Les addictions
Selon l’observatoire européen des drogues15, l’utilisation de drogues chez les prisonniers varie entre 2 à 56% selon les pays. Concernant la seule part d’utilisation de drogues intraveineuse, celle-ci oscille entre 2 et 38% d’utilisateurs contre 0.3% dans la population générale. Si tout le monde s’accorde sur la sur-représentation des toxicomanes en prison, il existe peu d’études véritablement exhaustives à ce sujet. La dernière revue de la littérature à ce sujet date de 200616 et retrouvait une prévalence d’utilisation de drogues ou de dépendance entre 10 et 48% chez les hommes contre 30 à 60% chez les femmes. De même, le fait de consommer de la drogue est un facteur de risque d’incarcération. Aux USA par exemple, 60% des personnes s’injectant de la drogue rapportaient un antécédent d’incarcération en 2014. Il existe globalement une criminalisation de la consommation de drogue qui explique ces tendances. En témoigne l’existence de véritables camps d’enfermements pour toxicomanes en Birmanie18 ou la Rockefeller Drug Law aux USA19, qui condamne de 15 à 25 ans de prisons les personnes en possession d’une once (113g) de substance illicite.
Le Virus de l’Immunodéficience Humaine
Rappels physiopathologiques : Le VIH, (ou plutôt les VIH), est un rétrovirus à ARN induisant un déficit immunitaire. La transmission se fait par voie hématogène (rapport sexuel, transfusion, materno-fœtal, seringues usagées). Une fois transmis, le VIH va se répliquer activement et diffuse dans l’organisme. Sa cible principale sont les lymphocytes T CD4. Le VIH détruit progressivement le système immunitaire par déplétion des cellules exprimant le récepteur CD4. Sans traitement, l’installation d’un déficit immunitaire cellulaire est inexorable chez plus de 90 % des patients. La vitesse de progression vers un déficit immunitaire sévère est variable et déterminée principalement par les caractéristiques génétiques de l’hôte et, possiblement, par des facteurs environnementaux dont l’exposition à des antigènes bactériens et parasitaires. Les premières manifestations infectieuses et/ou d’immunodépression surviennent dans un délai de quelques années (3 à 5 ans ) après la primo infection et les infections opportunistes classant SIDA après une médiane de l’ordre de 6 à 7 ans.
Epidémiologie en population générale en France : En France, en 2018, on estime que 172 700 personnes environ vivent avec le VIH1: 86% connaissent leur statut, 76% sont sous traitement et 74% ont une charge virale contrôlée. La prévalence en population générale est aux alentours de 0.26%, soit une incidence de 7.8 nouveaux cas pour 100 000 habitants par an en 2017 (à titre de comparaison nous étions à 8.5/100 000 en 2013.). Les hommes ayant des rapports sexuels entre hommes (HSH) et les hétérosexuels nés à l’étranger -dont les 3⁄4 sont nés dans un pays d’Afrique subsaharienne- restent les deux groupes les plus touchés, avec respectivement 45% et 38% des découvertes en 2017. Les hétérosexuels nés en France et les usagers de drogues injectables représentent respectivement 15% et 1% des personnes infectées, des proportions stables depuis 2015.
Le début d’incarcération/ Autour de l’arrestation
C’est le temps le plus à risque concernant la prise en charge VIH car il est souvent source d’arrêt de traitement pour les personnes sous TARV. Les personnes sont en attente de leur jugement et/ou procès, ce qui est un motif d’anxiété majeur et donc un moment peu propice pour une consultation d’annonce ou le démarrage d’un traitement. Par ailleurs, la surpopulation et donc le défaut de confidentialité en maison d’arrêt sont autant de facteurs d’inobservances. On peut ajouter à cela les personnes libérées immédiatement au décours du procès et pour lesquelles aucune prise en charge n’a pu être établie. Une étude sur les « jails » aux USA (l’équivalent de nos maisons d’arrêt) a montré qu’une durée de détention de 14 jours minimum permettait d’obtenir une sérologie et un décompte de CD4. La mise sous traitement intervenait elle après 60 jours.
Définition des variables mesurées
L’incarcération de référence (IR) est la première incarcération dont la durée était supérieure à 1 mois et dont la libération a eu lieu entre le 01.01.2014 et le 31.04.2019. Les données collectées sont :
– Caractéristiques sociodémographiques : sexe, âge, pays de naissance, nombre d’enfants, niveau d’étude, logement.
– Caractéristiques des incarcérations : nombre d’incarcération antérieure à l’IR, date d’entrée et de sortie de l’IR.
– Antécédents : antécédents d’addiction, antécédents psychiatriques, antécédents chirurgicaux, antécédents médicaux, infection sexuellement transmissible, sérologies.
– Histoire de l’infection VIH : date de découverte, lieu de découverte, infections opportunistes majeures (stade C).
– Incarcération de référence et VIH : stade CDC, taux de CD4, taux de charge viral, nombre d’hospitalisations, infection opportuniste, traitement antirétroviral.
– Devenir après incarcération de référence : première consultation spécialisée après la sortie, décès, réincarcération.
– La survenue d’événements dans les intervalles suivant J45 (M0 M3), M6 (M3-M9), M12 (M9-M15), M18 (M15-M21), M24(M21-M27): consultation spécialisée, charge virale, prise de TARV, nombre de passages aux urgences , nombres et durée d’hospitalisations, réincarcérations et décès.
Nous avons défini :
– Vrais perdus de vue : aucune consultation, ni passage aux urgences, ni hospitalisation depuis la sortie de l’IR.
– Perdus de vue VIH : aucune consultation spécialisée, ni hospitalisation en lien avec le VIH, mais hospitalisation ou passage aux urgences pour un autre motif observé.
– Les patients ayant eu de courtes ruptures de traitement secondaires aux procédures judiciaires (garde à vue, procès…) ont été comptabilisés comme sous traitement à l’entrée.
Cascade de soins pour les patients sortis sous ARV
De façon générale, les patients sortis sous ARV lors de l’IR restent majoritairement dans le soin avec 60% de consultations spécialisées à un an, chiffre qui se maintient à 55.4% à 24 mois. En comparaison, on enregistre peu de retour dans le soin pour les personnes sans ARV à la sortie, avec 2.5% de consultations spécialisées à un an (p<0.001), et 8.8% à 24 mois (p=0.035). 54.1% des patients avec un traitement à la sortie déclarent continuer à le prendre lors des 3 premiers mois. Ce chiffre diminue au fur et à mesure du temps. Il n’est plus que de 43.1% à un an, pour finir à 39.3% à 2 ans. Concernant les patients sortis sans ARV, aucun n’est sous traitement à un an, et 4.4% à deux ans. La charge virale pour les patients sortis sous ARV est indétectable pour 36.9% d’entre eux à un an, et diminue à 30.4% à deux ans de suivi. Sans traitement, seulement 5.6% des patients ont une charge virale indétectable à deux ans. A un an de recul, le nombre de passages aux urgences est globalement équivalent dans les deux groupes avec 26.7% pour les patients sans ARV versus 20% pour les patients sous traitement. Avec deux ans de recul, on note 15.7% de passage aux urgences pour les patients sous ARV contre 7.1% pour les patients sortis sans ARV. Concernant les hospitalisations, on en référence 6.2% chez les patients sortis sous ARV versus 13.3% chez les patients sans ARV. A deux ans, on retrouve 12.5% d’hospitalisations chez les patients sous ARV versus 7.1% chez les patients sans ARV. Enfin, le taux de réincarcération à un an est de 13.9% chez les patients sous ARV versus 13.3% pour les patients sans ARV pour finir à deux ans à 21.4% des patients sortis sous ARV versus 14.3% des patients sans ARV. Il faut noter que parmi les patients sortants sans ARV, 46.7% d’entre eux sont perdus de vue, alors que les perdus de vus représentent 18.9% des personnes sortant avec ARV (p=0.04).
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Table des matières
1. Introduction
2. Présentation des prisons françaises
2.1 Généralités
2.2 La population carcérale
2.2.1 Epidémiologie
2.2.2 Un niveau scolaire faible
2.2.3 Les addictions
2.2.4 Les comorbidités
2.3 Le système de soins carcéral
2.3.1 Les USMP
2.3.2 L’examen médical d’entrée
2.3.3 L’examen médical de sortie
2.3.4 La protection sociale
2.4 La réinsertion
3. Le Virus de l’Immunodéficience Humaine
3.1 Rappels physiopathologiques
3.2 Epidémiologie en population générale en France
3.3 Données au niveau mondial
4. VIH et Prison, une histoire complexe
4.1 Un aperçu à travers le monde
4.2 Portrait du détenu VIH
4.3 Les temps de l’incarcération, principale variable sur le traitement
4.3.1 Le début d’incarcération/ Autour de l’arrestation
4.3.2 La détention
4.3.3 La sortie de détention
5. La Guyane
5.1 Présentation du territoire
5.2 Démographie
5.3 Une réalité socio-économique difficile
6. Le VIH en Guyane
6.1 Epidémiologie
6.2 L’offre de soins en Guyane
6.2.1 Les structures hospitalières
6.3 Prise en charge du VIH
7. Le Centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly
7.1 Configuration
7.2 Présentation de l’USMP
7.2.1 Les soins
7.2.2 La population
7.2.3 Comorbidités
8. Matériel et méthode
8.1 Type de l’étude
8.2 Lieu de l’étude
8.3 Population étudiée
8.4 Aspect éthique
8.5 Définition des variables mesurées
8.6 Recueil des données
9. Résultats
9.1 Description de la population
9.1.1 Caractéristiques socio-démographiques
9.1.2 Profil carcéral
9.2 Histoire médicale
9.2.1 Addictions
9.2.2 Antécédents médicaux avant l’incarcération de référence
9.3 Histoire du VIH
9.3.1 Dépistage
9.3.2 Stade CDC / Critères virologiques
9.3.3 Traitements
9.4 Le suivi post-carcéral
9.4.1 Définitions
9.5 Population des perdus de vue
9.6 Première consultation
9.7 Cascade de soins
9.8 Cascade de soins pour les patients sortis sous ARV
9.9 L’accès à la sécurité sociale
10. Discussion
10.1 La population carcérale, masculine, âgée et précaire
10.1.1 Précarité et immigration
10.2 De lourdes comorbidités
10.3 LE VIH et l’incarcération
10.3.1 Le dépistage
10.3.2 Le traitement
10.4 Le suivi post-carcéral
10.4.1 Les ARV en sortie et l’accès à la sécurité sociale, possibles facteurs prédictifs de retour dans le soin
10.4.2 Contact avec le système de soins
10.5 Le défi de la continuité de soins à la sortie de détention
Limites de l’étude
Conclusion
Bibliographie
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