam Epitaxy (MBE) ou Chemical Vapor Deposition (CVD) par exemple.

Structure de bandes plus complexes

Pour décrire les états électroniques et la structure de bandes de façon plus précise, il est nécessaire d’utiliser un autre modèle : la méthode k.p. Suite à plusieurs théories parues, telles que Luttinger-Kohn et Kane, Pidgeon et Brown ont construit un hamiltonien à 8 bandes, ce qui permet à la méthode k.p de décrire la bande de valence et la bande de conduction des semiconducteurs à bande d’énergie interdite directe en tenant compte de la non parabolicité des bandes et de la levée de dégénérescence [35], [36]. Les propriétés électroniques des nanocristaux peuvent être aussi étudiées à l’aide de la méthode « des liaisons fortes ». Cette méthode repose sur la combinaison linéaire des orbitales atomiques pour étudier les orbitales moléculaires du nanocristal, donc de sa structure de bandes [37], [38].

Stabilité colloïdale

Des nanoparticules colloïdales sont généralement définies comme une dispersion de particules solides dans une matrice liquide ou solide. Les nanocristaux soumis à l’interaction de van der Waals (interaction attractive) ont tendance à s’agréger en solution. Pour éviter ce désagrément, les nanoplaquettes sont recouvertes de tensioactifs (molécules possédant une tête fonctionnalisée et une longue chaîne carbonée), appelés ligands. Les nanoplaquettes étant synthétisées et resuspendues dans un solvant apolaire, de type hexane ou toluène, la tête fonctionnalisée du ligand aura une forte affinité avec les nanoparticules tandis que la longue chaîne aliphatique permet la stabilité dans le solvant apolaire. Les ligands généralement utilisés sont des amines, des acides carboxyliques, des phosphines ou des thiols. Sur les nanoplaquettes, il est possible d’observer de l’agrégation ainsi que de la sédimentation au cours du temps. La force de Van der Waals étant proportionnelle à la surface des nanoplaquettes, plus les largeurs latérales sont grandes, plus les nanoplaquettes ont tendance à s’agréger. La présence de ces ligands peut être mise en évidence par DRX aux bas angles (SAXS). Lorsque les NPLs recouvertes d’oléates en surface sont déposés en film, les NPLs s’agrègent perpendiculairement à leur épaisseur et sont séparées d’une distance de 3,75 nm, ce qui est raisonnable considérant que l’épaisseur d’une nanoplaquette est d’environ 1.4 nm, que la somme de deux chaînes d’acide oléique est de 4 nm et qu’il y a du recouvrement des chaînes carbonées [39].

Structure cristalline

Semiconducteurs massifs

Les semiconducteurs massifs de chalcogénures de cadmium possèdent un empilement d’atomes ordonné et périodique. Les nanoplaquettes de CdSe cristallisent sous deux structures distinctes : la structure zinc blende (cubique) et la structure wurtzite (hexagonal). La structure zinc blende est du groupe d’espace ?4̅3? caractérisé par deux sous réseaux cubiques faces centrés décalés l’un par rapport à l’autre d’un quart du paramètre de maille. La structure wurtzite est un système hexagonal compact de groupe d’espace ?63??. Pour un matériau massif de CdSe en zinc blende et en wurtzite, les énergies de la bande interdite sont respectivement de 1,66 eV et 1,74 eV [40]. Par conséquent, les propriétés spectroscopiques des matériaux de CdSe diffèrent selon leur structure.

Nanoplaquettes 

Les nanoplaquettes de CdX (X= S, Se et Te) peuvent être synthétisées en structure wurtzite ou zinc blende. Celles utilisées dans ce manuscrit étant de structure zinc blende, nous nous focaliserons donc sur cette structure. Nous définissons nanoplaquettes, des nanocristaux présentant une épaisseur de l’ordre du nanomètre (plus petit que le rayon de Bohr de l’exciton) et des dimensions latérales comprises entre dix et plusieurs centaines de nanomètres .

Synthèse de nanocristaux bidimensionnels

Historique des nanocristaux semiconducteurs colloïdaux 

Les premiers nanocristaux semiconducteurs synthétisés colloïdalement de grande monodispersité furent des chalcogénures de cadmium CdX (X= S, Se et Te). Réalisée par Murray et al. en 1993, elle consistait en une injection à haute température de précurseurs organométalliques (diméthylcadmium CdMe2 et sélénium trioctylphosphine) dans de l’oxyde de trioctylphosphine (TOPO) [1]. Les nanoparticules ainsi obtenues étaient monocristallines et présentaient de bonnes propriétés optiques. Le diméthylcadmium étant un réactif contraignant à utiliser, d’autres synthèses ont été mises au point. Généralement, elles ont recours à des carboxylates ou phosphonates de cadmium [44], [45], à des précurseurs de sélénium en poudre dissous dans des phosphines, dans l’octadécène ou dans des amines [46]–[48]. Les premières synthèses donnèrent des nanocristaux sphériques thermodynamiquement favorisés par minimisation de leur énergie de surface. Par la suite, des nanoparticules de taille et de formes différentes ont pu être réalisées en faisant varier la composition, la nature des ligands et la quantité de précurseurs. En effet, certains ligands favorisent la croissance de certaines facettes alors que d’autres vont bloquer la croissance d’autres facettes [6]. Ainsi il est possible de synthétiser des quantum dots (confinement à 3 dimensions), des bâtonnets et fils (confinement 2D) [31] et des nanoplaquettes (confinement 1D) .

Synthèse de nanocristaux à deux dimensions 

De nombreux travaux ont reporté la synthèse et la caractérisation de nanocristaux bidimensionnels ayant différentes formes (nanofeuillets, nanorubans, nanodisques, nanoplaquettes, …) et différentes compositions (chalcogénures de cadmium, de plomb, de cuivre…) [53]–[56]. Ces nanocristaux ont une caractéristique essentielle commune : le confinement quantique est limité à une direction. Les premiers nanocristaux 2D à base de chalcogénures de cadmium furent reportés par le groupe de Hyeon [8]. Ces nanorubans de structure wurtzite sont synthétisés à basses températures (70°C), en mélangeant un complexe CdCl2(octylamine)2 et un précurseur de sélénium (octylammonium selenocarbamate). Au LPEM, Sandrine Ithurria a reporté pour la première fois la synthèse de nanoplaquettes de CdSe en structure zinc blende [50]. Cette synthèse est basée sur la décomposition de précurseurs de sélénium et de cadmium (sélénium en poudre et cadmium myristate : chaîne carboxylate longue) dans un solvant non coordinant (octadécène) avec un sel d’acétate (chaîne carboxylate courte).  Il a été montré que la température à laquelle est injectée le sel d’acétate et celle de réaction est très importante pour la qualité des nanoplaquettes finales (rendement quantique et monodispersité). Suivant le ratio entre les précurseurs et la température de la réaction, ce protocole permet de synthétiser des nanoplaquettes de chalcogénures de cadmium de structure zinc blende avec différentes épaisseurs dans la direction du confinement quantique.

