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PROBLEMATIQUE ET ENJEUX DE LA RECHERCHE
Les spécialistes de l’oralité africaine attribuentla prééminence de la littérature orale dans le continent à sa fonction sociale. Le tari, au sens de cérémonie, demeure une des festivités principales du grand mariage. Or, le grand mariage est la coutume phare des îles Comores. Toute personne voulant s’in tégrer dans les affaires de la communauté est fortement recommandée de se plier à cette coutume. De plus, dans une société où le groupe occupe la première place,le mariage ne peut qu’être un instrument du groupe. En même temps, il revêt pourl’individu une très grande importance. I1 reste pour l’homme le moyen d’acquéri les statuts d’époux et de père, conditions reconnues de son accomplissement dans ce groupe. Les chants entonnés lors de cette cérémonie, objet de notre recherche,reflètent cette réalité socioculturelle. C’est la raison pour laquelle l’étude de ces chants peut révéler l’identité culturelle de l’île, voire son système de valeurs.
Si l’on regarde de près les sources des chants entonnés lors des différentes cérémonies faisant recours autari, on peut déceler des origines religieuses puisque certains ont gardé leur teinte religieuse, caractère qui auraient eu ces chants avant de devenir profanes dans leur majorité. Finalement, la cérémonie s’est ancrée dans le répertoire culturel de l’île. Ces origines religieuses justifient la présence d’éléments issus de la culture musulmane, notamment les élogesau prophète Mahomet, les prières de tout genre adressées à Allah, etc. Figurent également des éléments propres à la culture anjouanaise comme la prise en compte de critères ethniques (ascendance à la famille du prophète), le choix du mari ou de l’épouse. Ces exemples prouvent combien sont présents à l’intérieur des chants des élémentsqui peuvent renseigner sur la culture de l’île d’Anjouan, d’où l’intérêt de cette recherche.
Au niveau de l’utilisation, on remarque que son usage est omniprésent dans toutes les occasions de la vie sociale. Bien évidemment, c’est dans le grand mariage que la production de chants foisonne. Cependant, presque toutes les occasions de la vie culturelle de la communauté font appel au tari. De l’accueil d’un étranger ou de personnalités importantes (politiques, religieuses, étudiants) en passant par les cérémonies de circoncision et autres, l’usage dutari reste omniprésent dans la société anjouanaise. Voilà pourquoi ce genre de littérature orale mérite l’attention des chercheurs qui s’intéressent aux phénomènes culturels. Il n’est un mystère pour personne aujourd’hui que la modernité apportée parla culture occidentale menace les cultures africaines. Or, la question de l’identité face à l’uniformisation du monde par la mondialisation est une question d’actualité et devrait nous interpeler, puisque un individu sans identité c’est comme une personne sans âme propre qui a besoin d’emprunter les âmes des autres pour survivre. L’objectif dans notre thèse c’est d’analyser les chants du tari, de relever ses spécificités afin de démontrer leur apport dans laformation de l’identité anjouanaise. Nous voudrions prouver que ces poèmes ne servent pas seulement à enchanter les oreilles des gens, mais qu’ils jouent un rôle précis dans la société. La problématique envisagée pour la thèse vise précisément à montrerl’apport du tari dans la construction de l’identité culturelle anjouanaise. En quoi le tari est-il l’expression de l’identité culturelle anjouanaise et quel est son impact dans la société ?C’est la grande question à laquelle nous tenterons d’apporter des éléments de réponse dans notre thèse. En utilisant un certain nombre d’approches littéraires adaptées à notre objet d’étude, notamment l’approche ethnolinguistique, nous pensons y parvenir.
Mais la finalité de cette étude est de montrer lerôle et la place de la femme au sein de la société. Car, nous estimons que la femmeanjouanaise est au cœur de la vie traditionnelle : les femmes sont les garantes des traditions aux Comores. Cette réalité ne devrait pas passer inaperçue auprès du grand public. Nous pensons qu’il faut donner à la femme anjouanaise la place qu’elle mérite dans la société. Cela permettra de corriger de nombreuses injustices faites à la fe mme comorienne et ainsi renforcer son rôle dans un environnement social dominé par les hommes. Le tari constitue la preuve irréfutable de ce rôle joué par la femme dans la diffusion et la sensibilisation des pratiques culturelles de l’île.
Nous avons choisi de faire une étude qui prend encompte deux dimensions des sciences humaines : la littérature et l’anthropologie. Nous pensons que la littérature doit nous aider à comprendre les faits sociaux. Par exemple, l’intérêt de l’identité, qui est un principe unificateur d’un ensemble de phénomènes sociaux, réside dans sa capacité à jouer dans un grand nombre de recherches le rôle d’un objet prétexte. Mais, précisons d’abord les hypothèses qui sous-tendent cette recherche.
L’APPROCHE ETHNOLINGUISTIQUE
L’ethnolinguistique, définie comme l’étude des lationsre entre la langue, la culture et la société, est l’une des approches quenous allons adopter pour analyser notre corpus. C’est une approche à cheval entre deu x disciplines des sciences humaines que sont la linguistique et l’ethnologie. Elle considère, en effet, la littérature orale comme un champ privilégié des manifestationslangagières dans un contexte culturel précis. L’ethnolinguistique considère le exte et la culture dans sa globalité et nécessite la prise en compte d’un certain nombre d’éléments. Ces éléments s’organisent autour de quatre pôles principaux qui commandent l’étude : le texte, le contexte, l’agent et la langue. Dans son article intitulé « La recherche du sens en littérature orale » paru dans la revue Terrain en 1990, G. Calame-Griaule développe ces quatre éléments essentiels pour la compréhension des textes oraux.
Elle entend par texte aussi bien les œuvres de li ttérature orale enregistrées et transcrites que leur délivrance orale au moment de la performance. En ce sens, tout texte constitue une unité irremplaçable.
Le contexte comprend des données telles que l’environnement naturel, la culture matérielle, l’organisation sociale et religieuse, mais aussi la vision du monde, qui est « l’interprétation par le groupe humain de la réalité qui l’entoure ». Cet ensemble contextuel a une influence directe sur le contenu du texte comme message. Mais inversement, le texte a une influence sur le contexte. En véhiculant les modèles culturels d’une génération à une autre, ou plus simplement d’un auditeur à un autre, le texte contribue à leur reproduction et joue le rôle d’un conservatoire des valeurs traditionnelles. Cette dernière remarque fonde la raison d’être de ce projet de thèse. C’est surtout en ce sens que nous entendons relever les marques de l’identité culturelle anjouanaise dans le tari. La majorité des chants de mariage affiche, par exemple, une importance particulière sur l’appartenance familiale ou ethnique. C’est une réalité sociale toujours actualisée et surtout magnifiée à travers les chants du tari et qui rappelle sans cesse à la société les avantages de ce système. De bouche à oreille, et dans son contexte spécifique, ce discours continue d’alimenter l’esprit des habitants. C’est un fait culturel que le tari véhicule dans ses vers depuis des générations.
L’agent (ou le groupe d’agents) transmetteur des chants sont les femmes mariées dans les voies de la tradition. Seule cette catégorie sociale est habilitée à entonner ces chants publiquement. La langue dans laquelle est énoncé le texte est ‘outil de communication propre au groupe social concerné, le code d’expression commun à tous ses membres. Toutes les subtilités de la langue sont exploitées pour donner aux chants le contenu et la beauté du verbe. «C’est la langue qui donne au texte le moule dans lequel il prend sa forme et son expressivité»10. En effet, un effort considérable est effectué dans le choix des mots, la syntaxe est travaillée et les figuresde style abondent dans les poèmes. Cet extrait du chant N°3 donne un exemple d’une métaphore subtile. Sourire ! Aujourd’hui le sourire nous illumine.
L’auteur ajoute qu’il existe des normes qui régissent la littérature orale. Il entend par normes « toutes les règles d’actualisation des textes oraux ». Ces normes sont en rapport avec la fonction sociale de la littérature orale et peuvent comporter :
· un système de règles et d’interdits auxquels est soumise la performance des textes et qui concernent : le temps, le lieu, les personnes. Exemple : jusqu’à la fin des années 90, le tari du grand mariage pouvait se célébrer le jour, mais pour des raisons religieuses et culturelles, la cérémonie est interdite le jour à partir des années 2000 ; elle se déroule uniquementla nuit, dans un lieu plus ou moins couvert et seules peuvent y participer les femmes ayant été mariées dans les voies de la tradition.
· l’appropriation des répertoires (par sexe, par clase d’âge…) .
· la spécificité de certains genres réservés à des occasions bien définies et à des personnes bien précises .
· l’utilisation pédagogique ou initiatique de la littérature orale, etc.En interdisant la cérémonie aux jeunes filles jusqu’au mariage, donc l’accès aux chants et à l’espace public, cela contribue à leur préserver et sert de leçon pour qu’elles se gardent jusqu’au mariage.
L’APPROCHE THEMATIQUE
La thématique est une approche initiée par JorgePoulet, J. Starobinski, J.P. Richard, J. Rousset, G. Bachelard… Le but de cette approche est de mettre en relief les idées directrices d’une œuvre littéraire ou son sens premier.
Le thème est un élément sémantique qui se répètetraversà une œuvre ou un ensemble d’œuvres. Le principal critère pour repérer un thème c’est donc la répétitivité formelle ou sémantique. La recherche d’un thème consiste à détecter une marque, un penchant personnel ou collectif, une caractéristique. Le critère d’originalité dans la recherche thématique est aussi déterminant. Le thème ne se tuesi pas seulement dans le contenu, il peut aussi être une caractéristique de l’œuvre de l’auteur ou de tout l’ensemble textuel. C’est l’idée fondamentale de l’approche thématique.
La thématique ne se contente pas d’étudier les thèmes. D’une manière générale, la lecture thématique se veut « totale »,c’est-à-dire une lecture qui a pour but de dévoiler toute la cohérence, d’articuler toute parenté secrète entre les différents éléments dispersés. D. Bergy la précise alors ainsi: « La lecture thématique ne se présente jamais comme un relevé de fréquence ; elle tend à dessiner un réseau d’associations significatives et récurrentes ; ce n’est pas l’insistance qui fait sens, mais l’ensemble des connexions que dessine l’œuvre, en relation avec la conscience qui s’y exprime. ».
Du fait de la nature anonyme des « auteurs » tari, c’est-à-dire du fait qu’il n’est pas le fruit de la création d’un individu singulier, nous ne nous préoccuperons pas de la recherche d’un penchant individuel, comme le cas des productions littéraires solitaires. En revanche, nos investigations avec cette approche se focaliseront sur une thématique relative à la conscience collective. Autrement dit, il s’agira de relever les thèmes qui renvoient aux valeurs collectives de la société. Prenons un exemple concret pour illustrer ce propos. Dans le chant N°1 de notr e corpus, le thème principal est celui de l’ enfant. D’autres thèmes viennent se greffer autour de ce thème, devenant des motifs importants pour celui-ci. En effet, le thème de l’enfant, dans le contexte du mariage (puisque c’est un tari de grand mariage), doit être appréhendé sous l’aspect socioculturel. Aux Comores, un homme ou une femme reste toujours un enfant aux yeux de ses parents quel que soit son âge ou son st atut social. Il revêtira ce statut jusqu’à l’accomplissement de son mariage. Le mariag e revêt, en effet, pour l’individu une très grande importance. I1 reste pour l’homme el moyen d’acquérir les statuts d’époux et de père, conditions reconnues de son accomplissement dans la communauté, son accession à l’autonomie et à la lib erté. Cette autonomie atteint son degré le plus élevé par le mariage. Or, l’union d’un homme et d’une femme implique également la prise en compte des facteurs ethniques ou familiaux. Car l’« enfant », c’est-à-dire l’individu n’est homme que par son asc endance, son ethnie, et plus près, par sa famille. Les enjeux sont ethniques et familiaux. Lorsqu’un homme demande la main à une fille, le seul facteur généalogique peutjouer en sa faveur ou au contraire constituer un obstacle pour l’union. L’apport de l’ approche thématique consistera à mettre en lumière ces thèmes relatifs aux valeurs culturelles collectives qui sont révélatrices des valeurs fondamentales de la sociét anjouanaise.
On peut constater, avec cet exemple, que l’approche thématique nous aidera à comprendre notre objet. Toutefois, nous devrions l’associer avec d’autres approches pour plus d’efficacité dans l’analyse des chants. L’analyse thématique du tari permettra de déceler certaines récurrences thématiques qui peuvent être déterminantes pour la recherche. En dégageant les principaux thèmes contenus dans le tari, nous espérons ainsi identifier le système de valeurs dela société anjouanaise. En outre, l’indentification des thèmes majeurs permettra de comprendre ces valeurs.
Les avantages de l’approche thématique pour l’analyse du tari résident donc au niveau du repérage des principales idées. Son intérêt demeure sur le plan de la connaissance et la compréhension dutari en tant que genre littéraire.
Néanmoins, cette approche ne prend pas en compte un certain nombre de facteurs déterminants pour comprendre notre corpus, notamment les marques de l’oralité ou les procédés stylistiques. Ceux-ci sont pourtant capitaux si on veut faire une étude sérieuse du tari. Ces facteurs seront analysés par l’approche ethnolinguistique. Toutefois, la contribution de l’approche thématique à l’analyse de notre corpus est indispensable pour les raisons que nous avons mentionnées plus haut.
SPECIFICATION DE LA RECHERCHE
La future thèse que nous envisageons de réalisers’inscrira dans le cadre des études sur la littérature orale des Comores.Les objectifs de cette étude sont de faire connaître au grand public l’existence de cette form e de littérature orale dans les îles Comores ; de mettre en œuvre un projet de recherche qui prend en compte la dimension utilitaire de la littérature que certainsconsidèrent comme le paria des études scientifiques ; de montrer enfin la portée des chants sur le renforcement de l’identité culturelle anjouanaise et de la cohésion sociale.
La littérature orale en Afrique, notamment aux Comores, reste la production littéraire la plus riche et la plus foisonnante. Les sociétés africaines, bien qu’ayant été très tôt en contact avec des procédés scripturaires, n’ont pas choisi d’en faire leur mode principal d’expression et de transmission. Les spécialistes de l’oralité africaine expliquent ce choix par le fait que les sociétés enquestion ont une telle conception de la parole qu’il serait inconcevable de l’asservir à un système d’écriture. « L’oralité permet une inscription de l’acte de communication dans le tissu relationnel du groupe : cet aspect relationnel de la parole est essentiel. La parole est considérée comme étant au fondement dea lvie communautaire, de l’harmonie sociale, de la bonne entente entre les hommes, de la fécondité du groupe »17.
La littérature orale en Afrique noire est liée àla parole agréable, généralement rythmée et toujours fluide grâce à l’épuration dessons et à la recherche constante des affinités sonores du langage. Mais, ce qui caractérise surtout ces littératures, c’est le rôle qu’elles jouent dans la société. C’est précisément ce rôle que nous tenterons de montrer dans notre future thèse. Dans le tari, ce rôle est surtout identitaire.
La démarche de nos analyses consistera à faire une étude des chants sur trois niveaux, qui correspondent à la démarche méthodologique fixée pour l’étude du corpus. Le premier niveau de l’étude se focalisera sur l’analyse ethnolinguistique des chants. Cette analyse nous permettra d’appréhender sa dimension anthropologique. Le deuxième niveau portera sur l’analyse sociologique du tari afin de mettre en exergue les facteurs historiques et sociaux qui ont conduits à leur production. Enfin, le troisième niveau de l’étude se basera sur l’analysethématique des chants dans le but de repérer les thèmes majeurs qui sont révélateursdes valeurs fondamentales de la société anjouanaise : le mariage d’où proviennent esl chants est la valeur culturelle la plus fondamentale dans la société comorienne. Nousestimons qu’avec cette démarche, nous parviendrons à fournir des réponses cohérentesà la raison d’être de ce projet de thèse.
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Table des matières
Première partie THEMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL I- PRESENTATION DU SUJET DE RECHERCHE
I- PRESENTATION DU SUJET DE RECHERCHE
1-1 . OBJET ET QUESTION DE RECHERCHE
1-2. PROBLEMATIQUE ET ENJEUX DE LA RECHERCHE
1.3. HYPOTHESES DE RECHERCHE
II. METHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1. L’APPROCHE ETHNOLINGUISTIQUE
2-2. L’APPROCHE THEMATIQUE
2-3. L’APPROCHE SOCIOLOGIQUE
III- SPECIFICATION DE LA RECHERCHE
3-1. SPECIFICATION EN PROFONDEUR
3-2. SPECIFICATION VERTICALE
IV- LE CORPUS
4-1. RAISON DU CHOIX DU CORPUS
4-2. La traduction
V- DEFINITIONS DE CONCEPTS CLES
Deuxième partie PLAN DE LA THESE I- LE PLAN DETAILLE DE LA THESE
I- LE PLAN DETAILLE DE LA THESE
II- EXPLICATION ET JUSTIFICATION DES GRANDES PARTIES
II.1. PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU TARI
II.2. DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DE CHANTS
II.3. TROISIEME PARTIE : IMPACT SOCIOCULTUREL DU TARI
Troisième partie BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE
I- SUR LA LITTERATURE ORALE
II- SUR LES APPROCHES
III- SUR LA TECHNIQUE DE TRADUCTION
CONCLUSION
bibliographie sélective..
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