PROCESSUS MENANT DES ETUDIANTS DE PREMIER CYCLE UNIVERSITAIRE À CHANGER DE PROGRAMME D’ÉTUDES
Ce chapitre est divisé en trois parties et vise à mettre en contexte cet essai sous forme d’article scientifique. Dans la première partie, la problématique qui sous-tend l’étude du processus menant des étudiants de premier cycle universitaire à changer de programme est présentée. Dans la deuxième, le cadre conceptuel de cette recherche est exposé en fonction de la recension des écrits scientifiques. Finalement, l’objectif de l’étude et la démarche méthodologique adoptée sont décrits dans la troisième partie.
Problématique Les principaux modèles traditionnels expliquant le choix professionnel ont été élaborés à la suite de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), où le Canada et les autres pays industrialisés ont connu une grande prospérité économique (Crompton & Vickers, 2000; Singh, 2004). Il était alors plus facile pour les travailleurs de trouver un emploi à temps plein, permanent et stable (Marchand, 1998). Face à cette prospérité, les gouvernements ont développé des politiques de sécurité sociale, familiales et de travail (Bédard & Grigon, 2000; Desrochers, 2000). Toutefois, la crise du pétrole au début des.années 1970 ainsi que les récessions économiques rencontrées dans les années 1980 et 1990 ont entraîné des pertes d’emploi et un haut taux de chômage (Bédard & Grigon, 2000; Crompton & Vickers, 2000; Patton & McMahon, 2002), celles-ci marquant la fin d’une période prospère de développement économique (Singh, 2004). Depuis, les diplômés ne présentent plus nécessairement un cheminement de carrière linéaire (Fournier, Pelletier, & Beaucher, 2003). Bon nombre d’entre eux sont susceptibles d’expérimenter des transitions, souvent imprévues et involontaires, sur les plans social et occupational (Bujold & Gingras, 2000; Founder & Bujold, 2005). Cette mobilité chez les travailleurs résulterait d’une compétition internationale plus intense, des avancées dans le domaine de la technologie et du phénomène de globalisation (Matte, Baldino, & Courchesne, 1998).
Face à ces nouveaux enjeux contextuels, de plus en plus d’individus s’inscrivent à l’université pour faciliter leur insertion professionnelle et leur maintien en emploi. Toutefois, l’interaction entre les caractéristiques personnelles des étudiants et celles de l’environnement dans lequel ils se trouvent peut les amener à avoir une vision imprécise d’eux-mêmes, ce qui peut leur nuire quant à la formulation de choix professionnels convenables (Gottfredson, 2002; Savickas, 2002). Les étudiants peuvent ainsi constater que le programme ne correspond pas à leurs attentes initiales, ressentir une perte de motivation au fil de leur expérience et être amenés à reconsidérer leurs plans d’avenir. Cette baisse de la satisfaction envers leur programme d’études augmenterait la probabilité qu’ils modifient leur cheminement professionnel (Holland, 1997).
Les données du Système d’information sur les étudiants postsecondaires (SIEP) et celles de l’Enquête auprès des jeunes en transition (EJET), deux outils de Statistique Canada, ont permis d’évaluer le taux d’étudiants qui ont changé de programme d’études dans les provinces maritimes canadiennes lors de la période englobant les années 2001- 2002 à 2004-2005 (Parkin & Baldwin, 2009). Respectivement, selon le SIEP et l’EJET, 5,1 % et 7,8 % des étudiants universitaires ont changé de programme d’études au cours de leur première année. En comparaison, ces mêmes outils révèlent respectivement que 1,3 % et 2,1 % des étudiants du collège ont changé de programme lors de la même période. Ces données suggèrent que le phénomène de changement de programme d’études est plus fréquent au début des études universitaires qu’à celui des études collégiales.
De nombreuses recherches ont été répertoriées depuis plusieurs décennies concernant l’abandon et la persévérance scolaires (King, 2005; Metz, 2002). C’est principalement en raison des nombreux effets sur les personnes, les institutions et la société qu’un intérêt s’est développé envers ces problématiques. Sur le plan personnel, les étudiants qui quittent l’université sans l’obtention d’un diplôme peuvent ressentir un sentiment d’échec, réduire leurs chances d’obtenir un emploi qualifié et perdre l’occasion de développer leur potentiel intellectuel. Pour les institutions, il a été estimé en 2003 que le départ d’un étudiant avant sa diplomation coûterait environ 4 200$ en tenant compte également des frais de recrutement. La baisse de la population étudiante entraîne nécessairement une réduction de financement pour les établissements d’enseignement puisque les départs affectent leur budget. Pour la société, l’abandon définitif des études est associé à un plus haut taux de chômage et, par conséquent, à une plus faible activité économique (voir recension de Sauvé et al., 2006).
