Notions aérodynamiques
C’est à Ludwig Prandtl qu’on doit l’introduction de la théorie de la couche limite en 1904. Cette théorie stipule que lorsqu’un écoulement libre contourne un corps, il est influencé par la friction générée par l’interaction entre la viscosité du fluide et la paroie de ce corps. Une région appelée couche limite se développe alors autour du corps où les effets visqueux sont très importants. La couche limite se définie par un gradient de vitesse entre la surface d’un corps (où la vitesse est nulle par friction) et la vitesse de l’écoulement libre. Comme montré à la Figure 1.3, la vitesse U d’une particule de fluide loin d’une plaque plane n’est pas influencée par la présence de la couche limite et glisse parallèment sur les couches inférieures du fluide. Il se comporte essentiellement à cet endroit comme un fluide nonvisqueux. En revanche, lorsqu’une particule de fluide se trouve suffisament près de la plaque (dans la couche limite), elle est ralentie de façon non-uniforme par friction suivant le champ de vitesse de la couche limite. Cette particule subit un cisaillement progressif en raison de ce gradient de vitesse. Lorsque la force d’inertie entraînant le fluide à l’intérieur de la couche limite devient beaucoup plus grande que la force visqueuse, la couche limite laminaire devient de plus en plus instable jusqu’à atteindre un régime turbulent. Ce passage de la couche limite laminaire à turbulente est caractérisé par le point de transition qui marque la fin de la zone laminaire et le debut de la zone de transition vers l’écoulement turbulent.
Le point de transition est d’une importance capitale lorsqu’il est question de vol subsonique. En effet, la couche limite dite turbulente a pour effet d’induire une trainée de friction beaucoup plus importante que pour une couche limite laminaire et nuit ainsi aux performances aérodynamiques de l’avion. La transition laminaire-turbulente se déplace généralement vers le bord d’attaque lorsqu’il y a augmentation de la vitesse relative de l’écoulement, souvent désigné par le nombre de Mach, et de l’angle d’attaque. Le nombre de Mach représente le rapport entre la vitesse de l’écoulement et la vitesse du son dans ce même écoulement alors que l’angle d’attaque représente l’angle entre la direction de l’écoulement et la ligne de référence d’un corps, soit la corde dans le cas d’une aile. L’intérêt d’une aile adaptative est de réduire cette zone de turbulence en adaptant le profil selon les conditions de vol. Il est alors nécessaire de repousser le point de transition vers le bord de fuite afin de réduire la traînée par friction et ainsi augmenter la laminarité d’un profil. La Figure 1.4 présente la nomenclature d’un profil d’aile d’avion, où il est possible de bien faire la distinction entre le bord d’attaque, faisant face à l’écoulement, et le bord de fuite, représenté par la section arrière du profil. Il est également important de noter les autres termes importants qui seront mentionnés tout au long de ce mémoire: soit l’intrados, l’extrados, la corde et l’envergure. L’intrados et l’extrados sont respectivement les surfaces inférieure et supérieure de l’aile. La corde représente la droite joignant le bord de fuite au bord d’attaque et se définit comme étant la largeur de l’aile. La corde, c, est souvent utilisée comme référence pour désigner une dimension ou une position relative de l’aile que l’on qualifie en terme de pourcentage de corde (%c). Finalement, l’envergure représente la longueur d’une aile, soit la profondeur de la représentation 2D de la Figure 1.4.
Description du projet
C’est dans cette optique que le projet multidisciplinaire CRIAQ 7.1 a proposé une méthode visant à augmenter la laminarité d’une aile. Le projet CRIAQ 7.1 était la phase précédente au présent projet de recherche où la faisabilité d’un concept d’aile déformable fut démontrée. Le concept visait à déformer l’extrados d’une aile rectangulaire bidimensionnelle (corde constante sur toute l’envergure) afin d’améliorer la laminarité (Botez, Molaret et Laurendeau, 2007). L’aile était composée d’un intrados rigide sur lequel était posé un extrados flexible en composite et contrôlé par le biais de deux rangées d’actionneurs à alliage à mémoire de forme (voir Figure 1.5). La faisabilité de cette aile déformable a été testée en soufflerie subsonique. Il fut prouvé qu’il était possible d’améliorer la laminarité de l’aile avec ce concept en repoussant la transition d’environ 28%c vers le bord de fuite et en réduisant la traînée d’environ 22% (Saintmont et al., 2009). Une commande fut également développée et validée pour le contrôle des actionneurs à alliages à mémoire de forme, où il fut possible de valider les profils déformés en soufflerie subsonique par la détection et la visualisation du point de transition (Grigorie et al., 2012a; 2012b).
