Problématique du risque en milieu hospitalier
Contexte : le système de santé
Depuis 1991 le monde de la santé est en réforme permanente. Une prise de conscience des pouvoirs publics, des professionnels de santé et du grand public s‟est faite sur la réalité des risques encourus par les patients à l‟hôpital. Aussi, en quinze ans, la réglementation sur la sécurité sanitaire s‟est beaucoup enrichie. Citons notamment la loi hospitalière de 1991 [LOI 91-748, 1991] qui impose d‟évaluer les soins et de répartir les pouvoirs à l‟hôpital. Les ordonnances de 1996 [ORDONNANCES JUPPE, 1996] introduisent le principe d‟accréditation des Centres Hospitaliers (CH) et la création des Agences Régionales de l‟Hospitalisation (ARH). La loi de sécurité sanitaire de 1998 [LOI N° 98- 535, 1998] a créé les agences de sécurité sanitaire. La loi « Kouchner » de 2002 [LOI N°2002-303, 2002] met l‟accent sur les droits des patients et sur l‟indemnisation de l‟aléa et place ainsi le client au centre des préoccupations des professionnels. Enfin, la loi d‟août 2004 [LOI N° 2004-806, 2004] impose le signalement des événements graves ainsi que l‟évaluation des pratiques médicales et tend vers l‟accréditation des médecins. Le fonctionnement même des CH, ordinairement basé sur des services de soins indépendants, évolue vers un fonctionnement par pôles d‟activités conformément au plan Hôpital 2007 [MINISTERE DE LA SANTE, 2003]. Le système de financement des CH a également évolué, passant de la dotation globale à la Tarification à l‟Activité (T2A). Depuis 2005, ce changement du mode de financement impacte le fonctionnement de ces unités de soins et sousentend une nécessaire maîtrise des activités et de la performance.
Les établissements de santé sont ainsi incités à remettre en cause leurs pratiques, en modifiant leur organisation afin de garantir la qualité des services au patient tout en maîtrisant les coûts et en optimisant l‟utilisation des ressources. Cependant, l‟évolution des pratiques professionnelles et de l’organisation n’ont pas suivi au même rythme, et l’écart entre réglementation et pratiques professionnelles s‟est creusé.
L‟hôpital : un système sociotechnique complexe
Avant d‟approfondir la description du contexte et de la problématique de ce travail de recherche, il est nécessaire de préciser un certain nombre d‟idées et de concepts. La définition usuelle de système [PENALVA, 1997] est un ensemble de moyens organisés tendant à une même fin. Pour être plus précis, [BREAS, 1993] définit un système comme une unité globale organisée d’éléments en interaction, fonctionnant et évoluant en fonction d’une finalité, plongée dans un environnement qui agit sur elle et sur lequel elle agit. Cette définition est fondée sur l‟archétype proposé par [LE MOIGNE, 1977] : le Système Général qui se décrit par une ACTION (un enchevêtrement d’Actions) DANS un environnement (« tapissé » de processus) POUR quelques projets (Finalité, Téléologie) FONCTIONNANT (faisant) ET SE TRANSFORMANT (devenant). Un système peut aussi se présenter sous la forme d‟un ensemble structuré d‟éléments abstraits, c’est-à-dire une construction théorique que forme l‟intellect sur un sujet donné. Ainsi, le système est qualifié par l‟observateur qui lui attribue des propriétés. En se basant sur [PENALVA, 1997], est considérée comme complexe toute situation qui présente pour un observateur des difficultés de compréhension, d’anticipation ou de maîtrise. Les systèmes naturels (le cerveau, le système immunitaire ou un système écologique) et les systèmes artificiels (Internet, une entreprise ou une installation industrielle) sont considérés comme complexes [FAISANDIER, 2005]. Or la complexité n‟est pas une caractéristique intrinsèque du système [PENALVA, 2004]. En effet, la complexité est attribuée par l‟observateur au système. Selon les intentions de l‟observateur, le système peut alors être [ASHBY, 1958 ; DE ROSNAY, 1975 ; MORIN, 1977]:
– un système autonome dans un environnement,
– un sous-système comme partie intégrée dans un système,
– un supra-système dominant d’autres systèmes sans les englober,
– un écosystème englobant un système et devenant son environnement,
– un méta-système englobant des systèmes quels qu’ils soient en leur donnant un sens.
Les systèmes complexes sont caractérisés par un comportement émergent, c’est-à-dire nouveau car a priori imprédictible. En effet, on ne peut ou on ne souhaite pas décrire tous les comportements possibles d‟un tel système pour des raisons de compréhension, de temps nécessaire ou de connaissances insuffisantes sur ses composants, sa structure, etc. Cela est dû aux interactions entre les divers constituants du système, éventuellement nombreux et eux-mêmes complexes, vus à différents niveaux d‟organisation [SHEARD, 2006] (Figure 1). Cette émergence de comportement permet de distinguer deux principaux types de complexité [MEINADIER, 1998] :
– La complexité statique est liée à l‟architecture du système, à savoir, le nombre de fonctions, de composantes, de relations existantes.
– La complexité dynamique est liée à la dynamique des interactions entre les sous systèmes et les composants.
Si l‟on se replace dans le cadre de ce travail de recherche, l‟hôpital est un système de soin dont chacun des composants de son organisation (système de prise en charge du patient, services impliqués dans le circuit du médicament, etc.) sont considérés comme des systèmes complexes.
Le travail de recherche présenté dans ce manuscrit s‟intéresse à un type de système que l‟on qualifiera de Système Sociotechnique Complexe (SSC) où le rôle de l‟Homme, vu comme l‟un des composants du système global, devient prépondérant. La suite retiendra ainsi la définition proposée par [MEINADIER, 1998] pour un SSC : « un ensemble composite de personnels, de matériels et de logiciels organisés pour que leur inter-fonctionnement permette, dans un environnement donné, de remplir les missions pour lesquelles il a été conçu . Une entreprise est un exemple de ce type de système. Elle est définie par le groupe « modélisation d‟entreprise » du GDR MACS comme « tout système socio-économique donné visant la production de biens ou de services pour satisfaire un marché (sa mission) en utilisant au mieux ses moyens (financiers, techniques et humains) ». L‟entreprise peut alors être caractérisée de la façon suivante [BLANC DIT JOLICOEUR, 2004] :
– quelque chose : ENTREPRISE,
– qui dans quelque chose : ENSEMBLE DE MARCHES,
– pour quelque chose : CROITRE ET SURVIVRE,
– fait quelque chose : PRODUIRE,
– par quelque chose : ENSEMBLE DE MOYENS,
– et qui se transforme dans le temps.
En se replaçant dans le contexte de l‟hôpital, [DUCQ et al., 2005] considère ainsi qu‟un centre hospitalier est une entreprise de service particulière or une de ces particularités est le client qu‟elle doit satisfaire : le patient. Selon [ISO 9000, 2000], un client est un organisme ou une personne qui reçoit un bien ou un service. En l‟occurrence, en milieu médical, le client va être en même temps l‟objet et le bénéficiaire d‟un service fourni par de nombreux professionnels qui affectant directement son état physique et/ou mental. En effet, dès sa prise en charge et jusqu‟à sa sortie, de nombreux métiers vont s‟organiser et interagir pour accomplir la mission de l‟hôpital. Celle-ci est d‟assurer la sécurité du patient et la qualité des soins liés à tout acte médical. Ces actions et interactions entre patient et professionnels interagissant avec d‟autres professionnels vont du traitement administratif du patient lors de son entrée à l‟hôpital (constitution de son dossier), à la radiologie en passant par la pharmacie ou bien encore la chirurgie. C‟est dans cette synergie que s‟affirme le caractère sociotechnique du système de santé.
Besoin de maîtrise face au risque
Le risque
De manière générale le risque est une notion difficile à définir et à appréhender. Selon [BERNSTEIN, 1998 ; HANSSENS, 2003] la notion de risque est liée à la perception humaine d‟un phénomène qui dépasse la compréhension. L‟attitude sociale face au risque est passée du fatalisme [KERVERN, 1995] à l’exigence de protection [BECK, 2001]. Dans la littérature qui traite de ce domaine, plusieurs définitions sont proposées, chacune dépendant de l‟angle sous lequel le risque est perçu. Une définition usuelle du risque est « l’exposition (d’une personne ou d’un bien) à un danger potentiel, inhérent à une situation ou à une activité ». De manière plus formelle les normes ISO (CEI) [ISO/CEI 73, 2002] définissent le risque comme une «combinaison de la probabilité d’un événement et de ses conséquences». [ISO/CEI 51, 2002] définit le risque comme la «combinaison de la probabilité d’un dommage et de sa gravité». Il est donc présenté comme calculable selon une approche statistique. Un risque est ainsi la probabilité de subir un événement pouvant causer des dommages combinée à la gravité que peuvent entraîner ces dommages.
Où :
– la gravité correspond à l‟impact estimé sur le système (dommages),
– la probabilité de l‟évènement est estimée dans une fourchette de temps donnée. Néanmoins, selon [BJELKE, 2004], cette formule n‟est valide que lorsque :
– les compétences des acteurs du système n‟entrent pas en compte dans les résultats,
– la probabilité est calculée sur un large nombre d‟observations validées sur le terrain,
– l‟environnement est stable voire sous contrôle.
Or, dans les systèmes qui nous intéressent les acteurs ont des compétences différentes, des expériences plus ou moins pointues suivant l‟activité à réaliser. De plus l‟environnement échappe largement à tout contrôle, un certain nombre d‟imprévus n‟étant absolument pas maîtrisables (les phénomènes naturels par exemple)
En s‟appuyant sur cette définition classique du risque, le réduire peut alors s‟opérer de deux manières :
– réduire la probabilité de survenue d‟un événement non souhaité,
– limiter les conséquences (l‟impact) en cas de survenue de cet événement.
Comme indiqué précédemment, la définition du risque est liée au point de vue de l‟observateur, la perception du risque est donc extrêmement diversifiée. Néanmoins, certains auteurs tentent de généraliser cette définition. Par exemple, [KERVERN, 1995] définit le risque comme « un événement dont l’apparition n’est pas certaine et dont la manifestation est susceptible d’engendrer des dommages significatifs sur un programme » entraînant la baisse des performances du système ou l‟augmentation des coûts de maintien en conditions opérationnelles.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : PROBLEMATIQUE DU RISQUE EN MILIEU HOSPITALIER
1 CONTEXTE : LE SYSTEME DE SANTE
2 L’HOPITAL : UN SYSTEME SOCIOTECHNIQUE COMPLEXE
3 BESOIN DE MAITRISE FACE AU RISQUE
3.1 Le risque
3.2 Une organisation sociotechnique confrontée aux risques
3.3 Les centres hospitaliers et les risques
3.4 Le risque perçu dans le milieu médical
4 CONSTATS
4.1 Premier constat : une évolution irréversible des établissements de santé
4.2 Deuxième constat : des risques non maîtrisés
4.3 Troisième constat : un pilotage imparfait
5 BESOINS
5.1 Besoins de représentation des SSC
5.2 Besoins d’analyse des représentations des SSC
6 CONCLUSIONS
CHAPITRE II : ETAT DE L’ART
1 APPREHENDER LES SYSTEMES COMPLEXES : L’INGENIERIE SYSTEME
1.1 L’Ingénierie Système (IS)
1.2 SAGACE
1.3 Conclusions
2 REPRESENTER LES SYSTEMES SOCIOTECHNIQUES COMPLEXES : LA MODELISATION D’ENTREPRISE
2.1 Architectures de référence
2.2 Méthodes opérationnelles : les Langages de Modélisation d’Entreprise (LME)
2.3 Conclusions
3 RAISONNER SUR LES MODELES DES SSC
3.1 L’analyse des modèles
3.2 L’analyse du risque
3.3 Cadres conceptuels
3.4 Conclusion
4 SYNTHESE ET PROPOSITION
CHAPITRE III : APPROCHE POUR LA MAITRISE OPERATIONNELLE DU RISQUE
1 INTRODUCTION
2 MODELISATION
2.1 Principes
2.2 Cadre de modélisation
2.3 Vue fonctionnelle
2.4 Vue structurelle
2.5 Vue comportementale
2.6 Vue propriétés : enrichissement et analyse de modèle
3 DU MODELE A L’ANALYSE : L’INTEROPERABILITE
3.1 L’interopérabilité des acteurs : unification par une ontologie
3.2 Interopérabilité des modèles
3.3 Conclusion
4 ANALYSE DES MODELES : PRINCIPES ET FORMALISATION
4.1 Introduction
4.2 Graphes conceptuels : présentation et principes
4.3 Conclusion
4.4 Réécriture de modèles
5 DEMARCHE DE MISE EN ŒUVRE : GUIDE METHODOLOGIQUE & OUTILS INFORMATIQUES
5.1 Le cadrage de l’étude
5.2 Construction d’une ontologie
5.3 Construction des modèles
5.4 Exemple illustratif
5.5 Conclusion
CONCLUSION GENERALE
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