Déroulement
Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus vaste portant sur les problèmes d’intégration études-travail-vie personnelle et leur incidence sur le cheminement scolaire d’étudiants universitaires (Richer & Lachance, 2004-2006). La population de la présente recherche est formée des étudiants ayant suivi un cheminement linéaire jusqu’à leur inscription à l’université et ayant changé de programme d’études alors qu’ils étaient inscrits à un baccalauréat à temps plein. L’échantillon provient d’une université québécoise régionale. Afin de recruter les participants, des assistants de recherche se sont présentés, un mois après le début du trimestre, dans les cours obligatoires de tous les programmes susceptibles de regrouper des étudiants de première année inscrits à un baccalauréat. Ces visites en classe avaient pour but d’obtenir le consentement écrit des étudiants à être contactés pour participer à une entrevue semi-dirigée dans l’éventualité où ils procéderaient à un changement de programme. Cette démarche a permis d’obtenir le consentement de près de la moitié des étudiants. Après ces visites, le nom et le code permanent des étudiants ayant consenti ont été transmis au registraire afin qu’il remette à l’équipe de recherche la liste des étudiants ayant procédé à un changement de programme au trimestre suivant. Ceux-ci ont été convoqués dans un laboratoire de l’université afin de participer à une entrevue individuelle (60 minutes) enregistrée sur bande audio.
Préalablement à l’entrevue, une fiche de renseignements sociodémographiques a été complétée. Puis, un assistant de recherche a procédé à l’entrevue à l’aide d’un guide semistructure. Puis, une fiche d’entretien a servi à colliger des informations concernant l’attitude, les réactions et les commentaires des répondants au cours de la rencontre. Enfin, l’assistant a complété une fiche qui synthétisait les réponses du participant à chacune des questions .
Participants
Sur l’ensemble des étudiants ayant consenti de participer à la recherche, les 16 ayant changé de programme d’études ont pris part à l’entrevue semi-dirigée. Un peu plus de la moitié (n=9) sont de sexe féminin et leur âge moyen au moment de l’entrevue était de 20,88 ans (£7M),9). La plupart (#=14) étaient célibataires tandis que les autres étaient conjoints de fait. Plus des deux tiers (n=l 1) résidaient chez leurs parents. Tous les participants considéraient avoir des revenus suffisants pour subvenir à leurs besoins et provenant pour la plupart de sources multiples : occupation d’un emploi durant l’année scolaire (n=l2) ou pendant l’été (#=6), aide financière des parents (n=\2), régime gouvernemental de prêts et bourses (n=7), etc. Le nombre d’heures moyen de travail hebdomadaire pour ceux qui occupent un emploi rémunéré durant l’année scolaire était de 16,8 heures (ÉT=9,9).
Quant aux renseignements scolaires, les étudiants ont été admis sur la base d’un diplôme d’études collégiales général (n=l 1) ou technique (n=5). Ils considéraient tous leur niveau de préparation à des études universitaires comme bon, très bon ou excellent. Pour la grande majorité (n=l.3)9 le programme d’admission à l’université représentait leur premier choix. Par ordre d’importance, ils étaient inscrits dans les domaines d’études suivants : sciences de l’éducation (n=5), sciences humaines (w=2), arts et lettres (n=3% sciences économiques et administratives (w=4), sciences fondamentales (n=l) et informatique (n=l). Au moment de leur inscription, près du tiers (w=5) des étudiants avaient l’intention d’entreprendre des études supérieures après l’obtention de leur baccalauréat. Au moment de l’entrevue, leur moyenne cumulative était de 3,2 sur 4,3 (£T=0,3). Près du tiers (n=5) avaient échoué ou abandonné un ou des cours avant leur changement de programme d’études. La moitié (w=8) de l’échantillon a changé pour un programme d’études connexe. Plus spécifiquement, plus du tiers (n=4) des étudiants inscrits sur la base d’un DEC général et plus des trois quarts (72=4) de ceux inscrits sur la base d’un DEC technique l’ont fait .
Outils de collecte des données:
Une fiche sociodémographique a permis d’obtenir des renseignements sur la vie personnelle, scolaire, professionnelle et relationnelle ainsi que sur l’emploi du temps de chaque participant. Le guide d’entrevue, développé aux fins de l’étude, visait à recueillir le point de vue des étudiants sur les motivations et intentions à l’origine de leur choix de programme, les expériences des premiers trimestres à l’université et les changements survenus dans leurs conditions de vie qui ont pu contribuer à leur changement de programme d’études ainsi que sur les stratégies d’ajustement privilégiées. Les principales questions ouvertes du guide étaient les suivantes : « Qu’est-ce qui vous a amené à entreprendre des études universitaires et à faire le choix du programme dans lequel vous étiez inscrit ? », « Que retenez-vous de l’expérience de vos premiers trimestres ? », « Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées en regard de vos différentes responsabilités avant de changer de programme d’études ? », « Comment avezvous fait face aux difficultés que vous avez rencontrées ? », « J’aimerais que vous me racontiez ce qui vous a amené à modifier vos projets d’études », « Vous n’avez sûrement pas pris la décision de changer de programme d’études d’un coup, quels sont les événements qui ont été déterminants pour prendre la décision finale ? », et « Comment vous projetez-vous dans l’avenir au plan des études et de votre vie professionnelle ?». À la suite de leurs réponses spontanées aux questions ouvertes, des sous-questions étaient prévues afin que les étudiants puissent approfondir, au besoin, certaines de leur réponse .
