Les tumeurs borderline de l’ovaire (TBO) ou « tumeur à faible potentiel de malignité» sont une pathologie rare. Elles représentent 15 à 20 % des tumeurs épithéliales de l’ovaire(1). Mais, contrairement aux tumeurs malignes de l’ovaire, leur incidence est en augmentation(2,3). Elles concernent principalement les femmes jeunes, avec un tiers des patientes diagnostiquées avant l’âge de 40 ans, et sont le plus souvent découvertes à un stade précoce(4,5) . Elles ont un très bon pronostic, avec une survie globale tous stades confondus de 95 % à 5 ans (1,6,7) . La survie varie de 99,7% pour les stades FIGO I à 77,1% pour les FIGO IV, mais le taux de récidive peut atteindre les 33 %(8–10). Les véritables enjeux de cette pathologie sont donc avant tout la prévention de la récidive, mais également la préservation de la fertilité de ces patientes souvent jeunes avec une tumeur ovarienne finalement de bon pronostic autorisant le plus souvent une chirurgie conservatrice. Les facteurs ayant été associés à une augmentation du risque de récidive sont le type de chirurgie (radicale versus conservatrice), le stade FIGO, l’âge au diagnostic, le sous-type histologique et la qualité de l’exérèse chirurgicale initiale des lésions (11). L’European Society of Gynaecologial Oncology (ESGO) dans une conférence de consensus publiée en 2019 souligne l’intérêt d’une exploration péritonéale optimale réalisée par une équipe chirurgicale habituée à ce type de pathologie, l’éviction de la rupture tumorale et enfin un traitement chirurgical avec préservation de la fertilité chez les patientes jeunes (12). Les récentes recommandations du Collège National des Gynécologues Obstétriciens (CNGOF) de 2020 vont dans le même sens et soulignent l’importance de conserver la fertilité des patientes jeunes, même en cas de récidive et d’éviter l’hystérectomie systématique(12,13). Plusieurs études rétrospectives ont retrouvé un lien significatif entre le traitement des cancers invasifs de l’ovaire et les volumes d’activité avec un meilleur pronostic des patientes prises en charge dans un centre spécialisé avec un volume d’activité élevé (14–18). Depuis la publication de ces études, l’ESGO recommande un seuil d’activité minimal de 20 chirurgies de cytoréduction pour cancer de l’ovaire avancé réalisées par an et par centre(19,20). Si la problématique des tumeurs borderline de l’ovaire est différente, il est licite de s’interroger sur l’impact de l’expérience chirurgicale en pathologie ovarienne des équipes amenées à prendre en charge ces patientes sur leur pronostic. On peut effectivement se demander si le pronostic d’une tumeur borderline n’est pas lié à l’expérience de l’équipe ayant assuré la prise en charge initiale, aussi bien concernant le risque de récidive que la capacité à offrir aux femmes en âge de procréer un traitement conservateur adapté. Cette interrogation est d’autant plus légitime qu’à notre connaissance, aucune étude n’a évalué l’impact des seuils d’activité sur le pronostic des femmes prises en charge pour une tumeur borderline de l’ovaire.
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’impact des seuils d’activité en cancérologie ovarienne sur le pronostic des patientes prises en charge pour une tumeur borderline de l’ovaire. L’objectif secondaire est d’évaluer l’impact de ces seuils sur la mise en œuvre d’un traitement préservant la fertilité de ces patientes.
Matériels et Méthodes
Patientes
Toutes les patientes prises en charge pour une tumeur borderline de l’ovaire confirmée par analyse histologique entre 2009 à 2015 dans 8 établissements hospitaliers français du groupe FRANCOGYN ont été inclues. La présence initiale de foyers de micro-invasion sur l’analyse histologique de la pièce opératoire n’était pas un critère d’exclusion. Seules les patientes ayant bénéficié de la chirurgie initiale dans l’un de ces 8 centres ont été inclues. Les patientes prises en charge pour une récidive après une prise en charge initiale réalisée dans un autre centre n’ont pas été inclues. Les données cliniques, paracliniques, biologiques, radiologiques, chirurgicales et histologiques initiales, ainsi que les données du suivi post thérapeutique des patientes ont été extraites rétrospectivement à partir des dossiers médicaux. Le protocole de l’étude a été validé par le comité d’éthique de la recherche en obstétrique et gynécologie (CEROG 2020-GYN1216).
