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La faveur des adoptants pour la forme plénière de l’adoption
80 – Une faveur mal assumée. L’adoption plénière, qualifiée par certains d’adoption complète », entend faire table « rase » de toutes les conséquences personnelles et patrimoniales qui découlaient des liens antérieurs de l’enfant avec sa famille d’origine pour y substituer de nouveaux rapports de parenté.
Ce caractère radical de l’adoption plénière, ajouté à d’autres facteurs sociologiques, font que l’adoption et particulièrement sa forme plénière est redoutée, car cette dernière ne correspond généralement pas aux mœurs maliennes et sénégalaises. En effet, ses conditions, sa procédure et même ses effets sont ignorés de la majorité de la population peu habituée aux techniques juridiques importées de la France. Ce qui justifie d’ailleurs le nombre peu élevé des demandes d’adoption nationale. Cependant, l’effritement de certaines valeurs en Afrique, causée par les mutations enregistrées, en matière familiale, ces dernières années au sein des sociétés africaines fait qu’un bon nombre de candidats locaux à l’adoption s’orientent, comme ce fut le cas en France131dans les années 80, vers la forme intégrationniste de l’adoption (adoption-filiation / adoption plénière)132.
81 – Quelques statistiques. Un certain nombre de chiffres établis à partir des jugements d’adoption rendus au Mali et au Sénégal attestent la plus grande fréquence de l’adoption plénière133.
S’agissant du Sénégal, les jugements rendus par le Tribunal régional hors classe de Dakar sont édifiants. En 2008, sur 20 adoptions prononcées en faveur des nationaux par le Tribunal, 14 étaient plénières. En 2009, sur 13 adoptions prononcées en faveur des nationaux, 9 étaient plénières. La même logique apparaît au niveau international.
En revanche, s’agissant du Mali, en 2008, sur 38 adoptions prononcées par le Tribunal de première instance de la Commune VI du District de Bamako en faveur des nationaux, 20 étaient des adoptions-protections. En 2009, sur 25 adoptions prononcées, 20 étaient des adoptions-protections134. Paradoxalement au plan international, les adoptions filiations prononcées étaient deux fois plus nombreuses que les adoptions-protections.
Ces différentes statistiques constituent le reflet des options législatives de ces pays en faveur de l’adoption plénière, considérée comme une institution supérieure au détriment de l’adoption simple, relayée au rang d’institution inférieure. Aussi, ne devrait-on pas dénoncer ce déséquilibre créé par les systèmes législatifs malien et sénégalais ?
82 – Perspectives de solutions. Une réflexion générale devrait être menée sur la pertinence du maintien d’une telle hiérarchie entre l’adoption plénière et l’adoption simple afin de proposer une réhabilitation de l’adoption simple. Cette proposition permettrait d’instaurer un équilibre entre les deux formes d’adoption et offrirait au Mali et au Sénégal une institution, à la fois, respectueuse des droits de l’enfant et des spécificités locales.
Le rééquilibrage nécessaire en faveur de l’adoption avec maintien du lien de filiation d’origine
83 – Un équilibre nécessaire à la restauration de la finalité de l’adoption. L’adoption plénière, qualifiée, à juste titre, par un auteur135 d’ « éliminatoire », d’ « exclusive », d’ « absolue », voire de « conquérante » et de « triomphante » s’oppose à l’adoption simple, qualifiée par le Doyen CORNU136, d’adoption « modeste », dont l’ambition est de donner une nouvelle famille à un enfant, voire une nouvelle filiation sans pour autant chercher à évincer la filiation d’origine.
Autrement dit, « tandis que l’adoption plénière élimine la famille d’origine, ou du moins se livre à un pari sur cette élimination, l’adoption simple non seulement avoue, mais accepte en droit la présence des parents par le sang »137.
Ces deux formes d’adoptions conçues pour répondre aux aspirations multiples des adoptants doivent avant tout permettre de répondre à la diversité de situations des enfants dépourvus ou mal pourvus de famille.
