Modifications liquidiennes et sanguines
Dès le premier trimestre de la grossesse, le volume sanguin maternel augmente (entre la 6e et la 8e semaine) et atteint un maximum vers la 30e semaine. Ensuite ce volume sanguin reste stable jusqu’à l’accouchement.Cette augmentation est due à la vasodilatation (liée aux hormones) mais aussi à l’augmentation des circulations (utérine, mammaire, musculaire, placentaire, rénale et cutané). Le taux d’hémoglobine diminue : les seuils inférieurs sont de 11 g/dl (aux 1er et 3eme trimestres) et de 10,5 g/dl (au 2e trimestre). La limite supérieure est de 14 g/dl au 1er trimestre et de 13 g/dl aux 2e et 3e trimestres [21]. Les plaquettes diminuent modérément au 3e trimestre. À terme, 10 % des parturientes ont un taux de plaquettes comprises entre 100 et 150 G/L; 1 % d’entre elles ont des plaquettes < 100 G/L [21]. La VS est ininterprétable en raison de l’hémodilution. Une hyperleucocytose et une polynucléose sont possibles au 3e trimestre (maximum entre 30 et 34 SA). Le seuil (valeur supérieure) des leucocytes est de 15 G/L au 2e trimestre et de 17 G/L au 3e trimestre ; la valeur supérieure des polynucléaires neutrophiles est de 7 G/L : avec ce seuil, 50 % des femmes enceintes ont une polynucléose [21]. La grossesse normale est caractérisée par un état d’hypercoagulabilité associé à une baisse des capacités de fibrinolyse. Au niveau plasmatique, les facteurs procoagulants s’élèvent (sauf FXI et FXIII), concourant à l’augmentation de la génération de thrombine et de la synthèse du fibrinogène. Cette augmentation des différents facteurs semble être d’origine multifactorielle : hormonale, placentaire et réactionnelle à la consommation ou à la destruction des facteurs [47].
Modifications pharmacologiques
La pharmacocinétique de la plupart des médicaments est modifiée au cours de la grossesse.
Absorption Il existe, au cours de la grossesse, des variations de la biodisponibilité des médicaments. L’absorption des médicaments administrés par voie orale est modifiée par la diminution du pH gastrique, le ralentissement de la vidange gastrique et la diminution de la motilité intestinale. En outre, du fait de l’infiltration des parties molles, on observe un ralentissement de la résorption des médicaments administrés par voie intramusculaire. La résorption par voie pulmonaire est très augmentée par accroissement du débit sanguin pulmonaire et augmentation de la ventilation alvéolaire[66].
Fixation protéique L’hémodilution et l’hypo-protidémie induite augmentent la fraction libre des agents pharmacologiques administrés comme les morphiniques, les anesthésiques généraux et locaux majorant de ce fait leur efficacité sur les récepteurs respectifs. Le risque de surdosage est permanent et doit être anticipé dans le calcul des doses nécessaires[66].
Volume de distribution En raison de l’hyper-volémie observée au cours de la grossesse, de l’augmentation du volume extracellulaire extravasculaire, de l’adjonction de nouveaux compartiments (placenta et fœtus) et de la diminution de la fixation protéique, il existe une augmentation du volume de distribution des médicaments chez la femme enceinte[4].
Métabolisme Le métabolisme hépatique augmente progressivement à partir de 12 SA. Cet accroissement est expliqué par l’effet inducteur enzymatique de la progestérone sur les réactions d’hydroxylations microsomiales et sur l’activité des cytochromes P450. La synthèse des pseudo-cholinestérases plasmatiques diminue progressivement au cours de la grossesse, mais habituellement sans retentissement clinique sur l’hydrolyse de la succinylcholine et la durée du bloc neuromusculaire[66].
Elimination Le débit de filtration glomérulaire augmente jusqu’à plus de 40 à 50 % par rapport aux valeurs en anté-partum, alors que la réabsorption tubulaire diminue. Cela a pour effet d’augmenter la clairance et de raccourcir la demi-vie des médicaments à élimination rénale. L’excrétion biliaire peut être diminuée par l’effet cholestatique des estrogènes. Les médicaments éliminés en majeure partie par cette voie risquent de voir leur concentration plasmatique s’élever de façon importante, justifiant une surveillance par des dosages sanguins pour ajuster les posologies[66].