Prise en charge et suivi des patientes
En dehors des situations de découverte fortuite, les patientes ont bénéficié d’une évaluation clinique préopératoire complétée d’un dosage biologique du taux plasmatique de CA125, d’une imagerie par échographie abdomino-pelvienne complétée d’une IRM pelvienne. Un scanner TAP n’était pas indiqué de principe. La stadification de la tumeur selon la classification de FIGO de 2014 a été réalisée à partir des constatations per opératoires (21). Le traitement chirurgical initial d’une patiente présentant une suspicion de tumeur borderline de l’ovaire consistait en une annexectomie bilatérale chez la femme ménopausée plus ou moins associée à une hystérectomie. Il n’y avait pas d’indication à réaliser une hystérectomie systématique pour les stades précoces des types séreux ou mucineux. Chez la femme jeune et/ou avec désir de grossesse, un traitement conservateur pouvait être réalisé avec conservation de l’utérus et kystectomie ovarienne uni ou bilatérale. Pour les patientes ayant un désir de grossesse, en cas de tumeur ovarienne borderline séreuse avec atteinte bilatérale, une kystectomie bilatérale pouvait être réalisée pour optimiser les possibilités de grossesse. En cas de tumeur borderline de stade précoce mucineuse avec désir de grossesse, une annexectomie unilatérale était recommandée (22). Il n’y avait pas d’indication à la réalisation d’une appendicectomie systématique même pour le type histologique mucineux mais l’aspect macroscopique devait être évalué (23). Une exploration chirurgicale complète de la cavité abdominale était réalisée pour toutes les patientes avec biopsies péritonéales et cytologie péritonéale lorsqu’une tumeur borderline était suspectée à l’imagerie préopératoire ou diagnostiquée à l’examen extemporané, ou lors de la chirurgie de restadification. Une omentectomie infra-colique ou infra gastrique était réalisée en chirurgie initiale ou lors d’une éventuelle chirurgie de restadification. La cœlioscopie était recommandée pour la prise en charge des stades précoces avec extraction de la pièce opératoire protégée par un sac. Une laparotomie d’emblée ou une laparoconversion pouvait être indiquée par le volume tumoral et/ou les constatations peropératoires dans le but d’éviter une rupture tumorale per opératoire .
Une fois la chirurgie initiale réalisée, la prise en charge était discutée et validée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Étaient discutés en particulier l’indication d’une éventuelle chirurgie de restadification, selon l’exploration péritonéale initiale ou l’histologie définitive, les indications d’un geste chirurgical complémentaire, la nécessité d’une chimiothérapie adjuvante ou la préservation de la fertilité pour les stades avancés (24). Toutes les patientes ont ensuite bénéficié d’un suivi rapproché basé sur un suivi clinique régulier complété d’une imagerie échographique et du dosage biologique du Ca125. Ce suivi était réalisé tous les 6 mois au cours des deux premières années puis de manière annuelle.
Deux groupes d’activité ont été constitués à partir du nombre de cas de cancer invasif de l’ovaire pris en charge par an, pour chacun des centres participants à l’étude pendant la période d’inclusion. Nous avons distingué deux groupes : un groupe avec une activité faible à modérée avec moins de 17 cancers invasifs de l’ovaire par an et un groupe avec une activité élevée correspondant à plus de 17 cancers invasifs de l’ovaire pris en charge par an. Nous avons repris le seuil identifié dans une étude préalable ayant évalué l’impact des seuils d’activité sur la survie des patientes prises en charge pour un cancer de l’ovaire. Ce seuil avait été sélectionné de façon à minimiser le degré de signification p de la statistique du log-rank associant le seuil d’activité à la survie globale des cancers invasifs de l’ovaire. Le critère de jugement principal était la survenue d’une récidive tumorale. Était considérée comme récidive, toute récidive confirmée à l’histologie que ce soit sur un mode borderline ou invasif. Le critère de jugement secondaire était la réalisation d’un traitement conservateur préservant la fertilité, défini par la préservation de l’utérus et d’au moins une portion d’un ovaire chez les femmes de 40 ans et moins.