Pourtant, ce noble objectif de donner une famille à un enfant qui en a besoin, assigné à l’institution de l’adoption, semble être ignoré par le droit interne desdits Etats, lequel droit privilégie l’intérêt des adoptants à travers l’attention qu’il porte sur la forme plénière, au détriment de celui des plus faibles, c’est-à-dire, les enfants et les parents par le sang.
Ainsi, cette option, dont la remise en cause s’impose nécessairement, contraste avec l’objectif même de l’adoption au Mali et au Sénégal : préserver l’intérêt de l’enfant dont le développement et la sécurité seraient compromis, parce qu’il serait abandonné ou qu’il ne recevrait pas de sa famille d’origine les soins nécessaires à ses besoins matériels, affectifs et éducatifs.
84- Démarche. La restauration de cette finalité de l’adoption passe dès lors par la désacralisation de la forme radicale de l’adoption (adoption-filiation / adoption plénière (paragraphe 1), dans un premier temps, et par le renouveau de la forme modeste de l’adoption (adoption limitée), dans un second temps (paragraphe 2).
La désacralisation de l’adoption plénière
85 – Justifications. Le paradoxe est qu’à force de vouloir sécuriser l’adoption plénière, la loi a été propice à de multiples formes d’insécurité concernant l’adoption simple. Ainsi, contrairement à l’adoption plénière, le lien de filiation créé par la forme ‘modeste » de l’adoption se trouve exposé aux aléas d’une demande de rupture du lien ainsi créé. Pourtant l’adoption plénière n’échappe pas à de tels aléas. L’irrévocabilité de l’adoption plénière pourrait donc se révéler préjudiciable à l’intérêt de l’enfant dans certaines situations. Pour prévenir de tels risques, il serait judicieux de désacraliser l’adoption plénière. Cette désacralisation pourrait s’opérer de deux manières: la remise en cause de la distribution actuelle des deux modes d’adoption (A) et la remise en cause de l’irrévocabilité de l’adoption plénière (B).
La remise en cause de la distribution actuelle des deux formes d’adoption
86 – La sacralisation de l’adoption plénière et ses origines. La sacralisation de l’adoption plénière est née, en France, de la réforme de l’adoption de 1966. Cette réforme a fait du droit de l’adoption, un droit militant, car il milite en faveur du modèle plénier de l’adoption. En effet, cette réforme est intervenue dans un contexte bien déterminée, marqué par l’affaire Novack, qui faisait suite à l’affaire Finaly138.
Dans l’affaire Novack, un jeune enfant avait été placé pour adoption dans une famille, mais le père d’origine a demandé tardivement à reconnaître son enfant. Il y a eu plusieurs jugements139, et l’enfant a été écartelé entre ses deux familles. C’est l’intervention de la loi de 1966 qui a permis de « régler » cette affaire, raison ayant été donnée aux parents adoptifs. Un des objectifs de cette loi était donc d’assurer l’éviction des parents d’origine en posant un verrou. C’est d’ailleurs ce qu’à voulu exprimer le Professeur HAUSER en ces termes : « le lien de filiation adoptive, pas plus que le lien de filiation biologique, ne peut être exposé à être anéanti par des conflits, des susceptibilités ou des humeurs qui ne sont que l’expression de dysharmonies que les aléas de la vie en commun peuvent faire naître à tout moment dans toutes les familles ».140 Finalement, « pas plus qu’on ne peut divorcer de ses parents biologiques, on ne peut divorcer de ses parents adoptifs »141.
87 – L’effacement des parents d’origine. La forme plénière de l’adoption efface les parents d’origine de l’enfant. Cette crainte du retour des parents d’origine est à la source de l’irrévocabilité du jugement d’adoption plénière. Mais comment rendre irrévocable un jugement d’adoption quand l’effacement des parents d’origine par leur anonymat interdit de s’assurer à cent pour cent dans bien des cas que l’enfant a bel et bien été remis aux services sociaux compétents pour adoption et que les parents de naissance étaient conscients des effets de leur acte dans des pays dont la majorité de la population ignore cette forme d’adoption héritée, faut-il le rappeler, du droit français? Cette vision flatteuse de l’adoption plénière mérite à tout le moins quelques corrections pour les problèmes qu’elle suscite.
