Dynamiques hybrides et processus de Markov
Avant de présenter plus en détail nos contributions, et afin de bien situer notre travail dans la littérature concernant les systèmes hybrides stochastiques, nous établissons dans la suite de cette section une typologie des différentes classes de modèles qui ont été considérées jusqu’à présent .
Cette courte bibliographie s’inspire en partie du travail de Bujorianu et al. (2003) et Pola et al. (2003), à qui nous empruntons en particulier la distinction essentielle entre les sauts forcés et les sauts spontanés, que nous réutiliserons tout au long du mémoire : les sauts forcés sont ceux qui surviennent lorsque l’état Xt rencontre un certain sous-ensemble de l’espace d’état E (que l’on appelle généralement la garde); les sauts spontanés sont des sauts « imprévisibles », auxquels on peut – le plus souvent – associer une intensité stochastique λ(Xt) comme dans le cas d’une chaîne de Markov à temps continu (CMTC).
Remarque. Nous avons pris d’emblée le parti de définir le caractère hybride d’un modèle par rapport à sa dynamique, d’une manière qui présuppose une représentation continue du temps. Cependant, certains auteurs parlent également de modèle hybride dès lors que l’espace d’état E n’est pas connexe, par exemple lorsqu’il est de la forme E = Q × Rⁿ, où Q est un ensemble dénombrable : on peut alors tout à fait, de ce point de vue, qualifier d’hybrides certains modèles à temps discret, mais ils ne possèdent pas une « dynamique hybride » au sens où nous l’avons défini. Les deux points de vue sont bien sûr reliés, en temps continu, puisqu’un système évoluant sur un espace d’état hybride ne peut changer de mode (i.e. de composante connexe) sans effectuer un saut. Nous noterons systématiquement Xt = (Qt,Zt) l’état hybride lorsque E = Q × Rⁿ : on appelle Qt la composante discrète, ou mode, et Zt la composante continue .
Années 60 et 70 : modèles à sauts de paramètres markoviens et EDS à sauts
Durant les années 60 et 70, la notion de système hybride correspondait essentiellement à ce que l’on appelle maintenant des modèles à « sauts de paramètres markoviens », c’est-à-dire des modèles construits sur un espace d’état de la forme E = Q × Rⁿ, où Q est un ensemble fini, dans lesquels la composante discrète Qt ∈ Q est une CMTC. La dynamique de la composante Zt ∈ Rⁿ peut être décrite par une Équation Différentielle Ordinaire (EDO), auquel cas on parle de modèle « non diffusif », ou plus généralement par une Équation Différentielle Stochastique (EDS), auquel cas on parle de modèle « diffusif ».
Le contrôle optimal de tels systèmes, dans le cas non diffusif, a été étudié à partir du début des années 60 (Krasovskii et Lidskii, 1961 ; Lidskii, 1963) et a donné lieu ensuite à de nombreux travaux (voir, par exemple, Rishel, 1975a,b ; Sworder, 1969, 1976). Le cas où l’EDO est linéaire, par rapport à la composante continue de l’état et par rapport au contrôle, est traité en détail par Mariton (1990) sous le nom de jump linear system. Des modèles diffusifs à sauts de paramètres markoviens ont été considérés à peu près à partir de la même époque, par différents auteurs (Davis, 1975 ; Fujishige et Sawaragi, 1974 ; Sawaragi et al., 1974 ; Shiryaev, 1966), du point de vue du filtrage et du contrôle optimal. Le terme brownien joue le rôle de bruit d’état et/ou d’observation. Lorsque la composante continue Zt est observée, mais pas la composante discrète Qt, on parle aussi de « modèle de Markov caché » (Hidden Markov Model, HMM), même si ce terme est le plus souvent réservé à des modèles à temps discret (voir par exemple Elliott et al., 1995, qui traite parallèlement les HMM à temps discret et à temps continu). Les modèles à sauts de paramètres markoviens permettent de considérer des systèmes dont les caractéristiques sont susceptibles de varier soudainement, de façon imprévisible. De nombreux phénomènes peuvent être capturés de cette manière : le passage de nuages devant les héliostats d’une centrale solaire (Sworder et Rogers, 1983), les pannes dans un atelier de production (Malhamé et Boukas, 1991), ou encore les changements de modes de déplacement d’un piéton (Wakim et al., 2004) ou d’une cible manœuvrante (Lasdas et Davis, 1989).
Remarque. Tous les processus de Markov que nous avons regroupés sous l’appellation « modèles à sauts de paramètres markoviens » sont des cas particuliers de la théorie des évolutions aléatoires, initiée par Griego et Hersh (1969, 1971), et exposée en détail par Pinsky (1991).
Par ailleurs, au cours des années 70, le calcul stochastique s’est généralisé aux processus à trajectoires discontinues, ce qui a permis d’envisager des « EDS à sauts» sur E = Rⁿ, c’est-à-dire des EDS dirigées non plus seulement par un mouvement brownien, mais aussi par une mesure aléatoire de Poisson (Jacod, 1979). Des modèles non diffusifs, construits à l’aide d’une EDS dirigée par un processus de Poisson, ont ainsi été utilisés pour modéliser le bruit de grenaille en électronique (Gardiner, 1985), les catastrophes en théorie de l’assurance (Jang et Krvavych, 2004), ou encore la dynamique d’une ressource renouvelable sujette à des variations exceptionnelles (Hanson et Tuckwell, 1997). On qualifie, plus généralement, de jump-diffusion les modèles qui s’expriment sous la forme d’une EDS contenant à la fois un terme de diffusion et un terme de saut. L’utilisation de tels processus en mathématiques financières a été initiée par Merton (1976) ; consulter par exemple Cont et Tankov (2003) pour un exposé détaillé sur ce sujet. (Signalons que de telles EDS à sauts permettent de considérer des modèles dans lesquels l’ensemble des temps de sauts est dense dans R+, et ne peut donc pas être ordonné en une suite croissante τ1 < τ2 < … : par exemple une EDS dirigée par un processus de Lévy dont la mesure de Lévy n’est pas finie. Un tel processus ne possède pas une dynamique hybride au sens où nous l’entendons.) .
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Table des matières
I Introduction
1 Présentation générale du sujet
2 Dynamiques hybrides et processus de Markov
3 Plan de la thèse
4 Publications relatives à ce travail
II Processus diffusifs par morceaux : définition, constructions, et propriétés
1 Introduction
1.A Objectifs et plan du chapitre
1.B Le formalisme de la théorie des processus de Markov
2 Définition et propriétés élémentaires
2.A Des processus de diffusion aux processus diffusifs par morceaux
2.B Pourquoi considérer des processus non conservatifs ?
2.C Sauts prévisibles et totalement inaccessibles
2.D Passé strict et noyaux de réinitialisation
3 Contructions de processus diffusifs par morceaux
3.A Introduction
3.B Mise en œuvre du théorème de renaissance
3.C Construction à partir d’un processus de base conservatif
3.D Quelques lemmes techniques
III Systèmes hybrides stochastiques
1 Introduction
2 Quels ingrédients pour un système hybride stochastique ?
2.A L’espace d’état hybride
2.B Équation différentielle stochastique et processus de base
2.C Construction d’un SHS à partir de son processus de base
2.D Conditions suffisantes pour que le processus soit conservatif
2.E Formule d’Itô généralisée et réalisation canonique
3 Générateur infinitésimal et formule de Dynkin
3.A Introduction, définitions et notations
3.B Compensation des sauts et système de Lévy
3.C Le processus •Mϕ,h et la formule de Dynkin généralisée
3.D Un résultat concernant le deuxième générateur étendu
4 Sauts forcés et phénomène de Zénon : deux exemples
4.A Le modèle de Malhamé-Chong étendu à deux pièces
4.B Le modèle de la balle qui rebondit, avec une force aléatoire
IV Équations de Fokker-Planck-Kolmogorov généralisées
1 Introduction
1.A De la formule de Dynkin à l’équation de Fokker-Planck
1.B Hypothèses et notations
2 L’équation de FPK abstraite
2.A La notion d’intensité moyenne de sauts
2.B Établissement de l’équation de FPK abstraite
2.C Calcul des termes de l’équation lorsqu’une ddp regulière existe
3 Quelques exemples d’équations de FPK généralisées
3.A Équation de Liouville, de Fokker-Planck, et équation maîtresse
3.B Diffusions alternantes et généralisation
3.C Une classe remarquable de modèles à sauts forcés
V Application au calcul de la loi stationnaire pour des SHS à sauts forcés
1 Introduction : résolution numérique de l’équation de FPK généralisée (pourquoi
et comment)
1.A Un rapide état de l’art des méthodes numériques
1.B Choix d’une approche adaptée pour un problème donné
1.C Plan du chapitre
2 Le modèle de Malhamé et Chong à deux dimensions
2.A Existence et unicité de la loi stationnaire, f-ergodicité exponentielle
2.B Un schéma en volumes finis
2.C Référence Monte-Carlo : un schéma d’Euler amélioré
2.D Résultats numériques
3 Étude d’un modèle d’éolienne à vitesse variable
3.A Description du modèle
3.B Construction d’un processus diffusif par morceaux
3.C L’équation de FPK généralisée
3.D Schéma de discrétisation
3.E Résultats numériques
3.F Conclusions
Conclusion
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