Production des céramiques à l’âge du Bronze ancien I
L’âge du Bronze ancien I est une période charnière dans l’évolution socio-économique en Palestine ; et la céramique reflète ces changements . On observe, à cette époque, l’apparition d’un nouveau répertoire de formes et l’abandon de quelques types diagnostiques des cultures chalcolithiques. Parmi les plus significatifs, les ossuaires et les fines céramiques blanc crème (cream ware) disparaissent brutalement, tandis que la baratte, les cornets , les coupes sur pied et les bols en « V » continuent au début du Bronze ancien I, mais sont progressivement remplacés par d’autres récipients. Les traditions céramiques du Golan et de Tell Turmus semblent aussi péricliter. En revanche, quelques récipients du Chalcolithique perdurent tout au long du Bronze ancien, par exemple les jarres sans col, les anses oreillettes et les larges jarres de stockage, ainsi que certaines décorations telles que les bandes appliquées, la peinture des bords et les incisions. Ce constat s’observe aussi dans d’autres artisanats, telle la vaisselle en basalte.
Mais ce sont surtout les nouveautés, nombreuses, qui annoncent un réel changement dès le Bronze ancien I. Bien plus, elles reflètent de nouvelles pratiques socio-économiques qui évoluent durant toute la durée du Bronze ancien. On note l’apparition de nouvelles formes, par exemple les cruches et les jarres à goulot. De bel aspect, les cruches ont certainement une fonction sociale de prestige, utilisées lors des repas en commun et lors de certaines activités rituelles. La cruche illustre en même temps de nouvelles pratiques économiques, liées au développement de l’économie « méditerranéenne ». L’apparition de la jarre à goulot en entonnoir va dans le même sens. Celle-ci contenait certainement de l’huile que l’on allait chercher à l’aide d’une petite cruchette posée sur le goulot, qui permettait de récupérer le précieux liquide. Le commerce de l’huile était alors en plein développement.
L’évolution des moyens de transport et des échanges commerciaux a aussi des implications logiques sur la typologie, qui sont visibles dans la forme de certaines jarres et surtout dans l’apparition des anses, qui sont horizontales simples, indentées, festonnées puis ondulées, permettant une meilleure préhension. Les anses demeurent l’un des éléments les plus diagnostiques du début du Bronze ancien, identifié et largement discuté par G. E. Wright dès la fin des années 30. D’un point de vue technique, de nouveaux procédés se perfectionnent, dont le lustrage et le polissage, qui créent des ensembles céramiques très distincts de l’époque précédente : les céramiques grises et rouges lustrées. D’autres étapes perdurent : la cuisson à four ouvert et le lissage des poteries à la main, qui sont des techniques de base. L’usage du tour rapide, en revanche, semble diminuer, contrairement à la logique d’une évolution technologique linéaire et unidirectionnelle.
L’impression générale face au répertoire des céramiques chalcolithiques, est celle d’une conservation des formes simples, qui sont utilisées quotidiennement, et d’un renouveau des productions situés dans la sphère collective. Adaptation économique, ostentation, convivialité et cohésion de la communauté semblent coordonner la fabrication d’une grande partie des récipients au Bronze ancien I. Elle répond ainsi à une augmentation démographique importante et à un besoin de réorganisation sociale.
Adoption d’une chronologie relative pour l’âge du Bronze ancien I
La chronologie du Bronze ancien I fut longtemps dépendante des résultats des fouilles des niveaux d’occupation de Beth Shean, de Mégiddo, de Tell el-Fâr’ah (N), de Tel Erani et de Jéricho (et tout spécialement de la découverte de poteries dans les nécropoles de Jéricho). Elle a connu un premier sursaut à la fin des années 60 avec les fouilles d’Arad et de la nécropole de Bâb edh-Dhra’ puis un renouveau au milieu des années 70 avec les recherches archéologiques dirigées par R. Gophna à ‘En Besor. La périodisation du Bronze ancien I s’est depuis considérablement affinée, avec une clarification assez nette des malentendus terminologiques et du lien entretenu avec le Chalcolithique récent. L’apport stratigraphique de nouvelles fouilles archéologiques dans le sud (en particulier de la plaine côtière) et dans le nord d’Israël, complété par la découverte d’un matériel égyptien bien daté, a fourni de nouvelles données (pl. 7). Toutefois, comme nous allons le voir, un consensus n’est toujours pas adopté et les positions des chercheurs restent très variables concernant la subdivision du Bronze ancien I. La périodisation proposée par G. E. Wright en 1937, modifiée dans sa forme, reste encore utile ; et la distinction entre nord et sud est généralement conservée dans les ouvrages actuels.
