Propriétés mécaniques du dioxyde d’uranium
La question du comportement mécanique du combustible s’est posée tôt dans l’histoire du nucléaire civil. Cependant, les travaux se sont longtemps portés sur les effets des impuretés, des tailles des grains dans des polycristaux, de la porosité, etc.
Si le poids économique et stratégique de l’électricité nucléaire a fait du dioxyde d’uranium un des matériaux les plus étudiés à partir des années 1950, tous les résultats expérimentaux ne sont pas du même intérêt quant à la physique des phénomènes groupés sous le terme « comportement mécanique ». L’importance de la motivation industrielle, la difficulté d’obtenir des échantillons monocristallins purs et les limites des installations expérimentales fait que l’intérêt s’est porté sur le comportement des pastilles de combustible en général. Ce comportement macroscopique est en fait la résultante d’un grand nombre de phénomènes d’origines diverses et qui interviennent à des échelles de longueur très différentes. L’évolution des techniques de fabrication de pastilles et des outils expérimentaux rendent difficiles les tentatives d’interprétation d’un résultat donné quand on essaye de le confronter avec les valeurs de référence. En effet, de nombreux résultats expérimentaux ne mentionnent pas la stœchiométrie du matériau testé ou les précautions prises pour éviter une sur-stœchiométrie. Il a été montré que de nombreuses propriétés dépendent du ratio oxygène/uranium, comme la contrainted’écoulement [5], le comportement en compression [6,7] ou la déformation plastique [8].
De plus, les études sur les monocristaux de dioxyde d’uranium se sont raréfiées à partir de la fin des années 1970. La plupart des résultats expérimentaux utilisables aujourd’hui sont principalement de deux ordres. On peut utiliser des données de référence issues de revues ou de recommandations [2,9–11]. Ces revues représentent une somme remarquable de travail en intégrant une grande quantité de résultats expérimentaux disparates pour en tirer un comportement moyen utilisable pour l’élaboration de spécification des réacteurs. Par construction, elles contiennent principalement le comportement moyen des polycristaux dans des conditions qui ne sont pas toujours contrôlées. Par ailleurs, des observations concernant certains phénomènes plus isolés sont disponibles, comme par exemple pour les dislocations. Dans ce cas, ces indications sont précieuses, principalement parce qu’elles seraient excessivement difficiles à obtenir aujourd’hui. Elles permettent d’avoir une indication sur le comportement de nos modèles numériques.
Combustible nucléaire
Les pastilles de combustibles destinées à une utilisation dans un réacteur à eau pressurisée se présentent comme de petits cylindres gris, d’environ un centimètre de long pour cinq millimètres de diamètre. Ces pastilles sont faites d’un polycristal de dioxyde d’uranium, obtenu le plus souvent par frittage à partir de poudres. Elles doivent avoir notamment une bonne résistance à l’irradiation, une bonne stabilité dans une gamme de température raisonnable incluant le domaine de température de fonctionnement des cœurs de réacteurs nucléaires, et un relâchement des gaz de fission bas. Ces objectifs se heurtent à des contraintes d’ordre économique et industriel, comme l’intégration des pastilles dans un cycle qui va de l’extraction du minerai à l’entreposage des déchets dans des colis, en passant par le retraitement et la séparation des radio-éléments.
Le processus de fabrication est basé sur la formation de poudre d’UO2, à partir d’UF6 gazeux obtenu à la fin de l’enrichissement en uranium 238. Cette poudre est dosée, compactée, puis broyée pour obtenir des grains de taille satisfaisante. Elle est éventuellement mélangée avec de la poudre de PuO2 pour la fabrication de pastilles de combustible mixte MOX. Les poudres sont transformées en pastilles par pressage, puis subissent un traitement thermique dans un four continu sous atmosphère d’hydrogène, à 1 740 °C. Ensuite, elles sont rectifiées par meulage pour parfaire leur aspect cylindrique. Finalement, les pastilles sont empilées dans des gaines en alliage de zirconium. Ces gaines sont mises sous pression d’Hélium, bouchées et groupées en assemblages. Ce procédé est appelé double cycle normal (DCN).
Au cours de son utilisation dans un réacteur, une pastille de combustible subit des modifications très importantes de sa micro-structure . Presqu’immédiatement, l’élévation de température brusque au centre de la pastille cause un choc thermique et l’apparition de fissures. Ensuite, ce gradient thermique et l’irradiation continue provoquent des modifications importantes dans la forme et la taille des grains du polycristal. On observe tout au long de l’utilisation du combustible la formation d’une cavité au centre de la pastille, qui se remplit de gaz en provenance du reste du matériau. Autour de cette cavité, le combustible se ré-organise pour former des grains allongés disposés de manière radiale. Dans les parties plus éloignées du centre, une structure nano-cristalline particulière se forme après une irradiation importante (high-burnup structure). Simultanément, des défauts d’irradiation sont produits de manière continue dans tout le matériau par les réactions de fission ou de désintégration. En outre, ces réactions provoquent l’apparition d’espèces chimiques absentes dans le combustible neuf, parmi lesquelles on peut noter des gaz de fission (hélium, argon, xénon) et des actinides mineurs. La chaleur permet aussi une guérison progressive du matériau, faisant disparaître progressivement une partie des fissures apparues lors du choc thermique initial.
A l’échelle de la pastille, les fissures sont excessivement importantes, puisqu’elles permettent au gaz de fission de s’échapper du cristal vers le milieu environnant. La gaine qui entoure les pastilles est la première barrière de confinement qui évite la dispersion des éléments radioactifs dans le caloporteur. Elle joue donc un rôle primordial en terme de sécurité et de sûreté, et son intégrité doit être garantie dans les conditions normales d’utilisation, et autant que possible dans des conditions accidentelles. À ce titre, un grand nombre d’études sont menées sur le comportement de la gaine et sur l’interaction entre les pastilles et la gaine. Dans le cadre de ce travail, nous nous sommes intéressés plus précisément au comportement du combustible lui-même, qui est une partie importante de ces problématiques.
Déformation du combustible UO2
Les propriétés mécaniques des pastilles de combustible sont déduites de deux types de tests mécaniques. Le premier est un test où l’on impose la contrainte appliquée au matériau, et où l’on mesure sa vitesse de déformation (test de fluage), dans le deuxième type, c’est au contraire la vitesse de déformation qui est imposée, et la contrainte en résultant qui est mesurée (test d’écrouissage). Un grand nombre de tests a été fait sur des polycristaux de dioxyde d’uranium depuis les années 1960. Ils s’agit de tests de flexion [12–15], ou le plus souvent de compression [16,17]. Avant la rupture, le matériau peut avoir deux types de comportements généraux, élastique ou viscoplastique. Dans le premier cas, l’énergie mécanique fournie à l’échantillon par la sollicitation mécanique n’est pas dissipée mais stockée dans le cristal sous forme d’un allongement des liaisons atomiques. Cela se traduit macroscopiquement par une relation linéaire entre la déformation et la contrainte, ainsi que par un retour à l’état initial sans endommagement lorsque la sollicitation disparaît. Dans le second cas, l’énergie est partiellement dissipée par une déformation impliquant des ruptures de liaisons et des réorganisations de la structure cristalline. Ces déformations sont alors irréversibles, et l’échantillon contient des dommages résiduels après l’arrêt de la sollicitation.
Le comportement élastique est caractérisé par les coefficients de proportionnalité entre les éléments du tenseur des déformations et ceux du tenseur des contraintes (constantes élastiques). Ces valeurs sont des constantes du matériau, et s’expriment sous la forme du tenseur d’élasticité C d’ordre 4 tel que
σ = C ⊗ ε . (1.1)
Le comportement plastique peut être causé par différents mécanismes. On parle de fluage stationnaire quand il s’agit d’une déformation plastique lorsque la contrainte imposée à l’échantillon est constante. Les mécanismes de fluage dépendent des conditions de contrainte et d’irradiation. Sans irradiation, on parle de fluage thermique, qui est d’autant plus important que la température est élevée. Il comporte deux régimes, avec des mécanismes associés différents selon le niveau de contraintes [20]. Aux faibles contraintes, il s’agit d’un fluage par diffusion de défauts ponctuels lacunaires en volume (fluage de type Nabarro), créés ou absorbés aux joints de grains.
Lorsque la sollicitation devient suffisamment importante lors d’un essai mécanique, le matériau se rompt de différentes manières. A basse température, la rupture est généralement fragile, et se fait par clivage aux faibles contraintes, et par rupture dynamique aux plus fortes contraintes. Lors d’une rupture fragile, le matériau ne subit pas de déformation plastique. Cela se traduit sur une courbe contrainte déformation par une linéarité de la contrainte jusqu’au point de rupture. Au contraire, lors d’une rupture ductile, le matériau subit une déformation plastique qui permet généralement des déformations plus importantes que dans le cas fragile.
Ces différents mécanismes sont représentés de manière synthétique sur la carte de rupture . Elles permettent de visualiser simplement les grands domaines de contrainte et de température dans lesquelles la rupture est due à un mécanisme particulier. Des expériences de flexion trois [12] et quatre points [13] ont montré l’existence de deux températures de transition. La première, notée Tc marque la limite entre le domaine purement fragile à basse température (cleavage sur la carte de rupture) et un domaine mixte, dans lequel la rupture présente à la fois des signes de fragilité et de plasticité. La deuxième température notée Tt marque le début du régime ductile, qui peut correspondre à la propagation de fissures de manière intergranulaire (intergranular creep fracture) ou transgranulaire (transgranular creep fracture), selon le niveau de contraintes. Aux plus fortes contraintes (de l’ordre du gigapascal), le matériau est caractérisé par une rupture dynamique. Les expériences en compression [17] ont donné une température de transition fragile-ductile plus faible, autour de 1 000 °C. Les frontières entre ces régimes sont relativement fluctuantes, en fonction de paramètres liés à la microstructure des échantillons, comme la porosité, la taille des grains, la pureté ou le mode de fabrication, etc.
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Table des matières
Introduction
1 Propriétés mécaniques du dioxyde d’uranium
1.1 Combustible nucléaire
1.2 Déformation du combustible UO2
1.3 Structure cristalline du dioxyde d’uranium
1.4 Dislocations
1.4.1 Dans la structure Fluorine
1.4.2 Dans l’UO2
1.5 Problématiques et démarche
2 Dynamique moléculaire
2.1 Boîtes de simulation
2.2 Interactions
2.2.1 Potentiels de paires
2.2.2 Électrostatique
2.3 Potentiels empiriques pour le dioxyde d’uranium
2.4 Techniques de simulation en dynamique moléculaire
2.4.1 Statique
2.4.2 Ensemble micro-canonique
2.4.3 Contrôle de la température
2.4.4 Contrôle de la pression
2.4.5 Contrôle du taux de déformation
2.5 Propriétés des systèmes simulés
2.5.1 Critères de désordre
2.5.2 Formulation continue
2.6 Codes et paramètres utilisés
3 Polymorphes et transitions de phase
3.1 Méthode de calcul
3.2 Équations d’État
3.3 États de transition
3.3.1 Transition Fm¯3m ! Pbcn
3.3.2 Transition Fm¯3m ! P42/mnm
3.3.3 Transition Fm¯3m ! Pnma
3.3.4 Diagramme des trajectoires
3.3.5 Commentaires sur la méthode
3.4 Aspects dynamiques
3.4.1 Transition Fm¯3m!Pbcn
3.4.2 Transition Fm¯3m!P42/mnm
3.4.3 Transition en compression
3.5 Synthèse
4 Élasticité de l’UO2 en température
4.1 Méthode
4.2 Effet de la température
4.3 Anisotropie
4.4 Polycristaux
4.5 Polymorphes
4.6 Synthèse
5 Fracture
Conclusion