La grossesse multiple est une exception dans l‟espèce humaine, où chaque gestation comporte en principe un seul fœtus. La fréquence de survenue des grossesses multiples est estimée à 1% globalement à travers le monde [1]. L’arrivée de jumeaux dans une famille représente une situation spécifique. Elle peut avoir un impact psycho-social et économique sur les familles. Il peut également exister des difficultés éducatives et psychologiques, liées à la relation parents-jumeaux, à la question de l’individualisation des jumeaux et au lien gémellaire. En cas d‟hospitalisation, la séparation d‟un jumeau rend plus difficile les mécanismes d’attachement déjà complexes [2].
Sur le plan médical, les grossesses multiples sont à risque plus élevé que les grossesses uniques, aussi bien pour la mère que pour le fœtus et le nouveau-né [3, 4]. Elles sont associées à une augmentation de la morbimortalité maternelle, mais également périnatale et néonatale [3, 5, 6]. Les complications obstétricales fréquentes dans les grossesses multiples sont les hémorragies, les pathologies vasculo-rénales, les accouchements prématurés [5]). Les complications fœtales et néonatales sont représentées par le retard de croissance intra-utérin, les transfusions foeto-fœtales ou syndrome transfuseur-transfusé, les lésions cérébrales, la détresse respiratoire, les malformations congénitales. Ces grossesses multiples nécessitent donc une prise en charge adéquate par un diagnostic précoce, un suivi rigoureux et un accouchement dans de bonnes conditions. Au Sénégal, bien qu‟il existe déjà des études sur la fréquence des grossesses multiples, aucun travail ne s‟est encore intéressé au devenir fœtal et néonatal au cours de ces grossesses. Nous avons entrepris de mener cette étude cas témoin, au niveau de la maternité et au niveau de la néonatologie du CHNP dans le but de préciser l‟incidence des grossesses multiples et de déterminer le devenir fœtal et néonatal, afin d‟identifier les facteurs de risque morbidité et de mortalité.
GENERALITES
Définitions
Les grossesses multiples se définissent comme le développement simultané de plusieurs embryons dans la cavité utérine :
– grossesse gémellaire : deux embryons ;
– grossesse trimellaire : trois embryons ;
– grossesse quadruméllaire : quatre embryons.
Les fœtus issus de ces grossesses peuvent avoir le même patrimoine héréditaire (œufs homozygotes) ou des patrimoines héréditaires différents (œufs dizygotes) selon l‟origine embryologiques [1].
Épidémiologie
A l‟échelle mondiale, le taux de grossesse multiple est estimé à environ 1% des grossesses [1]. La classique loi mathématique de Hellin, depuis 1895, estime la fréquence des grossesses gémellaires à 1/89 naissances, celles des trimellaires à 1/89 au carré (soit 1/7921 naissances) et celle des quadrumellaires à 1/89 au cube (soit 1/700000 naissances) [7]. Dans la plupart des pays européens, les taux de GG sont passés de 12/1000 grossesses dans les années 1960 à 9,5/1000 au début années 1980, puis ils sont remontés à 13 à 14/1000 naissances dans les années 1990 [7]. Cette hausse est principalement la conséquence du développement de la procréation médicalement assistée(PMA) [7]. En France, la grossesse gémellaire concernait 13 pour 1000 accouchements, contre 3,8 pour 1000 accouchements pour les grossesses trimellaires et quadrumellaires [8].
En Afrique, il existe moins de données dans la littérature sur la fréquence des grossesses multiples. Au Nigéria, les yorubas sont un peuple connu pour la fréquence des grossesses multiples, estimée à 49 pour 1000 [9]. Au Sénégal, une fréquence de 1,3% avait été rapportée dans une étude réalisée à la maternité St Jean de Dieu en 2000. Au mali, cette fréquence avait été estimée à 26 pour mille naissances pour les gémellaires, 5/19104 naissances pour les trimellaires 2/19104 naissances pour les quadrumellaires[10].
Mécanismes
Selon une loi zoologique ayant trait au développement des mammifères, „ le nombre de petits que porte normalement chaque femelle équivaut au nombre de ses paires de mamelles ‟. Ainsi dans l‟espèce humaine, la femme porte en général un enfant par grossesse et la grossesse multiple représente une anomalie, contrairement à d‟autres espèces.
