Production et transmission des Comptines kabyles
La tradition orale
La tradition orale dโun pays regroupe couramment les fables, contes, les lรฉgendes et les comptinesโฆ. autant dโรฉlรฉments qui traversent les รขges sous diffรฉrentes formes, et qui se transmettent de gรฉnรฉration en gรฉnรฉration. Selon Schaeffer ยซ la tradition se rรฉfรจre ร lโensemble des faits de transmission orale dโune culture ยป ( 1). Ces faits peuvent รชtre des coutumes, des savoirs, des discours littรฉraires, de la religion, des ritesโฆetc, qui reposent tous sur la voix comme moyen de transmission et sur la mรฉmoire comme moyen de conservation. En effet la tradition n’est pas autre chose que la transmission d’un objet, dโun discours de la langue elle-mรชme d’une personne ร une autre, et plus spรฉcialement des aรฎnรฉs, qui l’ont dรฉjร reรงue et qui la transmette ร leurs tours aux cadets. Le concept ยซ tradition ยป en franรงais s’emploie encore au sens juridique pour la remise matรฉrielle d’une chose mobiliรจre en vue d’en transfรฉrer la propriรฉtรฉ, il est รฉgalement synonyme de livraison, ou dรฉlivrance d’un objet. C’est un sens hรฉritรฉ du mot latin ยซ traditio ยป, nom verbal du verbe tradere qui signifie livrer ou transmettre.
ยซ La tradition orale est lโensemble des expressions orales dโune culture, sโappliquant aux interactions sociales fondamentales, normรฉes par la sociรฉtรฉ dans leurs formes et leurs usages ยป. ( 1) Tandis que la notion de tradition implique la pรฉrennitรฉ, les paroles sont faits pour atteindre leur cible et puis sโenvoler. Cโest pourquoi la tradition orale est un paradoxe vivant, car dโaprรจs Ricard ยซ dโune part, elle ne saurait sโexclure de la crรฉation contemporaine ; dโautre part, elle ne pourrait passer pour le vรฉhicule exclusif de la traditionยป ( 2). La notion de ยซ tradition ยป est devenue centrale dans lโรฉtude anthropologique de la littรฉrature orale (3). Dans le mรชme contexte lโhistorien Jan Vansina a montrรฉ ses spรฉcificitรฉs comme moyen de conservation et de transmission du savoir, ainsi que lโintรฉrรชt des traditions orales pour lโhistoire des peuples sans รฉcriture, mais รฉgalement comme origine de bien des sources รฉcrites. (4) A partir de ce va et vient entre ยซ tradition ยป et ยซ littรฉrature ยป il nous semble utile dโรฉtudier les rapports de leur substituts qui est bien lโoralitรฉ et lโรฉcriture en deux points, ร savoir le rapport dโinteraction et dโopposition.
Lโoralitรฉ/ lโรฉcriture
Rapport dโinteraction: Lโoralitรฉ entretient avec lโรฉcriture des liens dโinteraction, de transition et de glissement, surtout quand la premiรจre sโappuie sur la seconde, car elles sont รฉtroitement liรฉes. On ne peut pas sรฉparer le texte de la parole, car les textes รฉcrits trouvent place dans des communautรฉs de parole: le foyer domestique, lโรฉglise, lโEtat, la spรฉcialitรฉ scientifique. Ces communautรฉs examinent et essayent dโรฉtablir la vรฉritable et unique signification des textes ( 1 )et parfois la faiblesse de lโรฉcrit permet ร lโoral dโatteindre un haut niveau de communication. A ce propos, citons lโhistorienne Franรงoise Waquet qui explique comment les cultures occidentales se sont elles dotรฉes, depuis le XIX siรจcle ร nos jours, dโune oralitรฉ savante dans laquelle le discours parlรฉ, ne fonctionne pas seulement dans les marges et dans lโinformalitรฉ, mais occupe une place centrale, ร รฉgalitรฉ avec lโรฉcrit et la haute culture ( 2).
Dโune part, lร oรน lโรฉcrit sโaffaiblit, nous remarquons quโil se manifeste dans le fait quโil a besoin dโรชtre soutenu par le discours oral, cโest ce qui explique le retour ร lโoral, ou moment ou les phrases qui sont ร lโรฉcrit ne sont pas adaptรฉes ร leur signification. Dโautre part on comprend que cette dรฉpendance de lโun par rapport ร lโautre peut signifier quโil y a une coexistence entre eux. Dans le domaine de la littรฉrature orale et de la littรฉrature รฉcrite, lโinteraction est, selon Zumthor, apparue au Moyen รge. Parmi les objets dโรฉtude, ajoute-t-il, on peut รฉnumรฉrer lโimitation de la forme orale ou du style oral par la littรฉrature รฉcrite particuliรจrement rรฉpandue dans la poรฉsie, ou encore lโinfluence de la fixation par รฉcrit des oeuvres orales sur leur รฉvolution (orale) future-influence particuliรจrement forte dans un genre comme la ballade anglo-amรฉricaine.
Le rapport dโopposition
Il faut noter que lโopposition qui existe entre lโoralitรฉ et lโรฉcriture, est purement dโordre thรฉorique et que la plupart des dโรฉtudes qui ont รฉtait faites dans le domaine de lโoralitรฉ nโont pas รฉchappรฉ au regard ethnocentriste, regard que Zumthor qualifie de myopie intellectuelle (1). Il explique que lโethnocentrisme est un instrument dโun savoir qui dรฉroute, presque, toutes les sciences humaines. Il est fondรฉ sur le principe du refus de lโautre, et que cela peut perdurer tant que la civilisation occidentale nโa pas assumรฉ et dรฉpassรฉ les limitations quโelle a imposรฉes vis-ร -vis des autres civilisations (2). A propos la poรฉsie orale Kabyle, et en particulier dans les poรจmes kabyles anciens, Mouloud Mammeri รฉcrit : Nos poรจmes entraient comme des choses mortes, des arguments dans lโรฉdifice conceptuel que la sociรฉtรฉ de lโOccident รฉrigeait dans le double but de nous rรฉduire et de se comprendre. Elle avait, pour ce faire, รฉlaborรฉ un instrument (ce quโelle appelle une mรฉthode scientifique) dont lโefficience avait รฉtรฉ largement รฉprouvรฉe par ailleurs.
Les effets quโelle en obtenait, la satisfaction sinon pleinement, du moins de faรงon largement dรฉterminante et, comme toujours en ce cas, elle appelait objective et applicable ร tous la science quโelle avait ainsi de faรงon identique รฉlaborรฉe pour elle (3). Pour cela, au lieu de chercher les critรจres qui font la diffรฉrence entre lโoralitรฉ et lโรฉcriture, on a tendance ร juger les dรฉficiences de lโoralitรฉ, ce que Bouamara qualifie dโerreur mรฉthodologique : ยซ Au lieu dโรฉtablir une de ce qui manque ร lโoralitรฉ โฆ pour รชtre une รฉcriture, voir lโรฉcriture. Mais dans ce cas prรฉcis [โฆ], lโoralitรฉ obรฉit ร la logique du comparant et ร sa domination. La consรฉquence en est que lโoralitรฉ nโa quโune dรฉfinition nรฉgative ยป (4).
Le passage de lโoral ร lโรฉcrit a รฉtรฉ considรฉrรฉ par quelques analystes, comme une clรฉ de la transformation des mentalitรฉs. Or ces analystes occidentaux, selon Zumthor, nโont pas su concevoir de lโintรฉrieur ce que peut รชtre une sociรฉtรฉ ร tradition orale. Ce dernier confirme รฉgalement ยซ il est stรฉrile, de penser lโoralitรฉ de faรงon nรฉgative, en en relevant les traits par contraste avec lโรฉcriture. Lโoralitรฉ ne signifie pas analphabรฉtisme, lequel est perรงu comme un manque, dรฉpouillรฉ des valeurs propres de la voix et de toute fonction sociale positive.(โฆ),lโoralitรฉ ne se dรฉfinit pas plus par soustraction de certains caractรจres de lโรฉcrit, que celui-ci ne se rรฉduit ร une transposition de celle-lร ยป
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Table des matiรจres
Dรฉdicaces
Remerciements
Introduction gรฉnรฉrale
Choix du sujet motivations
Problรฉmatique
Hypothรจses
Mรฉthodologie et bases thรฉoriques de notre approche
Organisation des chapitres
Prรฉsentation du corpus
Chapitre I : Oralitรฉ et littรฉrature orale Kabyle
De lโoralitรฉ en gรฉnรฉral
Littรฉrature orale.
La tradition orale.
Lโoralitรฉ/lโรฉcriture.
Types dโoralitรฉ
Oralitรฉ primaire
Oralitรฉ coexistant avec lโรฉcriture
Oralitรฉ mรฉcaniquement mรฉdiatisรฉe
III.Les formes brรจves dans la littรฉrature orale Kabyle
1.De la littรฉrature orale Kabyle
1.1 Question de terminologie
1.2 Elรฉments de dรฉfinition
1.3 Etat des lieux des รฉtudes sur les genres littรฉraires berbรจres
2.Les formes brรจves
2.1 Les critรจres de la littรฉralitรฉ orale dans lโaire Kabyle
2.2 Les caractรฉristiques des formes brรจves
Chapitre II : Production et transmission des Comptines kabyles
I.Essai de dรฉfinition
II.Les diffรฉrentes catรฉgories de comptines Kabyles
III. Analyse de sรฉance de point de vue de la production
Les types de transmission
Chapitre III : Les spรฉcificitรฉs des comptines kabyles
Les spรฉcificitรฉs des comptines Kabyles
Sur le plan thรฉmatique et contenu
1.1 Le magique ou le religieux
1.2 Les animaux
1.3 Les gourmandises
Sur le plan du langage et expression
Sur le plan de la performance
3.1 La voix
3.2 La gestuelle
3.3 Le corporel
3.4 Le rythme
3.5 Le Jeu
Sur le plan des medias
Chapitre IV : Lโapport des comptines Kabyles
I.Lโรฉducation
II.La culturelle
III. La socialitรฉ
Le ludique
Conclusion gรฉnรฉrale
Bibliographie
Annexes
Corpus
Tableaux des personnes sources
Iconographie
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