Les produits transformés prennent de plus en plus de place dans notre régime alimentaire. Cette évolution quantitative a été suivie par l’évolution de l’importance accordée à la qualité nutritionnelle, sanitaire et organoleptique des aliments transformés. Parmi les critères de qualité les plus importants figure la texture, un paramètre qui dépend des ingrédients qui composent l’aliment, du procédé de fabrication et du mode de conservation.
Lors de leur élaboration, les produits transformés passent souvent par des traitements thermiques. Ce genre de traitement, ayant lieu dans des échangeurs de chaleur, peut être accompagné par des transformations biochimiques et/ou mécaniques du produit alimentaire. Le produit en cours de transformation peut être le siège d’un changement de phase, d’un écoulement polyphasique et dans certains cas d’un cisaillement élevé. La formulation et le niveau de température et du cisaillement conditionnent ces transformations et peuvent faire évoluer la structure et la texture du produit. La compréhension de l’effet de ces paramètres sur les différents phénomènes : les transferts thermiques, la transformation au sein du produit et l’écoulement de ses composants permettrait de prédire l’évolution du produit et de mieux maitriser le procédé afin d’aboutir à la qualité souhaitée du produit final.
Les sorbets et les crèmes glacées sont parmi les produits qui passent par des traitements thermiques variés et connaissent d’importantes transformations structurales lors de leur élaboration. Dans ce cas de produits, il y a une impression largement répandue que les qualités organoleptiques d’une crème glacée ne dépendent que de la recette et de la compétence de son élaborateur, mais elles dépendent en fait très largement des technologies employées pendant la fabrication et du choix des paramètres opératoires.
La crème glacée est une structure complexe et multiphasique composée de glace, d’air et de matière grasse dispersée selon des tailles différentes, dans une phase continue (solution sucrée) formant la matrice. Le diagramme de fabrication comporte à son tour plusieurs opérations unitaires telles que le mélange des ingrédients, la pasteurisation, la pré-congélation et la congélation. Pour conférer à la crème glacée une microstructure optimale, l’industriel doit maîtriser à la fois la formulation (quantité et types des ingrédients tels que les stabilisants) et les paramètres du procédé (barèmes thermiques, agitation…).
Peu d’études se sont intéressées à l’étape de pré-congélation, notamment à l’influence couplée de l’histoire mécanique et de la cinétique thermique sur le produit en cours de transformation. Cette étape est complexe du fait de la multitude des phénomènes qui interviennent. En effet, durant cette étape qui a lieu dans un échangeur particulier : échangeur à surface raclée ou freezer, différents phénomènes ont lieu. Il y a d’abord le refroidissement sous agitation du liquide contenant l’ensemble des ingrédients et appelé mix, au niveau de la paroi puis au centre de l’échangeur. Ensuite, il y a apparition de cristaux de glace et plus rarement de lactose. Les premiers cristaux apparaissent au niveau de la paroi de l’échangeur avant d’être raclés et de migrer vers l’intérieur et d’induire l’apparition d’autres cristaux. Les cristaux ainsi formés, vont se multiplier et croitre et par conséquent, la viscosité du sorbet ainsi formé augmente. D’autres mécanismes tels que l’agrégation et l’attrition peuvent avoir lieu. Plusieurs phénomènes interagissent donc et déterminent l’évolution du produit. Cette succession – et même chevauchement – de phénomènes et de mécanismes se traduit par la difficulté à étudier (par les techniques expérimentales classiques) et à prédire (par les modèles physiques existants) l’évolution du produit, notamment quand la glace formée atteint des teneurs élevées.
PROCEDES DE FABRICATION DES SORBETS ET CREMES GLACEES
Structure et ingrédients
La crème glacée est une combinaison d’une mousse et d’une émulsion partiellement congelées . Ce système hétérogène et complexe comprend notamment des globules gras, des bulles d’air et un réseau de cristaux de glace, tous dispersés dans une solution aqueuse visqueuse macromoléculaires (Stanley et al., 1996).
Les proportions de ces différentes phases varient selon la formule. Généralement, la crème glacée est composée d’environ 50% en volume d’air incorporé. Le reste est un mélange de 60-65% d’eau en poids, de 10-15% de matière grasse, 10% de solides de lait, 15% de sucres. La différence principale entre crèmes glacées et sorbets est que ces derniers ne contiennent pas de matière grasse. L’eau se trouve dans cette structure à la fois dispersée et dispersante. La phase dispersée sous forme de cristaux, est indisponible comme solvant pour les autres ingrédients et comme réactif pour d’éventuelles réactions biochimiques. La phase dispersante consiste en de l’eau liée aux différents polymères présents tels que les protéines et les hydro-colloïdes ajoutés.
Préparation du mix
Les ingrédients sont initialement introduits et mélangés. Le mix subit ensuite une pasteurisation puis une homogénéisation. Ces premières étapes dispersent notamment la matière grasse en des globules gras plus petits et plus uniformes. Par exemple, dans un lait à 3,5% de matières grasses, l’homogénéisation réduit le diamètre moyen du globule gras de 3,3 à 0,4 µm (Walstra et Jenness, 1984 d’après Goff, 1997). Cette diminution de la taille des globules gras offre une meilleure capacité au fouettage et un produit final plus crémeux et plus uniforme. Le mix est ensuite refroidi avant la maturation. Cette dernière étape correspond à une maturation physicochimique : les globules gras sont partiellement cristallisés ; les protéines du lait et les stabilisants sont mieux solubilisés et les protéines sont adsorbées sur les globules gras. Une certaine augmentation de la viscosité survient au cours de cette étape. Ces modifications contribuent à faciliter le foisonnement, à produire un produit final de texture encore plus crémeuse et à stabiliser la glace vis à vis de la fonte. D’autres ingrédients tels que les arômes, les colorants et les fruits peuvent être ajoutés.
Congélation du mix
La congélation de la crème glacée est constituée de deux étapes distinctes: le glaçage et le durcissement.
Le glaçage (ou pré-congélation) du mix s’effectue en continu dans un échangeur de chaleur à surface raclée appelé « freezer » permettant une formation rapide des cristaux de glace et l’incorporation des bulles d’air . Il est à la fois un échangeur de chaleur à surface raclée et un mélangeur. Il est équipé d’un rotor en acier inoxydable muni de lames racleuses qui tournent à 100-200 tours par minute à l’intérieur d’un tube métallique.
Ces lames racleuses permettent d’arracher les cristaux de glace formés à la surface. Pour congeler l’eau, on utilise des fluides frigorigènes tels que l’ammoniac que l’on fait évaporer dans une double enveloppe à des températures comprises entre -30 et -20°C.
Le glaçage doit être réalisé le plus rapidement possible afin d’obtenir des cristaux de glace de petite taille. Le mix entre à une température proche de 0°C et à la sortie, les températures peuvent varier entre -3,5 et -7°C en fonction du type du produit fabriqué. En effet, la température de sortie correspond à une concentration de cristaux de glace et donc à une consistance. Des températures de sortie du produit plus basses que -10°C peuvent être obtenues dans des systèmes à deux étapes de congélation. Plus récemment, pour obtenir des températures de sortie de l’ordre de -15°C, des extrudeurs bivis dits « à basse température » ont été utilisés (Bollinger et al., 2000, Windhab et al., 2001). Une fois que le mix est pré-congelé pendant le glaçage, il va être conditionné selon le produit désiré et va subir le durcissement ou congélation finale. Dans cette étape, le produit passe dans un tunnel de congélation à convection forcée d’air où les températures sont de l’ordre de -30 à -40°C afin d’obtenir un produit en sortie à -20°C au centre du produit. Le produit est alors entreposé à une température réglementaire de -23°C. Cette température doit être maintenue pendant toute la chaîne du froid afin d’éviter des remontées de température du produit qui pourraient être néfastes à la qualité finale du produit. Les variations de température provoquent une fusion partielle et une recristallisation sous forme de cristaux de glace plus gros au cours du stockage (maturation d’Ostwald).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I – Etude Bibliographique
I.1 Procédés de fabrication des sorbets et crèmes glacées
I.1.1 Structure et ingrédients
I.1.2 Fabrication des crèmes glacées
I.2 Echangeurs de Chaleur à Surface Raclée (ECSR)
I.2.1 Ecoulements
I.2.2 Transfert thermique interne sans changement de phase
I.2.3 Transfert thermique interne avec changement de phase
I.3 Notions thermodynamiques de la cristallisation
I.3.1 Diagramme des phases de l’eau pure
I.3.2 Abaissement du point de congélation de l’eau dans une solution aqueuse
I.3.3 Diagramme de phase de la solution aqueuse de sucre
I.4 Mécanismes et aspects cinétiques de la cristallisation
I.4.1 Nucléation
I.4.2 Croissance
I.4.3 Cristallisation dans les échangeurs de chaleur à surface raclée
I.5 Détermination de la distribution de taille des cristaux (CSD : Crystal Size Distribution)
I.5.1 Importance des tailles des cristaux dans la texture des crèmes glacées
I.5.2 Notions de granulométrie, fonctions de distribution et densité de population
I.5.3 Techniques de détermination de CSD
I.5.4 Systèmes optiques à imagerie
I.5.5 Systèmes optiques sans imagerie : dispersion de la lumière
I.5.6 Systèmes non optiques
I.5.7 Conclusion
I.6 Modélisation des écoulements et des transferts dans un ECSR
I.7 Modélisation de la cristallisation
I.7.1 Approche par bilan de population
I.7.2 Approche couplée bilans de population – CFD
I.8 Rhéologie des sorbets et crème glacée
I.8.1 Caractérisation rhéologique avant le glaçage et la congélation
I.8.2 Caractérisation rhéologique après glaçage et congélation
I.8.3 Caractérisation rhéologique des coulis de glace et sorbets alimentaires
I.8.4 Caractérisation rhéologique en cours de transformation
I.9 Conclusion de la partie bibliographique
Chapitre II – Matériels et méthodes
II.1 Présentation du simulateur expérimental d’ECSR
II.1.1 Instrumentation du simulateur
II.1.2 Réfrigération du simulateur
II.2 composition des solutions testées
II.3 Description des méthodes de mesure : étude thermique
II.4 Description des méthodes de mesure : étude rhéologique
II.4.1 Dispositif expérimental
II.4.2 Calibration et validation des mesures rhéologiques
II.4.3 Choix des vitesses de rotation
II.5 Description des méthodes de mesure : photo-microscopie
II.5.1 Préparation des cristaux
II.5.2 Système optique
II.6 Description des méthodes de mesure : Etude de la taille des cristaux par la sonde FBRM
II.6.1 Dispositif expérimental
II.6.2 Variables mesurées et calculées
II.7 Protocole expérimental de la congélation
II.8 Paramètres étudiés
Chapitre III – Résultats : Etude rhéologique
III.1 Etude du cas de référence
III.1.1 Evolution attendue
III.1.2 Evolution observée et interprétations
III.2 Essai d’établissement de rhéogrammes à vitesse de raclage fixée
III.2.1 Influence attendue de l’augmentation de la vitesse de cisaillement sur le comportement rhéologique du sorbet
III.2.2 Influence observée et interprétations
III.3 Effet de la température du bain de refroidissement (Tb)
III.3.1 Influence attendue de la température du bain de refroidissement (Tb) sur la rhéologie du sorbet
III.3.2 Influence observée et interprétations
III.4 Effet de la vitesse du racleur
III.4.1 Influence attendue de la vitesse du racleur sur les mesures des couples
III.4.2 Influence observée et interprétation
III.5 Effet de la concentration en sucre
III.5.1 Influence attendue de la concentration en sucre de la solution initiale sur la viscosité du sorbet
III.5.2 Influence observée et interprétations
III.6 Effet de la formulation
III.6.1 Effet attendu de l’ajout du xanthane
III.6.2 Effet observé et interprétations
III.7 Conclusion
Chapitre IV – Résultats : visualisation des cristaux de glace par photo-microscopie
IV.1 Protocole expérimental 1 : Visualisation après filtration et dispersion des cristaux
IV.1.1 Limites de la filtration
IV.1.2 Visualisation
IV.1.3 Discussion des résultats de dispersion
IV.2 Protocole expérimental 2 : Visualisation directe dans la cellule à écrasement
IV.2.1 Visualisation
IV.2.2 Discussion
IV.3 Conclusion
Chapitre V – resultats : Etude avec la technique Fbrm
Conclusion