Les atrésies intestinales représentent un spectre de malformations congénitales isolées ou syndromiques dont la conséquence est une interruption de la continuité de la lumière digestive (du grec : a-privatif et trêsis : trou) avec éventuellement, une absence de certains segments de cet organe [1]. L’incidence annuelle des atrésies intestinales est variable allant de 2 à 4 cas par an et par millions d’habitants [2,3]. La fréquence de survenue des atrésies intestinales varie en fonction du siège anatomique. Les atrésies jéjuno iléales sont les plus fréquentes avec une incidence évaluée à 2,11 pour 10 000 naissances [4]. L’atrésie intestinale qui représente la plus fréquente des pathologies obstructives organiques du tube digestif se classe comme la quatrième cause d’occlusion intestinale néonatale. C’est une urgence néonatale [5]. Le diagnostic anténatal est difficile, basé essentiellement sur l’échographie fœtale objectivant, des signes indirects tels qu’une image en double bulle souvent associée à un hydraminios [6]. Le tableau clinique est celui d’une occlusion intestinale néonatale et le bilan paraclinique post- natal repose sur la radiographie thoracoabdominal qui joue un rôle capital dans le diagnostic et la prise en charge des atrésies intestinales [7]. La prise en charge repose sur la correction chirurgicale qui consiste à réaliser une dérivation temporaire ou une résection-anastomose de la zone atrétique en période néonatale [1]. Le pronostic des atrésies intestinales dépend de nombreux facteurs tels que la précocité, la qualité de la prise en charge, ainsi que la sévérité du tableau malformatif associé [8]. Il s’est amélioré au fil des années dans les pays développés avec des taux de survie allant de 9,1% en 1951 à 90%, les deux dernières décennies du fait d’une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie, des progrès de l’anesthésie pédiatrique, de la disponibilité des installations de soins intensifs pédiatriques et de l’utilisation de la nutrition parentérale [9]. Dans les pays en voie de développement, la prise en charge de cette pathologie est confrontée à de multiples problèmes qui ont pour noms : diagnostic tardif, précarité du plateau technique, absence d’unité de réanimation néonatale et indisponibilité de la nutrition parentérale. Autant de facteurs qui constituent de vrais obstacles pour arriver à des taux de guérison comparables à ceux des pays développés [10].
HISTORIQUE
Atrésie du duodénum
Le premier cas d’atrésie duodénale rapporté, a été décrit par Calder en 1733, et la première opération réussie a été rapportée par Vidal et Ernst en 1905 et 1914[11]. Cordes en 1901, avait décrit la forme typique de l’atrésie duodénale [12]. En 1929, Kaldor réussit à collecter 250 patients présentant une atrésie duodénale rapportée dans la littérature [11]. Un examen par Webb et Wangensteen a démontré que seul neuf ont survécu en 1931 [11]. Historiquement, quand une atrésie duodénale a été associée à la trisomie 21, l’obstruction a été négligée lors du traitement dans de nombreux cas. Ce qui, cependant va s’améliorer au début des années 1970 .
Atrésie jéjuno- iléale
La première description de l’atrésie iléale a été rapportée par Goeller en 1684 [11]. Au début des années 1800, Voisin avait effectué une entérostomie pour une atrésie iléale et Meckel (1812) a spéculé sur la cause d’une atrésie jéjuno iléale et a publié une étude sur le sujet [11]. Des décennies plus tard (1889), Bland- Sutton a proposé une classification des types d’atrésie jéjuno- iléale [11]. Tandler (1900) a proposé la théorie selon laquelle l’atrésie peut être causée par un manque de recanalisation de l’intestin. Spriggs (1912) de son côté a émis la théorie selon laquelle les accidents mécaniques, y compris vasculaires peuvent provoquer l’atrésie [13]. En 1911, Fockens a signalé la première réparation chirurgicale réussie d’un patient avec une atrésie de l’intestin grêle [12]. Toutefois, le taux de mortalité pour la correction chirurgicale de cet état est resté élevé pendant de nombreuses années, même dans les meilleurs centres pédiatriques chirurgicaux [13]. En 1951, Evans a réussi à identifier 1498 patients ayant une atrésie gastro intestinale, mais seulement 139 enfants ont survécu [11]. Louw et Barnard en 1955, ont démontré à travers leurs études expérimentales chez les chiots, le rôle causal d’un accident vasculaire dans la survenue de l’atrésie intestinale [14]. Ces résultats ont été confirmés par Curtois (1959), Santulli et Blanc (1961) chez le lapin, Abrams (1968) chez les ovins et Koga (1975) chez les chiens [14]. Nixon en 1955 a réséqué l’intestin et a montré une amélioration dans le taux de survie [15]. En 1973, Howard et Othersen ont décrit une jéjunoplastie effilée, et ont observé le retour du péristaltisme dans le jéjunum [15].
Atrésie du côlon
En 1673, Altough Binniger a décrit le premier cas d’atrésie colique après l’autopsie d’un nouveau-né mort à H36 de vie [16]. En 1855, Nelaton fut le premier à avoir opéré une atrésie du côlon en réalisant une colostomie [17]. En 1922, le premier succès d’une colostomie faite sur une atrésie sigmoïdienne, a été rapporté par Gaub [17]. Ce n’est qu’en 1947 que la première résection- anastomose d’une atrésie du côlon transverse a été rapportée par Potts [18].
EMBRYOLOGIE
L’organogénèse du système digestif débute lors de la quatrième semaine et se termine au cours de la douzième semaine. Il est intéressant de souligner que lors de la sixième semaine, l’endoderme prolifère et remplit complètement le tube digestif primitif. Ce n’est que lors de la neuvième semaine que l’endoderme subit l’apoptose nécessaire à la recanalisation du tube digestif. Le tube intestinal entoblastique, résultant de l’inflexion de l’embryon au cours de la quatrième semaine est divisé en trois régions : un intestin antérieur, aveugle de côté crânial, un intestin postérieur, aveugle de côté caudal, et un intestin moyen en communication avec le sac vitellin par le canal vitellin. La vascularisation de l’intestin s’effectue par la consolidation et la réduction des branches ventrales de l’aorte dorsale qui s’anastomosent avec les plexus vasculaires destinés, à l’origine, à fournir le sang au sac vitellin. Environ cinq branches de ces artères vitellines se distribuent à la portion thoracique de l’intestin antérieur, et trois autres le tronc cœliaque ainsi que les artères mésentériques supérieure et inférieure se destinent à la portion abdominale. Par convention, les limites entre les parties antérieure, moyenne et postérieure du tube digestif ont été fixées par les territoires respectifs de ces trois artères. C’est la différenciation de l’intestin moyen qui donnera naissance au caecum en plus du duodénum distal, jéjunum, iléon, côlon ascendant et deux tiers proximaux du côlon transverse. L’intestin moyen est vascularisé, sur toute sa longueur, par l’artère mésentérique supérieure. Le développement de l’intestin moyen comporte cinq processus fondamentaux.
L’allongement rapide
L’allongement rapide de l’intestin moyen conduit à la formation de l’anse intestinale primitive dont le sommet est en communication avec la vésicule ombilicale par le canal vitellin. La branche crâniale de l’anse intestinale primitive donnera la portion distale du duodénum, le jéjunum et une partie de l’iléon. La branche caudale donnera le reste de l’iléon, le caecum et l’appendice, le côlon ascendant et les deux tiers proximaux du côlon transverse
Hernie physiologique dans le cordon ombilical
Du fait de l’allongement considérable de l’intestin moyen, la cavité abdominale devient trop petite pour le contenir et l’anse intestinale primitive fait hernie dans le cordon ombilical entre la sixième et la dixième semaine du développement.
Rotation de l’anse intestinale
Pendant ce temps, l’anse intestinale primitive commence sa rotation autour de l’axe de l’artère mésentérique supérieure, 270° dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Réintégration dans l’abdomen
L’intestin moyen réintègre l’abdomen à la 10ème semaine et prend alors son emplacement définitif .
Vascularisation
Les artères
Elles proviennent de l’artère gastro-duodénale et de l’artère pancréatico-duodénale inférieure.
L’artère gastro-duodénale naît de l’artère hépatique commune (parfois des artères mésentérique supérieur, hépatiques ou du tronc cœliaque), passe entre la tête du pancréas et la partie supérieure du duodénum. Elle donne : l’artère supra -duodénale qui naît au dessus de la partie supérieure du duodénum qu’elle irrigue, les deux artères rétroduodénales qui naissent en arrière de la partie supérieure du duodénum qu’elles irriguent également et l’artère pancréatico-duodénale supéropostérieure qui parcourt la face postérieure de la tête du pancréas et s’anastomose avec la branche postérieure de l’artère pancréatico-duodénale inférieure.
Elle se termine en deux branches : l’artère gastro-omentale qui donne l’artère infra duodénale pour la partie supérieure du duodénum et l’artère pancréatico-duodénale supéro-antérieure qui parcourt le bord droit de la face antérieure de la tête du pancréas puis la contourne pour s’anastomoser avec la branche antérieure de l’artère pancréatico-duodénale inférieure.
L’artère pancréatico-duodénale inférieure naît de l’artère mésentérique supérieure au niveau du processus unciné du pancréas (parfois des artères mésentériques inférieures, pancréatiques dorsales ou inférieures). Elle se dirige à droite, en arrière de la veine mésentérique, pour se diviser en deux branches qui s’anastomosent avec les artères pancréatico-duodénales supéro-postérieure et supéro-antérieure. Elle donne l’artère de l’angle duodéno-jéjunal et la première artère jéjunale.
Les veines
Les veines duodénales se drainent dans le système porte, par l’intermédiaire de ses affluents qui s’anastomosent entre eux. La veine pancréatico-duodénale supérieure naît de la face postérieurede la tête du pancréas et se dirige en haut et à gauche pour se terminer sur le bord droit de la veine porte, au-dessus du pancréas tandis que la veine pancréatico-duodénale inférieure naît à la face antérieure de la tête du pancréas et se dirige à gauche pour se jeter dans la veine gastro-omentale droite. La veine gastro-omentale droite naît de la grande courbure de l’estomac et se dirige en bas à gauche pour rejoindre la veine mésentérique inférieure. Elle s’anastomose aussi avec son homologue gauche.
Les lymphatiques
Les vaisseaux lymphatiques du duodénum se drainent dans les lymphonœuds rétro et subpyloriques pour la partie supérieure du duodénum et les lymphonœuds pancréatico-duodénaux supérieurs et inférieurs pour le reste du duodénum. Ces nœuds se drainent respectivement dans les lymphocentres cœliaques et mésentériques supérieurs.
Innervation
Les nerfs proviennent des plexus cœliaque et mésentérique supérieure. Ils véhiculent des neurofibres sympathiques et parasympathiques.
Le jéjuno iléon
Le jéjunum et l’iléum représentent la portion mobile de l’intestin grêle. Le jéjunum correspond à la partie proximale et l’iléum à la partie distale soit les 3/5 du grêle. Ils s’étendent de l’angle duodéno-jéjunal au cæcum. Leur fonction essentielle est l’absorption des aliments.
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Table des matières
INTRODUCTION
1- HISTORIQUE
1.1- Atrésie du duodénum
1.2- Atrésie jéjuno- iléale
1.3- Atrésie du côlon
2- EMBRYOLOGIE
2.1- L’allongement rapide
2.2- Hernie physiologique dans le cordon ombilical
2.3- Rotation de l’anse intestinale
2.4- Réintégration dans l’abdomen
2.5- Fixation
3- ANATOMIE
3.1- L’intestin grêle
3.1.1- Le duodénum
3.1.1.1- Anatomie descriptive
3.1.1.1.1- Situation
3.1.1.1.2- Forme
3.1.1.1.3- Dimensions
3.1.1.1.4- Configuration interne
3.1.1.1.5- Structure
3.1.1.1.6- Fixité
3.1.1.2- Rapports
3.1.1.2.1- La partie supérieure
3.1.1.2.2- La partie descendante
3.1.1.2.3- La partie horizontale
3.1.1.2.4- La partie ascendante
3.1.1.3- Vascularisation
3.1.1.3.1- Les artères
3.1.1.3.2- Les veines
3.1.1.3.3- Les lymphatiques
3.1.1.4- Innervation
3.1.2- Le jéjuno iléon
3.1.2.1- Anatomie descriptive
3.1.2.1.1- Situation et forme
3.1.2.1.2- Dimensions
3.1.2.1.3- Particularités
3.1.2.1.4- Configuration interne
3.1.2.1.5- Structure
3.1.2.1.6- Fixité
3.1.2.2- Rapports
3.1.2.3- Vascularisation
3.1.2.3.1- Les artères
3.1.2.3.2- Les veines
3.1.2.3.3- Les lymphatiques
3.1.2.4- Innervation
3.2- Le côlon
3.2.1- Anatomie descriptive et rapports
3.2.1.1- Dispositions et caractères généraux
3.2.1.1.1- Disposition
3.2.1.1.2- Mesure
3.2.1.1.3- Configuration externe
3.2.1.1.4- Configuration interne
3.2.1.1.5- Structure
3.2.1.2- Le cæco-appendice
3.2.1.2.1- Anatomie descriptive
3.2.1.2.2- Rapports
3.2.1.3- Le côlon ascendant
3.2.1.4- L’angle colique droit
3.2.1.5- Le côlon transverse
3.2.1.6- L’angle colique gauche
3.2.1.7- Le côlon descendant
3.2.1.8- Le côlon sigmoïde
3.2.2- Vascularisation
3.2.2.1- Artères
3.2.2.1.1- L’artère mésentérique supérieure
3.2.2.1.2- L’artère mésentérique inférieure
3.2.2.2- Les veines
3.2.2.3- Les lymphatiques
3.2.3- Innervation
4 – EPIDEMIOLOGIE
4.1- L’atrésie duodénale
4.2-L’atrésie jéjuno-iléale
4.3- L’atrésie du côlon
5- ETHIOPATHOGENIE
5.1- La théorie vasculaire
5.2- La théorie génétique et malformative
5.3 – La théorie infectieuse
6- PHYSIOPATHOLOGIE
6.1- Les perturbations locales
6.1.1- L’hyperpéristaltisme
6.1.2- La distension de l’intestin
6.1.3- Les troubles de la microcirculation
6.2- Les perturbations générales
6.2.1- Les déséquilibres hydro-électrolytiques
6.2.2- Les troubles acido-basiques
6.2.3- Les troubles circulatoires
6.2.4- Les troubles respiratoires
7- ANATOMIE PATHOLOGIQUE
7.1- L’atrésie duodénale
7.2- Les atrésies jéjuno-iléale et colique
CONCLUSION