Palestine méridionale
La période de l’âge du Bronze ancien I dans le sud a tout d’abord été divisée en deux sous-phases BA IA/ BA IB (=EB I1/EB I2) (à Bâb edh-Dhra’ par exemple), qui ont ellesmêmes été divisées à diverses reprises en plusieurs phases intermédiaires. En 1992, R. Amiran et R. Gophna proposaient de distinguer quatre phases dans le BA I (EB Ia et EB Ib early/middle/late) . Quant à L. E. Stager, il reconnaissait un early puis un middle et un late EB I. En 1995, D. Alon et Yekutieli subdivisaient le BA IA et le BA IB en deux phases chacun (Early EB IA, Late EB IA, Early EB IB, Late EB IB) . A. Mazar et P. de Miroschedji distinguaient le Bronze ancien I méridional entre Early, Middle, et Late. Dans sa thèse soutenue la même année, E. Braun voyait deux phases pour le BA IA (Early EB I/Advanced Early EBI) et trois phases pour le BA IB (Erani D-C horizon/ Late EB I / Latest EB I). En 1998, E. Braun et E. C. M. Van den Brink reconnaissaient toutefois qu’il était encore trop tôt pour proposer une chronologie définitive pour le BA I. Pourtant, en 2001, E. Braun proposa une séquence détaillée, assez proche de celle de 1996 : 1. Initial EB I /Afridar Area G ; 2. Erani C Phase ; 3. Late Southern (late phase) ; 4. Late Southern (latest phase).
Dans ce dilemme, la difficulté réside dans la délimitation de chacune des phases, en fonction de la stratigraphie des sites et de la culture matérielle souvent emprunte de traditions régionales. Il va aussi sans dire que l’abondance des découvertes archéologiques récentes, et l’influence de la stratigraphie du site sur son découvreur impliquent des opinions parfois très divergentes. En simplifiant quelque peu le problème, toutes ces positions divergent en fonction du degré d’influence de la tradition chalcolithique sur la poterie des sites du sud de la Palestine ; de la présence de la céramique grise lustrée d’un type ancien et de l’architecture caractéristique du nord de la Palestine ; de la diffusion de poteries caractéristiques d’une région (par exemple la tradition « Hartouv » (ou Erani C)) ; et enfin, de l’observation d’une présence égyptienne plus ou moins colonisatrice. La séquence chronologique du Bronze ancien I dans le sud de la Palestine, souffre de la difficulté à identifier des ruptures marquées et bien reconnaissables dans la poterie, l’architecture ou les autres aspects de la vie des populations au BA I. Il faut néanmoins reconnaître, d’une façon générale, que c’est une période particulièrement bien étudiée.
Âge du Bronze ancien Ia
L’âge du Bronze ancien Ia dans le sud de la Palestine est une période de transition d’environ cent cinquante ans (ca. 3500-3350 av. J.-C.), marquée par la continuation partielle de la culture de la période chalcolithique, et l’implantation progressive d’une nouvelle culture matérielle à laquelle s’adjoint une nouvelle carte de peuplement. La rupture, longtemps perçue comme étant radicale, fut assez progressive en réalité dans cette région. L’occupation à cette époque est foncièrement centrée sur la côte de la Palestine, tandis que peu de sites ont été découverts à l’intérieur des terres. Ces régions restent mal connues, probablement en raison de l’existence de populations pastorales mobiles.
Parmi les problèmes dans la mise en lumière de la périodisation du BA Ia, les sites archéologiques étudiés sont trop peu nombreux, et sont le résultat de fouilles préventives, souvent réalisées sur de petites superficies. En général, leur publication n’a fait l’objet que d’articles préliminaires. Ils présentent en outre une séquence stratigraphique souvent limitée, ne recouvrant que partiellement l’ensemble de la période du Bronze ancien I. Les céramiques, lorsqu’elles sont publiées, forment des ensembles très tenus et certainement très partiels. Il suffit de constater la petite taille des tessons publiés, pour en être persuadé, comme c’est le cas du mobilier de Taur Ikhbeineh . Les comparaisons entre contextes stratigraphiques sont difficiles, et la périodisation du Bronze ancien Ia est de facto sujette à caution. Par conséquent, une tentative de subdiviser cette période par la céramique demeure très hypothétique, même si intéressante. Cette subdivision entre BA Ia1 et BA Ia2, comme le propose Y. Yekutieli , se repère sur les assemblages de Tel Erani, de Nizzanim et de Taur Ikhbeineh , et serait grosso modo fonction du degré de proximité de la tradition chalcolithique.
Les séquences stratigraphiques d’Afridar, Tel Halif (site 101, et « silo site »), Nizzanim et Taur Ikhbeineh recouvrent une majeure partie du Bronze ancien Ia et en sont sans doute les plus représentatives. Le site H du wadi Ghazzeh, fouillé dans les années 30, et d’une époque antérieure à l’occupation de ‘En Besor , n’a plus qu’une utilité secondaire dans une tentative de périodisation du BA Ia. C’est également le cas de Lachish et de son matériel BA Ia/Ib.
Azor : des fouilles de sauvetage y ont été menées en 1993-1994, par une équipe dirigée par A. Golani et E. C. M. Van den Brink . Deux strates du BA Ia (st. I et II) ont été mises au jour, au chantier A. Les restes d’occupation (quelques murs en pierre, et une surface associée) sont très pauvres, et exclusivement dans la strate supérieure (st. I). Le répertoire céramique s’apparente principalement à ceux de ‘Ain Assawir (st. III), Nizzanim (st. 3-4), Tel Halif, Moza, Taur Ikhbeineh IV-III et de Yiftah’el . Les poteries seraient d’ailleurs, en majorité, importées sur le site, selon l’étude pétrographique . La prédominance des décors indentés rappelle la persistance de la décoration chalcolithique, tandis que la céramique rouge lustrée et quelques tessons en céramique grise lustrée rattachent l’ensemble au BA I. D’autres aspects morphologiques trouvent également des correspondances dans le matériel de « l’installation C ».
Bâb edh-Dhra’ : L. E. Stager note en 1992 que la meilleure évidence stratigraphique de distinction entre le « BA IA » et le « BA IB » au sud de la Palestine provient des fouilles de Bâb edh-Dhra’, site localisé au sud-est de la mer Morte , découvert en 1924 par W. F. Albright. Suite aux trois premières campagnes menées de 1965 à 1967, P. Lapp détermina une subdivision du BA I en trois phases (« EB IA-B-C »), reconnaissables aussi bien dans la stratigraphie du cimetière que sur le tell . La séquence stratigraphique du BA I fut à plusieurs reprises confirmée par les successeurs de P. Lapp : R. T. Schaub et W. E. Rast, qui déterminèrent une phase ancienne (early), une phase moyenne (mid-range) et une phase récente (late) , sur la centaine d’années que durerait, selon eux, l’utilisation de la nécropole du BA I . Aujourd’hui, la phase BA IA correspond à une installation temporaire (« camp site », niveau V) , sans architecture , connectée à une tradition de sépultures à puits d’accès (« shaft tomb »).
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Table des matières
Introduction
i. Artisanat, urbanisation et structuration sociale : un aperçu théorique
ii. Contexte archéologique
iii. Méthodologie
1. Production des céramiques à l’âge du Bronze Ancien I
1.1. Adoption d’une chronologie pour l’âge du Bronze ancien I
1.1.1. Palestine méridionale
1.1.2. Palestine septentrionale
1.1.3. Chronologie absolue
1.1.4. Chronologie égyptienne et relations avec la Palestine
1.2. Analyse de la production locale
1.2.1. Tell el-Fâr’ah
1.2.2. Mégiddo
1.2.3. Tel Yarmouth
1.3. Identification des régionalismes à l’âge du Bronze ancien I
1.3.1. Persistance chalcolithique en Palestine méridionale au BA Ia
1.3.2. Céramique au décor de « peinture coulée »
1.3.3. Céramique de Bâb edh-Dhra’
1.3.4. Décoration « jordanienne »
1.3.5. Céramique grise lustrée
1.3.6. Céramique « craquelée » ou Crackled ware
1.3.7. Céramique aux lignes peintes
1.3.8. Céramique rouge lustrée
1.3.9. Tradition « Hartouv »
1.3.10. Style « pyjama »
1.3.11. Céramique « pré-urbaine D »
1.3.12. Décoration grain wash
1.3.13. Céramique égyptienne
1.4. Discussion
2. Production des céramiques à l’âge du Bronze Ancien II-III
2.1. Adoption d’une chronologie relative pour l’âge du Bronze ancien II-III
2.1.1. L’âge du Bronze ancien II
2.1.2. L’âge du Bronze ancien III
2.1.3. Chronologie absolue
2.1.4. Contacts avec l’Égypte
2.2. Analyse de la production locale
2.2.1. Tell el-Fâr’ah
2.2.2. Tel Yarmouth au Bronze ancien II
2.2.3. Tel Yarmouth au Bronze ancien III
2.2.4. Mégiddo
2.3. Identification des régionalismes à l’âge du Bronze ancien II-III
2.3.1. Céramique métallique à l’âge du Bronze ancien II-III
2.3.2. Céramique peinte d’Abydos
2.3.3. Décoration grain wash
2.3.4. Style « pyjama » (ou « décor de lignes peintes sur enduit chaulé »)
2.3.5. Décor de lignes peintes au Bronze ancien II-III
2.3.6. Céramique de Bâb edh-Dhra’ au Bronze ancien II-III
2.3.7. Céramique dribble-painted
2.3.8. Céramique de Khirbet Kerak
2.4. Discussion
Synthèse et discussion
i. Continuités et ruptures dans l’organisation de la production à l’âge du Bronze ancien
ii. Techniques et diffusion
iii. Régionalismes : persistances et abandons
iv. Production des céramiques, urbanisation, structure sociale
Bibliographie
Index