PROPAGATION LASER ET EXCITATION D’ONDE DE SILLAGE DANS UN PLASMA SOUS-DENSE
L’accélération laser-plasma, et son application au développement de sources de rayonnement X, sont basées sur l’interaction entre une impulsion laser brève et un plasma sous-dense en régime relativiste. Ce chapitre est dédié à l’introduction des notations et concepts associés à la description d’un plasma sous-dense, d’une impulsion laser et de l’onde de sillage excitée par le laser lors de sa propagation dans le plasma. Je commencerai par présenter la description cinétique et fluide d’un plasma relativiste, puis nous étudierons les équations régissant, au sein du plasma, la dynamique des ondes électromagnétiques et des ondes plasmas.
L’ACCÉLÉRATEUR LASER-PLASMA
Limites du modèle
Le modèle que l’on a utilisé pour étudier la dynamique longitudinale et transverse de l’électron dans la bulle correspond à une situation idéalisée : la cavité est parfaitement sphérique, vide d’électrons et quasi-statique, i.e. sans évolution dans le temps. D’autre part, il n’inclut pas la possible interaction entre le faisceau d’électrons et l’impulsion laser. Si la densité électronique n’est pas identiquement nulle dans la cavité, cela réduit la force accélératrice et la force de rappel transverse. On peut alors ajouter deux paramètres au modèle qui quantifient la réduction de ces forces par rapport aux forces nominales [37]. La présence du paquet d’électrons dans la bulle perturbe les trajectoires des électrons du plasma, ce qui modifie les champs de l’onde de sillage vus par le paquet d’électrons (phénomène de « beam loading » en anglais). Ce problème d’auto-consistance peut être modélisé à partir de la démarche de Lu et al. [32, 33, 38], où l’on considère la trajectoire des électrons de la fine couche circulant au bord de la cavité ionique et définissant la forme de la cavité. À l’aide de cette description, on tient compte également de la forme non sphérique de la bulle. Ce phénomène de « beam loading » a une influence très importante sur les propriétés longitudinales du faisceau d’électrons, en particulier sa dispersion en énergie [39]. Pour étudier la possible interaction entre le faisceau d’électrons et l’impulsion laser, on peut modéliser l’impulsion laser et ajouter sa contribution à la force de Lorentz appliquée aux électrons [40].
L’évolution de la structure accélératrice pendant l’accélération du paquet d’électrons joue un rôle très important. Elle dépend bien sûr de la propagation de l’impulsion laser dans le plasma, et on pourra recourir à des simulations PIC pour la quantifier. Par exemple, si, après injection d’un paquet d’électrons le rayon de la bulle rb augmente puis se stabilise, le paquet d’électrons aura déphasé beaucoup plus vite que dans le cas quasi-statique. Inversement, si rb décroît progressivement au cours de la propagation (par exemple quand le laser se propage dans un gradient montant de densité), on peut compenser totalement le déphasage et profiter d’une longueur d’accélération beaucoup plus grande.
Différents mécanismes pour l’injection d’électrons
Nous avons vu que pour une impulsion laser intense avec des dimensions longitudinale et transverse adaptées au plasma, une structure accélératrice optimale se forme dans le sillage de l’impulsion.
L’auto-injection peut également être obtenue à partir du déferlement longitudinal. La situation est dans ce cas très similaire au cas de l’onde plasma non linéaire 1D. Les électrons, étant initialement très proches de l’axe r << rb, sont mis en mouvement principalement longitudinalement. Le déferlement longitudinal est atteint si la vitesse maximale de l’oscillation longitudinale dépasse la vitesse de phase de la bulle, ce qui permet alors d’injecter les électrons étant proches de l’axe initialement .
Pour augmenter le contrôle sur les paramètres du faisceau d’électrons, améliorer sa qualité et plus généralement découpler l’accélérateur de son injecteur, on peut utiliser la méthode d’injection optique [53, 54, 55]. Le principe se base sur la collision entre l’impulsion laser principale, responsable de l’excitation de l’onde plasma, et une deuxième impulsion, contre-propagative, appelée faisceau d’injection. Lors de la collision, la force pondéromotrice du battement d’onde peut pré-accélérer certains électrons qui pourront alors être piégés dans la structure accélératrice. Cette injection est locale, elle n’a lieu que durant la collision des deux impulsions laser, ce qui permet d’obtenir un faisceau d’électrons de faible dispersion en énergie, pouvant être inférieure au % [56] si le phénomène de « beam loading » est optimisé [39]. La position de collision peut être modifiée continument, ce qui permet de changer la longueur d’accélération et donc l’énergie finale du paquet d’électrons. Les premiers résultats expérimentaux utilisant ce mécanisme d’injection optique ont démontré la génération de faisceaux d’électrons de bonne qualité avec une énergie accordable de 50 MeV à 250 MeV [57].
D’autres méthodes pour l’injection d’électrons ont été étudiées dans la littérature : (i) l’utilisation d’un gradient descendant de densité plasma, qui permet de diminuer la vitesse de phase de l’onde plasma et de passer localement au dessus du seuil d’auto-injection [58, 59, 60, 61, 62], (ii) l’injection par ionisation, où l’on ajoute une faible concentration d’atomes plus lourds au gaz, dont les électrons en couche interne seront arrachés dans la partie centrale de l’impulsion laser et pourront directement être injectés [63, 64, 65, 66] et (iii) l’injection contrôlée par champ magnétique externe [67].
Le rayonnement bétatron
La cible : un jet de gaz d’hélium
L’impulsion laser est focalisée sur un jet de gaz supersonique d’hélium, dont le profil de densité a une forme approximativement trapézoïdale dans la direction de propagation du laser. Par exemple, pour un jet de gaz avec une buse de 3 mm de diamètre et un axe laser situé à 1 mm de la sortie de buse, le profil de densité consiste approximativement en une rampe linéaire de 600 µm de 0 à nHe, un plateau de 2.1 mm avec une densité égale à nHe et une rampe linéaire de 600 µm de nHe à 0. Les atomes d’hélium sont totalement ionisés dans le front montant de l’impulsion laser, et la partie centrale de l’impulsion laser interagit avec un plasma dont la densité électronique n0 est égale à 2 fois la densité atomique du gaz d’hélium nHe. La valeur de la densité peut être contrôlée grâce à la pression imposée en amont du jet de gaz, et la relation pression-densité ainsi que la forme exacte du profil de densité sont caractérisées par interférométrie [77].
Diagnostics expérimentaux
Tout d’abord, la caractérisation du faisceau d’électrons produit lors de l’interaction laserplasma se fait à l’aide d’un spectromètre à électrons. Ce dernier est composé d’un aimant permanent (champ magnétique de 1.1 T sur 10 cm), qui dévie les électrons en fonction de leur énergie dans le plan horizontal, et d’un écran scintillateur (Lanex Kodak fine, Gd2O2S:Tb), dans lequel les électrons déposent de l’énergie. La relaxation du matériau du scintillateur se fait à travers une transition entre deux niveaux d’énergie (excité et fondamental), et conduit à l’émission de photons à 545 nm. En imageant cette lumière à 545 nm sur une caméra CCD (Charge-Coupled Device, ou dispositif à transfert de charge) visible de grande dynamique (16 bits), on remonte à la position des électrons sur l’écran. La position dans la direction de déviation (horizontale) donne l’énergie des électrons, tandis que la position verticale donne une information angulaire (angle vertical des électrons par rapport au plan horizontal). Le signal mesuré donne une indication de la charge du paquet.
On utilise un deuxième écran scintillateur Gd2O2S:Tb pour mesurer la distribution angulaire du rayonnement X. Celui-ci est placé sur l’axe de propagation laser, et il est protégé de la lumière laser par un filtre Aluminium de 12 µm d’épaisseur. Les électrons sont suffisamment déviés de l’axe laser par l’aimant permanent pour qu’aucun électron ne parvienne sur cet écran. Comme pour les électrons, les rayons X déposent de l’énergie dans l’écran scintillateur qui relaxe en émettant des photons à 545 nm. L’image de l’écran scintillateur sur une caméra CCD visible fournit le profil angulaire du rayonnement X. Notons que l’on peut également mesurer le profil angulaire avec une caméra CCD X avec une bien meilleure sensibilité (mais la mesure est limitée à de plus basses énergies de photon, inférieures à 20 keV). Cependant, nous tirons ici avantage de l’écran scintillateur en laissant un petit trou en son centre (correspondant à une petite ouverture angulaire de 8 mrad × 8 mrad), ce qui permet ensuite de caractériser spectralement le rayonnement étant passé dans le trou. Ainsi, on obtient simultanément, sur un seul tir, une information angulaire et spectrale.
Pour obtenir une information spectrale sur le rayonnement X, plusieurs méthodes sont envisageables. L’utilisation d’un ensemble de filtres, avec des compositions et des épaisseurs différentes, permet de reconstruire le spectre car les différents filtres sélectionnent des bandes spectrales différentes. En général, on fait l’hypothèse que le spectre est de type synchrotron [équation (3.17)] et on procède à un ajustement des données pour reproduire le signal transmis à travers les différents filtres. On obtient ainsi une mesure de l’énergie critique Ec = hωc du rayonnement [72, 73, 78]. Cette méthode a l’avantage de la simplicité et fonctionne en monocoup, mais présente en pratique une très mauvaise résolution spectrale. La diffraction de Bragg sur un cristal plan [79] offre une très bonne résolution spectrale mais elle ne permet de mesurer qu’une seule énergie à la fois, et il faut donc effectuer une dizaine de tirs pour chaque point de mesure, rendant le résultat très sensible aux fluctuations tir à tir et à la dérive des paramètres laser.
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Table des matières
Introduction
partie I Éléments théoriques
1. Propagation laser et excitation d’onde de sillage dans un plasma sous-dense
1.1 Plasma : description cinétique et modèle fluide relativiste
1.2 Équation d’onde du système « champs électromagnétiques – fluide électronique»
1.3 Développement perturbatif de l’équation d’onde
1.3.1 Ordre 1 : Onde plasma et ondes électromagnétiques
1.3.2 Ordre 2 : Excitation de l’onde plasma par l’impulsion laser
1.3.3 Ordre 3 : Effets relativistes et d’onde plasma sur la propagation de l’impulsion laser
1.3.4 Ordre 4 : Génération de champ magnétique quasi-statique
1.4 Régime non-perturbatif et relativiste
1.4.1 Limite uni-dimensionnelle
1.4.2 Effets multi-dimensionnels
2. L’accélérateur laser-plasma
2.1 Régime et modèle de la bulle
2.1.1 Champs électromagnétiques de la bulle
2.1.2 Accélération pour un électron test
2.1.3 Oscillations bétatrons
2.1.4 Limites du modèle
2.2 Différents mécanismes pour l’injection d’électrons .
3. Émission de rayonnement X par des électrons relativistes
3.1 Potentiels et champs de Liénard-Wiechert
3.2 Energie rayonnée par unité d’angle solide et de fréquence
3.3 Onduleur et “wiggler”
3.4 Analyse qualitative du spectre du rayonnement
3.5 Autres propriétés du rayonnement
3.5.1 Durée de l’impulsion X
3.5.2 Divergence
3.5.3 Energie rayonnée et nombre de photons
3.5.4 Sommation incohérente du rayonnement
3.5.5 Exemples numériques
partie II Développement et application de sources de rayonnement X
4. Le rayonnement bétatron
4.1 Origine et propriétés du rayonnement bétatron
4.2 Dispositif expérimental
4.2.1 Le système laser ALLS 200 TW
4.2.2 La cible : un jet de gaz d’hélium
4.2.3 Diagnostics expérimentaux
4.2.4 Principe du comptage de photons
4.3 Résultats obtenus
5. La diffusion Compton contre-propagative
5.1 Principe et propriétés de la diffusion Compton
5.1.1 Trajectoire de l’électron dans une impulsion laser contre-propagative
5.1.2 Propriétés du rayonnement
5.1.3 Pertes par rayonnement et effets quantiques
5.2 Réalisation expérimentale à l’aide d’un miroir plasma
6. Application à l’imagerie par contraste de phase monocoup
6.1 Principe de l’imagerie par contraste de phase
6.2 Démonstration en régime monocoup avec le rayonnement bétatron
partie III L’émission X : un outil pour étudier l’accélération laser-plasma
7. Cartographie de l’émission X
7.1 Méthode expérimentale
7.2 Résultats et discussion
7.2.1 Avec un accélérateur laser-plasma non guidé
7.2.2 Avec un accélérateur laser-plasma guidé
8. Corrélations entre faisceaux d’électrons et de rayons X
8.1 Principe de l’étude
8.2 Dispositif expérimental
8.3 Résultats et discussion
9. Auto-injection longitudinale et transverse
9.1 Étude de l’accélération laser-plasma avec une cellule de gaz de longueur variable
9.2 Observation de deux types de faisceaux d’électrons et de rayons X
9.3 Étude du paquet d’électrons de faible charge
9.4 Interprétation par les mécanismes d’auto-injection longitudinale et transverse
Conclusion
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