Expression clinique de l’hyperuricémie
Accès goutteux
Lien entre hyperuricémie et accès goutteux
La maladie goutteuse et ses facteurs de risque sont connus depuis Hippocrate mais le lien entre la goutte et l’hyperuricémie est une découverte beaucoup plus récente.
L’hyperuricémie chronique est susceptible de former des dépôts d’urate dans le liquide articulaire ou le cartilage. C’est ensuite la libération des cristaux dans la cavité articulaire qui entraîne la crise aiguë.
Une étude prospective
(Normative Age Study) réalisée à Boston dans les années 70, a suivi sur quinze ans 2046 hommes non atteints de goutte. Les résultats ont démontré que le risque de goutte apparaît lorsque l’uricémie de départ atteint 60 mg/L (point de saturation de l’urate de sodium à 35°C) et augmente avec l’uricémie. L’incidence annuelle de la goutte passe de 0,1 ‰ pour une uricémie inférieure à 70 mg/L, à 0,9 ‰ pour une uricémie de 70 à 80 mg/L, et à 49 ‰ lorsque l’uricémie dépasse 90 mg/L.
La grande majorité des patients atteints d’hyperuricémie ne va donc pas développer de goutte.
Arthropathies chroniques
Lorsque les dépôts deviennent trop importants, apparaît alors une altération de l’os souschondrale puis du cartilage appelée arthropathie uratique. Cette dernière peut être notamment marquée par la présence de dépôts uratiques visibles sous la peau, les tophus. Les tophus se localisent autour des articulations atteintes, mais aussi dans des sites électifs tels que le pavillon de l’oreille, les coudes, le tendon d’Achille, les articulations interphalangiennes distales ou la pulpe digitale.
Manifestation lithiasique
Les lithiases uriques sont à l’origine de crises de colique néphrétique chez les sujets hyperexcréteurs.
L’acide urique cristallise très vite lors de son passage dans les urines – le pH pouvant être acide dans celles-ci.
Le traitement hypo-uricémiant
Le traitement a pour objectif de maintenir le taux d’uricémie en dessous de 60 mg/L à l’aide de mesures pharmacologiques et non pharmacologiques. Le but est d’obtenir la dissolution des dépôts d’urate et de prévenir leur formation.
Moyens non pharmacologiques
Ces mesures passent par l’éducation thérapeutique du patient avec le respect des règles hygiéno-diététiques.
Bien que les modifications alimentaires aient seulement un effet modeste sur le niveau de l’acide urique, elles restent toutefois indispensables car elles limitent les comorbidités souvent associées à la goutte (syndrome métabolique, diabète, complications cardiovasculaires).
Le tableau, disponible en annexe 1, liste les principaux aliments à éviter.
S’assurer d’une bonne hydratation est par ailleurs nécessaire pour diluer l’acide urique des voies urinaires.
L’Allopurinol
L’EULAR recommande l’utilisation de l’allopurinol en première intention chez les patients ayant une fonction rénale normale. Cette recommandation tient compte de l’efficacité, du faible coût et de la sécurité de ce médicament. L’efficacité de l’allopurinol a été démontrée dans un essai versus placebo.
La dose initiale recommandée est de 100 mg par jour, puis majorée toutes les 2 à 4 semaines jusqu’à l’obtention de l’uricémie cible. En cas d’insuffisance rénale, la posologie doit être adaptée en fonction de la clairance de la créatinine.
Lorsque la fonction rénale est normale, le Vidal autorise une dose maximale de 900 mg par jour dans les cas sévères.
L’allopurinol expose à des effets indésirables potentiellement graves, il s’agit notamment du syndrome de Stevens-Jonhson ou du DRESS syndrome (drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms) qui sont associés à une mortalité de 20 à 25%. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a estimé l’incidence des toxidermies graves à 1 cas pour 2000 nouveaux patients. Ce risque est plus important au cours des premiers mois de traitement mais de tels effets indésirables peuvent survenir à tout moment.
