Production et traçage des métaux anciens

Production de métaux aux périodes anciennes

La chaîne opératoire de production des métaux couvre l’ensemble des traitements depuis l’extraction du minerai jusqu’à l’élaboration d’objets métalliques. Les techniques utilisées dépendent en premier lieu de la nature du métal désiré mais aussi du type de minerai disponible. En effet, l’extraction et la préparation d’un type de minerai, le processus de réduction, ou encore le travail du métal post-réduction peuvent être très différents selon le métal à produire. De plus, les méthodes d’élaboration d’un même métal ne sont souvent pas les mêmes entre différentes régions de production, différentes sphères culturelles, ou différentes périodes. Les traitements minéralurgiques (traitements du minerai avant la phase de réduction) peuvent également être fonction du type de minerai exploité. Enfin, plusieurs exemples archéologiques ont démontré la possibilité d’ajouts divers durant la réduction et des mélanges de minerais (e.g Mahé-Le Carlier et al., 2011 ; Pelton et al., 2015 ; Vasilescu et al., 2015). Par exemple, les ajouts de types métalliques (Fe, Pb) permettent une meilleure extraction du métal contenu dans le minerai, tandis que les ajouts de type alcalins permettent d’augmenter la fluidité de la scorie pour faciliter son évacuation du four.

Aux périodes anciennes, la chaîne opératoire pouvait être spatialement fragmentée du fait d’une spécialisation des différents ateliers. Cette segmentation de la production des métaux implique alors la circulation du métal sous des formes diverses. La restitution des différentes méthodes de production constitue donc un défi majeur pour la paléométallurgie. Bien que toutes les pratiques métallurgiques anciennes ne soient pas connues, un certain nombre d’études archéologiques et expérimentales ont permis de retracer les grandes étapes de la chaîne opératoire théorique de production de certains métaux (e.g. Tylecote, 1986 ; Hauptmann et al., 1992 ; Crew, 2000 ; Ramage et Craddock, 2000 ; Pleiner, 2000 ; Cauuet, 2004, 2005; Hauptmann, 2007 ; Domergue, 2008 ; Fabre et al., 2016). Dans ce chapitre, nous nous intéresserons principalement aux méthodes de production de fer et à celles de production de plomb argentifère que nous avons étudiées au cours de ce travail de thèse.

Chaîne opératoire de la métallurgie des métaux ferreux en bas fourneau 

On distingue deux grandes filières de réduction de minerai de fer : la filière directe et la filière indirecte, respectivement associées à l’utilisation de bas fourneaux et hauts fourneaux. Classiquement, le bas fourneau produit une éponge de fer à l’état solide, composée de fer doux (moins de 0,02% de carbone) et/ou de l’acier (de 0,02 à 2% de carbone), qui doit être débarrassé de ses impuretés (scorie) pour obtenir un métal forgeable. Le haut fourneau permet une meilleure réduction du fer et produit de la fonte (plus de 2% de carbone), à l’état liquide, qui doit être décarburée pour obtenir un métal qui puisse être forgé. Si la filière indirecte en haut fourneaux est apparue en Chine dès le premier millénaire, cette technologie ne s’est imposée en Europe qu’à la fin de l’époque médiévale (Mangin, 2004). Avant l’apparition des hauts fourneaux et de la filière indirecte à la fin de l’époque médiévale en contexte européen, le fer était produit par la filière directe. Les différentes étapes de production de fer par la filière directe sont représentées dans la figure I-1 et détaillées ci-dessous. Des explications supplémentaires sont disponibles dans Bachmann (1982), Jarrier (1993); Mahé le Carlier (1997) Mangin et al. (2004) ou encore Leroy et al. (2015).

Extraction et traitements préliminaires du minerai

Le fer est l’un des éléments les plus abondants de la croûte terrestre (environ 4,3 %) et ses minerais sont nombreux et très divers (e.g. Serneels, 2004 ; Robb, 2005). Toutefois, seuls certains minéraux présentent un intérêt d’un point de vue minier, du fait de leurs fortes teneurs en fer. Ainsi, les oxydes et hydroxydes de fer (magnétite, hématite, goethite ou limonite) ont été les plus largement exploités aux périodes anciennes. La classification des minerais de fer proposée par Serneels et al. (2004) comporte dix groupes principaux (Tableau I-1). De nos jours, les exploitations de minerai de fer privilégient les gisements de grand volume et de forte teneur, telles que les formations de fer rubané (BIF) en Australie ou en Afrique du Sud. A contrario, aux périodes anciennes, de nombreux gisements de faible envergure ont été exploités. Bien que la teneur en fer reste le critère principal de sélection des minerais, la facilité d’extraction était également prise en compte par les anciens mineurs. Ceci explique que contrairement aux métaux plus rares (or, argent, étain…), les exploitations anciennes de fer consistent majoritairement en des travaux miniers de surface, souvent difficilement identifiables de nos jours.

Les traitements préliminaires du minerai, pratiqués aux périodes anciennes sont intrinsèquement liés à la nature du minerai exploité et peuvent varier selon les époques, les régions de production et les contextes socio culturels. De manière générale, le minerai extrait était premièrement trié pour séparer le minerai riche de la gangue stérile. S’en suivait parfois une phase de lavage pour enlever un maximum d’impuretés. Selon sa nature, le minerai était ensuite grillé de façon à en éliminer l’eau, le CO2 et le souffre. Ce traitement permettait également de déstructurer la roche et d’augmenter sa porosité. Le minerai rendu plus friable par le grillage était alors broyé, avant la phase de réduction. L’ensemble de ces traitements dits « minéralurgiques » induisent des modifications structurales et chimiques entre le minerai extrait d’un gisement et le minerai introduit dans le bas fourneau.

Réduction du minerai en bas fourneau 

En Europe, les bas fourneaux de réduction étaient généralement constitués d’une cuve percée d’une porte et d’orifices de ventilation, surmontée d’une cheminée. Cependant, les dimensions de la cuve, de la porte, de la cheminée ou encore le nombre d’orifices de ventilation (ou de tuyères) et leur mode d’alimentation en air (forcée ou naturelle) ont pu varier spatialement et temporellement. Conjointement aux recherches archéologiques, des études expérimentales ont permis de déterminer les méthodes d’utilisation des bas fourneaux (e.g. Crew, 2000 ; Jarrier et al, 1997). Bien que les processus physico-chimiques intervenant lors de la réduction soient complexes, un modèle théorique des réactions chimiques impliquées peut être établi.

Dans un premier temps, le bas fourneau était préchauffé par combustion de bois et/ou de charbon de bois, l’augmentation de la température induisant l’augmentation du rapport CO/CO2 par les réactions :

(1) C + O2 = CO2
(2) C + CO2 = 2CO

Selon la courbe de Boudouard, la quantité de d’O2 et de CO2 devient négligeable quand la température atteint 1100°C (Figure I-2), induisant une pression partielle d’O2 de l’ordre de 10⁻¹⁰ bars et la formation d’une atmosphère réductrice (Fluzin et al., 2004). La réduction des oxydes de fer peut être résumée par les réactions suivantes :
(3) 3Fe2O3 + CO = 2Fe3O4 + CO2
(4) Fe3O4 + CO = 3FeO + CO2
(5) FeO + CO = Fe + CO2 .

Au fur et à mesure de la descente du minerai depuis le haut de la cheminée jusque dans la cuve du fourneau, la température augmente et les réactions (3), (4) et (5) deviennent successivement dominantes. Les conditions de température étant hétérogènes à l’échelle du bas fourneau, seules des gammes de températures de réduction ont pu être déterminées. L’examen pétrographique de scories de réduction a permis de déterminer une température minimum de formation de la scorie autour de 1300°C (e.g. Jarrier, 1993 ; Jarrier et al., 1997). Des cendres riches en éléments alcalins (Na2O, K2O) peuvent également être ajoutées durant la réduction de façon à fluidifier la scorie. Etant donné que le fer reste à l’état « pâteux » lors de la réduction en bas fourneau, on peut en déduire que la température maximale ne dépasse pas le point de fusion du fer de 1538°C. Localement, la température peut dépasser 1300°C. Dans un tel cas, le fer peut être directement réduit par le carbone selon la réaction suivante :

(6) FeO + C = Fe + CO .

