Propriรฉtรฉs et utilisation des phosphamรฉtallocรจnesย
En chimie de coordination, lโutilisation dโun atome dโazote hybridรฉ sp2 sโest avรฉrรฉ dโun intรฉrรชt majeur, gรฉnรฉrant des familles de ligands incontournables : bipyridines, porphyrines, oxazolines, etc. La combinaison des propriรฉtรฉs fournies par ces systรจmes (LUMO assez basse en รฉnergie, rigiditรฉ configurationnelle rรฉsultant de la liaison C=N double) rend ces ligands trรจs utiles dans plusieurs domaines comme, par exemple, en catalyse acide de Lewis (Schรฉma I-1),2 ou en photochimie (Ru(Bipy)3, 3 chlorophylle, etc). Lโazote sp2 est de plus particuliรจrement utilisรฉ pour รฉlaborer des ligands chiraux. De nombreuses structures multidentes comportant des atomes dโazote sp2 sont en effet aisรฉment accessibles ร partir du ยซ pool chiral ยป, notamment les imines (salens chiraux)4-6 et les oxazolines (BOX,7,8 PyBOX,9 PHOX,10 etc).
Le phosphore est par contre nettement moins rรฉpandu ร lโรฉtat dโhybridation sp2 , bien quโil soit omniprรฉsent en chimie de coordination ร lโรฉtat dโhybridation sp3 , grรขce ร sa paire libre diffuse et polarisable, particuliรจrement bien adaptรฉe ร la coordination de mรฉtaux de transition mous. Cette thรจse sโinscrit dans ce contexte. Elle sโintรฉresse ร la synthรจse, au dรฉveloppement et aux applications de nouvelles entitรฉs ร phosphore sp2 , รฉventuellement chirales, et ร leur incorporation dans de nouvelles structures simples de ligands, chรฉlatantes et macrocycliques.
Propriรฉtรฉs du phosphore ร lโรฉtat dโhybridation sp2
Jusquโaux annรฉes 60, la loi admise sous le nom de ยซ rรจgle de la double liaisonยป11,12 indiquait que seuls les รฉlรฉments de la seconde pรฉriode pouvaient former de vรฉritables liaisons multiples. Cette rรจgle fut mise en dรฉfaut en 1961 par la synthรจse du premier phosphaalcyne13 (instable ร tempรฉrature ambiante). Suivront de nombreux composรฉs stables des รฉlรฉments du groupe principal et de transition notamment, en ce qui concerne le phosphore, les premier(e)s phosphinine14 (1966), iminophosphine15 (1973), phosphaalcรจne16,17 (1976), phosphaalcyne18 (1981) et diphosphene19 (1983) stables. Le phosphore รฉtant en troisiรจme pรฉriode, ses dรฉrivรฉs sp2 ne sont pas soumis aux rรจgles de Woodward-Hoffman et peuvent donc dimรฉriser spontanรฉment par cycloaddition [2+2]. Ils sont polarisรฉsa et la liaison ฯ P=C est plus faible (45 kcal.mol-1) quโune liaison ฯ C=C (65 kcal.mol-1).b Pour รฉviter lโoligomรฉrisation, ils doivent donc รชtre stabilisรฉs cinรฉtiquement ou thermodynamiquement .
Les orbitales 3s et 3p รฉtant plus diffuses que les orbitales 2s et 2p, le phosphore comporte une paire libre plus diffuse que lโazote, c’est-ร -dire dโun volume et dโune extension spatiale plus importante. De plus, la moins bonne hybridation entre les orbitales 3s et 3p quโentre les orbitales 2s et 2p, qui rรฉsulte dโun moins bon recouvrement spatial,22 implique que la paire libre du phosphore a un plus fort caractรจre s que son homologue azotรฉe. Elle est donc plus sphรฉrique23 (moins directionnelle) et les liaisons autour du phosphore ont un plus fort caractรจre p, ce qui diminue les angles entre ces liaisons par rapport aux composรฉs azotรฉs. Pour les espรจces sp3 , ce fort caractรจres de la paire libre est ร lโorigine de la plus grande barriรจre dโinversion des phosphines (environ 30 kcal.mol-1) 24 par rapport aux amines (6-10 kcal.mol-1), car lโhybridation p de la paire libre dans lโรฉtat de transition est difficile ร atteindre. Ceci est รฉgalement ร lโorigine du fait que contrairement aux pyrroles, aromatiques et plans, les phospholes comportent un phosphore sp3 pyramidal et sont peu aromatiques,c la dรฉlocalisation de la paire libre nโapportant pas un gain รฉnergรฉtique suffisant pour compenser la rรฉhybridation sp2 du phosphore dans la conformation plane.
Pour les espรจces ร lโรฉtat dโhybridation sp2 les comparaisons sont similaires. Un simple calcul DFT (B3LYP/6-31G*) permet de comparer des sรฉries de composรฉs sp2 ร base dโalcรจnes et cyclopentadiรฉnures contenant des atomes de carbone, dโazote et de phosphore.
La forme gรฉnรฉrale dโun anion phospholure (et dโun ligand phospholyle) est donc lรฉgรจrement diffรฉrente de celle dโun cyclopentadiรฉnure ou dโun pyrrolure. Lโangle autour du phosphore est plus petit et les liaisons autour de celui-ci plus longues (distance P-C = 1.75 ร contre C-C = 1.45 ร dans le cyclopentadiรฉnure et C-N = 1.36 ร dans le pyrrolure), le phosphore ยซ sort ยป donc lรฉgรจrement de la circonfรฉrence moyenne du cycle.
Le fort caractรจre s de la paire libre du phosphore sp2 a รฉgalement pour consรฉquence dโabaisser son รฉnergie par rapport ร celle de lโazote sp2 , 29 ce qui donne un plus faible caractรจre ฯ-donneur aux ligands. Les orbitales ฯ โ sont รฉgalement plus basses en รฉnergie, ce qui augmente le caractรจre ฯaccepteur. On aura donc un intรฉrรชt accru ร utiliser le phosphore hybridรฉ sp2 comme donneur dans des structures multidentes, puisquโil possรจde une paire libre encore moins directionnelle et moins ฯdonneuse que celle de lโazote sp2 .
Coordination du ligand phospholyleย
Lโanion phospholure donne lieu au ligand phospholyle, formellement anionique, pouvant donner jusquโร huit รฉlectrons. La coordination ฮท5 via 6 รฉlectrons ฯ est ร la base des phosphamรฉtallocรจnes, mais la prรฉsence dโune deuxiรจme paire dโรฉlectrons non liante sur le phosphore permet une chimie de coordination ; ceci rend la chimie des phospholyles potentiellement plus riche que celle de leurs analogues carbonรฉs, les cyclopentadiรฉnyles.
Coordination ฮท5
En 2003, il รฉtait connu des complexes ฮท5-phospholyle avec 35 รฉlรฉments.30 Il est ainsi dรฉcrit des complexes ฮท5 de mรฉtaux alcalins et alcalino-terreux, de transition, dโรฉlรฉments du bloc principal, de lanthanides et dโactinides.31-33 Vis-ร -vis dโun รฉlรฉment coordinรฉ ฮท5 , le phospholyle se comporte en premiรจre approximation comme un cyclopentadiรฉnyle, mais il est lรฉgรจrement moins ฯ-donneur34 et plus ฯ-accepteur.35,36 Ainsi le remplacement dโun cyclopentadiรฉnyle par un phospholyle augmente le potentiel dโoxydation du mรฉtallocรจne considรฉrรฉ (par exemple ฮEox = +185 mV pour un ferrocรจne35 et ฮEox=+290 mV pour un cobaltocรจne36). Tout comme dans la classe des mรฉtallocรจnes carbonรฉs, il existe des phosphamรฉtallocรจnes comportant 15, 16, 17, 18, 19 ou 20 รฉlectrons de valence. Cependant, la prรฉsence dโun atome de phosphore dans le cycle induit la possibilitรฉ dโune ou deux coordinations ฮท1 aux mรฉtaux de transition (Schรฉma I-2). Nous verrons en partie B de ce chapitre quโune des clefs de la synthรจse des phosphamรฉtallocรจnes est donc le contrรดle de la compรฉtition entre ces deux modes de coordination (ฮท5 et ฮท1 ), notamment pour les espรจces formellement excรฉdentaires sous la forme mรฉtallocรจne (19, 20 ve) oรน la coordination ฮท1 permet de valider le dรฉcompte des 18 ve (par exemple dans I-7, Schรฉma I-2).
