Depuis le début des années 2010, de nombreuses études se sont intéressées à la pertinence de l’exploration d’un hypermétabolisme digestif fortuit lors d’une tomographie par émission de positons (TEP) au 18fluoro-2-desoxyglucose (18F FDG). (voir Annexe 1 : Rappels techniques et indications de la TEP) On appelle hypermétabolisme digestif fortuit tout hypermétabolisme digestif inattendu décelé lors d’une TEP. Le colon est une zone fréquente de fixation fortuite (1). Les études réalisées s’intéressent majoritairement aux fixations focales dans la région colo rectale. Leur prévalence se situerait entre 1% et 3,4% (2) (3). Il a été démontré qu’elles devaient être explorées selon certains critères. Parmi eux on compte l’étendue de la fixation ; les fixations diffuses sont souvent considérées comme physiologiques, les segmentaires comme physiologiques ou inflammatoires, alors que les focales sont plus fréquemment associées à une lésion néoplasique ou pré cancéreuse (4) (5). L’intensité de fixation du FDG est aussi à prendre en compte. Elle est mesurée par le maximum standardized uptake value (SUVmax). Les seuils devant faire évoquer une lésion maligne sous-jacente diffèrent selon les études. En 2013, Cho et al. (6) rapportaient qu’un SUVmax > 4,35 présageait d’une lésion adénomateuse, avec une sensibilité et une spécificité respectivement égales à 75,5% et 65,2%. Un seuil de SUV max > 5,05 présageait d’une lésion cancéreuse avec une sensibilité de 84,8% et une spécificité et 71%. La revue de littérature de Kousgaard et al. de 2017 a permis une analyse de 2546 hypermétabolismes fortuits colo-rectaux chez 2121 patients dont 1635 avaient été explorés par coloscopie. Une fixation au TEP scanner révélait une lésion avec une une valeur prédictive positive ( VPP) égale à 70% et une valeur prédictive négative (VPN) égale à 86% (IC 95% = [85 – 88]) (7). Pour d’autres auteurs, les fixations colorectales focales fortuites au TEP scanner correspondent à des lésions pathologiques incluant les lésions cancéreuses, précancéreuses, infectieuses ou inflammatoires dans 40 à 84% des cas .
Cependant les faux négatifs sont fréquents pour les lésions adénomateuses de petite taille (< 5mm ) et pour les lésions bénignes comme les polypes hyperplasiques (16). Toutes ces études ont conduit à recommander l’exploration de toutes les fixations fortuites focales colo-rectales, quelque soit leur SUV, si l’état général du patient le permet. Par ailleurs, il existe peu d’études qui s’intéressent aux fixations digestives hautes du TEP scanner. Ces dernières portent essentiellement sur les indications dans le cancer de l’œsophage et de l’estomac. Elles évaluent l’apport du 18F-FDG TEP scanner pour le bilan d’extension local et loco-régional de ces cancers, afin de définir la possibilité d’une résection endoscopique ou chirurgicale (17). En ce qui concerne les fixations digestives fortuites hautes, il n’a pas été trouvé, à notre connaissance, d’étude sur l’exploration de leur nature. Actuellement, les TEP scanner se perfectionnent. Ils sont plus rapides, plus sensibles et plus disponibles sur le territoire. Les indications en médecine interne et en infectiologie s’élargissent. Ces facteurs augmentent le nombre de découverte fortuite de ces hypermétabolismes. La problématique de leur exploration prend une place centrale dans nos pratiques afin de ne pas multiplier les examens sans bénéfice pour les malades. A notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’ensemble des hyperfixations digestives fortuites. Les données de la littérature ne permettent pas de définir une conduite à tenir systématique devant les fixations non focales et/ou situées sur le tube digestif haut. L’objectif de cette étude observationnelle est d’analyser la prise en charge de ces fixations ; c’est-à-dire de savoir de quelle façon elles sont intégrées dans le suivi du patient.
Matériel et méthodes
Une étude rétrospective monocentrique a été menée à l’Hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne (HIA Ste-Anne), à Toulon. Tous les comptes-rendus de 18F FDG TEP scanner corps entier réalisés entre le 1er février et le 30 avril 2018 ont été relus afin de sélectionner les patients avec un hypermétabolisme digestif haut ou bas. Les critères d’exclusion étaient : les fixations digestives traduisant une lésion oncologique connue, les fixations digestives localisées au niveau de l’intestin grêle et les fixations hépatiques ou bilio-pancréatiques. Les patients non suivis dans l’hôpital, pour lesquels les informations n’étaient pas disponibles à la lecture du dossier informatique, étaient exclus.
Protocole du TEP scanner :
Tous les TEP scanners ont été réalisés par l’appareil General Electric Discovery PET/CT 710, installé dans notre établissement depuis octobre 2016. Il comporte un scanner basse dose 64 coupes et les images sont reconstruites avec une épaisseur de coupe de 1,25 mm. Après un jeûne minimum de 6 heures, un contrôle glycémique était réalisé avant l’examen. En cas de glycémie capillaire > 2 g/l, l’examen était ajourné. Les patients recevaient une dose de 18F-FDG en fonction de leur indice de masse corporel (IMC) : 2,8 MBq/kg pour les IMC entre 20 et 30, 2,5 MBq/kg pour les IMC < 20 et 3 MBq/kg pour les IMC > 30. L’acquisition des images était réalisée une heure après l’injection avec une durée de 2 minutes par pas de lit. Elle durait environ 15 minutes, en fonction de la taille du patient.
Seules les fixations œsophagiennes, gastriques, duodénales, colo-rectales ou anales ont été exploitées avec l’analyse des paramètres suivant : leur étendue (diffuse, segmentaire ou focale), leur intensité par la mesure du SUVmax, et leur interprétation par le nucléariste (fixation artéfactuelle, due à la prise d’antidiabétiques oraux, d’allure inflammatoire ou suspecte). L’étape suivante était la recherche d’un avis gastro-entérologique, et de la réalisation d’une endoscopie à l’aide du dossier médical informatisé. En cas de réalisation d’une endoscopie digestive, il était recherché si une lésion avait été identifiée et si sa localisation était concordante avec la fixation sur le TEP scanner. Lorsqu’une histologie était disponible, elle était colligée. Les antécédents gastro-entérologiques des patients étaient relevés.
Discussion
Ce travail a permis d’étudier 191 fixations digestives fortuites hautes ou basses. Quarante-huit d’entre elles ont bénéficié d’un avis gastro-entérologique dont 19 fixations suspectes. Six lésions cancéreuses (2 ADK) ou pré-cancéreuses ont été diagnostiquées. Parmi les 122 fixations qui n’étaient pas considérées comme suspectes, 15 fixations (soit 12.3%) ont été explorées par un examen endoscopique ce qui a permis de diagnostiquer 2 lésions à risque (2 adénomes en DBG) et 4 lésions inflammatoires.
Notre travail est un des seuls à s’intéresser aux fixations digestives fortuites hautes lors d’un TEP scanner, systématiquement exclues des études et pour lesquelles il n’existe pas de prise en charge standardisée. Dans notre étude, il semble que la conduite à tenir dépendait de la conclusion émise par le nucléariste, qui traduisait son inquiétude ou non par rapport à la lésion. Elle dépendait aussi de l’importance que le médecin prescripteur lui portait. D’après le dossier médical, elle semblait moins dépendre de la clinique du patient : peu de cliniciens recherchaient des symptômes ou des antécédents qui auraient nécessité de poursuivre les investigations. Chez les patients avec un suivi régulier, notamment en oncologie et en l’absence de symptômes, certains praticiens optaient pour une simple surveillance. Le TEP scanner suivant caractérisait la fixation comme « épisodique » ou « chronique » ( nécessitant alors un avis spécialisé). Des études dédiées aux fixations digestives hautes semblent nécessaires pour recommander une prise en charge. Dans ce travail, tous les types de fixations digestives basses fortuites ont été étudiés. Les hypermétabolismes focaux correspondaient à six des huit lésions cancéreuses ou pré-cancéreuses diagnostiquées ce qui confirme la prise en charge décrite dans la littérature : toute fixation focale colo-rectale fortuite doit justifier d’un bilan endoscopique si l’état général du patient le permet. En revanche la question de la prise en charge des lésions non focales n’est pas élucidée.
Si les fixations diffuses sont souvent associées à un état physiologique ou à un artéfact du à la prise d’ADO, elles peuvent également révéler des lésions inflammatoires, comme le montrent les 3 cas de colites dans notre étude. Dans notre travail, des avis gastro-entérologiques n’ont pas été demandés car des explorations endoscopiques avaient récemment été réalisées. Chez certains patients, elles pouvaient remonter jusqu’à 2 ans auparavant. Il faut tenir compte des difficultés techniques que l’on peut rencontrer lors d’une endoscopie : une préparation insuffisante, une anesthésie mal tolérée ou encore une progression difficile peuvent conduire à une exploration incomplète. Des lésions cancéreuses ou pré-cancéreuses peuvent ne pas être vues avec un risque de cancer d’intervalle surtout dans le colon droit (20) (21) (22). C’est pourquoi la décision de renouveler les examens endoscopiques devrait être prise par le gastro-entérologue. Le mauvais état général du patient était une autre raison fréquente d’absence d’exploration. Dans l’étude australienne de Young et al. sur les fixations digestives fortuites, les patients inclus étaient atteints d’un mélanome. Cette étude trouvait une amélioration de la survie en cas de réalisation de la coloscopie, sachant que cette dernière était plus souvent réalisée chez les patients non métastatiques avec un état général conservé .