Analyse statistique
Les caractéristiques cliniques, biologiques, radiologiques, chirurgicales et données de suivi ont été résumées par des variables catégorielles et continues exprimées respectivement sous forme d’effectifs (%) et de moyenne (± écart-type). Les variables catégorielles ont été comparées avec le test de chi2 (χ2 ), ou le test de Fisher lorsque nécessaire. Les différences entre les variables continues ont été analysées avec le test de Student. Les courbes de survie ont été réalisées selon la méthode de Kaplan-Meier et comparées avec des tests du log-rank. Une analyse multivariée (modèle de Cox) a ensuite été réalisée afin d’ajuster la comparaison des groupes de seuils d’activité sur l’âge, le statut ménopausique, le type histologique et le stade FIGO. Les analyses, bilatérales, ont été réalisées avec un risque de première espèce α = 5%, une valeur de p inferieure à 0,05 a été considérée comme statistiquement significative. Elles ont été réalisées avec le logiciel IBM SPSS 26.0.
Résultats
Caractéristiques des patientes
Au total, 281 patientes ont été inclues. Parmi elles, 130 (46,3 %) ont été prises en charge dans un centre à activité faible à modérée et 151 (53,7 %) dans un centre à activité élevée. Sur les 8 centres ayant participé au recrutement des patientes de l’étude, 6 avaient une activité faible à modérée avec une moyenne de prise en charge de 8,3 cancers invasifs de l’ovaire par an et de 4 TBO par an. Les deux centres ayant une activité élevée avaient assuré le traitement d’une moyenne de 18,2 cancers de l’ovaire et de 12,9 TBO par an. Les caractéristiques de la population sont présentées dans le Tableau 1. L’âge moyen des patientes était de 47,5 (±16.3) ans. La grande majorité (89,9 %) des patientes avaient une TBO de stade 1. Le type séreux était le plus fréquent avec 147 (53,3 %) cas. Aucune différence significative n’a été observée entre les caractéristiques initiales des patientes ayant été prises en charge dans les centres à activité faible à modérée et celles prises en charge dans les centres à activité élevée. Concernant la prise en charge chirurgicale initiale, si la pratique d’une kystectomie ou d’une annexectomie uni ou bilatérale était comparable entre les deux groupes, les patientes prises en charge dans un centre à activité élevée avaient eu une hystérectomie dans un nombre significativement plus important de cas : 29 (22,5 %) vs. 50 (33,3 %), respectivement (p=0,045). Une cytologie péritonéale positive a été observée plus souvent chez les patientes prises en charge dans un centre à activité élevée : 10 (7,9 %) vs. 36 (24,2 %), respectivement (p<0,001). Nous n’avons pas observé de différence significative entre les modalités d’abord chirurgical et le risque de laparoconversion entre les deux types de centres. Une analyse extemporanée a été réalisée plus fréquemment dans les centres activité élevée : 36 (27,7 %) vs. 77 (51,7 %) (p<0,001). Enfin, le recours à une chirurgie de restadification était comparable entre les 2 groupes (p=0,105).
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Table des matières
Abstract
Introduction
Matériels et Méthodes
Patientes
Prise en charge et suivi des patientes
Analyse statistique
Résultats
Caractéristiques des patientes
Devenir et pronostic
Prise en charge conservatrice avec préservation de la fertilité
Discussion
Conclusion
Bibliographie
Tableaux et figures