Prise de conscience et autoacceptation de l’homosexualité
Pertinence scientifique et professionnelle
Les écrits et la théorie témoignent de la réelle existence de la thématique : être une femme homosexuelle et musulmane. Les situations que j’ai reportées attestent de la nécessité d’amener des connaissances car les équipes professionnelles seront de plus en plus amenées à répondre à cette réalité dans leur pratique, y compris en Suisse romande. Par ailleurs, j’y reviendrai, certaines femmes interrogées dans le cadre de ce travail ont démontré ce point-ci. En considérant que la société tend à voir apparaître de plus en plus de personnes homosexuelles et musulmanes, notamment des femmes, il est important de considérer la manière dont elles peuvent être accueillies et de réfléchir à la place que la société peut leur offrir. Ce travail veut donc proposer des pistes de compréhension concernant les enjeux liés aux femmes homosexuelles, aux femmes issues de familles ou cultures musulmanes, ou encore, aux femmes qui cumuleraient ces caractéristiques.
Tel que le reporte Fauchois, la population homosexuelle et la population musulmane sont les premières visées par l’appellation de communautarisme, cette « dimension disqualifiante » (Fauchois, 2015, p.77) de la communauté. En d’autres termes, elles sont toutes deux perçues comme « la figure de l’opposition au bien commun » (Fauchois, 2015, p.77) dans le débat public. De la compréhension du vécu d’une population loupe, l’intention est ici d’obtenir une compréhension plus globale du phénomène ciblé pour ce qu’il a de potentiellement commun à toute communauté et tout·e individu : celui des impacts du communautaire sur l’individu lorsque ce communautaire est considéré comme une menace pour l’ordre et l’équilibre du vivre ensemble de la société. Ce travail est l’occasion de visibiliser des questions actuelles, importantes et complexes, qu’elles soient considérées conjointement ou séparément. Au travers ce sujet, l’objectif général est de comprendre comment peut se construire l’identité d’une femme au sein d’une société qui multiplie ses mécanismes de normalisation, de marginalisation, voire de discrimination. Il s’agit avant tout d’une attention portée à la différence et aux attitudes négatives qu’elle peut engendrer. En outre, je n’invente rien lorsque j’avance qu’il est nécessaire à tout travailleur et travailleuse sociale de savoir se distancer de ces attitudes pour avancer efficacement aux côtés de populations toujours plus diversifiées. Les différents processus dont il est question ici sont au coeur de la pratique du travailleur et de la travailleuse sociale et cette pratique nécessite d’être sans cesse interrogée pour être adaptée.
Plus encore, le travail social se doit de favoriser le lien social. Cela revient à considérer toute personne, aussi marginalisée soit-elle et quelle que soit la raison de sa marginalisation. Le travailleur ou la travailleuse sociale se verra attribuer un mandat pour accompagner toutes personnes et espérer qu’elles puissent mener leur existence dans le respect de leurs besoins, de leurs droits et leurs devoirs. Ce mandat s’équilibre dans un double jeu : celui de mener les personnes à mieux s’intégrer dans la société et celui de faire évoluer les mentalités sociétales pour que les individus soient mieux acceptés. Ce travail de bachelor poursuit la logique du travail social qui questionne les représentations, les comportements et les rapports sociaux. Grâce à l’apport des perspectives de genre et d’intersectionnalité, il s’inscrit dans la volonté de nuancer les rapports dichotomiques et oppositionnels que forge et entretient notre système social. Il s’insère dans l’espoir d’une meilleure compréhension réciproque, d’une plus grande marge d’acceptation et d’une égalité des droits entre sexes, genres, cultures et tout autre aspect de l’identité sociale. Il cherche à répondre à la question de départ suivante : Comment se construit l’identité de femmes ayant une orientation homosexuelle et étant issue d’une famille musulmane ? Pour répondre à cette question, je vais investiguer des éléments théoriques qui seront par la suite questionnés du point de vue empirique. Le travail se terminera par des pistes d’action.
Perspective intersectionnelle
De la même manière que le genre est « un concept exploratoire qui abordre la différenciation de sexe comme une construction sociale hiérarchisée » (Rochefort & Sanna, 2013, p. 13), la perspective intersectionnelle est perçue comme « un outil pour mieux cerner les diverses interactions de la race et du genre » (Crenshaw, 2005, p.74) dans les processus de différenciation et de hiérarchisation, soit de discrimination. Par cette définition, Crenshaw suggère le croisement entre la race et le genre, compte tenu du fait que sa recherche porte sur les femmes de couleurs. Cependant, Asal (2014) nomme qu’il est pertinent d’aborder la perspective intersectionnelle dans le cas de femmes musulmanes qu’elle perçoit par ailleurs comme les premières cibles de l’islamophobie. En fait, l’intention de la perspective intersectionnelle consiste plus largement à remettre la personne au centre de ses multiples profils identitaires, de la décloisonner.
Dans le sens de l’exemple donné par Crenshaw, il s’agit de distinguer l’idée d’être ‘musulmane’ ou d’être ‘une personne musulmane’. Ainsi, dans le second cas, « l’identification personnelle réclame le passage par une certaine universalité » (Crenshaw, 2005, p.77). La vision d’universalité fait miroir à celle d’altérité ; dans ce rapport, la perspective intersectionnelle correspond à la passerelle entre le caractère universalisant (être une personne) et le caractère altérisant (être musulmane ou non).
Ainsi, l’intersectionnalité permet de regarder la personne autrement qu’au travers les catégories qui la définissent, tout en lui reconnaissant une expérience particulière, liée à son appartenance. Plus encore, prendre en compte l’existence d’une « identité intersectionnelle » (Crenshaw, 2005, p.54), permet de considérer la possibilité d’être une personne à la fois femme, homosexuelle et musulmane. En ces termes, « l’intersectionnalité permet d’alléger un peu la tension entre les revendications de l’identité multiple et la nécessité jamais démentie d’une politique identitaire » (Crenshaw, 2005, p.75). Cela signifie que la complexité est caractéristique d’une identité issue de multiples appartenances, mais que l’autodéfinition demeure possible au croisement d’appartenances communautaires différentes. Tout en cherchant à démontrer le caractère universel ou commun, je chercherai ici à rester au plus proche de la réalité décrite par les femmes qui, nous le verrons, ont accepté de raconter leur vécu. Visant également à analyser ces vécus dans la considération de la complexité humaine qui caractérise toute biographie, la perspective intersectionnelle est donc de mise dans le présent travail.
Des identités plurielles « Concepts familiers des sciences sociales, la construction identitaire et l’identité occupent une place de choix dans la littérature en sciences sociales depuis la fin des années 1930 » (Schneuwly Purdire, 2009, p.156) L’identité repose sur une multidute de sens et de composantes. Dans le cadre de ce travail, aborder les trajectoires de vie de personnes répondant à un certain profil (femme, homosexuelle, musulmane) nécessite de définir la notion d’identité. De plus, l’intention est de comprendre comment ces existences se construisent en interaction avec des personnes et des groupes. L’explicitation recherchée se concentre alors sur le fait que « l’acteur s’efforce de définir sa spécificité personnelle au croisement de ses appartenances collectives » (Schneuwly Purdie, 2009, p.158). Lors de l’entretien exploratoire avec Alexandra Scappaticci, le terme d’identité homosexuelle a été remis en question, la coordinatrice du Refuge Genève y préférant l’appellation d’orientation sexuelle. Plus que d’une identité homosexuelle, plusieurs auteures préfèrent, par exemple, parler de « construction ou de tension identitaire que d’identité en tant que telle » (Dayer, 2014, p.60). Le point de vue de Mellini (2009) poursuit cette logique, lorsqu’elle suggère la construction de l’identité homosexuelle, en développant la notion d’identité sociale : « Personne n’est uniquement homosexuel. Bien au contraire, à côté de l’identité homosexuelle, chaque individu possède une pluralité d’identités qui, réunies, forgent son identité sociale » (Mellini, 2009, p.6).
L’identité sociale faisant référence à une composition de plusieurs aspects identitaires, elle précise que chacun·e se construit en fonction de « (…) moments biographiques différents et dans des contextes de vie différents » (Mellini, 2009, p.7). Ainsi, nous comprenons jusqu’ici que l’identité se définit de manière complexe car dépendante de plusieurs aspects et flexible dans le temps et l’espace. Selon un membre de la Commission fédérale des étrangers, l’identité sociale « englobe tout ce qui permet d’identifier l’individu de l’extérieur et qui se réfère aux statuts que le sujet partage avec d’autres membres de son ou ses différents groupes d’appartenance (âge, sexe, métiers, etc.) » (Fguiri, 2007, p.1). Il différencie l’identité sociale d’autres formes d’identité. Ainsi, l’identité personnelle « renvoie à la manière dont s’est élaborée la personnalité de l’individu à travers ses expériences, ses rencontres et son vécu » (Fguiri, 2007, p.1). L’identité culturelle et religieuse « peut être définie comme un mode de vie distinctif d’un groupe social, uni par un langage commun et gouverné par des valeurs guidant les attitudes et les comportements, avec transmission générationnelle » (Fguiri, 2007, p.1). En nommant la dimension d’appartenance, Fguiri révèle que l’identité se construit en regard de ce que l’individu a de commun avec d’autres membres de ses groupes.
En d’autres termes, l’identité sociale correspond à la présentation des différentes formes d’identité que nous offrons à voir à celles et ceux que nous rencontrons. Les critères – qui peuvent être perçus comme des sous-identités ou des « composantes identitaires » (Mellini, 2009, p.7) – sont multiples et, mis ensemble, permettent autant la définition de notre singularité en tant qu’individu que la détermination de nos similitudes. À compter les dimensions contextuelles et temporelles de l’identité sociale, il s’avère que toute personne change continuellement dans ce qu’elle a de commun ou de différent à une autre, dans son rapport à ses groupes d’appartenance. Elle se construit, elle s’adapte à l’environnement, en parallèle que celui-ci évolue également.
Dans une définition plus globale de l’identité, Schneuwly Purdie nuance l’idée d’une identité en mouvance continuelle, rappelant en quoi une part de stabilité permet également « (…) une cohérence à l’individu dans son histoire personnelle et dans le temps (…) » (Schneuwly Purdie, 2009, p.157). Elle rejoint toutefois l’idée que l’identité demeure provisoire puisqu’elle évolue en interactions avec d’autres individus, d’autres groupes et dans diverses situations. Compte tenu des différents éléments, nous retiendrons que l’identité est une affaire d’autodéfinition ou de représentation de soi (identité personnelle) et de définition ou de représentation de soi par autrui (identité sociale) qui se construisent en interaction, cela entre stabilité et évolution. Elle est indissociable aux notions d’identification et d’appartenance, comme le démontre Schneuwly Purdie (2009).
|
Table des matières
1. Introduction
1.1. Motivations
1.1.1. Motivations issues du parcours théorique
1.1.2. Motivations issues du parcours pratique
1.1.3. Motivations personnelles et professionnelles
1.2. Pertinence scientifique et professionnelle
2. Cadre théorique
2.1. Perspective intersectionnelle
2.2. Des identités plurielles
2.3. Processus d’identification
2.4. Les tensions et stratégies identitaires
2.5. L’appartenance communautaire
2.5.1. Entre communauté, communautarisme et communautarisation
2.6. Des idéologies discriminatoires
2.6.1. Sexisme
2.6.2. Hétéronormativité, hétérosexisme et homophobie
2.6.3. Islamophobie : entre appréhensions religieuses, politiques et culturelles
2.7. Discriminations intercommunautaires
2.7.1. Regard sur la ‘communauté de valeurs’
2.7.2. Regard sur les communautés LGBTIQ
2.7.3. Regard sur les communautés musulmanes
2.7.4. Une communauté ‘multiminorisée’
3. Problématique et question de recherche
4. Synthèse et hypothèses
4.1. Autour de l’identité et de la trajectoire de vie
4.2. Autour du coming-out
4.3. Autour de l’appartenance
4.4. Hypothèses
5. Méthodologie
5.1. Population et terrain
5.2. Présentation de l’échantillon
5.3. Accès à la population
5.4. Démarche
5.4.1. L’entretien biographique
5.4.2. Méthode et technique d’analyse
5.5. Ethique de la recherche
6. Résultats et analyse de données
6.1. Processus de coming-out et transition identitaire
6.1.1. Prise de conscience et autoacceptation de l’homosexualité
6.1.2. Envisager l’annonce et se préparer
6.1.3. S’essayer aux premières annonces
6.1.4. Risquer la survie
6.1.5. Impact sur les trajectoires de vie et autodétermination
6.2. Multiples appartenances et identité
6.2.1. La perception des différentes communautés
6.2.2. Appartenances et définition de soi
6.3. Le tricotage identitaire face à la multiplication des appartenances
6.3.1. Tricoter entre les normes
6.3.2. ‘Les nouvelles mises en scène’ ou l’émancipation des rôles attendus
6.3.3. Des stratégies pour concilier les rôles
6.3.4. La distanciation pour atténuer le conflit de loyauté
6.4. Discriminations intercommunautaires et tricotage identitaire
6.4.1. Des intérêts divergents
6.4.2. Stigmatisation et islamophobie intériorisée
6.4.3. Diversité versus communautarisation
6.4.4. La mutation des savoirs et des rôles par la rencontre
7. Conclusion
7.1. Synthèse réflexive
7.1.1. Freins et ressources possibles dans le tricotage identitaire
7.1.2. Critères pour déterminer les allié·e·s identitaires
7.2. Limites et forces du travail
7.3. Positionnement personnel et professionnel
7.4. Pistes d’action et adresses utiles
8. Bibliographie
8.1. Ouvrages et chapitres de livres
8.2. Articles
8.3. Autres
8.4. Ressources électroniques
9. Annexes
Télécharger le rapport complet