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Table des matières

Introduction générale
Références bibliographiques
Chapitre I : Production et traçage des métaux anciens
1. Production de métaux aux périodes anciennes
1.1 Chaîne opératoire de la métallurgie des métaux ferreux en bas fourneau
1.1.1 Extraction et traitements préliminaires du minerai
1.1.2 Réduction du minerai en bas fourneau
1.1.3 Opérations post-réduction et travail de forge
1.2 Chaîne opératoire théorique de la métallurgie de plomb argentifère
1.2.1 Extraction et traitement des minerais de Pb
1.2.2 Différentes méthodes pour l’obtention de plomb métallique
1.2.3 Traitements post-réduction du plomb argentifère
2. Méthodes actuelles de traçage des métaux anciens
2.1 Méthodes de traçage chimiques élémentaires
2.1.1 Analyse des éléments majeurs et mineurs
2.1.2 Analyse des éléments en traces
2.1.3 Méthodes statistiques
2.2 Méthodes de traçage isotopiques
2.2.1 Traçage des métaux par l’isotopie du Pb
2.2.2 Traçage des métaux par l’isotopie du Cu
2.2.3 Traçage des métaux par l’isotopie du Sn
2.2.4 Traçage des métaux par l’isotopie du Zn
2.2.5 Méthodes isotopiques pour le traçage des métaux ferreux
2.3 Limites du traçage des métaux
2.3.1 Limites du traçage des métaux ferreux par les analyses élémentaires
2.3.2 Limites du traçage par les analyses isotopiques
3. Objectifs et méthodologie de l’étude
3.1 Etude de la conservation du traceur
3.2 Validité des isotopes du fer comme outil de traçage des métaux
3.3 Application du traçage par les isotopes du fer dans d’autres contextes archéologiques
3.3.1 Sidérurgie Gauloise dans le Tarn (Sud-Ouest de la France)
3.3.2 Sidérurgie ancienne en pays Bassar (Nord du Togo)
3.3.3 Exploitation ancienne de plomb argentifère dans la mine d’Imiter (Maroc)
4. Références bibliographiques
Chapitre II : Variabilité isotopique naturelle des minerais de fer
1. Notions de base sur la géochimie isotopique du fer
1.1 Généralités
1.2 Processus de fractionnement des isotopes du fer
2. Composition isotopique du fer de différentes roches terrestres
2.1 Composition isotopique des roches ignées terrestres
2.2 Variation isotopique du fer des minerais issus des systèmes hydrothermaux
2.2.1 Systèmes hydrothermaux océaniques
2.2.2 Systèmes hydrothermaux continentaux
2.3 Variation isotopique du fer dans des formations de fer rubané (BIF)
3. Les isotopes du fer : un nouveau traceur potentiel des métaux anciens
3.1 Variabilité isotopique potentielle de minerais exploités aux époques anciennes
3.1.1 Cas des minerais étudiés dans cette thèse
3.1.2 Autres minerais exploités aux époques anciennes
3.2 Implications pour le traçage des métaux anciens
4. Références bibliographiques
Chapitre III : Matériel et méthodes
1. Nature des échantillons étudiés
1.1 Expérimentations de réduction dans le massif de la Montagne Noire
1.1.1 Expérimentations de 1991
1.1.2 Expérimentations de 2009
1.2 Barres de fer archéologiques des Saintes-Maries-de-la-Mer (Sud-Est de la France)
1.3 Minerais, scories et barres de fer archéologiques du Tarn
1.3.1 Minerais et scories du secteur d’Ambialet
1.3.2 Minerais et scories du secteur de Crespin
1.3.3 Barres de fer Gauloises de Montans et Rabastens
1.4 Minerais, scories et objets métalliques de la région de Bassar (Togo)
1.5 Scories de réduction et parois de four de la mine d’Imiter (Maroc)
2. Echantillonnage et conditionnement
2.1 Echantillons non métalliques
2.2 Echantillons de fer métallique
3. Analyses isotopiques par MC-ICP-MS
3.1 Principe des analyses par MC-ICP-MS
3.2 Préparation des échantillons
3.2.1 Attaque acide des échantillons
3.2.2 Purification des échantillons
3.2.2.1 Purification du Fe
3.2.2.2 Purification du Pb
3.3 Analyse des isotopes du fer
3.3.1 Interférences et résolution de masse
3.3.2 Corrections du biais de masse
3.3.2.1 Encadrement par l’analyse d’un standard
3.3.2.2 Normalisation interne inter-élémentaire
3.3.3 Reproductibilité à long terme et incertitude analytique
3.4 Analyse des isotopes du plomb
3.4.1 Généralités
3.4.2 Interférences et résolution de masse
3.4.3 Biais de masse instrumental
3.4.4 Correction du biais de masse
3.4.5 Justesse des mesures et précision analytique
3.4.6 Reproductibilité totale externe sur échantillon
4. Références bibliographiques
Conclusion générale

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