Un patient est défini comme polytraumatisé lorsqu’il est victime d’un traumatisme physique violent quelles que soient les lésions apparentes. Les patients traumatisés sévères sont classés en 3 catégories selon leur gravité. Le patient polytraumatisé grade C (grade 3 ou « potentiellement grave », selon les diverses classifications françaises) est défini par l’existence d’un critère mécanique de haute cinétique ou de facteur épidémiologique aggravant chez un patient ne présentant aucune détresse vitale (Annexe 1). La réalisation d’examens d’imagerie médicale s’inscrit dans une démarche diagnostique et thérapeutique globale du patient traumatisé sévère. Les données épidémiologiques de 2014, recensent 40 millions d’admissions aux urgences et en réanimation, par an pour traumatisme sévère (toutes classes confondues) dont 233 000 décès en Europe. Le polytraumatisme est la première cause de décès chez le jeune de moins de 40 ans et conduit à de nombreux handicaps moteurs. Le scanner corps entier (Body TomoDensitoMetry ou BTDM) entre dans les protocoles standards de prise en charge du patient polytraumatisé depuis 30 ans. Il permet d’établir rapidement un bilan lésionnel complet. Le BTDM fait partie intégrante des examens d’imagerie recommandés par le guide de bon usage des examens d’imagerie aux urgences rédigé par la Société française de Radiologie en association avec des experts pluridisciplinaires. A l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM), les Services d’Accueil d’Urgences Vitales (SAUV) sont amenés à recevoir les polytraumatismes grade C. En 2016, 1500 BTDM y ont été réalisés pour ce motif. En France en 2012, le scanner a été responsable de 71.3% de la dose totale (en Gray) d’irradiation annuelle (toutes sources ionisantes confondues), contre 58% en 2007. L’étude de Beatty et al. en 2015, évaluait l’exposition du patient traumatisé grave aux rayonnements ionisants : la dose moyenne d’irradiation délivré par BTDM correspond à 1 décès additionnel par cancer radio-induit tous les 100 patients polytraumatisés exposés. Déterminer les facteurs prédictifs de BTDM pathologiques chez les patients polytraumatisés de grade C et envisager un scanner ciblé sur un éventuel point d’appel clinique, s’inscrit dans les problématiques actuelles d’Exposition aux Radiations Ionisantes à des Fins Médicales et de Dépenses de Santé Publique. L’objectif principal de notre étude est d’évaluer l’impact diagnostic et thérapeutique de la réalisation systématique d’un BTDM chez le patient polytraumatisé grade C.
DISCUSSION
Prise en charge initiale du patient polytraumatisé selon sa classification
Les critères de Vittel ont été établis en 2002 par l’équipe des Pr Riou et Vivien au SMUR de Paris pour trier les patients polytraumatisés en pré-hospitalier (Annexe 3). Ils permettent la détection de lésions non suspectées, mais ceci au prix de l’augmentation du nombre de BodyTDM prescrits . Nous avons vu dans nos résultats que les critères de Vittel ont une bonne sensibilité mais une mauvaise spécificité pour prédire un BTDM anormal. Ceci peut s’expliquer par le fait que le seul critère de gravité chez le patient polytraumatisé de grade C réside dans la cinétique du traumatisme. Il n’existe pas de définition objective du terme « haute cinétique » utilisé par les critères de Vittel. Cette notion reste à l’appréciation du clinicien. D’ailleurs dans notre étude, la vitesse est un facteur protecteur non significatif de BTDM anormal (probablement expliqué en parti par un manque de puissance de notre étude). Aux Etats-Unis, certains hôpitaux utilisent des critères plus précis pour catégoriser les patients traumatisés selon leur gravité . En 2011, Laack et al. définissaient la « haute vélocité » par une vitesse > 64km/h pour un adulte et > 32 km/h pour un enfant .
L’ORU PACA, groupement d’intérêt public (GIP) de santé de la région, recommande au médecin régulateur du SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente) d’utiliser les critères de Vittel pour indiquer la médicalisation ou non du transport. L’existence d’un seul critère doit conduire à un transport médicalisé et au BTDM. Ces patients sont ensuite triés en 3 catégories: « Instable », « Critique » et « Potentiellement grave » (Annexe 1 et 6), pour lesquelles les recommandations sur l’imagerie sont différentes. Le patient « Potentiellement grave » doit bénéficier d’une radiographie de thorax (la radiographie du bassin et la eFAST échographie sont à discuter au cas par cas) et d’un BTDM dans les 90 minutes de prise en charge.
