Principes, enjeux et modèles de développement de la ville-port militaire
S’intéresser aux villes-ports militaires c’est se heurter sans cesse à des coupures, à commencer par la pénurie des travaux auxquels s’opposent l’abondance et l’interdisciplinarité des recherches touchant les villes-ports. Ni les études de cas, ni les tentatives de typologie ne permettent de caractériser dans sa globalité une ville port militaire dont le destin économique et territorial se trouve a priori scellé tant prédomine l’image de la « ville d’État » . Pour questionner, et peut-être rompre, le caractère d’isolement de la ville-port militaire, il faut admettre de passer par un biais, fiable, bien connu, celui de la ville-port.
Le port, point commun entre ces deux types de villes marque le départ de notre recherche sur les moteurs et supports de développement spécifiques aux villes-ports militaires. L’approche systémique apparaît ainsi comme la plus apte à évaluer le poids de l’État sur le développement économique local des villes-ports militaires et saisir les interactions complexes et cachées entre la composante « militaire » et « civile » qui conditionnent l’existence des villes-ports militaires. En effet, la systémique se présente comme une discipline associant « démarches théoriques, pratiques et méthodologiques, relatives à l’étude de ce qui est reconnu comme trop complexe pour pouvoir être abordé de façon réductionniste, et qui pose des problèmes de frontières, de relations internes et externes, de structure, de lois ou de propriétés émergentes caractérisant le système comme tel, ou des problèmes de mode d’observation, de représentation, de modélisation ou de simulation d’une totalité́complexe. » .
Depuis les travaux pionniers de Vigarié et Bird consacrés au triptyque portuaire, établissant un modèle d’évolution spatiale de la relation ville-port jusqu’à ceux de Ducruet centrés sur des combinaisons associant flux terrestres, routes maritimes et fonctions urbaines, nombreux sont les géographes ou urbanistes qui ont recours à la systémique pour appréhender la complexité des villes-ports. Ces différents modèles, applicables à la plupart des villes-ports constituent le point de départ de notre étude des relations entre un port militaire et la ville attenante. Le premier chapitre expose ainsi les principaux modèles d’analyse des relations villesports en distinguant d’une part ceux qui traitent de leur organisation interne et d’autre part ceux qui s’attachent à une systémisation de l’ensemble des villes-ports au regard du processus de mondialisation. Les premiers s’interrogent ainsi sur les causes du développement des villes-ports, en cherchant à déterminer qui, du port ou de la ville est à l’origine du dynamisme économique tandis que les seconds examinent davantage les effets de la mondialisation sur leur territoire. Les deux approches insistent sur les conséquences des évolutions technologiques. Celles-ci transforment les routes maritimes et conduisent à une rupture spatiale entre le port et la ville confrontée alors à une problématique d’intégration des espaces portuaires au tissu urbain.
Puis, dans un second chapitre, ces principes fondamentaux des dynamiques urbanoportuaires sont confrontés à la littérature scientifique abordant les villes-ports militaires. Si l’on retrouve le poids des évolutions technologiques, non seulement en matière de navigation mais aussi en termes d’armement, leurs conséquences sur le plan de l’organisation de l’espace diffèrent. Alors que la ville-port est sans cesse à la recherche d’un site attractif, capable d’accueillir toujours plus de bateaux, les villesports militaires se développent au cœur de sites d’abri, difficilement accessibles. De plus, les infrastructures portuaires militaires ou les barrières protectrices érigées autour de la ville pour prévenir des attaques ennemies ne dépendent pas d’acteurs privés s’inscrivant dans une logique de rentabilité, d’optimisation de flux mais d’un État qui suit une stratégie à long terme. Ainsi, aborderons-nous l’organisation interne des villes-ports militaires sous l’angle du rapport entre emprise militaire et civile. Par ailleurs, les conséquences territoriales de l’insertion d’une ville-port militaire au sein du système de défense d’un pays seront examinées au regard des politiques de défenses déterminées par une stratégie militaire, internationale mais aussi nationale; la politique de défense entrant en interaction avec les autres composantes des politiques publiques menées par un pays.
Principes et modèles de développement des systèmes villes-ports
Les travaux scientifiques touchant aux villes-ports connaissent un tel développement et une telle richesse que pour se repérer, on peut les scinder en deux catégories. D’une part les études dont l’objet tente de déterminer lequel du port ou de la ville conditionne le développement de l’autre, c’est l’organisation interne de la ville-port, et d’autre part les recherches visant à donner une cohérence à la diversité des villes ports en les intégrant dans des systèmes géographiques à plusieurs échelles.