Le Febuxostat
Également inhibiteur de la xanthine oxydase, le febuxostat a pour avantage de ne pas nécessiter de réduction posologique en cas d’insuffisance rénale modérée. Sa posologie initiale est de 80 mg puis augmentée progressivement si besoin. A la dose de 80 mg par jour, le febuxostat s’est avéré plus efficace que l’allopurinol (67% vs 42%, p < 0,001).
Il peut aussi être à l’origine d’effets indésirables potentiellement mortels et son coût est supérieur à celui de l’allopurinol ou du probénécide.
Les uricosuriques
Ils agissent en augmentant l’élimination rénale de l’acide urique et sont donc contre-indiqués en cas d’antécédents d’urolithiase ou d’hyperuraturie.
Le probénécide
C’est le seul uricosurique ayant une autorisation de mise sur le marché en France. Il a un intérêt en association avec un inhibiteur de la xanthine oxydase lorsque la cible thérapeutique n’est pas atteinte, ainsi qu’en monothérapie en cas d’intolérance aux inhibiteurs de la xanthine oxydase.
La benzbromarone
La benzbromarone fut retirée du marché en 2003 en raison de cas d’hépatotoxicité.
Cependant, elle peut être obtenue en autorisation temporaire d’utilisation en cas d’échec du probénécide.
Les uricases
L’uricase est une enzyme métabolisant l’acide urique en allantoïne ; composé plus facilement éliminé par le rein. L’être humain et les grands singes auraient perdu la fonction du gène codant pour l’uricase il y a 15 millions d’années. Cette mutation aurait eu un effet favorable à la survie en augmentant les effets du fructose sur le stockage des graisses.
En France, seule la rasburicase est utilisée dans le cadre d’hémopathies malignes pour le traitement préventif du syndrome de lyse tumorale.
Intérêt de la méthode qualitative
L’intérêt de cette méthode se trouve dans l’approfondissement de la compréhension d’un problème spécifique. Dans notre cas, nous voulions nous intéresser à l’expérience professionnelle de chacun afin d’obtenir un éventail de réponses. Nous avons voulu étudier les attitudes thérapeutiques des médecins face à une hyperuricémie mais surtout comprendre les raisons des éventuelles différences.
Cette méthode peut servir à identifier des pistes à approfondir par une recherche quantitative.
Choix de la technique des entretiens
La recherche qualitative repose sur quatre types de techniques : la recherche documentaire, l’observation, le questionnaire et l’entretien.
Nous voulions découvrir les représentations que se faisaient les médecins généralistes de l’hyperuricémie, ainsi que les facteurs pouvant influencer leur attitude thérapeutique.
La technique de l’entretien était particulièrement adaptée à notre étude car elle permet de recueillir une série de réponses dans un cadre permettant aux personnes étudiées de s’exprimer librement.
L’entretien peut être libre, semi-dirigé ou en focus group. L’information libre étant difficile à traiter, à catégoriser ainsi qu’à interpréter, nous avons donc décidé d’écarter cette technique.
Notre recherche a donc été effectuée en réalisant deux focus group complétés par des entretiens individuels semi-directifs.
Le focus group
Le focus group trouve son intérêt dans la possibilité d’échanger entre les praticiens en créant ainsi une dynamique de groupe. Il permet de confronter les opinions de chacun, de discuter et de comprendre les raisons des éventuelles différences.
Les deux focus group comprennent un modérateur et un observateur.
Le rôle du modérateur est d’animer le groupe tout en restant neutre.
Le rôle de l’observateur consiste essentiellement à prendre des notes sur les « idées clés » et de relever les messages non verbaux (hésitations, attitudes, etc.).
A la fin des focus group, un débriefing entre modérateur et observateur permettait de faire le point sur les difficultés rencontrées lors de la discussion afin de modifier le guide d’entretien pour les rencontres suivantes.
L’entretien individuel
Les entretiens individuels permettent d’approfondir certaines idées. Les participants, n’étant pas sous l’influence de tiers, peuvent s’exprimer plus facilement qu’en groupe.