Grossesses dizygotes
Ces jumeaux résultent de deux ovules fécondés par deux spermatozoïdes distincts. Les deux zygotes ont une constitution génétique différente. Les deux jumeaux n‟ont pas plus de ressemblance que des frères ou des sœurs d‟âges différents. Ils peuvent être de même sexe ou de sexes différents. Chaque zygote s‟implante individuellement dans l‟utérus et y développe son propre amnios et son propre chorion : ils sont dits bi-choriaux bi-amniotiques. Il existe deux placentas séparés par une zone membraneuse plus ou moins étendue (figure N°1). Cette zone est composée de quatre membranes : deux amnios et deux chorions. De façon exceptionnelle, un des œufs peut se nider en extra-utérin et l‟autre en intra-utérin. Parfois les deux placentas sont situés au contact l‟un de l‟autre et peuvent apparaître comme un seul placenta, mais en comptant les membranes on se rend compte qu‟elles sont au nombre de quatre. Les cordons s‟insèrent en un point quelconque de chaque surface placentaire. La proximité des placentas peut favoriser les échanges entre fœtus, ce qui explique parfois la tolérance de greffes d‟organes entre ces jumeaux. En théorie, ce type de grossesse s‟accompagne de moins de morbidités, car les anastomoses vasculaires entre les deux placentas sont exceptionnelles.
Certains phénomènes rares peuvent être observés dans ces grossesses dizygotes :
– la superfécondation qui est la fécondation rapprochée de deux ou plusieurs ovocytes par des spermatozoïdes de pères différents, pendant un même cycle. C‟est le cas aussi de l‟association d‟une grossesse issue d‟une F.I.V et d‟une grossesse spontanée.
– La superfœtation qui est la fécondation de deux ou plusieurs ovocytes issus de deux cycles successifs. Cette forme n‟était pas reconnue comme possible dans l‟espèce humaine, mais un cas clinique a été rapporté [11].
– La fécondation à partir des follicules bi ou poly-ovocytaires peut être vraisemblable.
Grossesses monozygotes
Il s‟agit de la fécondation d‟un ovule par un seul spermatozoïde. L‟œuf unique ainsi formé va se diviser secondairement pour donner deux ou plusieurs embryons qui sont génétiquement strictement identiques et sont nécessairement de même sexe. En fonction du moment de la division dans le développement embryonnaire, le mode de placentation sera différent.
Facteurs étiologiques
Facteurs héréditaires
La fréquence de la gémellité est augmentée chez les femmes ayant déjà accouché de jumeaux. Il existe des familles de jumeaux [1, 12, 13].Les grossesses multiples peuvent se répéter chez la même femme [14].
Facteurs raciaux
Les taux de grossesses multiples sont inférieurs chez les asiatiques, intermédiaires chez les européennes, mais beaucoup plus élevés chez les africaines [12, 13]. En Amérique le taux de grossesses multiples est plus élevé dans la population d‟origine africaine que dans celle d‟origine européenne. Ce même phénomène est observé en Afrique du Sud [12, 13]. Le facteur racial peut être en rapport avec les quantités d‟hormones maternelles (FSH et LH) et leur action sur l‟ovulation, la fécondation et l‟implantation de l‟œuf au niveau de l‟endomètre. Le taux de ces hormones est plus élevé chez les africaines [1, 12, 15].
L’âge
Le risque de grossesses multiples augmente avec l‟âge de la mère. En Europe le pic de survenue d‟une grossesse multiple se situe entre 35 et 40 ans [12, 13, 15, 16]. L‟influence de l‟âge maternel s‟explique par les taux hormonaux, en particulier de gonadotrophine hypophysaire (FSH), qui s‟élèvent avec l‟âge.
La parité
La fréquence de grossesses multiples augmente avec la parité de la femme et cela indépendamment de son âge. Elle est environ deux fois plus fréquente chez les multipares que chez les primipares [12, 13, 15].
Les facteurs sexuels
La fréquence de grossesses multiples est beaucoup plus élevée chez les couples au cours de leur premier trimestre de mariage et chez les couples après une longue période de séparation. Par ailleurs plus le couple dure ensemble, moins il y‟a de chances de grossesses multiples. Cela pourrait être due à la libération par la femme d‟anticorps dirigés contre les spermatozoïdes de l‟homme [13, 15].
Les facteurs hormonaux
Les hormones hypophysaires appelés gonadotrophines (FSH, LH) sont des hormones qui stimulent les ovaires et sont responsables de l‟ovulation. Il est évident que lorsque le taux en FSH de base est élevé, deux ou plusieurs ovules peuvent être libérés, ce qui engendre la grossesse multiple [12]. Chez les Yoruba, les mères de jumeaux présentent à mi cycle des taux sanguins de FSH significativement plus élevés que le reste de la population [13]. Le taux de grossesses multiples est aussi élevé pendant les deux premiers mois après l‟arrêt de la contraception orale, suite à la reprise brutale de l‟activité des ovaires, avec un taux de FSH de base élevé [12].
Les facteurs nutritionnels
L‟état nutritionnel de la population semble avoir une grande influence sur le taux de grossesses multiples.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1. GENERALITES
1.1. Définitions
1.2. Épidémiologie
1.3. Mécanismes
1.3.1. Grossesses dizygotes
1.3.2. Grossesses monozygotes
1.4. Facteurs étiologiques
1.4.1. Facteurs héréditaires
1.4.2. Facteurs raciaux
1.4.3. L‟âge
1.4.4. La parité
1.4.5. Les facteurs sexuels
1.4.6. Les facteurs hormonaux
1.4.7. Les facteurs nutritionnels
1.4.8. Les facteurs géographiques
1.4.9. Les saisons
1.4.10. La stimulation ovarienne
1.4.11. La fécondation in vitro
2. DIAGNOSTIC
2.1. Diagnostic positif
2.1.1. Circonstances de découverte (CDD)
2.1.2. Examen clinique
2.1.3. A la paraclinique
2.1.3.1. L‟échographie
2.1.3.2. Autres examens d‟imageries
2.1.3.3. Les dosages hormonaux
2.2. Diagnostic différentiel
2.2.1. Au cours du premier trimestre, il faut discuter
2.2.1.1. La grossesse molaire: (mole hydatiforme complète)
2.2.1.2. L‟utérus myomateux gravide
2.2.2. Au cours du dernier semestre
2.2.1.1. Le gros fœtus
2.2.1.2. L‟hydramnios
2.3. Diagnostic étiologique
2.4. Diagnostic de retentissement
2.4.1. Complications maternelles
2.4.1.1. Modifications physiologiques
2.4.2. Complications obstétricales
2.2.3. Complications fœtales
2.2.3.1. Complications non spécifiques
2.2.3.2. Spécifiques
2.2.4. Complications néonatales
2.2.4.1. Détresse respiratoire du nouveau-né
2.2.4.2. L‟asphyxie périnatale
2.2.4.3. Complications néonatales du syndrome transfuseur-transfusé
2.2.4.4. Lésions cérébrales
3. SUIVI MEDICAL ET OBSTETRICAL
4. ACCOUCHEMENT
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
1. MATERIEL ET METHODES
1.1. Cadre d‟étude
1.1.1. Le service de Gynécologie et d‟Obstétrique
1.1.2. Unité de néonatologie
1.2. Méthodologie
1.2.1. Type d‟étude
1.2.2. Période d‟étude
1.2.3. Population d‟étude
1.2.4. Critères d‟inclusion
1.2.5. Critères de non inclusion
1.2.6. Recueil des données
1.2.7. Analyses des données
2. RESULTATS
2.1. Données épidémiologiques et sociodémographiques
2.1.1. Fréquence
2.1.2. Répartition des grossesses multiples selon l‟adresse de la mère
2.1.3. Répartition selon la parité dans les deux groupes
2.1.4. Répartition selon l‟âge maternel dans les deux groupes
2.1.5. Répartition des grossesses multiples selon l‟existence ou non de gémellité familiale
2.1.6. Notion de contraception dans les deux groupes
2.2. La grossesse
2.2.1. Répartition des grossesses multiples selon la placentation
2.2.2. Complications obstétricales observées dans les deux groupes
2.3. Accouchement et adaptation néonatale
2.3.1. Terme de la grossesse dans les deux groupes
2.3.2. Voies d‟accouchement dans les deux groupes
2.3.3. Score d‟APGAR à la 1ère minute dans les deux groupes
2.3.4. Présentations fœtales dans les grossesses multiples
2.3.5. Répartition des nouveau-nés selon le poids de naissance
2.3.6. Autres données anthropométriques
2.3.7. Répartition des nouveau-nés selon la trophicité (fréquence du retard de croissance intra-utérin(RCIU))
2.4. Données néonatales
2.4.1. Fréquence des hospitalisations
2.4.2. Complications néonatales
2.5. Mortalité
2.5.1. Répartition selon les taux de mortalité fœtale et néonatale dans les deux groupes
2.5.2. Répartition selon l‟âge du décès
2.5.3. Causes de décès
3. Commentaires et discussions
3.1. Limite de l‟étude
3.2. Caractéristiques épidémiologiques et sociodémographiques
2.5.4. Fréquence selon l‟âge maternel
3.3. La grossesse
3.4. Accouchement et adaptation néonatale
3.5. Données néonatales
3.6. Morbidité et mortalité
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES