Les Troubles Fonctionnels Intestinaux souvent regroupés sous le terme de colopathie fonctionnelle ou syndrome de l’intestin irritable constituent des affections fréquentes représentant près de 50 % des motifs de consultation en Gastro-Entérologie. L’on observe chez ces patients des symptômes qui se manifestent de manière intermittente au niveau de la sphère digestive et/ou extradigestive avec une traduction clinique extrêmement polymorphe, variable d’un individu à un autre pour développer des caractères modèles centrés sur l’alternance ou l’association de trois symptômes majeurs à savoir :
– la douleur abdominale ;
– les ballonnements ;
– les troubles de transit intestinal.
Toutefois, d’autres manifestations variées peuvent enrichir ce tableau clinique : nausées, flatulence, polykiurie, dysménorrhée, trouble de l’humeur de l’appétit et du sommeil. En l’absence d’hypothèses étiologiques et physiopathologiques dominantes et au vu de cette variabilité clinique, il n’existe pas de traitement univoque capable de réduire la symptomatologie de tous les patients. Ceci contraint les cliniciens à opter pour une stratégie thérapeutique d’adaptation tout en prenant compte des facteurs initiateurs déterminant la survenue de ces troubles à savoir :
– la composante sensitive ;
– la composante motrice ;
– la composante gazeuse ;
– la composante psychogène.
Ainsi, selon le contexte de la pathologie, le traitement est :
– prescrit en continu ou non ;
– adapté à chaque individu selon le ressenti subjectif de la symptomatologie digestive.
Il est impossible au clinicien de livrer une ordonnance type, cependant à titre indicatif, une prescription comprend de façon schématique des :
– mesures hygiéno-diététiques ;
-médications à savoir :
➤ un antispasmodique ;
➤ un adsorbant ;
➤ un laxatif.
Le traitement des Troubles Fonctionnels Intestinaux est souvent long et difficile. En complément de cette médication à visée symptomatique, le respect de certaines règles hygiéno-diététiques s’impose et un éventuel abord psychothérapique est envisageable. Ce travail a pour objectif de définir l’environnement médicamenteux et diététique des Troubles Fonctionnels Intestinaux chez les patients consultés au Service de Gastro-Entérologie de l’Hôpital Général de Grand-Yoff. Pour se faire, nous allons, après quelques généralités sur les Troubles Fonctionnels Intestinaux, aborder les différentes stratégies thérapeutiques puis exploiter les résultats de notre enquête épidémiologique.
GENERALITES SUR LES TROUBLES FONCTIONNELS INTESTINAUX
DEFINITION
Les Troubles Fonctionnels Intestinaux sont définis comme un syndrome regroupant des symptômes chroniques (douleurs, ballonnements abdominaux ou troubles du transit intestinal) isolés ou associés et évoluant de manière continue ou récurrente en l’absence de toute cause organique décelable. Ces symptômes, d’une chronicité désespérante, peuvent largement déborder au-delà de l’atteinte colique pour entraîner des troubles de la sphère digestive et/ou extra digestive et cela sans engager un pronostic vital.
EPIDEMIOLOGIE
Les Troubles Fonctionnels Intestinaux sont très fréquents dans la population Française où ils touchent environ 15 à 20 % de celle-ci ; cependant seul un tiers de ces patients viennent consulter [2]. A Dakar, la prévalence des Troubles Fonctionnels Intestinaux est de 22 % et 40 % des patients consultent [30]. Le diagnostic initial de cette affection se fait habituellement au cours de la troisième et quatrième décade de la vie, mais l’âge réel du début peut être plus précoce et la présence de Troubles Fonctionnels Intestinaux chez l’enfant est loin d’être exceptionnelle. Il s’agit dans la plupart des cas de sujets déprimés, anxieux et/ou obsessionnels très sensibles aux stress qui accentuent davantage leurs symptômes [35].
Les Troubles Fonctionnels Intestinaux sont à prédominance féminine, mais cela tient sans doute au sex-ratio du symptôme constipation (3 femmes pour 1 homme). Aux Etats-Unis, il a été montré que la moitié, des patientes consultant pour Troubles Fonctionnels Intestinaux ont été victimes d’une agression sexuelle et/ou physique ; la prévalence étant comprise entre 32 et 44 % [28]. Très fréquemment, les patients ont des antécédents chirurgicaux chargés (appendicectomie) ; la fréquence des antécédents de dépression est également importante et celle-ci s’accroît avec la durée des troubles. Enfin, le caractère familial des troubles est assez fréquent, de même que les antécédents familiaux de cancers digestifs chez les consultants. Ces derniers sont probablement de ce fait, plus attentifs que d’autres à leur sphère digestive. La chronicité de ces symptômes interfère directement avec la qualité de vie des patients et induit des coûts de santé élevés de manière directe ou indirecte : absentéisme, arrêt de travail, consommation excessive de médicaments [6]. La Société Nationale Française de Gastro-Entérologie révèle qu’en France, le coût direct moyen mensuel est de 71,80 є avec une large distribution en raison du nombre important de sujets non consommateurs de soins médicaux. Les composantes de ce coût sont : les examens complémentaires, les séjours hospitaliers, les traitements médicamenteux et les consultations. Le coût indirect lui, est estimé à 3,2 є ou 15,09 є par mois selon qu’on envisage l’assurance sociale où le point de vue social. Aux Etats-Unis, le coût global de frais de santé engagé est de 8 millions de dollars par an [28].
PHYSIOPATHOLOGIE
TROUBLE DE LA MOTRICITE DIGESTIVE
La motricité du côlon conditionne étroitement la régulation de ses trois fonctions physiologiques, à savoir :
– la réabsorption de l’eau ;
– le maintien d’une microflore bactérienne équilibrée ;
– la régularisation du transit.
Au cours des Troubles Fonctionnels Intestinaux, les troubles de la motricité colique sont observés chez 50 à 60 % des patients. L’exploration manométrique et électromyographique de ces anomalies montre un abaissement des pressions intraluminales et des index moteurs dans les diarrhées d’origine colique ; alors que ces paramètres augmentent souvent en cas de constipation. Elle décrit également une hyperactivité des contractions segmentaires rectosigmoïdiennes chez les patients souffrant de constipation et une diminution de ces contractions en cas de diarrhée [2]. Le paradoxe des associations hyperactivité – constipation et hypoactivité – diarrhée n’est qu’apparent. Une augmentation des contractions coliques segmentaires et non propagées génère une barrière de pression intraluminale et augmente la réabsorption hydroélectrolytique, donc la constipation.
A l’opposé, la diarrhée peut être en relation avec une inertie colique, qui traduit une inhibition globale de l’activité motrice [21]. D’autres anomalies de la motricité de l’œsophage et de l’intestin grêle sont associées à celles découvertes au niveau du côlon. Les épisodes de stress psychologique ou physique, l’ingestion de certaines substances peuvent altérer la contractilité du côlon. En effet, la motricité du tube digestif normal ou anormal est un phénomène complexe. Elle résulte d’interaction du système nerveux central, du système nerveux intrinsèque digestif et du système endocrinien gastro-intestinal entre eux et avec les muscles lisses du tube digestif. Le parasympathique et le sympathique exercent chacun un tonus permanent sur la motricité colique respectivement une stimulation de nature muscarinique et une inhibition de nature adrénergique. La grande variété de connexions nerveuses de neurotransmetteurs, et des récepteurs dans le système nerveux entérique permet l’intégration d’informations sensorielles locales (provenant des récepteurs nerveux de la paroi digestive) la production d’une réponse coordonnée. Mais les informations sensorielles sont également transmises vers la moelle épinière et le cerveau. Elles peuvent à chaque étape, déclencher des réflexes (réponses motrices) et être ressenties de façon consciente : douleurs et troubles du transit intestinal.
LES TROUBLES DE LA SENSIBILITE
Les hypothèses physiopathologiques au cours de la dernière décennie se sont portées sur la sensibilité viscérale et les voies nerveuses afférentes qui relient le tractus digestif au système nerveux central. L’utilisation du barostat pour réaliser des tests de distension a permis de démontrer l’existence d’une hypersensibilité viscérale chez les patients lors des distorsions réalisées au niveau du côlon [8] et du rectum [46].
Cette hypersensibilité se caractérise par une perception accrue des sensations digestives déclenchées par la distension d’un segment digestif et/ou la perception d’une sensation douloureuse par les patients en réponse à des stimuli qui ne déclenchent aucune douleur chez des sujets sains. L’hypersensibilité à la distension est un phénomène diffus, impliquant tous les segments digestifs et non limité aux organes à priori à l’origine des symptômes présentés par les patients. Au cours des Troubles Fonctionnels Intestinaux, il existe une hypersensibilité à la distension du côlon et du rectum mais aussi de l’intestin et de l’œsophage [16]. Cette hypersensibilité se traduit par un abaissement des seuils de la sensibilité à la douleur. Des études dynamiques du cerveau, notamment les variations de flux sanguin au niveau des noyaux cérébraux en réponse à des stimuli viscéraux pour évaluer la participation des fonctions corticales dans la genèse de l’hypersensibilité viscérale, au cours des Troubles Fonctionnels Intestinaux ont montré que ces patients présentaient un phénomène d’anticipation de la réponse douloureuse qui les conduisait à rapporter une sensation douloureuse pour des stimuli de moindre intensité que des sujets normaux. Selon certaines hypothèses, cette hypersensibilité viscérale serait liée à une stimulation permanente des chémorécepteurs des fibres afférentes sensitives et un abaissement du seuil de sensibilité de leurs mécano récepteurs. Il s’ensuivrait une augmentation anormale des informations sensitives (alors même que le stimulus conserverait, au départ la même intensité) entraînant un dérèglement des centres bulbospinaux et de la réponse motrice.
A son tour, une augmentation de la motricité, résultante au point de départ de ces intentions renforce la stimulation des mécanorécepteurs sensitifs et amplifie le trouble. La stimulation des mécanorécepteurs membranaires par une distension gazeuse par exemple, entraîne l’ouverture de canaux calciques et l’entrée massive de calcium dans la terminaison sensitive qui déclenche l’influx nerveux sensitif. Ce dernier est intégré dans la moelle épinière et le cerveau engendre une réponse motrice transmise par les fibres efférentes motrices vers la fibre musculaire lisse de la paroi intestinale. Ce qui se traduit par des contractions anarchiques du côlon engendrant ainsi des troubles de transit à type de diarrhée ou constipation. Cette physiopathologie est multifactorielle et repose donc sur l’interaction du système nerveux central et du tractus digestif, à travers l’axe cerveau – intestin qui regroupe l’ensemble des voies nerveuses afférentes et efférentes qui les relient.
INFLUENCE DES GAZ
La composition des gaz intestinaux varie selon le niveau du tube digestif. Dans l’estomac, on retrouve essentiellement de l’air dégluti, dans le duodénum s’ajoute du gaz carbonique. La composition de l’intestin grêle et du côlon n’est pas connue ; en revanche, au niveau des gaz émis à l’anus, on retrouve de l’azote, du CO2, de l’hydrogène, parfois du méthane et des gaz odorants. Cette composition ne reflète qu’imparfaitement le contenu des gaz coliques dont les constituants principaux (gaz carbonique et hydrogène) diffusent rapidement à travers la muqueuse colique. Différentes hypothèses ont été émises afin d’expliquer les symptômes de ballonnements à savoir :
■ une production gazeuse anormalement élevée qui peut être secondaire soit :
– à une malabsorption des glucides responsables d’une augmentation des fermentations gazeuses ;
– ou à un dysmicrobisme c’est-à-dire la présence d’une flore bactérienneparticulière produisant trop de gaz ou ne les contaminant pas assez. Cependant, aucune donnée concernant la description de la flore n’est disponible compte-tenu du grand nombre d’espèces présentes dans la lumière colique. Dans une étude, il a bien été montré que des patients se plaignant de ballonnement, présentaient une production gazeuse anormalement élevée par rapport à un groupe de sujet sains contrôlés [24].
■ en fait, le plus souvent, les patients qui se plaignent d’un excès de gaz ont un volume normal de gaz dans le tube digestif [27, 39] et l’hypothèse d’un transit anormal de gaz a été confortée par différentes observations. En effet, il a été démontré une augmentation de la quantité de gaz abdominaux lors d’une mesure par planimétrie sur des clichés d’abdomen sans préparation [25]. En revanche, une étude utilisant la tomodensimétrie comme instrument de mesure du volume de gaz n’a pas confirmé ces résultats [29]. Ces observations suggèrent que le transit intestinal serait perturbé chez ces patients. Il s’agit le plus souvent d’un ralentissement du transit avec une rétention anormale des gaz.
■ enfin, la dernière hypothèse qui n’est pas exclusive vis-à-vis des précédentes, est que cette sensation de ballonnement serait secondaire à unehypersensibilité viscérale pour un même volume de gaz perfusé dans le côlon, alors que les sujets sains ne ressentaient aucun symptôme, les patients signalaient leurs symptômes typiques. Un volume de gaz normal ou modérément élevé stimulerait des récepteurs sensitifs dont le seuil de stimulation serait abaissé.
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Table des matières
INTRODUCTION
I– DEFINITION
II– EPIDEMIOLOGIE
III– PHYSIOPATHOLOGIE
III.1. – TROUBLE DE LA MOTRICITE DIGESTIVE
III.2.– TROUBLES DE LA SENSIBILITE DIGESTIVE
III.3.- INFLUENCE DES GAZ
IV –LA SYMPTOMATOLOGIE ET LES DIFFERENTES FORMES CLINIQUES
IV.1. – LA DOULEUR ABDOMINALE
IV.2. – LES BALLONNEMENTS ABDOMINAUX
IV.3. – LES TROUBLES DE TRANSIT
IV.3.1.– La constipation
IV.3.2.– La diarrhée
IV.3.3. – L’alternance diarrhée – constipation
IV.4.- AUTRES SIGNES CLINIQUES
V – DIAGNOSTIC
V.1. – INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE
CONCLUSION