Anesthésie loco régionale
La rachianesthésie : La rachianesthésie est devenue la technique anesthésique de choix pour les césariennes. C’est une technique simple, de réalisation rapide et fiable[11, 45]. La rachianesthésie peut être réalisée en position assise ou en décubitus latéral gauche avec une asepsie stricte [45]. Il s’agit de la technique de base dite « single shot ». On utilise des aiguilles atraumatiques à bout arrondi ou « pointe crayon » de calibre le plus fin possible afin de diminuer le risque de céphalées post-ponction. Cependant l’aiguille doit être suffisamment rigide pour faciliter la ponction. Les aiguilles les plus couramment utilisées restent les 25 et 27 G avec un introducteur 22 G[11]. Les principaux anesthésiques locaux ayant l’AMM et utilisables en rachianesthésie sont la bupivacaïne 5 mg/ml hyperbare, la ropivacaïne et la levobupivacaïne à 5 mg/ml isobares. L’anesthésique local le plus utilisé reste la bupivacaïne hyperbare avec des doses variant de 6,2 mg à 11 mg. Le fentanyl (25µg), la morphine (100µg) ou la clonidine (30µg) sont les adjuvants recommandés en association avec la bupivacaïne pour un renforcement et un allongement de la durée d’analgésie[11,37].
L’extension de l’anesthésie péridurale : La conversion d’une péridurale analgésique en péridurale chirurgicale n’est possible que si le délai entre la décision et l’extraction fœtale est supérieur à dix minutes en cas de césarienne en urgence. La césarienne semi-urgente ou non urgente est l’indication de choix de la conversion d’une analgésie péridurale obstétricale en anesthésie péridurale chirurgicale[11]. Une variété de solutions de recharge est utilisée, selon la pratique locale et vitesse d’apparition requise[37, 71]:
20 ml de lidocaïne à 2% ;
20 ml de ropivacaïne à 0,75%, de lévo-bupivacaïne à 0,5% ou de bupivacaïne à 0,5% ;
10 ml de bupivacaïne à 0,5% associée à 10 ml de lidocaïne à 2%.
Ces solutions peuvent être complétées par l’ajout de 50 à 100 µg de fentanyl
Réanimation per opératoire
Dans notre étude, la quantité du remplissage vasculaire per-opératoire était en moyenne de 1000 ml. Comparativement, concernant le remplissage vasculaire, Ndiaye[52] rapportait une moyenne de 850 ml ; Akpawu[3] de 1200 ml et Bara [5]de 1500ml. Le remplissage vasculaire a pour but principal la prévention de l’hypotension artérielle maternelle. Ainsi, l’administration préventive de cristalloïdes permet d’éviter la survenue de l’hypotension artérielle chez la mère[13]. Ceci pour des posologies allant de 10 à 30ml/kg[14]. Dans notre série, les cristalloïdes ont été utilisés seuls chez toutes les patientes. Le sérum salé isotonique a été utilisé quasi exclusivement chez 99,61 % et le ringer lactate chez 0,38 %. En effet, pour la prévention de l’hypotension artérielle maternelle, l’utilisation de colloïdes n’est pas plus efficace qu’un volume équivalent de cristalloïdes[69]. Seulement 2,29 % des patientes ont bénéficié d’une transfusion de concentré de globules rouges alors que dans l’étude d’Akpawu[3] 7,0% des patientes ont bénéficié d’une transfusion de concentré de globules rouges et 4,4% dans l’étude de Bara[5]. En effet, en per opératoire les pertes sanguines ne sont pas objectivement évaluées, et seuls les paramètres hémodynamiques permettent ou non de décider d’une transfusion. Ce problème pourrait être pallié par la mise en place d’un hémocue dans le service. Par ailleurs, dans notre contexte, les produits sanguins labiles sont difficilement disponibles. Toutes les patientes ont bénéficié d’oxytocine en bolus puis en perfusion. Ce produit étant beaucoup moins onéreux que la carbétocine qui n’est disponible que depuis peu en pharmacie. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande pour une meilleure rétraction utérine au cours des césariennes en première intention l’utilisation de l’oxytocine (3UI en bolus sur une durée de 30 secondes puis une perfusion continue de 7,5 à 15 UI/h pendant 2 à 4 heures) ou de la carbétocine (100 gamma en IVL dose unique)[35].