88 – Vers une redistribution de l’adoption en fonction des besoins spécifiques de chaque catégorie d’enfant. L’adoption plénière convient dans toutes les situations où la filiation d’origine est moins importante pour l’enfant que son intégration complète dans une famille adoptive. Aussi, doit-elle être réservée aux seuls enfants de parents inconnus142. A cet égard, l’option du législateur malien est salutaire en ce sens que l’adoption filiation (équivalent de l’adoption plénière) n’est permise qu’aux enfants abandonnés143 ou de parents inconnus144.
Les effets attendus d’une éventuelle révocation de l’adoption plénière
106 – Une révocation non rétroactive. Si la révocation ne heurte pas l’institution de l’adoption plénière comme nous l’avons démontré précédemment, elle est par conséquent de nature à en limiter les effets négatifs. La révocation de l’adoption plénière à l’égard du ou des adoptants mettra définitivement fin, pour l’avenir, aux relations adoptives179. En revanche, les effets passés de l’adoption révoquée seraient maintenus. La solution permettra à l’ex-adopté de conserver les avantages recueillis antérieurement à la décision de révocation. En outre, le tribunal devrait pouvoir condamner l’ex-adoptant, soit à subvenir à l’entretien de l’ex-adopté, surtout lorsque celui-ci se trouve dans le besoin jusqu’à son intégration dans une nouvelle famille adoptive, soit à octroyer des dommages-intérêts lorsque son intégration dans une nouvelle famille est rendue impossible, à son ex-adopté pour le préjudice causé par une telle rupture. Enfin, la révocation d’une adoption plénière ne devrait en aucun cas, faire obstacle au prononcé d’une nouvelle adoption (plénière ou simple) quitte à aménager les effets de cette nouvelle adoption, de sorte qu’il n’y ait pas de distorsion préjudiciable à l’intérêt de l’enfant. Cet aménagement pourrait se faire en s’inspirant de la solution prévue par l’article 360 alinéa 2 du Code civil français. Cet article permet le prononcé de l’adoption simple de l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière lorsque des motifs graves le justifient.
107 – Proposition de réforme. Nous suggérons l’introduction d’un nouvel article dans les codes malien et sénégalais de la famille consacré aux effets de la révocation de l’adoption plénière. Ce nouvel article sera formulé ainsi: » La révocation de l’adoption plénière à l’égard du ou des adoptants met définitivement fin, pour l’avenir, aux relations adoptives. Toutefois, lorsque l’intérêt de l’ex-adopté l’exige, celui-ci pourra conserver le nom de son ex-adoptant. Le tribunal peut condamner l’ex-adoptant, soit à subvenir à l’entretien de l’ex-adopté lorsque celui-ci se trouve dans le besoin, soit à octroyer des dommages-intérêts lorsque la rupture du lien d’adoption est de nature à compromettre l’avenir de l’enfant ». Lorsque l’intérêt de l’enfant le permet, la révocation de l’adoption plénière ne fait pas obstacle au prononcé d’une nouvelle adoption. »
108 – Conclusion. L’adoption plénière, présentée aujourd’hui comme le modèle privilégié dont l’adoption simple ne serait qu’un accessoire, ne répond pas toujours de manière satisfaisante à la situation de l’enfant. En effet, il y a des situations où il n’est pas nécessairement de l’intérêt de l’enfant d’être coupé définitivement de sa famille par le sang. La désacralisation de l’adoption plénière qui résulte de la remise en cause de l’existence d’une hiérarchie dans l’institution doit donc conduire à un renouveau de l’adoption simple dans la perspective de rééquilibrer la dualité adoption-simple/adoption plénière dans une optique résolument protectrice des droits de l’enfant.
