Professionnalisation de l’enseignement et pédagogie
PROBLÉMATIQUE
Ce chapitre présente la mise en contexte et la problématique de l’étude. Il comporte six sections. En partant de considérations assez larges, la première section décrit succinctement l’évolution du phénomène de mondialisation ainsi que ses effets sur les sphères économique, socioculturelle et politique de nos sociétés. Ces quelques éléments de contextualisation mettent en lumière l’influence croissante des organisations internationales sur le processus décisionnel des États et la nécessité, par conséquent, de prêter attention à leurs discours. La seconde section indique que les politiques éducatives nationales n’échappent pas au phénomène de gouvernance mondiale et qu’elles subissent également l’influence de ces nouveaux acteurs politiques internationaux.
La troisième section explique pourquoi l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale ont été choisies comme sujets d’étude. À partir de l’analyse de documents publiés par ces trois organismes, la quatrième section expose comment l’amélioration de la qualité de l’éducation est devenue progressivement l’une des priorités des programmes politiques nationaux et internationaux. La cinquième section montre que cette nouvelle préoccupation pour la qualité de l’éducation suscite chez les décideurs un intérêt particulier pour l’amélioration de la qualité des enseignants. On y esquisse également une définition et quelques enjeux liés au projet de professionnalisation des enseignants et de leur formation. Enfin, la sixième section présente le problème et les questions générales de recherche.
L’influence de la mondialisation sur les sphères économique, culturelle et politique La mondialisation apparaît comme une donnée sociologique du temps présent (Hutmacher, 2005). Elle représente un phénomène complexe qui possède de nombreuses retombées sociales, professionnelles, culturelles, institutionnelles, politiques, économiques. Elle fait aussi l’objet de débats multiples au sein desquels nationalistes, altermondialistes et « néolibéralistes » échangent des points de vue opposés sur le sens et les orientations à lui donner. Aussi, la mondialisation touche tellement de domaines et donne lieu à tellement d’interprétations qu’il est difficile d’en fournir une définition simple et univoque. Pour les besoins du propos, on se contentera d’en isoler quelques caractéristiques, de repérer 7 certaines étapes importantes de son évolution et de décrire ses principaux effets sur les sphères économique, socioculturelle et politique. C’est dans l’effort de reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale qu’est né un nouvel élan de collaboration internationale qui, après plusieurs transformations majeures, a donné lieu au mouvement de mondialisation tel qu’on le connait aujourd’hui2 (Green, 2006).
Sur le plan économique, une de ces transformations marquantes réside dans l’abandon des politiques économiques keynésiennes3. Ces dernières ont pendant longtemps soutenu les résolutions d’après-guerre, trouvant dans l’économie florissante des Trente Glorieuses un terrain fertile pour se développer. Cette doctrine s’est toutefois rapidement révélée inopérante face aux crises multiples et sans précédent qui ont frappé l’économie mondiale au cours des années 1970. Ainsi, les idées keynésiennes se sont vues supplantées par un discours libéral4 promu avec force par les gouvernements néoconservateurs américain (l’administration Reagan), anglais (le gouvernement Thatcher) et allemand (le chancelier Kohl) (Tabulawa, 2003). Sous l’influence conjuguée de ce changement de paradigme et du progrès fulgurant réalisé en matière de nouvelles technologies, le visage de la mondialisation se transforme. John Maynard Keynes est le père d’une doctrine économique qui plaide en faveur d’une politique interventionniste de l’État. Ce modèle économique, très influent sous les administrations Kennedy (1961-1963) et Johnson (1963-1969), insiste sur l’importance décisive de l’investissement dans la croissance et légitime une politique ambitieuse d’aide publique (Loiret, 2007).
Le libéralisme est une théorie développée par Adam Smith au XVIIIe siècle.
Dans sa version contemporaine, on y défend l’idée que l’État doit respecter l’équilibre budgétaire et contrôler l’inflation. Pour cela, il doit se désengager de la vie économique et sociale. Le libéralisme consiste donc à mener une politique d’austérité et de rigueur en commençant par diminuer les dépenses sociales. Selon Laval et Weber (2002), le virage radical en faveur des idées libérales trouve sa meilleure expression dans le Consensus de Washington, lui-même largement inspiré par les propositions d’un économiste américain formé à l’école de Chicago, John Williamson. Plus précisément, le Consensus de Washington correspond à un train de mesures communes soutenues par le département du Trésor américain et appliquées par des institutions financières internationales (IFI) telles que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI) aux économies en difficulté relativement au remboursement de leur dette.