Coordination ฮท1
Un complexe de ฮท5-phospholyle comporte encore une paire libre (formellement sp2 ) pouvant se coordiner ร un second centre mรฉtallique. Axรฉe essentiellement dans le plan du cycle phospholyle, son caractรจre sphรฉrique marquรฉ permet au centre mรฉtallique coordinรฉ ฮท1 de sโรฉloigner parfois notablement de ce plan.23,37 Cette paire libre est basse en รฉnergie : dans un phosphaferrocรจne, par exemple, elle est principalement reprรฉsentรฉe par lโorbitale HOMO-7, qui se trouve 2.37 eV en dessous de la HOMO.38 Des calculs CDA (charge decomposition analysis) ont confirmรฉ que les phosphaferrocรจnes sont des ligands peu ฯ-donneurs et assez bons ฯ-accepteurs.39,40 La chimie de coordination des phosphamรฉtallocรจnes et leurs applications en catalyse ont รฉtรฉ surtout รฉtudiรฉes en sรฉrie phosphacymantrรจne, phosphaferrocรจne et phospharuthรฉnocรจne, qui sont des ligands stables et versatiles dans cette gamme de propriรฉtรฉs รฉlectroniques. Il est ainsi dรฉcrit, par exemple, leurs complexes ร des centres de Mo (0),41-45 W(0),46-49 Fe (0),50-52 Mn (I),53 Re (I),53,54 Co (I),55 Rh(I),38,56-58 Ir (I),58 Ni (II)55 et (0),59 Pd (II) et (0),38,59-64 Pt (II),38,55 Ru (II),65 Cu (I),40 Ag (I),55,66 Au (I).
Le ligand phospholyle peut รฉgalement se coordiner de faรงon uniquement ฮท1 par une ou deux paires dโรฉlectrons localisรฉes sur le phosphore. Dans ce dernier cas, il sโagit de composรฉs de type dimรจres pontรฉs67,68 comme I-2 ou I-8 (Schรฉma I-2, voir aussi Schรฉma I-23 p. 22). Ces composรฉs ฮท1 peuvent manifester une stabilitรฉ cinรฉtique ou thermodynamique, รฉtant souvent prรฉcurseurs ou produits dโรฉvolution de composรฉs ฮท5 . La synthรจse du tetraphรฉnylphosphacymantrรจne I-3 par Abel69 illustre lโรฉvolution possible entre ces diffรฉrents modes de coordination, via la perte successive de ligands CO sur le manganรจse. Lโoxydation du complexe bis(ฮท1 -W(CO)5) 70 I-4, qui provoque le passage dโun tungstรจne en ฮท5 , et le phosphanickelocรจne I-6 (excรฉdentaire, 20 รฉlectrons de valence) qui conduit au complexe ฮท1 I-7 ร 18 รฉlectrons lorsquโil est traitรฉ par PMe3, 71 sont dโautres exemples significatifs.
|
Table des matiรจres
INTRODUCTION
CHAPITRE I : BIBLIOGRAPHIE
A. PROPRIETES ET UTILISATION DES PHOSPHAMETALLOCENES
A.1. Propriรฉtรฉs du phosphore ร lโรฉtat dโhybridation sp2
A.2. Coordination du ligand phospholyle
A.2.1. Coordination ฮท5
A.2.2. Coordination ฮท1
A.2.3. Coordination dโautres orbitales des phosphaferrocรจnes
A.3. Intรฉrรชt des phosphamรฉtallocรจnes
A.3.1. Autres composรฉs ร phosphore sp2
A.3.2. Phosphamรฉtallocรจnes
B. SYNTHESE ET ELABORATION DES PHOSPHAMETALLOCENES
B.1. Prรฉcurseurs
B.1.1. Synthรจse des phospholes
B.1.2. Anions phospholures
B.2. Synthรจse des phosphamรฉtallocรจnes
B.2.1. Obtention du ligand phospholyle dans la sphรจre de coordination dโun mรฉtal de transition
B.2.2. Synthรจse de phosphamรฉtallocรจnes ร partir de phospholures
B.3. Rรฉactivitรฉ fondamentale des phosphamรฉtallocรจnes
B.3.1. Vis-ร -vis des bases et nuclรฉophiles
B.3.2. Vis-ร -vis des รฉlectrophiles
B.4. Elaboration plus poussรฉe des phosphamรฉtallocรจnes
B.4.1. Obtention de phosphamรฉtallocรจnes รฉnantiopurs, rรฉsolution de la chiralitรฉ plane
B.4.2. Mรฉthodes dโรฉlaboration de ligands multidentes ร base de phosphamรฉtallocรจnes
C. PRESENTATION DU SUJET
C.1. Ligands รฉnantiopurs ร base de phosphamรฉtallocรจnes
C.2. Phosphamรฉtallocรจnes bifonctionnels et applications en synthรจse
D. REFERENCES
CHAPITRE II : SYNTHESE ET FONCTIONNALISATION DE PHOSPHAMETALLOCENES ESTER DE (-)- MENTHYLE, NOUVEAUX DEVELOPPEMENTS
A. NOUVELLES SYNTHESES DE PHOSPHAMETALLOCENES 2-(CARBOXY-(-)-MENTHYLE)
A.1. Introduction
A.2. Optimisation de la synthรจse des 2-(carboxy-(-)-menthyl)- phosphaferrocรจnes
A.3. Transmรฉtallation des phospholures au cuivre (I)
A.3.1. Synthรจse dโun phospharuthรฉnocรจne
A.3.2. Synthรจse de dรฉrivรฉs de sels de phosphacobaltocรฉniums
B. CATALYSE ENANTIOSELECTIVE : LIGANDS 2-METHYLPHOSPHINE-PHOSPHARUTHENOCENE
B.1. Introduction
B.1.1. Cation phospharuthรฉnocรจne-2-mรฉthylium
B.1.2. Etude prรฉcรฉdente en hydrogรฉnation asymรฉtrique
B.2. Synthรจse des ligands ร pont substituรฉ
B.2.1. Ligand ร pont monomรฉthylรฉ
B.2.2. Ligand ร pont dimรฉthylรฉ
B.3. Hydrogรฉnation asymรฉtrique dโฮฑ-รฉnamides
C. TENTATIVE DE SYNTHESE DโUN PHOSPHAMETALLOCENE 2-METALLE
D. CONCLUSION
E. RรFรRENCES
CHAPITRE III : LIGANDS CETONE-BIS(HETEROMETALLOCENE) ENANTIOPURS
A. INTRODUCTION
B. LIGANDS CETONE-BIS(PHOSPHAMETALLOCENE)
B.1. Stratรฉgie de synthรจse
B.2. Phospholures 2-(2โ-acyl-phosphamรฉtallocรจne)
B.2.1. Synthรจse
B.2.2. Conformation de la structure cรฉtone phosphamรฉtallocรจne-phospholure
B.3. Coordination de la cรฉtone-phosphamรฉtallocรจne-phospholure aux mรฉtaux de transition
B.3.1. Coordination directe ร des prรฉcurseurs de phosphamรฉtallocรจnes
B.3.2. Synthรจse sรฉlective ยซ template ยป de ligands cรฉtone-bis(phosphamรฉtallocรจne) chรฉlatants
B.4. Complexes du ligand cรฉtone-bis(phosphamรฉtallocรจne)
B.4.1. Coordination du ligand cรฉtone-bis(phosphamรฉtallocรจne)
B.4.2. Comparaison structurale des complexes
B.5. Tests en catalyse รฉnantiosรฉlective
B.5.1. Hydrogรฉnation du mรฉthyl-N-acรฉtylcinnamate (MAC)
B.5.2. Acide de Lewis ร un site de coordination
B.5.3. Hydroamination au palladium
C. LIGANDS CETONE-BIS(HETERORUTHENOCENE) PN ET NN
C.1. Synthรจse
C.1.1. Premiรจres รฉtudes
C.1.2. Ligand PN et NN รฉnantiopurs
C.2. Test en catalyse รฉnantiosรฉlective
C.2.1. Alkylation allylique
C.2.2. Rรฉaction de Kinugasa
D. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
E. REFERENCES
CONCLUSION
Tรฉlรฉcharger le rapport complet