Le renouveau souhaitable de la forme simple de l’adoption
109 – Justifications. Il faut rappeler que, contrairement au législateur malien qui n’a retenu que l’adoption-filiation (équivalent de l’adoption plénière française) comme seul type d’adoption filiative, son homologue sénégalais a, quant à lui, prévu à côté de la forme plénière de l’adoption, une adoption limitée avec création de lien de filiation. Cependant, eu égard à la situation de certains enfants en difficulté familiale et qui ne sont pas adoptables plénièrement, la nécessité s’impose pour le Mali d’intégrer dans son dispositif législatif une adoption simple créatrice de lien de filiation (A). Quant au Sénégal, la nécessité d’une réhabilitation de son adoption limitée (adoption simple) s’impose afin de remédier à certaines lacunes qu’elle contient (B).
L’intégration d’une adoption simple créatrice de lien de filiation au Mali.
Les avantages de l’adoption simple. Forme moins radicale, l’adoption simple dont le renouveau est souhaité, à juste titre, par une partie de la doctrine180, offre, du fait même de sa nature hétéroclite et souple, des avantages que ne présente pas l’adoption plénière. Dès lors, Mme LAMMERANT invite à « une évolution des mentalités afin de considérer avec la même bienveillance, l’adoption plénière, substitution radicale d’une filiation par une autre, et l’adoption simple, coexistence de filiations différentes quant au contenu mais importantes pour l’enfant »181. En effet, l’adoption simple fait coexister plusieurs parents pour un même enfant. Les parents adoptifs sont mis en concurrence avec les parents par le sang. Par conséquent, la famille adoptive ne serait plus alors la famille de substitution par excellence mais plutôt « une famille de relais ». L’enfant pourrait alors passer d’une famille à l’autre sans pour autant que la première ne disparaisse dans l’anonymat. Un tel système présente l’avantage de reconnaitre l’existence des parents successifs182.
Ainsi, contrairement à l’adoption plénière qui élimine la famille d’origine, ou du moins se livre à un pari sur cette élimination, « l’adoption simple non seulement avoue, mais accepte en droit la présence des parents par le sang »183. Cependant, dès le prononcé de l’adoption simple, les parents biologiques sont dispensés, à juste raison, de l’exercice de l’autorité parentale184 et ou de la puissance paternelle185. Celles-ci sont réservées aux seuls parents adoptifs. La famille biologique « se tient en arrière plan dans un rôle quelque peu fantomatique, alors que la réalité des prérogatives est détenue par l’adoptant »186.
L’opportunité d’une adoption simple au Mali. Du point de vue du respect de l’identité de l’enfant adopté, la piste d’une adoption inclusive (ou additive) constitue une remise en cause beaucoup plus profonde du cadre juridique actuel de l’adoption plénière, que plusieurs considéraient jusqu’ici comme allant de soi. Une telle option paraît néanmoins s’imposer, eu égard au profil de certains adoptés.
Hypothèses où l’adoption simple paraît souhaitable. La rupture des liens d’origine contredit parfois de façon évidente l’intérêt de certains enfants. Pensons, par exemple, aux enfants adoptés déjà grands qui connaissent leurs parents et d’autres membres de leur parenté d’origine avec qui ils ont tissé des liens d’appartenance significatifs. Tel est le cas de certains enfants placés dans des institutions d’accueil pour enfants abandonnés qui ont des frères et sœurs vivant dans une autre famille, de certains enfants adoptés par le nouveau conjoint de leur mère ou de leur père, etc. Ces différentes situations justifient, à notre avis, la remise en question du modèle d’adoption filiative unique que connaît le droit malien (adoptionfiliation), toujours exclusif et encore pensé sur le mode de la rupture plutôt que sur celui de la continuité, à une époque où chaque individu est pourtant invité à nouer les fils de son histoire personnelle dans un tissu identitaire composite.
