Problématique des réseaux de petites cellules denses
L’évolution des réseaux de communication cellulaires s’est caractérisée depuis leur apparition par une augmentation du débit ainsi que du nombre d’utilisateurs supportés. Ces augmentations ont été réalisées grâce à des améliorations successives des couches physiques, liaison (MAC, Medium Access Control) et supérieures ainsi que par la miniaturisation des circuits RF (radiofréquences). Ceci a permis l’apparition de nouveaux services autres que la voix, à savoir du texte (2G), des messages multimédia (2G), de la diffusion vidéo (3G), et un accès internet de même qualité qu’un accès filaire (4G). Dans la prochaine génération, les réseaux devront faire face à de nouveaux challenges en plus d’une augmentation du débit. Ces nouveaux challenges apparaissent avec la diversification des dispositifs à connexion sans fil : véhicules, machines-outils industrielles, capteurs en tout genre (surveillance d’état de santé, suivi du trafic routier etc.). Ces dispositifs divers, ainsi que les applications qui leur sont associées visent des qualités de service, en termes de latence, fiabilité, scalabilité et efficacité énergétique tout aussi différentes [2]. En contraste avec la 4G, les réseaux mobiles 5G devront donc supporter des usages très hétérogènes, tout en gardant une flexibilité afin d’être incorporés dans le même standard.
Applications en 5G : Les applications supportées par la 5G sont positionnées par rapport à trois axes de cas d’usage [55] :
— enhanced Mobile Broadband (eMBB) : ce cas d’usage est l’extension de l’actuelle 4G pour des mobiles grand public. Il offre un trafic plus grand (jusqu’à 1000 fois plus qu’en 4G en terme de volume de données par unité de surface couverte [b/s/km2] [54, 61]) et supporte une densité d’utilisateurs et une mobilité plus fortes (jusqu’à 500 km/h) [1].
— Ultra-Reliable Low Latency Communications (URLLC) : ce cas d’usage englobe les applications critiques qui requièrent une disponibilité de liaison ininterrompue, comme la téléchirurgie ou le contrôle de machines-outils dans un milieu industriel. Il vise à atteindre des latences 5 fois plus faibles ; inférieure à 1 ms par exemple pour les communications véhicules à véhicule, ou de robots industriels [1], et un taux d’erreur binaire inférieure à 10⁻⁵ .
— Massive Machine-Type Communication, mMTC : ce cas d’usage se caractérise par une très grande densité de dispositifs desservis (jusqu’à 1 million de terminaux par km2 [1]), communicants à très bas débit et sur une grande zone de couverture. Cela inclut les réseaux de capteurs pour les villes intelligentes ou pour la surveillance de sites naturels .
Leviers et facteurs : Afin de matérialiser les objectifs de la 5G, plusieurs leviers ont été identifiés comme facteurs importants. Ils ont été explorés par les secteurs académique et industriel ; en voici une liste non exhaustive [2, 56, 1, 3] :
— Spectre : en plus de l’utilisation des bandes sub 6GHz, des bandes millimétriques seront exploitées en 5G, permettant l’utilisation de canaux plus larges [1, 3]. Concevoir les dispositifs RF adaptés à ces bandes (amplificateurs, oscillateurs, antennes etc.) a fait émerger de nouveaux problèmes qui leurs sont spécifiques comme le bruit de phase plus fort ou une plus grande largeur de bande à supporter.
— Formes d’ondes et efficacité spectrale : la forme d’onde utilisée en 4G (Orthogonal Frequency-Division Multiplexing, OFDM ) présente différentes limitations comme un grand PAPR (Peak-to-Average Power Ratio), des fuites spectrales (spectral leakage) ou la sensibilité au décalage fréquentiel [98, 40]. Ceci a poussé la recherche à concevoir de nouvelles formes d’ondes adaptées aux applications 5G [36, 44, 69].
— Software Defined Networks, (SDN) : l’introduction d’outils de virtualisation des réseaux permettent une gestion plus flexible et efficace [2, 56, 1] en s’adaptant à la demande en trafic et en utilisant les ressources de manières dynamique.
— Connectivité massive : les réseaux mobiles actuels ne sont pas conçus pour supporter un grand nombre de dispositifs. Les applications de type mMTC ont poussé la recherche à concevoir des couches physiques et des protocoles adaptés [27].
— multi-antenne : l’utilisation de systèmes multi-antenne permet d’utiliser la dimension spatiale pour le traitement des signaux. Cet axe de recherche a retenu une grande attention en raison des grands gains promis par l’implémentation d’un nombre important d’antennes (massive MIMO) [60, 27, 63, 26]. Les méthodes de codage spatio-temporel augmentent la diversité ou le multiplexage (ou un compromis entre les deux) [113] et donc améliorent la fiabilité ou le débit des liaisons. Aussi, avec les méthodes de formation de voies, il est possible d’implémenter des filtres spatiaux qui permettent de diminuer l’interférence et de partager les ressources temps-fréquence.
— Densification : en support aux macro-cellules, l’utilisation de petites cellules (PCs) permettent l’extension de la couverture et de maximiser l’utilisation du spectre [54, 123]. Les réseaux 5G visent des densités nettement plus grandes qu’en 4G (plusieurs centaines de petites cellules par km2 [123]), ceci permet une réutilisation spectrale plus efficace, néanmoins le partage des mêmes ressources temps-fréquence et un manque coordination augmente l’interférence et peut les amener à un régime limité par l’interférence [54, 93, 107]. Ceci a donc poussé un axe de recherche sur la gestion de l’interférence, notamment en milieu très dense [54, 123] car la réutilisation de techniques de gestion d’interférences des réseaux de macro-cellules (interference avoidance, interference coordination, interference cancellation) à densité modérée perdent leur efficacité pour de fortes densités, car elles deviennent trop complexes à implémenter, nécessitent un fort surcoût de signalisation ou un connaissance parfaite du canal .
Situation de la thèse dans le contexte 5G
Cette thèse s’inscrit sur les deux axes de recherches de densification de l’infrastructure cellulaire et de systèmes multi-antenne. Plus particulièrement, elle porte sur l’annulation d’interférences entre petites cellules (small cells) dans des conditions de forte densité. La densification des réseaux mobiles avec des cellules de tailles plus petites a été un sujet récurrent à travers les différentes générations de réseaux [103, 64, 65, 32]. Les réseaux utilisant simultanément de petites et de macro-cellules sont dits hétérogènes (Heterogeneous Networks, HetNets). Ces derniers peuvent inclure une variété de petites cellules qualifiées de femto, pico ou micro cellules selon leur rayon de couverture, et qui peuvent remplir des fonctions de relais [70], de transfert intercellulaire (handover ) [106] ou d’interopérabilité [14]. Une petite cellule est définie comme un point d’accès avec une faible puissance d’émission, complémentant une macro-cellule en étendant sa couverture et/ou en proposant un nouveau service [120]. Un des facteurs permettant d’augmenter le débit dans les réseaux denses est la réutilisation spatiale des bandes de fréquences. Un autre facteur est la faible distance émetteur-récepteur, ce qui permet la réception de puissances plus fortes [32, 39] et donc un point de fonctionnement fort en rapport signal-sur-bruit (Signal-to-Noise Ratio, SNR). Ces deux derniers facteurs peuvent amener à un régime limité non plus par le bruit mais par l’interférence.
Influence du duplexage et de la densification sur l’interférence
Les applications de voix en 2G et 3G utilisent un trafic symétrique entre le lien montant (uplink, UL) et le lien descendant (downlink, DL), rendant le duplexage à division fréquentielle (Frequency Division Duplexing, FDD) approprié vu le besoin statique en débit [31]. En contraste, en 4G l’utilisation d’applications internet sur mobile fait pencher le trafic plus vers le lien descendant, et le trafic dans les réseaux denses 5G peut être dynamique entre les deux liens [39, 31]. Ceci rend plus approprié un duplexage à division temporelle (Time Division Duplexing, TDD), de par sa flexibilité (configurable entre les deux liens) il rend plus efficace l’utilisation des ressources avec une allocation dynamique [37, 105]. Pour des petites cellules communicant à courte distance, et visant de bas coûts de réalisation, le TDD présente aussi d’autres avantages, comme une circuiterie RF plus simple car il ne nécessite pas un filtre isolateur entre les deux voies d’émission et de réception [96], et de faibles intervalles de garde car les retards de propagations sont plus faibles [31]. Au niveau réseau, la flexibilité du TDD a un coût en interférence [39] ; dans les réseaux LTE (Long Term Evoltuion) utilisant du TDD on l’évite avec une synchronisation terminal à terminal et station de base à station de base [105]. Dans un contexte dense, les techniques d’allocation flexible et orthogonale des ressources peuvent ne pas être suffisantes ou difficiles à réaliser pour différentes raisons. En premier lieu le nombre de terminaux à coordonner est très grand [10, 124], le niveau de l’interférence y est plus grand, à cause de la densité [10, 72] ou des déploiements privés (e.g. déploiements d’entreprises à accès restreint) [54]. Enfin les déploiements aléatoires rendent les modèles de réseaux peu denses inadaptés [39, 72]. En résumé les gains promis par la densification risquent d’être rapidement absorbés (voire se transformer en pertes à partir d’un certain seuil de densification [38, 71]) par l’interférence si elle n’est pas traitée de manière appropriée .
Gestion et annulation d’interférences
La gestion d’interférences est une fonction essentielle dans les systèmes de communications. La densification et la multiplication des standards de communication dans des bandes de fréquences de plus en plus proches augmente le niveau l’interférence. Par exemple, la présence d’un signal hors bande, passant à travers un circuit non-linéaire peut générer une interférence en-bande (spurious frequencies) [96], l’impact de ce type d’interférence peut être limité avec du filtrage fréquentiel. Dans notre contexte, de réseaux hétérogènes (présence de deux couches, une couche de macro-cellules et une couche de petites cellules) on s’intéresse à le gestion des interférences en-bande. Ces interférences peuvent être classées en deux catégories [124, 85] :
— Interférence intra-couche : présente entre deux cellules ou de même couche.
— Interférence inter-couches : présente entre deux cellules de couches différentes.
L’efficacité des techniques de gestion d’interférence dépend (entre autres paramètres) du type d’interférence traité, mais aussi des caractéristiques du réseau : déploiement (aléatoire/planifié, dense/parcimonieux), centralisé/distribué, disponibilité d’informations a priori (canal, positions des autres cellules etc.), horloges des différentes cellules synchrones/asynchrone, technique d’accès multiple etc. Selon ces différentes dépendances une classification des techniques est faite par [72, 124] en trois catégories :
— Prévention d’interférences (interference avoidance) : consiste à allouer les ressources (temps, fréquence, codes, espace, puissance) de manière orthogonale entre cellules. Appliquée à l’interférence inter-couches on peut par exemple partager les bandes de fréquences entre couches, néanmoins la ressource fréquentielle étant rare et coûteuse cette technique réduirait l’efficacité [124]. En CDMA (Code Division Multiple Access) il existe des techniques de sauts temporels (Time Hopping) pour réduire l’interférence intra-couche [124]. L’OFDMA (Orthogonal Frequency Division Multiple Access) dispose d’une flexibilité permettant une allocation orthogonale des sous-canaux et des time slots [97]. L’efficacité de ces techniques nécessitent une synchronisation et/ou une connaissance de l’état des cellules environnantes [97, 124]. De plus, elles sont sensibles au phénomène d’overwhelming interference, qui survient lorsque la densification dépasse un seuil à partir duquel l’efficacité spectrale surfacique (area spectral efficiency) et la probabilité de couverture commencent à chuter. Ceci est équivalent à une forte probabilité que le RSIB soit inférieur à 0 dB [72].
— Coordination d’interférence (interference coordination) : quand différentes cellules peuvent s’échanger des informations à travers une interface centralisée il est possible de coordonner leurs transmissions afin que l’interférence soit minimisée au niveau des récepteurs. Par exemple avec la technique ICIC (Inter-Cell Interference Coordination), on utilise une allocation de ressource conjointe entre petites cellules et macro-cellules. Ces dernières restreignent leur utilisation des sous-trames associées aux utilisateurs les plus touchés par l’interférence [77]. Avec la technique CoMP (Coordinated MultiPoint), on utilise un réseau d’antennes au niveau de chaque cellule et on coordonne leurs émissions afin qu’elles annulent mutuellement l’interférence aux niveau des utilisateurs [77].
Ces techniques ont l’inconvénient de nécessiter un traitement centralisé qui devient complexe avec la densification. La remontée de l’information sur l’état des différentes cellules et les canaux associés entraînent un surcoût de signalisation [72] et peut causer la congestion du lien d’amenée (backhaul) [124].
— Annulation d’interférence (interference cancellation) : ces techniques consistent à reconstruire le signal interférent et à le soustraire du signal reçu [72, 8]. D’un point de vue de la théorie de l’information, il a été montré qu’un signal interférent très fort ne réduit pas la capacité [30]. En effet, étant donné qu’il a un fort RSB, il peut être estimé avec une grande précision. Deux algorithmes d’annulation d’interférences qui sont souvent utilisés sont le SIC (Successive Interference Cancellation) et le PIC (Parallel Interference Cancellation). Ils se distinguent par l’ordre dans lequel les différents signaux interférents sont soustraits des signaux des utilisateurs. Le SIC le fait séquentiellement, ce qui conduit à une latence et une complexité proportionnelles au nombre d’utilisateurs. Le PIC quant à lui effectue l’annulation d’interférences parallèlement sur tous les utilisateurs, répétée sur plusieurs étages. Ceci conduit à une latence et une complexité proportionnelles au nombre d’utilisateurs et d’étages. Ces algorithmes utilisent le domaine temporel pour l’annulation d’interférences. Cette dernière peut se faire aussi dans le domaine fréquentiel ou spatial. L’utilisation d’un système multi-antenne permet une annulation des interférences dans le domaine spatial, par exemple avec de formation de voies (beamforming) [117]. Les approches d’annulation d’interférences nécessitent une bonne estimation du canal, et une large variance des puissances d’interférence [72]. Liu et al [72] ont montré que l’efficacité spectrale par unité de surface couverte assurée par le SIC diminue lorsque la variance de la puissance d’interférence diminue avec la densité.
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Table des matières
Introduction
1 Problématique et état de l’art
1.1 Problématique des réseaux de petites cellules denses
1.2 Gestion et annulation d’interférences
1.3 Scénario traité
1.4 Généralités sur la formation de voies
1.4.1 Modèle à bande étroite
1.4.2 Multi-trajet et sélectivité en fréquence
1.5 Modèle linéaire de formation de voies
1.5.1 Implémentation analogique
1.5.2 Implémentation numérique
1.5.3 Implémentation hybride
1.5.4 Dimensions des matrices de formation de voies
1.6 Caractéristiques des réseaux d’antennes
1.6.1 Diagramme de rayonnement
1.6.2 Résolution d’un faisceau
1.7 État de l’art de la formation de voies hybride
1.8 Conclusion
2 Modèles de canaux et indicateurs de performance
2.1 Introduction
2.2 Modèles de canaux
2.2.1 Des modèles déterministes aux modèles stochastiques
2.2.2 Modèles stochastiques
2.2.3 Modèles stochastiques à base géométrique
2.2.4 Modèles utilisés dans nos travaux
2.3 Angle algébrique et RSIB
2.3.1 Récepteur optimal en RSIB et formateur de voies de Capon
2.3.2 Angle algébrique en mono-utilisateur mono-interféreur
2.3.3 Analyse du RSIB en fonction de cos(θ) en mono-utilisateur monointerféreur
2.3.4 Angle algébrique en multi-utilisateur multi-interféreur
2.3.5 Analyse du RSIB en fonction de cos(θ) en multi-utilisateur multiinterféreur
2.4 Capacité
2.4.1 Capacité d’un système mono-antenne
2.4.2 Capacité en multi-utilisateur avec un récepteur multi-antenne
2.4.3 Expression de la capacité tenant compte de la quantification
2.5 Conclusion
3 Formation de voies hybride sous-optimale
3.1 Introduction
3.2 Modèle et description de l’approche
3.2.1 Solutions entièrement numériques
3.2.2 Solution filtre adapté
3.2.3 Solution hybride par extraction des phases
3.3 Analyse du RSIB
3.3.1 Effet de l’angle d’arrivée des utilisateurs
3.3.2 Effet de la puissance du bloqueur
3.4 Conclusion
4 Optimisation d’un FdV par relaxation semi-définie
4.1 Introduction
4.2 Limitations de la solution hybride par extraction de phase
4.3 Scénario réduit à un seul utilisateur
4.3.1 Maximisation du RSIB sans contrainte
4.3.2 Relaxation semi-définie et algorithme RSD associé, en mono-utilisateur
4.4 Scénario complet : multi-utilisateur intégrant un modèle de CAN
4.4.1 Modèle
4.4.2 Algorithme RSD en multi-utilisateur
4.5 Résultats de simulation
4.5.1 RSIB dans le scénario réduit à un utilisateur
4.5.2 Somme-capacité et RSIB dans le scénario complet
4.6 Conclusion
Conclusion