L’économiste et politologue italien Riccardo Petrella retire des fondements du Consensus trois grands principes qui régissent, selon lui, les principes économiques et le fonctionnement actuel du phénomène de mondialisation (Petrella, 1996). Le premier principe, la libéralisation, conçoit le monde comme un marché libre, intégré, unique où circulent librement les biens, les services, les capitaux et, dans une moindre mesure, les personnes. Le deuxième, la déréglementation, pose que : « [d]ans un marché mondial libéralisé, l’État ne doit plus intervenir pour fixer les règles de fonctionnement de l’économie. Il faut laisser au marché autorégulateur le soin de déterminer les règles de fonctionnement de l’économie » (Petrella, 1996, p. 22). Enfin, sur la base du troisième principe, la privatisation, on considère que :
L’influence des organisations internationales sur les politiques éducatives
L’éducation a toujours été perçue comme une valeur fondamentale de nos sociétés (Arendt, 1993). Elle a aussi longtemps été considérée comme relevant exclusivement de l’autorité de l’État et comme garante de la préservation de l’identité nationale. Mais en s’ouvrant sur le monde, l’école s’est également ouverte aux effets de la mondialisation. Cette dernière a effectivement influé sur l’ensemble des secteurs éducatifs et les a incités à se transformer. Quelles sont les répercussions de la nouvelle donne économique, socioculturelle et politique sur l’éducation? Selon Charlier (2005), « [l]’intrusion d’une dimension internationale dans les politiques éducatives ne s’est pas opérée que par la bande […] Tous les niveaux d’enseignement sont travaillés par des processus internationaux qui remettent en question leur mode d’organisation et leurs principes de fonctionnement » (p. 18). L’internationalisation et la commercialisation de l’éducation font partie de ces processus (Morin, 2005).
Du point de vue purement scolaire, on envisage l’internationalisation de l’éducation comme la mise en place de programmes qui permettent aux étudiants de s’ouvrir sur le monde, d’acquérir des connaissances et des compétences internationales et interculturelles. Selon un autre point de vue, on peut voir l’internationalisation de l’éducation comme l’occasion de se positionner sur l’échiquier international, notamment grâce à l’ouverture d’universités dans des pays étrangers. Dans ce cas, les activités d’internationalisation empruntent à la dimension commerciale de la mondialisation. Celle-ci tend à mettre en concurrence les diverses composantes du secteur éducatif : « La mondialisation, en tant que processus d’intégration des marchés et des échanges commerciaux, tel qu’il se présente actuellement, active une tendance vers la commercialisation des services dispensés dans le monde de l’éducation, ce qui donne une plus solide emprise à la considération de l’éducation en tant que bien marchand » (Morin, 2005, p. 1). Or, l’aspect commercial des services éducatifs s’accompagne souvent d’un esprit de concurrence interinstitutionnelle et d’une dynamique de privatisation (Morin, 2007). Charlot (2003) confirme ces deux tendances. Pour lui, les conséquences de la mondialisation en ce qui concerne l’éducation sont « l’apparition et le développement d’un marché des biens éducatifs, la mise en concurrence accrue des établissements d’enseignement, y compris dans le réseau public, et, en de nombreux endroits, la progression des écoles privées, et encore plus des universités privées » (p. 338).
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Table des matières
RÉSUMÉ
ABSTRACT
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES ET DES ENCADRÉS
LISTE DES ACRONYMES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : MISE EN CONTEXTE DE l’ÉTUDE ET PROBLÉMATIQUE
1.1. L’influence de la mondialisation sur les sphères économique, culturelle et politique
1.2. L’influence des organisations internationales sur les politiques éducatives
1.3. L’UNESCO, l’OCDE et la Banque mondiale : des organismes de choix
1.4. L’implication des trois organismes en éducation : vers des préoccupations plus qualitatives
1.5. L’amélioration de la qualité des enseignants : priorité éducative des agendas politiques nationaux et internationaux
1.6. Problème et questions de recherche
CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
2.1. La pédagogie. Pratiques, recherches, théories et discours
2.1.1. Les sens de la pédagogie
2.1.2. Pratiques et théories pédagogiques
2.1.3. Recherches et théories pédagogiques
2.1.4. Théories et discours pédagogiques
2.1.5. Conclusion
2.2. Professionnalisation de l’enseignement et pédagogie
2.2.1. Une guerre de paradigmes sur la question de la professionnalisation des enseignants
2.2.2. Les origines de l’opposition paradigmatique et son influence sur la conception de la pédagogie
2.2.3. Les limites du paradigme réflexif
2.2.4. Alimenter la pratique des enseignants par des savoirs d’action pédagogiques
2.2.5. Les types de recherche qui permettent de transformer les savoirs d’expérience en savoirs d’action pédagogiques
2.3. L’utilisation des données probantes de recherches par les décideurs
2.3.1. Le mouvement de l’evidence-based policy en éducation
2.3.2. Perspective interactive de l’utilisation des données probantes de recherches
2.3.3. Le rôle des données probantes dans le processus de décision
2.3.4. Les facteurs qui influencent l’utilisation des données probantes de recherches .
2.3.5. Des pistes pour améliorer le processus d’utilisation des données probantes
2.4. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
3.1. L’analyse documentaire
3.1.1. Des problèmes liés à l’élaboration et à l’analyse d’un corpus international
3.1.2. La constitution du corpus
3.1.3. Grille d’analyse et niveaux de lecture
3.2. Les entretiens
3.2.1. Le schéma d’entrevue
3.2.2. Les différentes modalités de nos entretiens
3.2.3. La population ciblée et son mode de recrutement
3.2.4. Analyse des données et interprétation des résultats
3.3. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 4 : LE DISCOURS PÉDAGOGIQUE DE L’UNESCO
4.1. L’origine, l’évolution et le fonctionnement de l’organisation
4.2. L’implication de l’UNESCO dans le secteur de l’éducation
4.3. Les orientations pédagogiques de l’UNESCO en matière de formation à l’enseignement
4.3.1. L’engagement de l’UNESCO pour la cause enseignante : le projet TTISSA
4.3.2. Les orientations pédagogiques de l’UNESCO dans le rapport EPT 2005
4.3.2.1. Un amalgame : passivité, centration sur l’enseignant, béhaviorisme et enseignement structuré
4.3.2.2. Des contradictions : la promotion de l’enseignement structuré et le dénigrement des approches centrées sur l’enseignant
4.3.2.3. Une position stratégique : le principe du pluralisme pédagogique et son corollaire le pragmatisme
4.3.3. L’ambiance pédagogique dans le reste du corpus de l’UNESCO
4.4. Présentation et analyse des données des entretiens
4.5. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 5 : LE DISCOURS PÉDAGOGIQUE DE L’OCDE
5.1. L’origine, l’évolution et le fonctionnement de l’organisation
5.2. L’implication de l’OCDE dans le secteur de l’éducation
5.3. Les orientations pédagogiques de l’OCDE en matière de formation à l’enseignement
5.3.1. L’engagement de l’OCDE pour la cause enseignante : l’initiative TALIS
5.3.2. Le discours pédagogique de l’OCDE dans le cadre de l’initiative TALIS
5.3.2.1. Définition des concepts clés du cadre conceptuel
5.3.2.2. Articulation des concepts clés du cadre : 1er niveau de lecture
5.3.2.3. Articulation des concepts clés du cadre : 2nd niveau de lecture
5.3.2.4. L’analyse des énoncés du questionnaire
5.3.2.5. L’analyse des résultats
5.3.2.6. L’analyse des recommandations
5.3.3. L’ambiance pédagogique dans le reste du corpus de l’OCDE
5.3.3.1. Les raisons de changer les pratiques des enseignants
5.3.3.2. La fonction pédagogique de la formation et l’image de l’enseignant à former
5.4. Présentation et analyse des données des entretiens
5.5. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 6 : LE DISCOURS PÉDAGOGIQUE DE LA BANQUE MONDIALE
6.1. L’origine, l’évolution et le fonctionnement de l’organisation
6.2. L’implication de la Banque mondiale dans le secteur de l’éducation
6.2.1. L’investissement dans l’éducation : la ligne de conduite de la Banque mondiale
6.2.2. L’intervention de la Banque mondiale dans le secteur de l’éducation
6.3. Les orientations pédagogiques de la Banque mondiale en matière de formation à l’enseignement
6.3.1. L’engagement de la Banque mondiale pour la cause enseignante : le projet SABER-Teachers
6.3.2. Le discours pédagogique de la Banque mondiale dans le cadre du projet SABER-Teachers
6.3.2.1. Établir un dialogue politique : la phase du policy mapping
6.3.2.2. Le cadre d’analyse de SABER-Teachers : la phase du policy guidance
6.3.2.3. Les premiers résultats de SABER-Teachers : les rapports nationaux et régionaux
6.3.3. L’ambiance pédagogique dans le reste du corpus de la Banque mondiale
6.3.3.1. Les voies d’accès aux considérations pédagogiques les plus fréquentes dans les discours de la Banque mondiale
6.3.3.2. La promotion des pratiques centrées sur l’apprenant dans certains rapports
6.3.3.3. La promotion des pratiques d’enseignement structurées dans d’autres rapports
6.4. Présentation et analyse des données des entretiens
6.5. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 7 : BILAN DES RÉSULTATS ET DISCUSSION CRITIQUE
7.1. Bilan des principaux résultats de l’analyse
7.2. Discussion critique des résultats
7.2.1. L’éducation centrée sur l’apprenant : posture pédagogique dominante
7.2.2. L’éducation centrée sur l’apprenant : posture pédagogique paradoxale
7.2.3. L’éducation centrée sur l’apprenant : posture pédagogique contestée
7.2.4. L’éducation centrée sur l’apprenant : les alternatives et leurs limites
7.2.4.1. Solutions pour un transfert de pratiques exemplaires réussi : choix d’une approche efficace et implantation adéquate
7.2.4.2. « Contextualised learner-centred nexus » ou « indigenous pedagogies»
7.3. Conclusion : vers un continuum de pratiques scientifique
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BIBLIOGRAPHIE (CHRONOLOGIQUE) – CORPUS DOCUMENTAIRE
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