Dans notre étude, le mode de transport « médicalisé » du patient polytraumatisé était un facteur prédictif significatif de BTDM anormal. 2.8% des patients avaient un BTDM anormal alors qu’ils étaient transportés médicalement et qu’ils n’avaient pas de critère de Vittel. A l’inverse, 39.3% des patients avaient un BTDM normal alors qu’ils étaient transportés de manière non médicalisée et qu’ils présentaient a u moins un critère d e Vittel. Ce s chiffres reflètent l’importance d e l’appréciation clinique initiale du patient par le médecin de l’équipe pré-hospitalière pour le polytraumatisé de grade C. Les mêmes résultats ont été retrouvé en 2014, dans une étude menée par les équipes de réanimation et d’urgences de l’hôpital Beaujon (92) 24 qui évaluait la performance de ces critères au triage des patients. 74 patients classés grade C lors de la prise en charge préhospitalière sont devenus grade B après leur arrivée au SAU, du fait de leur aggravation clinique durant le transport. Ces patients représentent dans notre étude les patients ayant été admis secondairement en réanimation.
Imagerie et Patient Polytraumatisé
44.5% des patients n’ont pas eu de radiographie de thorax, malgré les recommandations régionales. La réalisation d’une radiographie de thorax chez le patient polytraumatisé est prescrite dans l’intérêt de traiter en urgence un pneumothorax ou hémothorax chez un patient en détresse respiratoire ou présentant des signes cliniques de tamponnade. Le patient classé grade C reçu aux urgences, ne présente pas, par définition, de signes de détresse vitale. En dehors de toute dégradation durant le transport, il est donc licite de se poser la question de l’intérêt de la radiographie de thorax chez ces patients. L’étude de Wisbach et al. en 2007 a conclu au caractère probablement inutile de la radiographie de thorax chez le patient polytraumatisé stable. De plus, la radiographie de thorax a été démontrée comme moins sensible que la eFAST pour le diagnostic de tout épanchement pleural.
En plus de la radiographie du thorax et du bassin (systématique dans la prise en charge du patient polytraumatisé selon sa classification), dans notre étude, les patients ont bénéficié en moyenne de 2 radiographies supplémentaires. Il s’agissait, dans la majorité des cas, de radiographies des membres périphériques, mais il existait quelques cas où des radiographies du rachis, de la face ou des épaules étaient réalisées. Ces radiographies inutiles, car redondantes avec la réalisation du BTDM et ne changeant pas la prise en charge initiale, ne devraient pas être réalisées. Le délai entre l’arrivée du patient à la SAUV et le BTDM était en moyenne 1.5 fois supérieur à celui recommandé par l’ORU PACA. Même si cela ne le justifie pas, ce délai peut probablement s’expliquer par la stabilité hémodynamique du patient polytraumatisé reçu dans les SAUV de l’APHM.
De nombreux articles ont démontré l’intérêt de la eFAST dans la prise en charge initiale du polytraumatisé. Elle a une mauvaise valeur prédictive négative et doit être répétée lorsqu’elle est initialement négative (évaluation clinique dynamique du patient polytraumatisé). Bien qu’elle ne soit pas systématique chez le patient polytraumatisé « potentiellement grave » dans les recommandations ORU PACA, la eFAST a été réalisée chez 48.8% des patients de notre étude.
Taux d’Irradiation
Si le taux d’irradiation induit par les examens d’imagerie médicale est très largement inférieur aux taux d’irradiation environnementaux, l’imagerie est de loin la plus grande source d’irradiation induite par l’Homme et le nombre d’examens ionisants ne cesse de croître . Selon les données européennes de 2014, la France s’inscrit parmi les pays les plus exposés aux irradiations quelle qu’en soit l’origine (la France étant le pays européen qui abrite le plus de sources d’irradiations naturelles).
La dose efficace moyenne d’exposition aux radiations naturelles en France est de 2 mSv/an/personne. En France, 81.8 millions d’actes diagnostiques utilisant les rayonnements ionisants ont été réalisés en 2012, soit 6% de plus qu’en 2007. La France n’est pas le pays le plus consommateur d’imageries médicales ionisantes : 1148 pour 1000 personnes par an. En Europe, le premier pays prescripteur d’examens d’imagerie est l’Islande avec 2129 pour 1000 personnes par an (Annexes 7). Par convention, nous utilisons la dose efficace pour comparer les risques radiologiques liés à des examens d’imagerie de zones anatomiques différentes. Cette grandeur permet la mesure de l’impact d’un rayonnement ionisant sur les tissus biologiques, elle est exprimée en Sievert (Sv). En France, les doses d’irradiations par actes médicaux sont soumises à des règles législatives du Code de Santé Publique, autorisant une dose efficace maximale de 1 milliSievert (mSv) par an et par personne. L’Institut National de Recherche et de sécurité (INRS) en 2012, relevait une dose efficace individuelle annuelle cumulée par imageries inférieure à 1 mSv pour 70% des patients ayant bénéficié d’au moins un examen d’imagerie. Dix huit pourcents d’entre eux recevaient entre 1 et 10 mSv, 11% entre 10 et 50 mSv et 1% recevait plus de 50 mSv. Bien qu’ils ne représentent que 10.4% du nombre annuel d’actes de diagnostic ionisant, les scanners sont responsables de 71.3% de la dose totale délivrée (contre 58% en 2007). La dose effective moyenne d’un BTDM est de 12 mSv. La dose d’irradiation efficace pour une radiographie de thorax est de 0.1 mSv. Dans notre étude, le taux moyen d’irradiation par scanner était de 3408.54 mGy/cm. En 2000, un rapport évaluait le risque de cancer radio-induit chez les survivants exposés à de faibles doses d’irradiation par la bombe atomique. Pour des patients exposés à des doses comprises entre 5 et 100 mSv, il existait une augmentation significative du risque de cancer solide. Pour un homme de 45 ans ayant eu un seul BTDM, le risque de mortalité par cancer radio-induit était estimé à 0.08%. S’il avait un BTDM par an pendant 30 ans, le risque était de 1.9%. Ce risque est faible, mais il prend toute son importance à une époque où l’espérance de vie s’allonge et où les examens complémentaires irradiants sont de plus en plus nombreux. Les risques à long terme lié à une « surexposition » aux sources de radiation sont les cancers radio-induits et la transmission de mutation génétique à un descendant. L’étude de Berrigton de Gonzales et al. en 2004, a proposé une modélisation afin d’estimer ce risque en fonction de l’âge pour la population anglaise et quatorze autres pays n’incluant pas la France. Dans cette étude, 746 imageries ionisantes par an avaient été réalisées pour 1000 personnes en Angleterre. Ils ont donc estimé que les rayons X pouvaient être à l’origine de 700 cas de cancer par an chez les hommes et femmes de plus de 75 ans.
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
Description de l’étude
Population étudiée
Le recueil de données
Analyse statistique
RESULTATS
1. Population globale indépendamment du BTDM
1.1 Population étudiée
1.1.1 Caractéristiques de la population
1.1.2 Mécanisme du traumatisme
1.2 Evaluation pré-hospitalière
1.3 Evaluation aux urgences
1.3.1 Examen clinique
1.3.2 Examens paracliniques
1.3.2.1 Examens biologiques
1.3.2.2 Examens radiologiques
1.4 Résultats du BTDM
1.5 Devenir du patient
1.6 Taux d’Irradiation
2. Evaluation en fonction des résultats du BTDM
2.1 Caractéristiques de la population en fonction du BTDM
2.2 Répartition des BTDM en fonction du mécanisme traumatique
2.3 Résultats du BTDM en fonction du bilan clinique pré-hospitalier
2.4 Résultats du BTDM en fonction du bilan aux urgences
2.4.1 Examen clinique
2.4.2 Examens paracliniques
2.4.2.1 Examens biologiques
2.4.2.2 Examens radiologiques
2.5 Orientation des patients en fonction du BTDM
3. Recherche de facteurs prédictifs d’un BTDM pathologique
3.1 Comorbidités
3.2 Mode de transport et mécanisme traumatique
3.3 Existence d’un point d’appel clinique
DISCUSSION
Prise en charge initiale du patient polytraumatisé selon sa classification
Imagerie et Patient Polytraumatisé
Taux d’Irradiation
Gestion de Flux et Dépenses de Santé Publique
Les Incidentalomes
BTDM versus scanner ciblé
Limites de notre étude
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES