La cavité buccale se situe entre les lèvres et l’isthme du gosier. Elle est le lieu de rencontre de différentes fonctions : la phonation, la mastication, le début de la digestion et la respiration. La bouche contribue ainsi à la qualité de vie d’une personne via l’enjeu esthétique et les relations qui en découlent. La muqueuse qui la compose peut révéler un état pathologique dont l’expression buccale est bien souvent négligée ou même ignorée. Cet état pathologique peut varier de la simple ulcération traumatique, guérissant en moins de 10 jours, à l’ulcération d’un redoutable carcinome épidermoïde dont le pronostic à 5 ans se trouve aux alentours de 60%. Il peut aussi révéler ou compléter l’état clinique d’une pathologie dont l’étiologie est à rechercher. La prévalence des pathologies de la muqueuse buccale est, selon les études et selon les pays, extrêmement variable allant jusqu’à plus de 60% de la population, toutes pathologies confondues dans le travail de Kovac Kovacic M et al. en Slovénie (1). En outre, le vieillissement augmente le risque de pathologies bucco dentaires, entrainant la dénutrition, source de perte d’autonomie et qui grève le pronostic d’autres pathologies (diabète…) parfois déjà altéré. Selon l’INSEE, « au 1er janvier 2018, […] les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent 19,6 % de la population, contre 19,2 % un an auparavant et 18,8 % deux ans auparavant. Leur part a progressé de 4,1 points en vingt ans. La hausse est de 2,4 points sur la même période pour les habitants âgés de 75 ans ou plus, qui représentent près d’un habitant sur dix au 1er janvier 2018 ». Ceci implique une augmentation des pathologies de la muqueuse buccale résultant donc à la fois du grand âge avec la sénescence de la muqueuse buccale (atrophie, perte d’élasticité, xérostomie, perte du gout…) (2) , mais aussi de l’augmentation des comorbidités associées (diabète, maladies cardio-vasculaires, dénutrition, pathologies systémiques, iatrogénie, dépendance d’un tiers…). La prise en charge de la muqueuse buccale est interdisciplinaire : l’ORL, la chirurgie maxillo-faciale, la dermatologie, l’odontologie. Le médecin généraliste qui les adresse est souvent sollicité en retour afin de connaitre les antécédents et l’évolution des pathologies associées ainsi que d’émettre un avis quant à l’opportunité d’un traitement pour le patient. Le parcours de soins en France, selon le site du ministère de la Santé, consiste à consulter en priorité le médecin généraliste ou médecin traitant, qui s’assurera de la coordination des soins. En effet, la consultation de médecins spécialisés ne sera pas prise en charge intégralement par l’Assurance Maladie dans le cas d’une consultation directe. Ceci ne concerne pas certaines spécialités : la consultation d’une sage-femme, d’un gynécologue, d’un ophtalmologue, d’un psychiatre ou neuropsychiatre, et notamment celle d’un chirurgien-dentiste ou d’un stomatologue.
Néanmoins, plusieurs freins à l’accès aux soins dentaires sont mis en évidence en
France. Le premier facteur est économique. Selon le site Dentaly.org, une enquête réalisée en 2018 (3) sur 1003 français montre qu’« à peine plus d’un Français sur deux (55%) se rend au moins une fois par an chez un dentiste, soit une proportion en baisse significative : – 4 points en cinq ans » avec un Français sur deux jugeant aujourd’hui « difficile » l’accès aux soins dentaires. La principale raison de cette dégradation est le coût de la prise en charge : « 45% expliquent qu’ils ont déjà du renoncé à des soins dentaires à cause de leur coût, soit une proportion en forte hausse en cinq ans ». La prise en charge des soins dentaires a évolué avec notamment la notion de « panier de soin dentaire » (prothétiques…) depuis mai 2019. Le plafonnement des actes s’échelonnant du premier avril 2019 à 2023, et ayant pour but de permettre un remboursement intégral des soins dentaires et prothétiques. (4) L’évolution de ces prises en charge, souvent méconnues du patient font que le médecin généraliste est parfois le pivot indispensable à l’orientation du patient. Le deuxième facteur est psychologique. La peur de la douleur, a déjà freiné la consultation d’un chirurgien-dentiste plus d’un Français sur trois.
Le dernier facteur correspond à l’offre de soins. La densité moyenne de chirurgiensdentistes en France en 2020 est de 66,71 pour 100.000 habitants selon le Conseil Nation de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes, contre une densité moyenne de médecins généralistes en France en 2018 de 153 pour 100.000 selon le Conseil National de l’ordre des Médecins. C’est ainsi qu’on constate que les délais d’obtention d’un rendez-vous ont considérablement augmenté, passant d’une moyenne de 27 jours en 2014 à 40 jours en 2018. Le médecin généraliste joue donc un rôle premier de diagnostic et la prise en charge des pathologies de la muqueuse buccale. Or l’examen de la cavité buccale est un examen difficile pour le médecin généraliste du fait du manque de connaissance et de l’insuffisance de formation. En effet, les études de médecine reposent sur l’apprentissage via des items pour le concours des Epreuves Nationales Classantes, le nombre d’items concernant la cavité buccale est restreint à 5 (sur 362) :
– Item 46 : Anomalies maxillo-faciales et développement buccodentaire,
– Items 88 : Pathologie des glandes salivaires,
– Item 164 : Infections à herpès virus du sujet immunocompétent,
– Item 152 : Infections cutanéo-muqueuses et des phanères, bactériennes et mycosiques de l’adulte et de l’enfant,
– Items 295 : Tumeurs de la cavité buccale.
MISE AU POINT SUR LA DEMARCHE DIAGNOSTIQUE, LA SEMIOLOGIE DERMATOLOGIQUE ET L’ANATOMIE BUCCALE, ET EPIDEMIOLOGIQUE
Démarche diagnostique
Le médecin généraliste ne possède pas le même matériel qu’un chirurgien maxillo facial, qu’un dentiste ou qu’un dermatologue. En effet, il ne dispose pas d’un fauteuil spécialisé, de miroirs, de lampe adaptée mais ceux-ci peuvent être remplacés par une installation adéquate du patient, avec l’utilisation de la lampe du Smartphone par exemple et d’abaisse langue. L’interrogatoire et l’examen clinique de la muqueuse buccale peuvent donc être menés par le médecin généraliste. La démarche diagnostique doit être rigoureuse avec une anamnèse exhaustive : mode de vie, antécédents, date d’apparition, mode de début (brutal ou progressif, d’abord localisé ou d’emblée étendu), aspect initial, mode d’extension locale (centrifuge, en plaque, réticulation…), mode évolutif (aigu, chronique, par poussées), traitements utilisés et leurs effets et recherche d’un facteur déclenchant. Il faut aussi rechercher les signes fonctionnels associés, comme une sensation de prurit, la douleur, des brûlures, des picotements ou des dysgueusies. Lors de l’interrogatoire, il faut rechercher la présence ou l’absence de fièvre.
Sémiologie et anatomie buccale
L’examen visuel permet de mettre en évidence une ou l’association de plusieurs lésions élémentaires, que l’on qualifie de primaire ou de secondaire suivant leur ordre d’apparition (8).
Lésions élémentaires primaires
Les lésions élémentaires primaires sont celles qui apparaissent en premier sur une muqueuse initialement saine. Elles sont représentées par les lésions visibles mais non palpables (macules) et les lésions palpables (à contenu solide ou liquide). Les macules sont des lésions visibles mais non palpables. Ce sont des tâches circonscrites à limites nettes qui ne présentent ni relief ni infiltration. Elles peuvent être localisées ou diffuses. Elles sont classées en fonction de leur couleur et des effets de la vitro pression (érythème, macules vasculaires et purpura, macules pigmentées, macules achromiques). Les lésions palpables se divisent entre les lésions à contenu solide et à contenu liquide. Les lésions à contenu solide sont les papules (diamètre inférieur à 1 cm), les nodules (diamètre supérieur à 1 cm), les végétations (lésions franchement surélevées par rapport à la surface cutanéo muqueuse). Les lésions à contenu liquidien sont les vésicules (diamètre compris entre 1 et 3 mm), les bulles (diamètre supérieur à 3 mm) et les pustules (sommet blanc jaunâtre à contenu purulent d’emblée).