Les contrariétés du droit malien. Le système actuel oppose le besoin de l’enfant de grandir auprès de parents adoptants aimants, capables de lui procurer la stabilité socio affective qu’il requiert, et celui, tout aussi fondamental, de conserver son identité et ses relations familiales187. La consécration d’une adoption simple en droit malien vise plutôt à concilier ces deux besoins. Inspirée de l’« adoption simple » en vigueur dans plusieurs pays188, l’adoption sans rupture du lien d’origine permettra à l’adopté de bénéficier de tous les avantages que procure une adoption, mais sans lui faire perdre sa filiation d’origine. Le tribunal pourra opter pour l’adoption sans rupture du lien d’origine afin de préserver des liens d’appartenance significatifs pour l’enfant avec sa famille d’origine.
Proposition de formulation du nouvel article. L’article qui va introduire l’adoption simple au Mali devrait illustrer les cas où de tels liens pourraient exister. Par exemple, cet article pourrait être rédigé ainsi: » A côté de l’adoption-filiation, existe une autre adoption créatrice de lien de filiation sans rupture avec la famille d’origine : l’adoption simple. Elle est la forme d’adoption filiative de droit commun. Elle est prononcée dans les hypothèses d’adoption extrafamiliale et d’adoption par le conjoint du père ou de la mère de l’enfant, ou par le conjoint d’ascendant ou parent à condition qu’il n’y ait pas de lien de sang entre l’adoptant et l’adopté. »
Propositions de solutions de réhabilitation de l’adoption simple
122 – Le bien-fondé. L’adoption simple est souvent perçue, à tort, comme « l’exception d’un univers dont l’adoption plénière serait la règle »194. Cette perception occidentale de l’institution fait de la forme plénière de l’adoption le modèle idéal. Pourtant, l’adoption simple présente des caractéristiques propres, susceptibles de séduire les adoptants potentiels. En effet, elle permet d’apporter une solution satisfaisante à certaines situations et notamment
l’adoption de l’enfant du conjoint. Elle est en outre « réellement originale et plus respectueuse de la réalité vécue par l’adopté »195. Après avoir illustré les raisons qui plaident en faveur d’une réhabilitation de l’adoption limitée, il faudra se pencher sur les moyens souhaitables à mettre en œuvre pour y parvenir.
123 – Les moyens d’une réhabilitation de la forme simple de l’adoption. La remise à l’honneur de l’adoption avec maintien du lien de filiation d’origine peut se réaliser à travers deux réformes qui sont liées. La première consiste à faire de l’adoption avec maintien du lien de filiation d’origine, une adoption de droit commun ou de principe et la seconde consistera à faire de la forme plénière de l’adoption, une adoption d’exception. Du coup, le prononcé de la forme « modeste » de l’adoption devenu le principe de droit commun (a), la forme radicale de l’adoption ou l’adoption substitution ne restera possible que dans de rares hypothèses lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige (b).
398 – La prise en compte de la diversité malienne. L’adoption-protection est bien une manifestation concrète du caractère pluraliste du droit malien et la traduction de la volonté du législateur à tenir compte de la diversité malienne. Conçue essentiellement pour prendre en charge les enfants en difficulté familiale, l’adoption-protection est le fruit d’un compromis entre une majorité de la population, de confession musulmane, non favorable à la conception européenne de l’adoption et une minorité de la population, non musulmane, favorable à l’adoption « à l’occidental ». Ainsi, le compromis trouvé par le législateur malien a été celui de retenir les deux conceptions de l’adoption et de laisser aux candidats le droit d’opter pour l’une ou l’autre forme d’adoption. Toutefois, cette liberté de choix n’est pas illimitée. Elle est strictement encadrée en fonction des critères liés à l’âge de l’enfant, au statut de l’enfant (enfant de parents connus (seule l’adoption-protection est possible) ou enfant abandonné sans parent connu ( adoption-filiation et adoption-protection restent envisageables ) et des critères liés aux candidats à l’adoption telle que la nationalité (adoption-protection ouverte aussi bien aux nationaux qu’aux étrangers et adoption-filiation qui lui n’est ouverte qu’aux nationaux).
