Le neuroblastome est une tumeur maligne dรฉrivรฉe des cellules originaires des crรชtes neurales [1]. Ces derniรจres donnent naissance aux mรฉdullo-surrรฉnales et aux ganglions sympathiques [2]. C’est une tumeur embryonnaire dรฉveloppรฉe aux dรฉpens du systรจme nerveux pรฉriphรฉrique. Elle a la particularitรฉ de sรฉcrรฉter des catรฉcholamines [3]. Elle peut se dรฉvelopper en tout point de l’organisme oรน existent des structures nerveuses sympathiques [3] ; ainsi sโexplique sa localisation prรฉfรฉrentiellement surrรฉnalienne, mais aussi au niveau des ganglions sympathiques, en position para-spinale, abdominale, pelvienne, thoracique ou cervicale. En cas de mรฉtastases, celles-ci se trouvent notamment au niveau osseux, mรฉdullaire, ganglionnaire, hรฉpatique ou sous-cutanรฉ [4]. Le neuroblastome est, par sa frรฉquence, au second rang des tumeurs solides de lโenfant, aprรจs les tumeurs du systรจme nerveux central. Il reprรฉsente entre 7 et 10% de tous les cancers pรฉdiatriques [5, 6, 7]. Cโest la tumeur maligne la plus frรฉquente chez le nourrisson. Les causes ou les facteurs de risque de la maladie restent cependant inconnus [1]. Elle est responsable de 10ยจ% des dรฉcรจs en oncologie pรฉdiatrique [4, 8]. Cโest une tumeur hรฉtรฉrogรจne sur le plan clinique, anatomo-pathologique, biologique, gรฉnรฉtique, molรฉculaire, et รฉvolutif [9] : si la possibilitรฉ dโune maturation voire dโune rรฉgression spontanรฉe(s) ou induite(s) par le traitement est connue, il existe en revanche des formes extrรชmement agressives, avec dissรฉmination mรฉtastatique prรฉcoce et sensibilitรฉ faible ร la chimiothรฉrapie [10]. Cette grande hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ a fait rechercher, depuis de nombreuses annรฉes, des facteurs pronostiques pour identifier les diffรฉrents groupes de risque et adapter au mieux le traitement [5, 11]. Le pronostic est ainsi trรจs variable ; il est excellent chez les enfants ayant une forme localisรฉe, sans amplification de lโoncogรจne N-Myc, avec une survie de 80 ร 90% [1]. Cependant, il reste encore trรจs sรฉvรจre dans les tumeurs mรฉtastatiques chez les enfants de plus de 1 an et dans les formes associรฉes ร une amplification de lโoncogรจne N-Myc [10], avec une survie comprise entre 30 et 35% [1]. Les moyens thรฉrapeutiques actuellement utilisรฉs sont la chirurgie, la chimiothรฉrapie et la radiothรฉrapie. La place de chacun est dรฉfinie par lโรขge du patient, le stade et les caractรฉristiques anatomiques et biologiques de la tumeur (statut de lโoncogรจne N Myc, histopathologie et ploรฏdie) [2]. Dโautres mรฉthodes ont รฉgalement prouvรฉ leur efficacitรฉ. En effet, au-delร des approches reposant sur la chimiothรฉrapie ร hautes doses, les rรฉtinoรฏdes et les agents antiangiogรฉniques, lโimmunothรฉrapie prend une place de plus en plus importante dans le traitement du neuroblastome [12]. Toutefois, malgrรฉ les progrรจs considรฉrables effectuรฉs sur le plan diagnostique et thรฉrapeutique, cette pathologie demeure assez mรฉconnue dans les pays en voie de dรฉveloppement, notamment en Afrique noire, oรน trรจs peu dโรฉtudes ont รฉtรฉ menรฉes.
Epidรฉmiologie
Epidรฉmiologie descriptive
Reprรฉsentant environ 10 % des affections malignes de l’enfant, le neuroblastome est le 3e cancer de lโenfant aprรจs les hรฉmopathies malignes et les tumeurs du systรจme nerveux central [3]. Cette tumeur, qui atteint en France environ 130 ร 150 enfants par an, est responsable de 15 % des dรฉcรจs liรฉs au cancer [4]. Lโincidence est de lโordre dโun cas pour 8 000 ร 10 000 naissances [13, 14]. Elle semble uniforme ร travers le monde, sans diffรฉrence selon lโorigine ethnique, et est estimรฉe annuellement ร 8 cas par million chez les enfants de moins de 15 ans [15]. Lโรขge moyen au diagnostic est de 18 mois. Environ 40% des cas sont diagnostiquรฉs avant 1 an, 75% avant 4 ans, 90% avant 5 ans et 98% avant lโรขge de 10 ans. Le neuroblastome est la tumeur la plus frรฉquente chez les nourrissons de moins dโun an [5, 6, 7]. Elle peut mรชme survenir avant la naissance. Toutefois, des cas ont รฉtรฉ dรฉcrits chez des adolescents et des adultes jeunes [16]. La rรฉpartition est รฉgale chez les filles et les garรงons avec un sexe ratio de un [1]. Bien que le neuroblastome paraisse moins frรฉquent en Afrique, un nombre significatif de cas y est diagnostiquรฉ chaque annรฉe, ร lโorigine dโune morbi-mortalitรฉ considรฉrable. Ainsi, au Kenya, dans le cadre dโune รฉtude concernant 787 cas de cancers pรฉdiatriques (ร lโexclusion du rรฉtinoblastome et des tumeurs cรฉrรฉbrales), une frรฉquence relative de 3,3% de neuroblastome a รฉtรฉ retrouvรฉe .
Epidรฉmiologie analytiqueย
Les causes du neuroblastome sont inconnues ร ce jour [3]. Aucun facteur de risque majeur nโa รฉtรฉ identifiรฉ [5, 6, 7, 19, 20]. La plupart des cas de neuroblastomes sont sporadiques [21]. En outre, il existe une forme familiale retrouvรฉe chez 1% des patients. Elle est autosomale dominante avec pรฉnรฉtrance incomplรจte [5]. Il pourrait y avoir une association entre le neuroblastome et certaines malformations congรฉnitales chez les enfants de moins dโun an [5], telles la neurofibromatose de type I [22] ou la maladie de Hirschsprung [23].
Rappels embryologiquesย
Au 19e jour du dรฉveloppement embryonnaire, lโectoderme se transforme en tube neural primitif, par la fermeture de la gouttiรจre neurale. Cโest lors de cette fermeture que les cellules de la jonction neuroectoblaste / ectoblaste prolifรจrent suite ร l’interaction de ces deux tissus, formant ainsi les futures crรชtes neurales.
Ces cellules ont un grand potentiel migratoire et vont donc se dรฉvelopper dans diverses parties de lโorganisme afin de donner naissance au systรจme nerveux pรฉriphรฉrique, ร savoir les neurones et les cellules gliales des systรจmes nerveux sympathique, parasympathique et sensoriel, ainsi quโร certaines cellules non neuronales telles que les cellules de Schwann [24]. Les cellules de la crรชte neurale sont initialement des cellules souches pluripotentes, mais leur potentiel de diffรฉrenciation se restreint avec le dรฉveloppement. Elles peuvent demeurer indiffรฉrenciรฉes, et sont alors appelรฉes neuroblastes, ou se diffรฉrencier en cellules ganglionnaires et en cellules de Schwann; elles sont alors considรฉrรฉes comme matures .
Rappels biochimiques
Les catรฉcholamines (adrรฉnaline, noradrรฉnaline et dopamine) sont des hormones normalement synthรฉtisรฉes dans la mรฉdullosurrรฉnale par les cellules chromaffines [25], dans les terminaisons du systรจme nerveux vรฉgรฉtatif sympathique, et dans certaines cellules du systรจme nerveux central [26]. 90% des neuroblastomes sรฉcrรจtent des catรฉcholamines [15]. Lโadrรฉnaline a une demi-vie de 10 ร 20 secondes. Cette durรฉe trรจs brรจve rรฉsulte dโun systรจme de capture et de dรฉgradation particuliรจrement efficace [25].
โคย Capture
Une fraction des catรฉcholamines libรฉrรฉes peut รชtre captรฉe et stockรฉe ร nouveau dans les granules de sรฉcrรฉtion des cellules synthรฉtisantes. La capture des catรฉcholamines met en jeu un ensemble de transporteurs spรฉcifiques situรฉs ร la surface des cellules et des vรฉsicules sรฉcrรฉtrices, assurant ainsi une rรฉgulation fine de lโaction des catรฉcholamines [27].
โค Dรฉgradation enzymatique et excrรฉtion urinaire
Lโinactivation des catรฉcholamines se fait par deux enzymes distinctes : la catรฉchol Omรฉthyltransfรฉrase (COMT) et les monoamines oxydases (MAO). La COMT est principalement active au niveau rรฉnal et hรฉpatique. Cette enzyme catalyse la transformation de lโadrรฉnaline et de la noradrรฉnaline respectivement en mรฉtadrรฉnaline et normรฉtadrรฉnaline [28, 29]. Les MAO sont des enzymes mitochondriales et cytoplasmiques. Elles catalysent la dรฉsamination oxydative des catรฉcholamines aboutissant au remplacement de la fonction amine par une fonction aldรฉhyde [30]. La COMT et les MAO peuvent agir de concert pour dรฉsactiver les catรฉcholamines. Les produits gรฉnรฉrรฉs, comme lโacide vanilmandรฉlique, sont excrรฉtรฉs par voie urinaire. La mesure de la concentration de ce composรฉ dans les urines, au mรชme titre que celle de la mรฉtadrรฉnaline, est un bon indicateur du mรฉtabolisme des catรฉcholamines .
Anatomo-pathologie
Sur le plan macroscopique, la tumeur est molle, de couleur grise, encapsulรฉe, comportant des zones hรฉmorragiques, nรฉcrotiques et calcifiรฉes. Elle peut se retrouver au niveau :
โย de la mรฉdullosurrรฉnale,
โ du systรจme nerveux sympathique pรฉri-artรฉriel, expliquant la topographie des neuroblastomes cervicaux (espace rรฉtrostylien, ganglion stellaire), des neuroblastomes abdominaux mรฉdians (ganglion semi-lunaire, rameaux pรฉri-artรฉriels, organe de Zuckerkandl) et des neuroblastomes pelviens latรฉraux (artรจres iliaques),
โ du systรจme nerveux sympathique para-rachidien, expliquant la topographie des neuroblastomes cervicaux, thoraciques, lombaires, et pelviens mรฉdians [32].
La frรฉquence des diffรฉrentes localisations est :
– Abdominale : 65%, dont 35% au niveau de la mรฉdullosurrรฉnale
– Thoracique : 20%
– Cervicale : 5%
– Pelvienne : 5%ย .
Il existe รฉgalement des localisations inhabituelles telles que le thymus, le poumon, le rein, le mรฉdiastin antรฉrieur, lโestomac, lโencรฉphale et la cauda equida (queue de cheval). La tumeur primitive est rarement multifocale. Elle nโest pas retrouvรฉe dans 0,5% des cas de neuroblastomes dissรฉminรฉs .
Au plan histologique, le neuroblastome est une tumeur ร petites cellules rondes, composรฉ de cellules indiffรฉrenciรฉes de taille homogรจne, au noyau dense hyperchromatique et au cytoplasme basophile. Des prolongements neuritiques indiquent souvent lโamorce de diffรฉrenciation des neuroblastes. Une caractรฉristique morphologique est lโagencement en pseudo-rosettes des cellules neuroblastiques. Les neuroblastes ont la capacitรฉ de maturation et/ou de rรฉgression spontanรฉe ou induite par le traitement, mimant lโรฉvolution physiologique de la cellule embryonnaire sympathique vers la cellule ganglionnaire mature. La classification INPC (International Neuroblastoma Pathologic Classification) tient compte des anciennes classifications de Shimada et de Joshi, basรฉes sur l’รขge de l’enfant et sur 3 critรจres histologiques: la richesse du stroma, le grade de diffรฉrenciation et l’index mitotique et caryorrhexique (MKI2) . Les 4 grandes catรฉgories de tumeurs neuroblastiques de la classification INPC sont les suivantes :
โ les neuroblastomes (stroma pauvre) composรฉs ร plus de 50% de neuroblastes et de substance fibrillaire (indiffรฉrenciรฉs, peu diffรฉrenciรฉs, ou en voie de diffรฉrenciation),
โ les ganglioneuroblastomes mรฉlangรฉs qui contiennent de petits รฎlots de neuroblastes dans un stroma abondant,
โ les ganglioneuroblastomes nodulaires (tumeurs composites alternant stroma riche et stroma pauvre) dรฉfinis par la prรฉsence de nodules de neuroblastes visibles macroscopiquement
โ les ganglioneuromes, bรฉnins, au stroma dominant, composรฉs exclusivement d’รฉlรฉments matures (cellules ganglionnaires et cellules de Schwann).
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Table des matiรจres
1. Introduction
2. Epidรฉmiologie
2.1. Epidรฉmiologie descriptive
2.2. Epidรฉmiologie analytique
3. Rappels embryologiques
4. Rappels biochimiques
5. Anatomo-pathologie
6. Diagnostic positif
6.1. Circonstances de dรฉcouverte
6.2. Interrogatoire
6.3. Examen gรฉnรฉral
6.4. Examen physique
6.4.1. Les signes liรฉs ร la tumeur primitive
6.4.2. Les signes liรฉs ร la prรฉsence de mรฉtastases
6.4.3. Autres formes cliniques
6.5. Examens complรฉmentaires
6.5.1. La biologie
6.5.2. Lโimagerie
6.5.3. Lโhistologie
7. Bilan dโextension
7.1. Bilan dโextension clinique
7.2. Bilan dโextension paraclinique
7.2.1. Le bilan locorรฉgional
7.2.2. Le bilan gรฉnรฉral
7.3. Classification
8. Diagnostic diffรฉrentiel
9. Pronostic
9.1. Facteurs pronostiques
9.1.1. Les facteurs cliniques
9.1.2. Les facteurs biologiques
9.1.3. Les facteurs cytogรฉnรฉtiques
9.2. Classification pronostique
10. Traitement
10.1. Buts
10.2. Moyens
10.2.1. La chimiothรฉrapie
10.2.2. La chirurgie
10.2.3. La radiothรฉrapie
10.2.4. Les moyens modernes
10.2.5. Les traitements palliatifs
10.3. Indications
10.4. Surveillance