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Table des matières

Liste des Abréviations
INTRODUCTION
1. CHAPITRE I : Nanocristaux semiconducteurs bidimensionnels
1.1. Propriétés physico-chimiques des nanocristaux semiconducteurs 2D
1.1.1. Généralités sur les matériaux semi-conducteurs
1.1.2. Modèle électronique
1.1.2.1. Semiconducteur massif
1.1.2.2. Confinement quantique
1.1.2.2.1. Différents régimes de confinement quantique
1.1.2.2.2. Confinement dans un puits quantique
1.1.2.2.3. Structure de bandes plus complexes
1.1.3. Stabilité colloïdale
1.1.4. Structure cristalline
1.1.4.1. Semiconducteurs massifs
1.1.4.2. Nanoplaquettes
1.1.5. Synthèse par voie colloïdale
1.1.5.1. Mécanisme de formation de nanocristaux
1.1.5.2. Synthèse de nanocristaux bidimensionnels
1.1.5.3. Hypothèses sur la formation des nanoplaquettes
1.1.5.4. Différentes épaisseurs
1.1.5.5. Extension latérale des nanoplaquettes
1.1.6. Propriétés optiques des nanocristaux bidimensionnels
1.1.6.1. Absorption
1.1.6.2. Fluorescence
1.1.6.3. Différences avec les nanocristaux sphériques
1.1.6.4. Influence des ligands de surface
1.1.7. Hétérostructures
1.1.7.1. Synthèses de NPLs cœur/coque
1.1.7.2. Synthèse de NPLs cœur/couronne
1.1.7.3. Limite du paramètre de maille
1.2. Échange cationique
1.2.1. Mécanisme de l’échange cationique
1.2.2. Échange total
1.2.3. Échange partiel
1.2.4. Échange sur des structures bidimensionnelles
1.3. Transport dans un réseau de nanoparticules
1.3.1. Difficultés rencontrées
1.3.2. Chimie de surface : barrière pour le saut tunnel
1.3.3. Intérêt des nanocristaux à 2 dimensions pour le transport
1.3.4. Transistor à effet de champ
1.3.5. Photoconduction
1.4. Nanocristaux colloïdaux pour la détection et l’émission dans l’infrarouge
1.4.1. Enjeux de l’infrarouge
1.4.2. Nanoparticules existantes et leurs limites
1.4.3. Nanoparticules bidimensionnelles dans l’infrarouge
2. CHAPITRE 2 : Homostructure bidimensionnelle à base de mercure
2.1. Synthèse de nanoplaquettes de HgTe
2.1.1. Nanoparticules initiales : nanoplaquettes de CdTe
2.1.1.1. Synthèse et caractérisations
2.1.1.2. Limite dans l’épaisseur
2.1.2. Échange cationique au mercure
2.1.2.1. Introduction
2.1.2.2. Choix des conditions expérimentales
2.1.2.3. Synthèse et caractérisations des nanoplaquettes de HgTe
2.1.2.4. Optimisation de l’échange cationique
2.1.2.4.1. Variation de la quantité
2.1.2.4.1.1. … de précurseur de mercure
2.1.2.4.1.2. … de ligands
2.1.2.4.1. Différents ligands
2.1.2.5. Stabilité des propriétés optiques dans le temps
2.1.2.6. Échange sur des nanoplaquettes plus fines
2.2. Synthèse de nanoplaquettes de HgSe
2.2.1. Nanoparticules initiales : NPLs de CdSe à 3 MCs
2.2.2. Échange cationique au mercure
2.2.2.1. Synthèse
2.2.2.2. Optimisation des conditions expérimentales pour un échange plus rapide
2.2.2.3. Influence des dimensions latérales
2.3. Transport dans un film de NPLs de HgTe
2.3.1. Chimie de surface
2.3.2. Contrôle du dopage par la chimie de surface
2.4. Conclusion
3. CHAPITRE 3 : Hétérostructure CdSe/HgSe (influence de la barrière de CdSe sur le puits quantique)
3.1. Synthèse de nanoplaquettes de CdSe épaisses
3.1.1. Croissance des nanoplaquettes de CdSe dans l’épaisseur par c-ALD
3.1.1.1. Protocole utilisé pour la croissance
3.1.1.2. Caractérisation optique des différentes étapes de la croissance
3.1.2. Caractérisation de populations de différentes épaisseurs de NPLs de CdSe
3.2. Échange cationique au mercure
3.2.2. Échange sur des NPLs de CdSe plus épaisses : 5 à 11 MCs
3.2.3.1. Caractérisation de la composition (EDX)
3.2.3.2. Images de MET à hautes résolutions
3.2.3.3. Caractérisation structurale par DRX
3.2.4. Limitation de la diffusion du mercure
3.3. Structure électronique
3.3.1. Spectroscopie optique
3.3.2. Simulation des structures de bande
3.4. Propriétés de transport
3.4.1. Transistor à effet de champs
3.4.2. Photoconduction
3.4.3. Propriétés de transport d’un mélange de HgSe et CdSe 3 MCs
3.4.4. Dynamique des porteurs de charge
3.4.4.1. Protocole pour le photocourant résolu en temps
3.4.4.2. Influence de la barrière de CdSe sur les hétérostructures CdSe/HgSe
3.5. Conclusion
CONCLUSION

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