Le projet CRIAQ MDO-505 constitue la continuité de ce projet et est réalisé avec les partenaires industriels Bombardier Aéronautique et Thales Canada. L’objectif global du projet est de valider le concept développé dans le précédent projet mais cette fois pour une aile tridimensionnelle. Ce projet multidisciplicaire combine les travaux d’étudiants de l’École de technologie supérieure et de l’École Polytechnique de Montréal pour des disciplines telles que la structure, la commande et l’aérodynamisme. L’optimisation des profils est tout d’abord réalisée par des étudiants du LARCASE de l’ÉTS en utilisant un code d’optimisation maison. Ce code d’optimisation combine un algorithme génétique au logiciel d’analyse aérodynamique XFOIL. L’objectif de l’optimisation aérodynamique est d’améliorer la laminarité en déformant la surface supérieure de l’aile par une représentation mathématique (B-Splines) du profil en 2D. De la même façon que pour le projet précédent, la représentation mathématique de la peau flexible passe par 4 points de contrôle, soit deux points fixes aux extrémités de cette peau flexible et deux points mobiles représentant la course des actionneurs.
Les déplacements des actionneurs sont obtenus comme résultats pour chaque cas optimisé en fonction des conditions de vol à l’étude combinant différents angles d’attaque et nombres de Mach. Les résultats aérodynamiques sont ensuite étudiés en utilisant un code aérodynamique 3D développé par l’équipe du professeur Éric Laurendeau de l’École Polytechnique. Ces analyses aérodynamiques servent premièrement à valider l’optimisation de la laminarité de la géométrie en 3D et seront utilisées comme base de données numériques pour les comparaisons aux résultats expérimentaux de soufflerie. Une technique de commande est également développée au sein du LARCASE pour le contrôle des actionneurs chargés de reproduire les déformations de l’extrados. Le Centre National de Recherche du Canada et Institut Recherche en Aérospatial (CNRC-IAR) est également impliqué dans ce projet à titre de partenaire. Ils assurent la fabrication de la maquette de l’aile et c’est également dans leurs installations que les tests en soufflerie seront réalisés.
La contribution du présent projet de recherche concerne exclusivement la partie structurale de l’aile, plus précisément la conception de la peau déformable en composite. Contrairement au projet de la phase précédente, l’aile déformable doit présenter une rigidité similaire à celle d’une vraie aile d’avion afin de valider la faisabilité structurale du concept. La fixation de la peau sur tout le pourtour se doit également d’être rigide afin de reprendre les charges réelles de vol. Pour toutes ces raisons, un intrados formé d’un bloc très rigide, un système de joint par glissères-ressorts ou encore une peau de composite très mince, tels que proposés lors de la phase précédente du projet, ne peuvent s’appliquer pour cette nouvelle phase. Comme montré à la Figure 1.6, la structure rigide de l’intrados est plutôt composée d’élements structuraux typiques d’une construction d’aile d’avion, incluant notamment des longerons, des nervures et une peau en aluminium munie de raidisseurs. Les déplacements de la peau en composite sont assurés par quatres actionneurs électriques situés à l’intérieur du caisson de voilure central. La peau en composite est ainsi conçue pour être fixée sur le pourtour de cette structure et simplement supportée au centre par ces actionneurs. La déformation est également assurée par les actionneurs de façon à ce que la zone centrale (entre les nervures centrales) permette l’amélioration de la laminarité de l’aile une fois déformée.
Les concepts Il existe deux grandes catégories d’aile adaptatives, soient les ailes adaptatives passives et actives. Bien que plusieurs études démontrent l’efficacité de certains concepts d’ailes adaptatives passives, notamment par l’adaptation aéroélastique passive en fonction des conditions de vol (Anhalt, Monner et Breitbach, 2003), seules les ailes adaptatives actives seront ici traitées. Les travaux de recherche de Barbarino et al. (2011) et de Sofla et al. (2010) ont permis une revue étendue des concepts d’aile adaptative existants. Les concepts sont divisés en trois grandes catégories: les transformations dans le plan, les tranformations hors plan et les ajustements du profil ou de la cambrure. Tableau 2.1 Les concepts d’ailes adaptatives actives Adaptée de Sofla et al. (2010) Les transformations dans le plan comportent trois types de changements géométriques, soit la modification de la corde, de l’envergure ou de l’angle de balayage. La transformation dans le plan est généralement utilisée afin d’améliorer la finesse (ratio portance sur traînée) des ailes. Parmi une revue étendue de ce concept, peu ont su démontrer une application qui soit viable en raison de l’ajout de poid important lié aux mécanismes de déformation.
Plusieurs recherches ont été réalisées visant la modification de l’envergure et certains prototypes ont été testés en soufflerie. Cependant, la plupart utilise des membrures télescopiques afin de permettre de larges déformations, pénalisant souvent les gains aérodynamiques envisagés au départ par un ajout de poid excessif. Seigler, Bae et Inman (2004) ont démontré l’utilisation intéressante d’un concept de l’allongement de l’envergure de façon asymétrique permettant de contrôler le roulis d’un missile. Les travaux sur la modification de la longueur de la corde sont par ailleurs les moins fréquemment étudiés et la littérature montre que «seulement quelques travaux sont à la phase initiale de développement et les applications actuelles visent seulement de petits avions autonomes» (Barbarino, 2011, p. 18). Les variations de l’angle de balayage ont par contre été largement étudiées et on trouve plusieurs applications militaires depuis les années 1950. Plusieurs avions militaires comme le Bell-X-5, le F-111, le F-14 Tomcat et le B-1 ont démontré l’efficacité du concept. Ce système permet d’atténuer les problèmes de compressibilité que subissent ces types d’avion en déployant les ailes en régime subsonique et en les contractant en régime supersonique (voir Figure 2.3). Cependant, pour des raisons comme la sécurité civile, l’ajout de poids important et les coûts élevés associés à cette technologie, notamment pour la maintenance du mécanisme, cette technologie est viable seulement que pour les avions militaires hautes performances.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 MISE EN CONTEXTE
1.1 Motivations
1.2 Notions aérodynamiques
1.3 Description du projet
1.4 Problématique
1.5 Objectifs
CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE
2.1 Les concepts
2.2 Les peaux déformables
2.3 Conception d’aile en composite
2.3.1 Les méthodes analytiques
2.3.2 Méthodes par Éléments Finis
2.4 Optimisation Structurale
2.4.1 Les algorithmes
2.4.2 Les types d’optimisation structurale
2.4.3 Processus d’optimisation
2.4.4 Processus d’optimisation des structures composites
2.5 Validation analytique
2.5.1 Flambage
2.5.1.1 Flambage en bicompression
2.5.1.2 Flambage en cisaillement
2.5.1.3 Interaction compression-cisaillement
2.5.2 Résistance du laminé
2.5.3 Analyse de joints boulonnés
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE
3.1 Analyse préliminaire
3.2 Optimisation de la peau en composite
3.2.1 Étape 1: Optimisation Free-Size
3.2.2 Étape 2: Optimisation dimensionnelle
3.2.3 Étape 3: Optimisation de la séquence d’empilement
3.3 Validation analytique
3.3.1 Flambage
3.3.2 Résistance du laminé
3.3.3 Analyse des joints boulonnés
CHAPITRE 4 ÉTUDE DU CONCEPT DE L’AILE ADAPTATIVE
4.1 Présentation de la géométrie
4.2 Contraintes géométriques
4.3 Modèle par éléments finis
4.4 Cas de chargement
4.4.1 Théorie
4.4.2 Modélisation des cas de chargement
4.5 Étude de convergence du maillage
4.6 Analyse structurale
4.6.1 Analyse des contraintes
4.6.2 Analyse de flambage
4.7 Analyse des déformations
4.7.1 Analyse des formes
4.7.2 Analyse des forces d’actionnement
4.8 Discussion
CHAPITRE 5 OPTIMISATION DE LA PEAU EN COMPOSITE
5.1 Configuration des raidisseurs
5.1.1 Résultats – Erreur sur la forme
5.1.2 Résultats – Force résultantes des actionneurs
5.2 Conditions limites
5.3 Optimisation de la peau en composite
5.3.1 Optimisation dimensionnelle libre (Free-Size)
5.3.1.1 Fonction objective
5.3.1.2 Résultats de l’optimisation Free-Size
5.3.2 Optimisation dimensionnelle
5.3.2.1 Fonction objective
5.3.2.2 Résultats de l’optimisation dimensionnelle
5.3.2.3 Simplification du modèle
5.4 Résultats et discussion
CHAPITRE 6 VALIDATION STRUCTURALE DE LA PEAU ADAPTATIVE
6.1 Validation de la rigidité
6.2 Analyse par éléments finis
6.3 Validation analytique
6.3.1 Vérification analytique des raidisseurs en flambage
6.3.1.1 Calcul de la charge axiale admissible en compression
6.3.1.2 Calcul de la charge en cisaillement admissible
6.3.1.3 Calcul de la charge en flexion admissible
6.3.1.4 Calcul de la marge de sécurité en flambage des raidisseurs
6.3.2 Vérification analytique des panneaux en flambage
6.3.2.1 Calcul des charges admissibles
6.3.2.2 Calcul de la marge de sécurité en flambage des panneaux
6.3.3 Vérification analytique de la résistance du laminé
6.3.4 Analyse des joints boulonnés
6.3.4.1 Modélisation des CBUSH
6.3.4.2 Marge de sécurité
6.4 Discussion
CONCLUSION
RECOMMANDATIONS
ANNEXE I DESIGN, MANUFACTURING AND TESTING OF A SMALLSCALE
COMPOSITE MORPHING WING
ANNEXE II ÉTUDE DES FORCES DE RÉACTION SUR LA PEAU
D’ALUMINIUM
ANNEXE III FORCES DE RÉACTION DES ACTIONNEURS POUR LES CAS
DE SOUFFLERIE
ANNEXE IV M.S. EN RÉSISTANCE DU LAMINÉ DES PANNEAUX
ANNEXE V M.S. EN RÉSISTANCE DU LAMINÉ DES RAIDISSEURS
ANNEXE VI INTERFACE DU PROGRAMME LJ 85 BJSFM-GO.V9
ANNEXE VII RÉSULTATS DES MARGES DE SÉCURITÉ DU BJSFM
BIBLIOGRAPHIE
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