CONCLUSION
L’anesthésie pour césarienne est une anesthésie à risque élevé, surtout quand elle est réalisée en urgence. Dans les pays développés, des progrès ont été réalisés au niveau du plateau technique (anesthésique et obstétricale) pour offrir une bonne sécurité maternofœtale au cours de la césarienne en urgence, dans notre contexte la morbimortalité maternelle et périnatale des césariennes en urgences constitue un réel problème de santé publique. Le taux de césarienne est un indicateur de bonne couverture par les services de santé. Nous avons mené une étude sur l’anesthésie au cours de la césarienne en urgence au niveau de la clinique gynécologique et obstétricale de l’hôpital Aristide le Dantec. Notre objectif était de dresser un bilan des activités anesthésiques pour les césariennes en urgence durant la première année d’activité de cette structure. Notre travail concerne toutes les patientes reçues à la maternité de l’HALD et ayant bénéficié d’une césarienne en urgence. L’étude s’étendait sur une période de 1 an allant du 1er Septembre 2018 au 31 Aout 2019. Durant cette période, 2083 accouchements ont été réalisés dont 845 par césarienne, soit un taux de césarienne global de 40,56 %. Sur le total de 845 césariennes réalisées, 783 ont été faites en urgence, correspondant à un taux de 92,66% césariennes en urgences. L’âge moyen des patientes était de 28,01 ans. Les patientes étaient transférées dans 62,02 % des cas. Les antécédents médicaux étaient dominés par l’HTA dans 1,90 %, et les antécédents chirurgicaux, par les utérus cicatriciels pour 25,38 %. Le suivi de la grossesse a été complet chez 445 patientes (84,92 %) avec un nombre supérieur ou égal à 3 CPN, associé à la réalisation d’une échographie précoce. Les indications de césarienne étaient classées en 3 groupes : les césariennes d’extrême urgence avec un taux de 24,04 % des cas, les césariennes urgentes avec un taux de 9,73 % des cas et les césariennes non urgentes avec un taux de 66,22 % des cas. A la consultation pré-anesthésique, 79,96 % des patientes présentaient une pression artérielle systolique normale, 17,74 % des patientes présentaient une augmentation de la pression artérielle systolique et 2,29 % des patientes présentaient une diminution de la pression artérielle systolique. Le score de Mallampati a été évalué chez 99,8% de nos patientes, 89,50 % des patientes avaient un score de Mallampati compris entre 1 et 2. La classe ASA 1 représentait 72,31 %. Les autres patientes étaient réparties entre les classes 2 et 3. Un hémogramme a été réalisé pour 88, 54 % des patientes et un bilan d’hémostase pour 75,19 % des patientes. Un bilan complet était fait chez 75,19 % des patientes. Le délai moyen entre la décision de césarienne et l’installation au bloc opératoire étaient de 26 min pour les césariennes d’extrêmes urgences, de 40 min pour les césariennes urgentes, et de 92 min pour les césariennes non urgentes. La rachianesthésie était utilisée pour 81,87 % des patientes avec un échec dans 4,19 % des cas. Son utilisation était essentiellement pour les césariennes non urgentes dans 77,85 % des cas. L’anesthésie générale était utilisée chez 21,56% des patientes. Une intubation difficile était rapportée dans 2,65 % des cas. Son utilisation était dominée par les césariennes d’extrême urgence dans 64,60 % des cas. L’antibioprophylaxie était réalisée chez 99,60 % des patientes. Elle était adéquate à base de céfuroxime pour 41,41 % des patientes. En per opératoire, l’hypotension artérielle chez 25,74 % des patientes et l’hémorragie chez 1,14 % des patientes ont été les deux incidents retrouvés. Le score d’Apgar à la 1ère minute était inférieur à 7 chez 15 % des nouveau-nés et à la 5éme minute il était inférieur à 7 chez 1 % nouveau-nés. Après la césarienne 1,90 % des patientes ont été transférées en réanimation et 98,90 % des patientes ont été hospitalisées à la maternité. La durée moyenne d’hospitalisation à la maternité était de 3,92 jours (extrêmes 1 et 25 jours). Les complications post opératoires étaient dominées par la survenue de céphalées post rachianesthésie pour 6,10 % des patientes et de douleur au niveau du site opératoire pour 4,19% de nos patientes. Aucun décès maternels n’a été rapporté dans notre étude.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
1. Modifications de l’organisme maternel pendant la grossesse
1.1. Modifications physiologiques
1.2. Modifications anatomiques
1.3. Modifications pharmacologiques
1.4. Impact de ces modifications sur la prise en charge anesthésique
2. Classification en fonction du degré d’urgence
3. Prise en charge anesthésique des césariennes dans le cadre des urgences
3.1. Phase pré-opératoire
3.2. Phase per-opératoire
3.3. Phase post-opératoire
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
1. Cadre de l’étude
1.1. Infrastructures
1.2. Personnel d’anesthésie réanimation
2. Patientes et méthode
2.1. Type d’étude
2.2. Période d’étude
2.3. Critères d’inclusion
2.4. Critères de non inclusion
2.5. Méthodologie
2.6. Collecte et analyse des données
2.7. Paramètres étudiés
3. Résultats
3.1. Données épidémiologiques
3.2. Données de la prise en charge anesthésique
4. Discussion
4.1. Données épidémiologiques
4.2. Données de la prise en charge anesthésique
CONCLUSION
REFERENCES
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