399 – Le caractère optionnel de l’adoption-protection. Les candidats maliens à l’adoption bénéficient d’une possibilité d’option entre l’adoption-protection, une institution non créatrice de lien de filiation et l’adoption-filiation, une institution créatrice de lien de filiation. Cette option, qui peut être définie comme la faculté accordée par la loi aux candidats à l’adoption de choisir entre deux régimes juridiques d’adoption, est prévue par l’article 522 du Code malien des personnes et de la famille. Cet article prévoit que » toute personne de bonne vie et de bonne mœurs établies peut adopter un ou plusieurs enfants, soit pour assurer à ceux-ci l’entretien, l’éducation, la protection matérielle ou morale dont ils ont besoin, soit pour se procurer une postérité.
Dans le premier cas, a lieu « l’adoption- protection » qui renforce ou crée entre l’adoptant et l’adopté des droits et obligations tels que prévus par le présent code.
Dans le second cas, a lieu « l’adoption- filiation » qui institue des liens analogues à ceux résultant de la filiation légitime. (…) « . Le fondement de l’option du droit de l’adoption est tiré de la laïcité c’est-à-dire fondé sur la conception politique de l’Etat.
400 – La laïcité, fondement du caractère optionnel de l’adoption. La République du Mali se proclame laïque534 . Dès lors, toutes les institutions se rattachant à l’Etat sont censées être empreintes du sceau de la laïcité. La famille, et singulièrement l’adoption ne saurait échapper la règle. Le principe constitutionnel de la laïcité est donc appliqué au droit de l’adoption. A cet égard, le mot religion n’apparaît pas dans les dispositions du Code des personnes et de la famille relatives à l’adoption. En ce sens, il convient de mettre l’accent sur le style de discrétion utilisé par le législateur. Celui-ci, conscient de l’hostilité de certains musulmans à l’adoption filiation, a prévu, à côté de celle-ci, l’adoption-protection qui ne heurte pas les principes de l’Islam. Ainsi, bien que visée à travers la consécration de l’adoption-protection, la référence à la religion dans le Code des personnes et de la famille a été subtilement et expressément ignorée. Cette méthode du législateur est certainement fondée sur l’idée de laïcité qui devait constituer le soubassement de toute la législation familiale.
A l’issue de la présentation ci-dessus faite du concept de pluralisme juridique, il ressort que le caractère pluraliste de l’adoption-protection se justifie par l’existence, dans le droit malien, de deux formes différentes d’adoption et la possibilité offerte par le droit aux citoyens maliens d’opter pour l’une ou l’autre forme dans le strict respect de la loi. Toutefois, l’adoption-protection, analysée de façon isolée, c’est-à-dire, analysée indépendamment de l’adoption-filiation, ne présente pas les traits d’une institution pluraliste. Elle relève plutôt du syncrétisme juridique.
L’adoption-protection comme manifestation du syncrétisme juridique
401 – Définition du syncrétisme juridique. Le syncrétisme juridique est l’option méthodologique en vertu de laquelle le législateur n’écarte a priori aucun modèle qui se présente à lui. Il ne retient en définitive que les aspects qu’il croit satisfaire à ses attentes.
La notion de syncrétisme paraît suffisamment vague et complexe pour recouvrir des phénomènes bien divers: juxtaposition d’éléments culturels issus de plusieurs traditions, réappropriation de traits occidentaux, ou encore fusion. Après avoir justifié le caractère syncrétique de l’adoption-protection (1), il conviendra d’analyser sa portée (2).
La justification du caractère syncrétique de l’adoption-protection
402 – Fondements. Le syncrétisme du droit malien de l’adoption s’explique par un certain nombre de données (a) et se manifeste par la juxtaposition de deux sources juridiques différentes: l’une inspirée du droit français et l’autre inspirée des traditions maliennes (b).
Les données du syncrétisme
403 – Le besoin de concilier valeurs sociétales et modernité. Le syncrétisme est un phénomène présent dans la plupart des pays en développement dans lesquels le droit de l’État est en négociation avec la société civile pour réaliser ses objectifs. Cette dualité génère un nouveau type de droit négocié original, ni étatique ni sociétal, mais juridiquement syncrétique. On constate ainsi que le droit malien reprend, pour l’essentiel, les règles héritées de l’ancienne métropole. Limité dans sa portée opérationnelle, le syncrétisme juridique malien apparaît néanmoins souhaitable, dès lors que toute transposition fidèle des modèles extérieurs rend utopique le renforcement des droits de l’enfant par la seule transposition des pratiques étrangères. La protection des droits de l’enfant ne peut en effet être utilement assurée par le droit que pour autant qu’il s’inscrive dans un ancrage idéologique et culturel largement consensuel. Le syncrétisme juridique malien répondait à la nécessaire conciliation des valeurs et des attentes sociétales profondes avec l’effectivité et l’efficacité du droit positif. Il postulait cet effet, un processus de réception critique à la mesure de la crédibilité d’un système juridique qui soit porteur d’une logique de valorisation et de développement, plus que d’acculturation et d’enfermement.
404 – Démonstration. L’existence d’une juxtaposition des règles tantôt inspirées du droit français, tantôt inspirées des traditions maliennes, pour former le régime juridique de l’adoption-protection révèle le caractère syncrétique de cette institution.
La juxtaposition de deux systèmes juridiques différents
405 – Le bien-fondé d’une telle juxtaposition. L’adoption-protection ne se caractérisant pas par la diversité au vrai sens du terme, parce que bien qu’elle soit inspirée à la fois des traditions maliennes et du droit français535, cette institution est régie par une réglementation unique et globale et ne fait donc pas coexister deux régimes juridiques différents pour cette forme d’adoption. En réalité, elle juxtapose simplement ces derniers sans donner un droit d’option aux candidats pour tel ou tel système.
406 – La méthode utilisée par le législateur. En effet, pour créer l’adoption-protection, le législateur malien a pensé qu’il fallait puiser les éléments de référence dans le patrimoine juridique français. Ce dernier constitue ainsi la source principale de l’adoption-protection malienne. Une question vient d’emblée à l’esprit. La voie de la modernité doit-elle nécessairement passer par » la francisation « , dans un pays où l’essentiel du système social est étranger à celui de la France ? Cette question nous semble être d’une importance capitale, puisque la réponse qui lui est apportée permet de jeter un éclairage sur l’orientation prise par le législateur malien en matière familiale. Une telle interrogation met fondamentalement en jeu l’idée de développement qui a guidé les pouvoirs publics maliens au moment de l’élaboration du Code de la famille. Une reproduction intégrale du droit français a été évitée. Le législateur a essayé d’adapter celui-ci aux réalités locales. A cet effet, certains principes fondamentaux ont été mis en exergue, notamment celui de l’intérêt de l’enfant. En outre, tenant compte des spécificités maliennes, le législateur a essayé, sur certains points, de concilier le droit français avec, d’une part, les solutions admises en droit musulman, et de l’autre, le substratum commun dégagé des coutumes. Il en est résulté des synthèses originales qui constituent entre autres, des spécificités de l’adoption-protection malienne par rapport à sa source principale d’inspiration qu’est le droit français.
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Table des matières
PREMIERE PARTIE : LA RECONSTRUCTION DU DROIT DE L’ADOPTION NATIONALE POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES DROITS DE L’ENFANT
Titre 1 : Le remodelage des institutions héritées du droit français
Chapitre 1 : Réflexions sur la typologie législative de l’adoption
Chapitre 2 : Réflexions sur l’application de l’adoption
Titre 2 : La valorisation des institutions locales
Chapitre 1 : La nécessité de la valorisation des institutions locales
Chapitre 2 : L’habillage juridique de la valorisation des institutions locales
SECONDE PARTIE : LA CONSTRUCTION DU DROIT DE L’ADOPTION INTERNATIONALE POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES DROITS DE L’ENFANT
Titre 1 : L’institutionnalisation de l’adoption internationale
Chapitre 1 : L’émergence de l’adoption internationale
Chapitre 2 : Les institutions de l’adoption internationale
Titre 2 : La réalisation de l’adoption internationale
Chapitre 1 : Les principes directeurs de l’adoption internationale
Chapitre 2 : La décision de l’adoption internationale
CONCLUSION
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