Une des questions soulevées est l’association entre le SUVmax et l’histologie des lésions. Autrement dit, existe-t-il un seuil de SUV max qui pourrait différencier une lésion bénigne d’une lésion cancéreuse ou pré-cancéreuse ? Dans notre étude, le nombre d’évènements est faible (24 endoscopies réalisées) et il n’est pas possible de répondre à cette question.
Même si dans la littérature plusieurs seuils ont été cités, toutes les études s’accordent à dire qu’aucun seuil n’est assez sensible pour éliminer une lésion à risque (24) (25) (26). Certaines d’entre elles ont proposé des seuils pour guider le délai de la réalisation des examens endoscopiques.
L’étude de Cassou-Mounat et al proposait 2 seuils : SUVmax = 10 avec une très bonne spécificité de 97,3% mais une sensibilité de 44,4% pour la détection des adénocarcinomes ou des adénomes en DHG. Au-dessus de ce seuil, la coloscopie devait être réalisée sans délai. Le second seuil était SUVmax = 5,56 pour lequel on obtenait une spécificité à 76,8% et une sensibilité à 83,3%. Au-dessous de ce seuil les lésions étaient fréquemment des adénomes en DBG, donc la coloscopie n’était pas à réaliser en urgence (26). L’équipe de van Hoeij et al. proposait d’explorer sans délai toute fixation focale avec SUVmax ≥ 11,4. Pour ce seuil, on obtenait une sensibilité de 80%, une spécificité de 82%, une valeur prédictive négative de 98% et une valeur prédictive positive de 34% pour la détection des lésions malignes (2). Dans la littérature, certaines études ont fixé un délai entre le TEP scanner et la réalisation de l’endoscopie au-delà duquel les patients n’étaient pas inclus. Il varie de 2 semaines pour l’étude de Cho et al. (6), à 6 mois pour l’étude de Cassou-Mounat et al. (26). Dans notre contexte il semble raisonnable de ne pas dépasser un délai de quelques mois. Il ne faut pas oublier que pour de nombreux patients avec un hypermétabolisme digestif fortuit, il existe déjà un suivi pour une pathologie néoplasique qui implique un programme de soins soutenu, ou encore des patients en cours d’infection. L’intérêt à explorer ces fixations digestives fortuites réside dans la prise en charge endoscopique ou chirurgicale des lésions précancéreuses ou cancéreuses à un stade précoce faisant ainsi du TEP scanner un « examen de dépistage ». Rappelons qu’en cas de dépistage positif lors du test fécal immunologique, on conseille de ne pas dépasser un délai de 10 mois avant de réaliser la coloscopie (27). D’autres études semblent nécessaires pour affiner ce délai. On parle de faux positif lorsqu’une fixation digestive est présente au TEP scanner sans lésion retrouvée à l’endoscopie. Dans notre étude ce taux s’élève à 43,8% si on prend en compte toutes les fixations digestives basses, mais il est réduit à 14,3% lorsque l’on s’intéresse uniquement aux fixations focales. Le taux de faux positifs sur les fixations colo-rectales focales varie de 13,7% à 16,7 % dans les études de Putora et al. (28) et Farquharson et al. (29) contre 56% dans l’étude de Peng et al .
Il faut souligner que dans la littérature, il existe peu de données sur les faux positifs des fixations segmentaires et diffuses. Les faux positifs sont plus fréquemment décrits dans la partie proximale du colon au niveau de la jonction iléocaecale, du caecum et du colon droit. Les hypothèses évoquées sont le péristaltisme, la présence de tissu lymphoïde plus importante que dans le reste du tube digestif, une hyperactivité de la muqueuse ou des muscles lisses, le contenu fécal intraluminal ou encore l’activité du microbiote .
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Table des matières
Introduction
Matériel et méthodes
Protocole du TEP scanner
Résultats
Fixations digestives hautes : 84 cas
Fixations digestives basses : 107 cas
Discussion
Conclusion
Références
Résumé