Echantillonnage
Choix de la population
Pour notre étude qualitative, il était nécessaire de choisir un échantillon représentatif qualitativement et non quantitativement. En effet, les données issues des entretiens n’avaient pas besoin d’être validées par leur probabilité d’occurrence. Ainsi une seule information reçue lors d’un entretien avait la même importance qu’une information répétée par plusieurs médecins.
Le critère d’inclusion était d’être médecin généraliste exerçant en France et d’être volontaire pour participer à l’étude. Les médecins ont été choisis de manière à obtenir la plus grande diversité possible de témoignages.
Un questionnaire (disponible en annexe 2) a ainsi été distribué avant chaque entretien et mettait en évidence les éléments suivants :
– Années d’exercice
– Mode d’exercice : seul ou en groupe
– Milieu d’exercice : rural, semi-rural ou urbain
– Nombre moyen de consultations par jour
– Implication dans l’enseignement de la médecine générale (maître de stage universitaire)
– Sexe
– Âge.
Le critère requis pour arrêter les entretiens était celui de la « saturation des données », c’est à-dire lorsque qu’aucune idée nouvelle n’émergeait.
Mode de recrutement
Le recrutement des médecins s’est fait sur la base du volontariat, au gré de nos rencontres sur différents terrains de stage.
Le premier focus group a été réalisé avec l’aide d’un praticien généraliste maître de stage universitaire qui participait tous les mois à un groupe d’échange de pairs. L’entretien a pu être réalisé au cours d’une de leur réunion.
Le deuxième focus group a été réalisé après avoir contacté par téléphone plusieurs médecins généralistes travaillant dans un même secteur.
Les entretiens individuels ont pu être réalisés auprès de médecins rencontrés lors de précédents stages mais également auprès de médecins choisi aléatoirement en les contactant par téléphone.
Elaboration du guide d’entretien qualitatif
Un guide d’entretien (disponible en annexe 3) a été élaboré afin de conduire les focus group ainsi que les entretiens individuels de façon semi-structurée. Une recherche bibliographique a été nécessaire au préalable afin de cibler les axes de notre sujet.
Il comportait une introduction ainsi qu’une trame de questions.
L’introduction présentait l’objectif de l’étude, rappelait le caractère anonyme et valorisait l’importance de l’expérience professionnelle de chacun. Elle était standardisée afin d’obtenir une meilleure reproductibilité des résultats.
La deuxième partie comportait une série de questions ouvertes. Elles ne devaient aucunement avoir une connotation positive ou négative afin de ne pas influencer les réponses.
Le guide d’entretien a pu être adapté au cours de l’étude, notamment par l’ajout de certaines questions et par la modification de l’ordre de celles-ci.
Résultats
Description des données
Description de l’échantillon étudié
Nous avons réalisé deux focus group et six entretiens individuels s’intéressant à 17 médecins âgés de 27 à 66 ans répartis en 11 femmes et 9 hommes.
Les milieux d’exercice étaient variés : 5 médecins pratiquaient en milieu rural, 3 en milieu urbain et 10 en milieu semi-rural.
Parmi les 17 médecins, 7 étaient impliqués dans l’enseignement universitaire.
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Table des matières
ABREVIATIONS
I. INTRODUCTION
1. Contexte
2. Historique
3. Définition
4. Epidémiologie
5. Etiologies des hyperuricémies
5.1. Hyperuricémie par excès de production
5.1.1. Synthèse de l’acide urique
5.1.2. Etiologies des excès de production
5.2. Hyperuricémie par défaut d’élimination
5.2.1. Elimination de l’acide urique
5.2.2. Etiologies des défauts d’élimination
6. Expression clinique de l’hyperuricémie
6.1. Accès goutteux
6.1.1. Lien entre hyperuricémie et accès goutteux
6.1.2. Présentation clinique
6.2. Arthropathies chroniques
6.3. Manifestation lithiasique
7. Le traitement hypo-uricémiant
7.1. Moyens non pharmacologiques
7.2. Moyens pharmacologiques
7.2.1. Les inhibiteurs de la xanthine oxydase
7.2.2. Les uricosuriques
7.2.3. Les uricases
II. LES RAISONS DE NOTRE ENQUÊTE
1. Hypothèse
2. Recommandations actuelles
2.1. Du point de vue rhumatologique
2.2. Du point de vue néphrologique
2.3. Du point de vue cardiologique
3. Objectifs
III. MATERIEL ET METHODE
1. Choix de la méthode
1.1. La méthode qualitative
1.2. Intérêt de la méthode qualitative
2. Choix de la technique des entretiens
2.1. Le focus group
2.2. L’entretien individuel
3. Echantillonnage
3.1. Choix de la population
3.2. Mode de recrutement
4. Elaboration du guide d’entretien qualitatif
5. Déroulement des entretiens
5.1. Premier focus group
5.2. Deuxième focus group
5.3. Les entretiens individuels
6. Retranscription et analyse
6.1. Retranscription
6.2. Analyse des données
IV. RESULTATS
Partie I : Description des données
1. Description de l’échantillon étudié
2. Durée des entretiens
2.1. Durée des focus group
2.2. Durée des entretiens individuels
3. Anonymisation des participants et identification de leurs interventions
4. Saturation des données
Partie II : Présentation des résultats d’analyse
1. Le dosage de l’acide urique
1.1. Dans le cadre asymptomatique
1.1.1. Chez qui ?
1.1.2. Intérêt
1.1.3. La fréquence du dosage
1.2. Dans le cadre de symptômes cliniques
1.2.1. Lesquels ?
1.2.2. Fiabilité du dosage
1.2.3. La surveillance biologique
2. Traitement non médicamenteux
2.1. Les conseils donnés aux patients
2.2. Les moyens utilisés par les médecins
2.3. L’observance des mesures non médicamenteuses
3. Prise en charge de l’hyperuricémie symptomatique
3.1. Dans le cadre de la goutte
3.1.1. Traitement dès la première crise
3.1.2. La notion de crises récidivantes
3.1.3. L’influence de l’âge
3.1.4. L’influence du taux initial d’acide urique après une première crise
3.2. Dans le cadre d’une lithiase
4. Prise en charge de l’hyperuricémie asymptomatique
4.1. Isolée
4.2. Associée à une insuffisance rénale
4.3. Associée à une insuffisance cardiaque ou à une insuffisance coronarienne
4.4. Associée à un syndrome métabolique ou un diabète
5. Le traitement de fond médicamenteux
5.1. Le choix de la molécule
5.2. L’initiation du traitement de fond
5.3. La notion de balance bénéfices-risques
5.3.1. Effets indésirables
5.3.2. La notion de « priorité médicamenteuse »
6. L’implication du patient
6.1. Vision de la pathologie
6.2. L’adhésion au traitement de fond
7. Le ressenti des médecins
7.1. La place du médecin généraliste
7.2. L’évolution dans la pratique des médecins
7.3. La formation
V. DISCUSSION
1. Comparaison avec les données de la littérature
1.1. Le traitement non médicamenteux
1.1.1. L’information donnée aux patients
1.1.2. Intérêts des mesures hygiéno-diététiques
1.1.3. L’initiation des mesures hygiéno-diététiques
1.2. Le traitement médicamenteux
1.2.1. La cible du traitement
1.2.2. Le choix de la molécule
1.2.3. Délai d’instauration du traitement de fond après la crise
1.2.4. Durée de la prophylaxie par colchicine ou AINS
1.2.5. Effets indésirables
1.3. Hyperuricémie et goutte
1.3.1. Notion de crise de goutte récidivante
1.3.2. Influence de l’âge
1.3.3. Influence du taux d’uricémie
1.4. Hyperuricémie asymptomatique et comorbidité
1.4.1 Hyperuricémie asymptomatique et insuffisance rénale chronique
1.4.2. Hyperuricémie asymptomatique et pathologies cardiovasculaires
1.4.3. Hyperuricémie asymptomatique et syndrome métabolique ou diabète
1.4.4. Remarques
2. Forces de l’étude
3. Faiblesses de l’étude
4. Perspectives
VI. CONCLUSION
VII. BIBLIOGRAPHIE
VIII. ANNEXES