PROBLEMATIQUE DE LA GESTION DU FONCIER

Les rรฉformes fonciรจres aprรจs les indรฉpendances

ย  ย Trois grandes innovations ont marquรฉ lโ€™histoire du foncier au Sรฉnรฉgal aprรจs les indรฉpendances : Dโ€™abord il y a eu la loi nยฐ 64-46 du 17 juin 1964 portant sur le Domaine national. Cette loi pose un principe intangible : ยซ toutes les terres non immatriculรฉes ou dont la propriรฉtรฉ nโ€™avait pas รฉtรฉ transcrite ร  la conservation des hypothรจques au terme du dรฉlai fixรฉ par le lรฉgislateur, sont considรฉrรฉes dโ€™office comme faisant partie du patrimoine public ยป. Ce sont des biens incessibles et inappropriables, sauf lorsquโ€™ils font lโ€™objet dโ€™une dรฉclassification selon la procรฉdure prรฉvue par la loi. Cette loi cherche ร  soustraire la terre dโ€™une propriรฉtรฉ coutumiรจre qui fait la part belle ร  certaines grandes familles et ร  la socialiser (DAFF, 2002). Cette loi est en porte ร  faux avec la tradition car la terre est certes un bien รฉconomique mais il y a aussi un lien sacrรฉ entre lโ€™homme et la terre. Cette dรฉmarche permet de considรฉrer le domaine national comme รฉtant le statut commun auquel seront soumises les terres qui ne peuvent expressรฉment รชtre rattachรฉes ร  une autre catรฉgorie. La superficie des terres du Domaine National ainsi compris a รฉtรฉ รฉvaluรฉe ร  environ 95% du territoire national. Ensuite, il y a eu la loi sur la dรฉcentralisation ; en effet, lโ€™Assemblรฉe Nationale Sรฉnรฉgalaise a dรฉlibรฉrรฉ et adoptรฉ la loi nยฐ 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des Collectivitรฉs locales. Cette loi consacre ce quโ€™il est convenu dโ€™appeler la rรฉgionalisation, ou alors, par lโ€™ancien systรจme visรฉ ; la dรฉcentralisation. Cette dรฉcentralisation crรฉe les collectivitรฉs locales que sont : la rรฉgion, la commune et la communautรฉ rurale, collectivitรฉs qui dโ€™aprรจs la constitution sรฉnรฉgalaise sโ€™administrent librement. Lโ€™objectif de cette rรฉforme est clair : il sโ€™agit en effet par de nouvelles libertรฉs, de nouvelles compรฉtences, de libรฉrer les initiatives locales et dโ€™assurer une dรฉmocratie participative plus affirmรฉe. Il y a eu enfin la loi dโ€™orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP) รฉlaborรฉe par lโ€™Etat du Sรฉnรฉgal en concertation avec les divers acteurs du secteur rural et de la sociรฉtรฉ civile. Cette politique fonciรจre repose sur les principes suivants :
๏ถ la protection des droits dโ€™exploitation des acteurs ruraux et des droits fonciers des communautรฉs rurales,
๏ถ la cessibilitรฉ encadrรฉe de la terre pour permettre une mobilitรฉ fonciรจre favorisant la crรฉation dโ€™exploitations plus viables, la transmissibilitรฉ successorale des terres pour encourager lโ€™investissement durable dans lโ€™exploitation familiale,
๏ถ lโ€™utilisation de la terre comme garantie pour lโ€™obtention du crรฉdit
Toutefois, on assiste depuis des dรฉcennies ร  une dรฉgradation accรฉlรฉrรฉe et multiforme des ressources naturelles: dรฉforestation, dรฉgradation de la fertilitรฉ des sols, etc. Phรฉnomรจnes connus, parce que la dรฉgradation de lโ€™environnement naturel sโ€™accompagne souvent de tensions sociales et รฉconomiques croissantes pour lโ€™accรจs ร  la terre et aux ressources : cโ€™est lโ€™รฉclatement de conflits fonciers aux consรฉquences souvent dramatiques entre groupes socioprofessionnels et villageois, des confrontations violentes entre agriculteurs et รฉleveurs, la spoliation des ressources de certains groupes par dโ€™autres plus puissants. Aussi ces nombreux conflits extrรชmement difficiles ร  rรฉsoudre prรฉsagent-ils dโ€™une situation ร  la limite incendiaire que pourrait crรฉer une privatisation รฉventuelle des terres du domaine national (SIDIBE A.S.). A ce titre, la gestion du foncier parait donc complexe et dรฉlicate surtout, dans la mesure oรน la lรฉgislation รฉtatique coexiste de fait avec des coutumes encore vivaces.

LA DIFFICILE COEXISTENCE ENTRE LOIS COUTUMIERE ET MODERNE

ย  ย A ce titre le Conseil Rural se trouve souvent saisi dโ€™affaires opposant des dรฉtenteurs de droits coutumiers et dโ€™autres se rรฉfugiant derriรจre les textes de la LDN. Le cas le plus rรฉcent est celui qui a opposรฉ le chef de village de Keur Demba Khokh, ร  un autre habitant de la localitรฉ. Le premier nommรฉ pour des raisons politiques a voulu expulser lโ€™occupant de la parcelle quโ€™il exploite depuis cinquante (50) ans. Le prรฉtexte avancรฉ par le chef de village est que cette terre appartient ร  son pรจre qui lโ€™avait prรชtรฉe ร  ce dernier. En outre, le second nommรฉ a dรฉmรฉnagรฉ ร  Gossas ainsi que toute sa famille mais continue ร  cultiver ses terres situรฉes dans le village. Cโ€™est ainsi quโ€™aprรจs plusieurs tentatives de rรจglement ร  lโ€™amiable et lโ€™incapacitรฉ du Conseil Rural ร  arbitrer, lโ€™affaire fut portรฉe devant le Sous-prรฉfet de Ouadiour qui a appliquรฉ la Loi en cรฉdant la parcelle ร  lโ€™exploitant. Ce jugement effectuรฉ par lโ€™autoritรฉ administrative qui est en phase avec la loi a crรฉรฉ un malaise au sein des diffรฉrentes parties en conflits Ce caractรจre non รฉcrit des dรฉcisions de prรชt ou de location de terres de culture constitue une source de conflit dans la CR comme la clause orale du prรชt, compte tenu des vicissitudes de lโ€™air du temps, peut en altรฉrer les contenus. Et en consรฉquence, il engendre nรฉcessairement des confits de gรฉnรฉrations. Cette situation de ยซpluralisme juridique ยป, qui caractรฉrise la tenure fonciรจre au Sรฉnรฉgal, ouvre donc aux paysans la possibilitรฉ de choisir le cadre (traditionnel et/ou moderne) de rรฉfรฉrence pour que leurs stratรฉgies fonciรจres aient la suite la plus favorable. Bien entendu, tous les acteurs nโ€™ont pas les mรชmes opportunitรฉs de rรฉussite : elles dรฉpendront dans une large mesure de lโ€™ampleur de leur rรฉseau social, de leur poids รฉconomique, des relations privilรฉgiรฉes avec les autoritรฉs politico-administratives, de leur capacitรฉ dโ€™anticipation des lois fonciรจres modernes (HESSELING 1992). Cette souplesse dans lโ€™application de la loi, qui constitue pour HESSELING et MATHIEU (1986) un gage de limitation des conflits, dans ce cas neย  semble pas avoir fonctionnรฉ comme facilitateur dโ€™une solution acceptable par les deux parties, puisque recourir ร  lโ€™arbitrage de lโ€™Etat, perรงu comme un รฉlรฉment รฉtranger ร  la rรฉalitรฉ villageoise, รฉquivaut le plus souvent ร  une rupture des relations sociales dans le milieu dโ€™origine. En revanche, la dรฉmarche administrative peut รชtre la seule solution possible, quand les paysans savent, ร  lโ€™avance, quโ€™ils ne pourront pas obtenir satisfaction auprรจs des autoritรฉs coutumiรจres. Lโ€™application de la loi sur le domaine national fait ressortir le vรฉritable pluralisme juridique dans lequel baigne le droit sรฉnรฉgalais surtout en matiรจre fonciรจre. En effet, la rรฉalitรฉ permet de constater que mรชme si cโ€™est la loi qui devait primer sur les modes dโ€™accรจs traditionnels, la forte prรฉsence des rรจgles locales dans les modes de gestion annihile les efforts de lโ€™ร‰tat dans sa politique de moderniser le droit foncier. Bien quโ€™รฉtant simple au regard de la loi, lโ€™application de la procรฉdure dโ€™affectation des terres par le conseil rural demeure loin dโ€™รชtre une chose aisรฉe, et ce phรฉnomรจne produit un certain nombre dโ€™effets quโ€™il faudra prรฉciser.

LA COMMISSION DOMANIALE

ย  ย Mise en place par le Conseil Rural, cette instance est souvent appelรฉe quand le conflit ne peut pas รชtre rรฉglรฉ au niveau familial ou villageois. Elle est composรฉe de quatre (4) membres en plus du chef de village. Il arrive quโ€™en cas de conflit, des notables y soient conviรฉs. Cette commission constitue lโ€™organe le plus important du Conseil, parce que elle instruit tous les dossiers fonciers de la demande dโ€™affectation et au suivi de la mise en valeur. Considรฉrรฉe comme une sorte dโ€™observatoire, elle connaรฎt toutes les questions qui peuvent se poser en matiรจre domaniale. De ce fait, elle instruit les demandes et plaintes et donne la solution. Concernant certains litiges liรฉs ร  la terre, la commission se rend souvent sur les lieux pour entendre les parties et les tรฉmoins. Aprรจs cette phase, un consensus est gรฉnรฉralement trouvรฉ avec les parties sous rรฉserve dโ€™une dรฉlibรฉration du Conseil Rural ร  cet effet. Mais en pratique, ร  part les litiges entre hรฉritiers dโ€™un affectataire, les contestations mineures pour double affectation, ou les litiges concernant les dรฉlimitations, les conflits fonciers les plus importants ne sont traitรฉs par le Conseil, parce quโ€™elle ne dispose pas dโ€™un pouvoir de coercition Aussi, elle ne prend aucune dรฉcision et se charge uniquement de recueillir les informations nรฉcessaires pour permettre au Conseil Rural de prendre la dรฉcision idoine. Le rรดle de la commission domaniale est souvent dรฉcriรฉ car taxรฉe de partiale au dรฉtriment des รฉleveurs souvent au banc des accusรฉs. En effet, les รฉleveurs sโ€™estiment toujours lรฉsรฉs par le fait quโ€™ils ne sont pas reprรฉsentรฉs au sein de cette instance.

Lโ€™AUTORITE ADMINISTRATIVE

ย  ย Cependant, quelle que soit lโ€™efficacitรฉ de ces organes locaux dans la rรฉsolution des problรจmes relatifs ร  lโ€™usage de la terre, il est aussi รฉvident que les autoritรฉs dรฉconcentrรฉes sont sollicitรฉes de plus en plus par les populations pour trouver une solution ร  leur litige. Le Reprรฉsentant de lโ€™ร‰tat par ses attributions, intervient dans tous les domaines oรน la collectivitรฉ locale a reรงu compรฉtence conformรฉment ร  la loi. Ainsi, en matiรจre fonciรจre par le biais de son pouvoir dโ€™approbation, il rรจgle en amont les problรจmes liรฉs ร  la terre ; de mรชme, il peut รชtre saisi en tant quโ€™autoritรฉ pour mettre fin ร  un litige foncier. Le contrรดle de lรฉgalitรฉ est un moyen de prรฉvention des problรจmes fonciers. La gestion fonciรจre locale est le fait de deux principaux intervenants : le Conseil Rural et lโ€™administration. Cette derniรจre est reprรฉsentรฉe par le sous-prรฉfet et les agents de services administratifs chargรฉs de mener la politique de dรฉveloppement retenue par les pouvoirs publics. Lโ€™importance de lโ€™autoritรฉ dรฉconcentrรฉe rรฉside dans le fait quโ€™elle est dotรฉe de pouvoirs lui permettant de contrรดler les actes pris par les organes locaux conformรฉment aux rรจglements en vigueur. A cรดtรฉ du conseil rural, le Sous-prรฉfet a acquis depuis longtemps une importance de premier plan. Bien que juridiquement, ร  part les recours administratifs, ces instances ne soient pas habilitรฉes ร  gรฉrer les conflits fonciers, les plaintes les plus nombreuses et les plus frรฉquentes sont acheminรฉes vers ces autoritรฉs. Le Sous-prรฉfet intervient aussi bien en amont quโ€™en aval dans la gestion fonciรจre. Il est ainsi souvent saisi dans la rรฉsolution des conflits si le conseil rural se trouve dans lโ€™incapacitรฉ de trouver une solution aux problรจmes posรฉs. Cette instance constitue le dernier recours du rรจglement des conflits car sa dรฉcision est souvent irrรฉvocable et inattaquable compte tenu de son pouvoir de coercition. Cโ€™est ainsi que lโ€™Autoritรฉ administrative a eu ร  rรฉgler le conflit du village de Keur Yoro. Il est ร  noter lโ€™inexistence dโ€™archives relatives ร  la gestion des conflits au niveau de la sous-prรฉfecture et les diffรฉrentes dรฉcisions prises nโ€™ont pas รฉtรฉ notifiรฉes par รฉcrit aux diffรฉrents protagonistes. En dรฉfinitive ces mรฉcanismes de rรฉsolution des conflits constatรฉs au niveau de la CR de Patar-Lia ressemblent ร  tout point de vue aux mรฉthodes alternatives de gestion des conflits dรฉfinies par la FAO. Il sโ€™agit de la nรฉgociation, la mรฉdiation et la conciliation qui sont couramment pratiquรฉes dans les zones rurales lorsque les conflits fonciers viennent ร  รฉclater. Ces mรฉcanismes constituent en effet des processus de recherche dโ€™un consensus en vue de rรฉsoudre des conflits. En effet, ils cherchent ร  gรฉrer le conflit en se basant sur les intรฉrรชts communs et en recherchant des points de convergence. Ils sont dโ€™un accรจs aisรฉ et dโ€™un coรปt rรฉduit, en rapport avec les ressources rรฉelles des populations rurales. De telles approches alternatives de gestion des conflits sont particuliรจrement adaptรฉes ร  des contextes ruraux oรน ce qui importe le plus, cโ€™est moins de dรฉterminer qui a raison que de prรฉserver lโ€™intรฉrรชt gรฉnรฉral et la solidaritรฉ locale, tout en sauvegardant lโ€™honneur de tous. Ces formes coutumiรจres ont longtemps รฉtรฉ efficaces parce que les populations se ยซ retrouvaient ยป en elles et surtout parce que les autoritรฉs traditionnelles disposaient dโ€™une capacitรฉ ร  faire appliquer les dรฉcisions. Lโ€™environnement administratif et institutionnel local a toutefois connu des changements significatifs, notamment sous lโ€™influence de la dรฉcentralisation et avec lโ€™รฉmergence de nouveaux types dโ€™acteurs qui ont affaibli les autoritรฉs traditionnelles.

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Table des matiรจres

INTRODUCTION GENERALE
CADRES THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
PREMIERE PARTIE: Caractรฉristiques gรฉnรฉrales de la Communautรฉ Rurale de Patar- Lia
CHAPITRE I : Prรฉsentation de la CR de Patar-Lia
CHAPITRE II : La capital physique
CHAPITRE III : Le capital humain
CHAPITRE IV : La dynamique organisationnelle
DEUXIEME PARTIE : Situation fonciรจre de la Communautรฉ Rurale de Patar-liaย 
CHAPITRE I : Analyse de la situation fonciรจre de la Collectivitรฉ Locale
CHAPITRE II: Accรจs ร  la terre
CHAPITRE III : Rรดle des diffรฉrents acteurs du foncier
TROISIEME PARTIE : Les conflits fonciers et les mรฉcanismes de rรฉsolution
CHAPITRE I : Les conflits fonciers
CHAPITRE II : Les mรฉcanismes de rรฉsolution des conflits
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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