Procédure d’analyse:
L’analyse de contenu des entrevues semi-dirigées s’appuie sur les six étapes proposées par L’Écuyer (1990), soit : 1) les lectures préliminaires et l’établissement d’une liste d’énoncés, 2) le choix et la définition des unités de classification, 3) le processus de catégorisation et de classification (modèle mixte), 4) la quantification et le traitement statistique, 5) la description scientifique et 6) l’interprétation des résultats. Les enregistrements audio et les fiches de synthèse des entrevues ont été écoutées ou relues à plusieurs reprises afin d’avoir une vue d’ensemble du matériel et de dégager un certain nombre de thèmes et de catégories aux fins d’analyse. Plusieurs rencontres d’équipe ont alors permis d’élaborer une grille d’analyse préliminaire (choix et définition des unités de classification). Un modèle mixte a été adopté puisque des catégories ont été préalablement définies à partir des écrits alors que d’autres ont émergé des propos des participants. Par exemple, l’influence des parents, les insuccès scolaires et les changements dans les méthodes de travail étaient des catégories préexistantes, alors que l’approbation de la famille, le manque d’aptitudes lors des stages et l’utilisation de l’humour ont émergé des entrevues. Le découpage minutieux du matériel audio en unités de sens a été effectué à l’aide du logiciel Atlas.Ti tout en respectant les nuances et en conservant le contenu pertinent à la recherche pour chacun des participants. L’équipe s’est réunie à plusieurs reprises afin de finaliser la grille d’analyse et de réduire le nombre de catégories pour éliminer les redondances et les recoupements entre celles-ci. Les unités de sens ont par la suite été classifiées selon cette dernière grille. Les résultats ont été décrits en portant un intérêt sur les ressemblances et les différences qui émergent de l’analyse. Des tableaux de fréquences ont été réalisés pour chacune des catégories afin de complementer l’analyse qualitative. Des extraits d’entrevue particulièrement significatifs ont été retenus pour représenter le contenu des catégories. Finalement, une interprétation des résultats a été tirée directement de l’analyse qualitative. Cette interprétation du contenu manifeste et latent des entrevues a conduit à dégager des profils de changement de programme d’études sur la base des réponses distinctives rapportées par les étudiants et la nature de leur changement. Ces profils ont été révisés en équipe pour s’assurer que les participants de chaque profil présentent suffisamment de similitudes et que la typologie utilisée puisse bien refléter l’ensemble des participants .
Conclusion:
Cette étude fait partie des rares recherches ayant abordé spécifiquement le processus menant des étudiants à changer de programme d’études. Les profils identifiés appuient l’intérêt d’un cadre conceptuel intégratif, tel que souligné par Chen (2003), pour expliquer le processus menant au changement de programme. Bien que l’identification des profils suppose une certaine forme de coupure entre les modèles, elle fait ressortir la plus grande visibilité d’un modèle par rapport aux autres. Néanmoins, de multiples facteurs sont à l’origine de la décision de changer de programme pour bon nombre d’étudiants. Les modèles offrent des perspectives complémentaires pour mieux cerner les choix professionnels des étudiants. En effet, lors des premiers trimestres, un étudiant peut chercher à augmenter le degré de congruence (Holland, 1997) ou de correspondance (Dawis, 1992, 2002, 2005; Dawis & Lofquist, 1984) entre lui et son environnement scolaire, face à certains facteurs de réalité (Ginzberg, 1972, 1984). L’expérience vécue l’amène à approfondir sa réflexion sur lui-même (Super, 1980, 1990), à développer de nouvelles représentations envers la profession qui lui semble la plus intéressante (Gottfredson, 1981, 1996, 2002, 2005) et à accroître son sentiment d’efficacité personnelle (Lent, 2005; Lent, Brown, & Hackett, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION
Problématique
Cadre conceptuel
Approches expliquant le choix professionnel
Séquence chronologique menant au changement de programme d’études
Objectif de l’étude et démarche méthodologique
CHAPITRE PREMIER
Processus menant des étudiants de premier cycle universitaire à changer de
programme d’études
CONCLUSION GÉNÉRALE
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