Lésions élémentaires secondaires
Elles représentent un stade évolutif d’une lésion primitive. Ce sont des lésions récentes, pures, peu ou pas modifiées par le grattage, la macération ou le suintement. Elles sont souvent plus nombreuses et une valeur sémiologique moindre. Ces lésions correspondent à l’évolution naturelle ou compliquée d’une lésion élémentaire et elles ont perdu toute spécificité. Les squames sont des lésions qui peuvent faire suite à un érythème ou apparaitre en même temps que celui-ci. Locaux ou généralisés, leur structure est différente selon la pathologie. Les lésions squameuses sont constituées de pellicules cornées qui se détachent plus ou moins facilement. Quand les lamelles cornées sont fortement adhérentes elles correspondent à des kératoses ou hyperkératoses.
Une érosion se définit comme une perte de substance superficielle, épithéliale, mettant plus ou moins à nu la partie superficielle du chorion. Elle est souvent postvésiculeuse, post-bulleuse ou post-traumatique et guérit généralement sans cicatrice. Une ulcération, plus profonde, concerne le chorion moyen et profond avec risque de cicatrice. Les enduits blanchâtres sont l’équivalent des croûtes et résultent de la concrétion de débris épithéliaux, de sérosité et de pus et correspondent à un stade évolutif de lésions élémentaires primitives différentes : bulles, vésicules, pustules. Les cicatrices sont des lésions surélevées par rapport à la peau saine et correspondent à la présence d’un tissu de réparation. L’atrophie et la sclérose sont une dépression par rapport à la peau saine. Les lésions intriquées sont une association de 2 ou plusieurs des signes précédents. L’inspection apprécie la forme et la disposition des lésions. Des adjectifs précis définissent la forme et les limites d’une lésion: arrondie, ovalaire, polygonale, polycyclique, annulaire (en forme d’anneau), serpigineuse (sinueuse). Les lésions peuvent rester isolées, distinctes, ou bien au contraire se grouper en bande (zoniforme), en bouquet (herpétiforme) en filet (réticulé) ou en arc de cercle (arciforme).
Anatomie buccale
La cavité buccale est anatomiquement délimitée par :
– En haut le palais,
– Latéralement, les faces internes des joues,
– En bas le plancher buccal,
– En avant les lèvres,
– En arrière et en haut le voile du palais et la luette,
– En arrière latéralement les piliers amygdaliens et les amygdales,
– En arrière en bas la base de langue.
Les lèvres sont musculo membraneuses et rejoignent leurs extrémités par les commissures labiales. Elles se composent d’un versant cutané externe, du vermillon situé entre la zone de contact des lèvres et le versant cutané, et une partie muqueuse, interne, en avant du vestibule oral. Les gencives correspondent à la muqueuse buccale qui recouvre l’os alvéolaire et qui entoure les dents au niveau du collet. On différencie la gencive attachée qui adhère au plan profond et la gencive libre que l’on peut mobiliser par rapport au plan profond. Le palais sépare la cavité buccale des fosses nasales. Concave transversalement et sagitalement, il est constitué de deux parties, le palais dur (osseux) et le palais mou ou voile du palais. Le palais dur, horizontal, qui porte les arcades alvéolaires, est recouvert d’une muqueuse fibreuse adhérente à l’os sous-jacent. Elle est reliée aux gencives par le sillon gingivo-palatin. Le raphé médian est la ligne médiane sagittale. De part et d’autre on retrouve les crêtes palatines, saillantes, antérieures, et une zone plus postérieure où se situent les glandes salivaires accessoires palatines dans un tissu conjonctif dense. Leurs orifices correspondent à des petites macules érythémateuses sur la fibro-muqueuse palatine et excrètent de la salive. Sa limite postérieure se situe au niveau des fossettes palatines, symétriques par rapport au raphé médian et qui marquent le début du palais mou. Le voile du palais est mobile, musculaire, vertical, et délimite la partie postéro supérieure de la cavité buccale. C’est une paroi musculo membraneuse, composée d’une charpente fibreuse, d’une muqueuse et de muscles pairs. Le voile du palais se prolonge par la luette, ou uvule, médiane. En arrière et latéralement se trouve les amygdales, entourées des deux piliers. Ce sont les piliers antérieurs qui délimitent la cavité buccale. Les postérieurs appartiennent à l’oropharynx. Les joues sont des parois musculo membraneuses de la cavité buccale. En avant se situent les commissures labiales et en arrière la commissure intermaxillaire. De l’extérieur vers l’intérieur, on a le plan cutané, puis le sous cutané, le plan musculaire (muscles peauciers superficiels et buccinateur profond), glandulaire et enfin le plan muqueux. Cette muqueuse est libre, contrairement à celle du palais dur ou des gencives. Elle peut être parcourue par une ligne blanchâtre horizontale, la linea alba ou ligne d’occlusion. L’orifice du canal de Sténon (canal excréteur de la glande parotide) se situe en regard de la deuxième molaire maxillaire. C’est une excroissance de muqueuse saillante et centré par l’orifice d’où s’écoule la salive. La langue, élément central, est un organe musculo membraneux. Elle se compose d’une partie mobile en avant du V lingual, de la base de la langue et des bords latéraux. La partie mobile représente les 2/3 antérieurs et se termine par la pointe de la langue. La base de la langue correspond à l’implantation de la langue et représente le tiers postérieur. La langue possède deux faces, une face dorsale et une face ventrale. La face dorsale et convexe vers le haut et s’emboîte avec le palais, elle présente un sillon central longitudinal et un sillon terminal: le V lingual. Sa muqueuse est hérissée de nombreuses papilles linguales. Elle comporte les bourgeons du goût, organes essentiels à la gustation, ainsi que les glandes salivaires accessoires séreuses situées plus en profondeur. La face ventrale de la langue comporte une muqueuse lisse, elle est séparée en deux parties par un repli muqueux qui se prolonge jusqu’aux plancher buccal. C’est le frein lingual. De part et d’autre de ce frein on retrouve les veines visibles au travers de la muqueuse. Les bords latéraux sont en rapport avec les arcades dentaires, la partie postérieure est en continuité avec la base du pilier antérieur du voile.
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Table des matières
1 OBJECTIF DE CE TRAVAIL
2 INTRODUCTION
3 MISE AU POINT SUR LA DEMARCHE DIAGNOSTIQUE, LA SEMIOLOGIE DERMATOLOGIQUE ET L’ANATOMIE BUCCALE, ET EPIDEMIOLOGIQUE
3.1 Démarche diagnostique
3.2 Sémiologie et anatomie buccale
3.2.1 Lésions élémentaires primaires
3.2.2 Lésions élémentaires secondaires
3.2.3 Anatomie buccale
3.2.4 Physiologie salivaire
3.3 Examen clinique endobuccal
3.4 Présentation des pathologies
3.4.1 Stomatite aphteuse récidivante
3.4.2 Candidose buccale
3.4.3 Herpès buccal
3.4.4 Xérostomie
3.4.5 Glossodynie
4 REVUE NARRATIVE DES RECOMMANDATIONS
4.1 Matériels et méthode
4.1.1 Critères d’inclusion et d’exclusion
4.1.2 Equations de recherche
4.1.3 Extractions des données
4.1.4 Evaluation des recommandations
4.2 Résultats
4.2.1 Stomatite aphteuse récidivante
4.2.2 Candidose buccale
4.2.3 Herpès buccal
4.2.4 Xérostomie
4.2.5 Lichen plan buccal
4.2.6 Glossodynie
4.3 Discussion
4.4 Conclusion
5 ELABORATION DE FICHES THERAPEUTIQUES A DESTINATION DU MEDECIN GENERALISTE
5.1 Matériels et méthode
5.2 Résultats
5.2.1 Stomatite aphteuse récidivante
5.2.2 Candidose buccale
5.2.3 Herpès buccal
5.2.4 Xérostomie
5.2.5 Lichen plan buccal
5.2.6 Glossodynie
5.3 Discussion
5.4 Conclusion
6 CONCLUSION
7 BIBLIOGRAPHIE
8 ANNEXES