Ainsi, l’organisation interne des villes-ports abordée au travers des méthodes géohistorique et sociologique est jalonnée par les travaux de Chaline, Rodrigues Malta, Wilson, Borruey, Hall, Gravari-Barbas, Pigenet, Bonillo . Ils sont centrés sur la problématique de la dissociation spatiale entre la ville et le port et les enjeux posés par les reconversions des friches portuaires. Le second groupe de chercheurs, à l’image de Fremont, Hayuth ou Ducruet fait appel à une démarche davantage quantitative en vue de dresser un modèle spatial intégrant la diversité des ports. L’utilisation de l’analyse statistique portant sur les flux de marchandises, les indicateurs démographiques ou encore les capacités des axes de transports permettent de renouveler les classifications des villes-ports en mettant en lumière les enjeux posés par leur degré de connexion à d’autres territoires, terrestres ou maritimes, plus ou moins éloignés.
Principes fondamentaux des dynamiques internes des villes-ports
De nos jours, il est communément admis que la ville-port se caractérise par la rupture interne entre la ville d’un côté et à distance significative, le port. Mais si cette distance est sans cesse explorée par les chercheurs et les nombreux acteurs, les tenants et aboutissants de cette rupture méritent d’être explicités au prisme de l’évolution des techniques de navigation et des routes maritimes. Pour rester performants et dynamiques, les ports doivent adapter les infrastructures nécessaires à l’accueil de navires toujours plus grands, et ainsi s’éloigner de la ville.
De la cité portuaire à la ville-port : essor et fonction de la ville-port
L’histoire contemporaine des mutations des villes-ports peut se comprendre à partir de la Révolution industrielle. Avec l’âge industriel et l’arrivée de la machine à vapeur puis du chemin de fer, apparaissent les premiers changements de rapports entre ville et port. Navires plus rapides et plus grands, marchandises plus abondantes et toujours plus exotiques nécessitent des améliorations au niveau de l’accès et du stockage. Le port initial, souvent naturel comme le Lacydon (crique protectrice des courants, et aujourd’hui Vieux-Port) à Marseille, est dans la plupart des cas abandonné au profit d’une extension et d’une spécialisation de l’espace, par la construction progressive de môles, de darses, et de docks , qui vont peu à peu imprimer sur l’espace une frontière fonctionnelle entre activités portuaires et activités urbaines . Ainsi, « le système ville-port se matérialisait par une consommation très importante d’espaces généralement linéaires sur la zone d’interface entre Ville et Eau. Ces espaces constituaient, par extensions successives, un amalgame d’emprises utilitaires pouvant couvrir, selon le dynamisme des liens avec l’arrière pays et avec l’avant-pays maritime, plusieurs centaines d’hectares, voire quelques milliers. […] Si la fonction de stockage était représentée, elle pouvait atteindre des dimensions considérables, dans certains cas comme à Amsterdam et à Londres, avec la construction de milliers de mètres carrés d’entrepôts pouvant dépasser une dizaine de niveaux, indépendamment de l’existence de sous-sols non moins développés. » Remarquons que le terme « système » employé par Chaline doit être compris ici comme l’organisation interne de la ville-port et non au sens plus tardif de « réseaux » des villes-ports. L’industrialisation va également attirer des entreprises à proximité du port, créant ainsi un quartier industrialo-portuaire central réunissant notamment les secteurs de la sidérurgie et de l’agro-alimentaire. Avec le chemin de fer comme moyen de transit des marchandises débarquées, une barrière se crée plus nettement entre l’espace portuaire et celui de la ville.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1. Principes, enjeux et modèles de développement de la ville-port militaire
Introduction partie 1
Chapitre 1. Principes et modèles de développement des systèmes villes-ports
Chapitre 2. Le système de commandement des villes-ports militaires : enjeux et spécificités du développement urbain et économique
Chapitre 3. Grille d’analyse des moteurs et supports de développement des villesports militaires
Conclusion Partie 1
Partie 2. L’évolution des systèmes de production de Brest et Toulon
Introduction Partie 2
Chapitre 1. Système de commandement et structures du système de production de Brest et Toulon
Chapitre 2. La transformation de l’emploi maritime à Brest et Toulon
Chapitre 3. Dynamiques actuelles des milieux innovateurs brestois et toulonnais
Conclusion partie 2
Partie 3. La variabilité des moteurs et supports de développement au sein des territoires brestois et toulonnais
Introduction Partie 3
Chapitre 1. Le secteur maritime : moteur de développement du cœur des territoires des villes-ports militaires
Chapitre 2. Brest et Toulon des territoires résidentiels peuplés de retraités ?
Chapitre 3. L’impact des revenus du tourisme sur l’économie brestoise et toulonnaise
Conclusion Partie 3
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE