Depuis le 7 janvier 1956, date à laquelle le réacteur G1, au CEA Marcoule, a produit le premier kilowattheure d’électricité d’origine nucléaire, le CEA est resté l’acteur majeur de la recherche, du développement et de l’innovation, notamment au service du nucléaire civile. Après la crise pétrolière de 1971, la France a cherché à atteindre son autosuffisance énergétique. Aujourd’hui, les 58 réacteurs des 19 centrales nucléaires françaises produisent 72,3% de l’électricité française. Le nucléaire occupe donc une place majoritaire dans la production nationale d’électricité, ce qui fait de l’offre en combustible un enjeu clé de la stratégie française de production d’électricité.
Les réacteurs français sont tous alimentés en UOX (oxyde d’uranium UO2 enrichi à hauteur de 3 à 5% en uranium 235) ou en MOX (mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium). En effet, la France a opté pour un cycle du combustible fermé, c’est-à-dire qu’elle a choisi de retraiter et de recycler les combustibles usés . L’uranium et le plutonium, issus des combustibles usés d’oxyde uranium, sont recyclés via le procédé PUREX (Plutonium and Uranium Refining by EXtraction) à l’usine AREVA de La Hague.
Malgré l’utilisation de produits issus du recyclage des combustibles, la France a besoin, de façon pérenne, de quantités importantes d’uranium qu’elle doit importer de l’étranger. En effet, elle importe approximativement chaque année 8000 tonnes de minerai d’uranium . Selon l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), le parc électronucléaire mondial devrait passer d’une capacité d’environ 377 GWe au début de l’année 2015 à une capacité comprise entre 418 GWe (projection basse) et 683 GWe (projection haute) d’ici 2035. En contrepartie, l’Allemagne et la Belgique devraient cesser toute production d’ici 2025. La demande en uranium naturelle devrait quant à elle augmenter de 18 à 85% d’ici 2035 par rapport à 2014 où la demande était de 56585 t/an, ce qui laisse entrevoir une augmentation de la demande en uranium, quel que soit le scénario futur . En 2015, l’Australie, le Kazakhstan, le Canada et la Russie disposaient des plus grandes ressources prouvées d’uranium naturel dans le monde avec 60% des ressources .
Propriétés fondamentales de l’uranium, des terres rares et du fer
L’uranium (Z = 92) est un élément radioactif faisant partie de la famille des actinides. Les terres rares (TR) sont constituées de la famille des lanthanides (Z = 57 – 71) ainsi que des éléments scandium (Z = 21) et yttrium (Z = 39). Les lanthanides ont des masses atomiques qui croissent progressivement avec leurs numéros atomiques, passant d’une masse atomique de 138,9 pour le lanthane (Z = 57) à 175,0 pour le lutétium (Z = 71). Les TR sont donc de plus en plus lourdes au fur et à mesure que les numéros atomiques augmentent. Pour les classifier, les lanthanides de faible numéro atomique (La, Ce, Pr et Nd) sont donc qualifiés de terres rares légères, et celles de numéro atomique élevé (Tb, Dy, Ho, Er, Tm, Yb et Lu) de terres rares lourdes. Le classement des lanthanides intermédiaires (Sm, Eu, et Gd) est variable selon les auteurs, certains les classant comme TR « intermédiaires » sans qu’il n’y ait de consensus. L’yttrium, bien que plus léger que tous les lanthanides, est généralement classé parmi les TR lourdes du fait qu’il y est préférentiellement associé dans ses gisements. Le scandium est rarement classé dans l’une ou l’autre de ces deux catégories du fait qu’il ne se concentre que très rarement dans les mêmes gisements. La majorité des articles décrit tout de même une délimitation de ces deux sous-familles entre le samarium et l’europium .
La première terre rare à avoir été découverte est l’yttrium, en 1787 par le chimiste et minéralogiste suédois Carl Axel Arrhenius. La majorité des autres TR ont été découvertes à partir du milieu du XIXème siècle. L’uranium a quant à lui été découvert en 1789 par le chimiste allemand Martin Heinrich Klaproth. Ces éléments ont été classés en familles à partir de 1940 grâce aux travaux de G.T. Seaborg. Malgré leur nom, les terres rares ne sont pas si « rares ». Actuellement, plus de deux cents cinquante minéraux contenant des TR ont été répertoriés. Les TR les plus abondantes sont le cérium (67 ppm), le néodyme (42 ppm) et le lanthane (39 ppm) dont les concentrations moyennes sont notamment supérieures à celles du cobalt (environ 25 ppm) ou du plomb (environ 14 ppm). Les autres terres rares sont beaucoup moins présentes dans la croûte terrestre, particulièrement le thulium (0,5 ppm) et le lutécium (0,8 ppm). Leur rareté vient essentiellement du fait que les minerais contenant des TR en contiennent souvent une faible proportion et que l’obtention de TR pures est très compliquée du fait de la difficulté à les séparer chimiquement.
Propriétés électroniques
Structure et localisation électronique
La connaissance de la structure électronique d’un élément et de ses formes ioniques est fondamentale pour la compréhension de ses propriétés chimiques et physiques. Les actinides et les lanthanides se distinguent des autres éléments de la classification périodique essentiellement par leur structure électronique. Ils ont pour caractéristique de posséder des couches f partiellement ou complètement remplies (sauf pour le lanthane, l’actinium et le thorium où elles sont vides). Ils sont donc communément dénommés « éléments f ». Ils présentent la particularité de remplir les souscouches 4f pour les lanthanides et 5f pour les actinides avant la couche d3 . De plus, on peut donner comme définition d’un métal de transition tout métal qui forme un ou plusieurs ions stables avec des orbitales d incomplètes. Sur la base de cette définition, le scandium et l’yttrium ne sont pas des métaux de transition, même s’ils font partie du bloc d. Leur configuration électronique étant très proche de celle des lanthanides, ils ont été classés dans le groupe des terres rares.
Pour la série des lanthanides, le remplissage commence par le lanthane (Z = 57, sous-couche 4f vide) où un électron occupe la première orbitale 5d plus basse en énergie que l’orbitale 4f. Ensuite, le remplissage des orbitales 4f est progressif jusqu’à l’ytterbium et le lutécium pour lesquels la souscouche 4f est pleine. Pour la série des actinides, le remplissage est similaire de l’actinium au nobélium mais le faible écart énergétique entre les deux sous-couches 5f et 6d par rapport aux 4f et 5d des lanthanides, rend le remplissage moins progressif. Les électrons f se situent dans des couches profondes des éléments actinides et lanthanides. Cela signifie qu’ils sont peu sensibles à leur environnement moléculaire et ne sont généralement pas considérés comme des électrons de valence.
Une différence fondamentale entre les deux familles est une extension radiale plus importante des orbitales 5f par rapport aux orbitales 4f et des niveaux énergétiques des orbitales 5f plus proches de ceux des orbitales de valence 6d et 7s. Les orbitales 4f dans la série des lanthanides sont des orbitales internes et les électrons ne participent pas directement à la liaison chimique. Les électrons 5f, qui sont moins liés au noyau, sont plus sensibles à leur environnement chimique et seraient donc plus aptes à participer à la liaison chimique que les électrons 4f ce qui confère aux actinides une chimie plus riche.
Degrés d’oxydation
Les électrons 4f des lanthanides étant des électrons de cœur, l’état d’oxydation le plus stable (+III) est homogène pour toute la série, au même titre que le scandium et l’yttrium. Cependant certains lanthanides comme le samarium, l’europium et l’ytterbium peuvent exister à l’état d’oxydation (+II) et sont utilisés comme fort réducteurs à un électron. L’état d’oxydation (+IV) peut également être observé pour le cérium, le praséodyme et le terbium. Les actinides présentent en revanche une plus grande diversité de degrés d’oxydation qui s’échelonnent de (+II) à (+VII). Ceci est dû au fait que les orbitales 5f sont plus étendues et donc plus proches des niveaux électroniques 6d et 7s, ce qui rend possible une interpénétration entre ces niveaux énergétiques et une plus grande aptitude à l’ionisation.
Une propriété remarquable des actinides de début de série par rapport aux lanthanides, est leur aptitude à former des entités trans-dioxocations AnO2⁺ ou AnO2²⁺ de forme linéaire pour les éléments au degré d’oxydation (+V) ou (+VI). Dans ce cas, on parle alors d’ions actinyles. Seuls l’uranium, le neptunium, le plutonium et l’américium peuvent former des cations actinyles. Le transdioxocation actinyle le plus répandu, et qui fait l’objet de ces travaux de recherche, est l’ion uranyle (UO2²⁺) au degré d’oxydation (+VI). A partir de l’américium, les orbitales 5f sont stabilisées par leur remplissage et la différence d’énergie augmente entre ces orbitales et les orbitales 6d et 7s. Les électrons 5f sont plus localisés et le degré d’oxydation (+III) devient le plus stable. Le nobélium, dont l’état divalent est le plus stable, apparaît comme une exception de fin de série. L’uranium et le fer se retrouvent sous la forme UO2²⁺ et Fe3+ dans les solutions issues de lixiviation acide.
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Table des matières
Introduction générale
I – Bibliographie générale
1. Propriétés fondamentales de l’uranium, des terres rares et du fer
A. Propriétés électroniques
a. Structure et localisation électronique
b. Degrés d’oxydation
B. Rayons ioniques et nombre de coordination
2. Nature des liaisons uranyle-ligand, lanthanides-ligand et fer-ligand
A. Le principe HSAB
B. Application aux cations étudiés
C. Caractère covalent des liaisons éléments f-ligands
3. Extraction liquide-liquide
A. Principe
B. Différents types d’extraction
a. Extraction par solvatation
b. Extraction par échange d’ions
(1) Échangeurs cationiques
(2) Échangeurs anioniques
c. Extraction par un système synergique
d. Extraction par des molécules bifonctionnelles
4. Procédés d’extraction de l’uranium des minerais par extraction liquide-liquide
A. L’uranium, du minerai au Yellow cake
B. Procédés d’extraction de l’uranium à partir de ressources conventionnelles
C. Procédés d’extraction de l’uranium à partir de ressources non conventionnelles
5. Procédés d’extraction des terres rares par extraction liquide-liquide
II – Développement de nouveaux ligands bifonctionnels pour l’extraction sélective de l’uranyle des minerais
1. Évaluation et choix des nouvelles familles
2. Synthèse et évaluation de nouvelles molécules bifonctionnelles bidentates pour l’extraction en milieu sulfurique
A. Famille des Amidophosphoramidates
a. Introduction sur le motif Phosphoramide
b. Évaluation de l’affinité des APA pour l’UO2
2+ par approche théorique
c. Synthèse de la famille des APA
(1) Première stratégie de synthèse
(2) Deuxième stratégie de synthèse
(3) Troisième stratégie de synthèse
(4) Quatrième stratégie de synthèse
d. Conclusion
B. Famille des N-oxyde pyridinephosphonates
a. Introduction sur le motif N-Oxyde Pyridine
b. Évaluation de l’affinité des NOPP pour l’UO2²⁺ par approche théorique
c. Synthèse de la famille des NOPP
d. Performance des NOPP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
e. Études de complexation, coordination et spéciation des NOPP avec l’UO2²⁺ et le Fe3+
(1) Spectroscopie infrarouge
(2) Spectrophotométrie UV-visible
(3) Spectrométrie de masse
(4) Spectroscopie EXAFS : Étude de la spéciation des cations en phase organique
f. Conclusion
C. Famille des N-oxyde pyridineméthylènephosphonates : optimisation du design des NOPP
a. NOPMP, vers un design optimal ?
b. Synthèse de la famille des NOPMP
(1) Première stratégie de synthèse
(2) Deuxième stratégie de synthèse
c. Performance des NOPMP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
d. Études de complexation, coordination et spéciation des NOPMP avec l’UO2
2+ et le Fe3+
(1) Spectrophotométrie UV-visible : Détermination du pH de dégradation de NOPNPB-OK
(2) Spectrométrie de masse
(3) Spectroscopie EXAFS
e. Conclusion
D. Famille des Sulfoxydephosphonates
a. Introduction sur le motif Sulfoxyde
b. Synthèse de la famille des SOP
c. Performance des SOP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
d. Détermination de la stœchiométrie des complexes formés en phase organique avec EHSONPB par spectrométrie de masse
e. Conclusion
3. Synthèse et évaluation de nouvelles molécules bifonctionnelles tridentates pour l’extraction en milieu sulfurique
A. Famille des Acides carbamoylpicoliniques et des Carbamoylpyridinephosphonates
a. Introduction sur le motif CarbamoylPyridine
b. Évaluation de l’affinité des CPA et des CPP pour l’UO2²⁺ par approche théorique
c. Synthèse de la famille des CPA
d. Performance des CPA par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
e. Étude de la coordination des CPA avec l’UO2²⁺ et le Fe3+ par infrarouge
f. Conclusion
B. Familles des Acides carbamoylpyrazinecarboxyliques et des Carbamoylpyrazinephosphonates
a. Introduction sur le groupement Pyrazine
b. Performance des CPzA et des CPzP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
c. Détermination de la stœchiométrie des complexes formés en phase organique avec DEHCPzPB par spectrométrie de masse
d. Conclusion
4. Synthèse et évaluation de nouvelles molécules bifonctionnelles pentadentates pour l’extraction en milieu sulfurique
A. Introduction sur les ligands polydentates
B. Famille des Éthylène glycol phosphonates
a. Évaluation de l’affinité des EGP pour l’UO2
2+ par approche théorique
b. Performance des EGP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
c. Conclusion
C. Familles des Tri-N-oxyde pyridinephosphonates
a. Évaluation de l’affinité des TriNOPP pour l’UO2
2+ par approche théorique
b. Synthèse de la famille des TriNOPP
c. Performance des TriNOPP par extraction liquide-liquide en milieu sulfurique
d. Conclusion
5. Évaluation des propriétés extractantes de ces nouveaux ligands bifonctionnels pour l’extraction en milieu phosphorique
6. Conclusion générale sur les nouvelles molécules bifonctionnelles pour l’extraction sélective de l’uranyle
III – Développement de nouveaux ligands tridentates pour l’extraction sélective des terres rares
1. Introduction
2. Évaluation des molécules bifonctionnelles CPzP
A. Choix des CPzP
B. Performances des CPzP en extraction liquide-liquide
C. Conclusion
3. Synthèse et évaluation de nouveaux DGA dissymétriques amphiphiles
A. Choix des DGA dissymétriques amphiphiles
B. Synthèse des DGA
a. Synthèse des DGA dissymétriques de type I
b. Synthèse des DGA dissymétriques de type II
C. Performance des DGA en extraction liquide-liquide
a. Milieu nitrique 3 M
b. Milieu sulfurique 2 M
c. Milieu chlorhydrique 1 M, 2 M et 3 M
d. Milieu phosphorique 5 M
D. Conclusion
4. Conclusion générale sur les nouvelles molécules pour extraire les terres rares
Conclusion générale