Le contrôle des propriétés électriques et magnétiques des matériaux a été et est toujours un des grands domaines de recherche de notre époque. Les études menées sur la physique des semiconducteurs ont ainsi initié, il y a 50 ans, la révolution du transistor en électronique. Parallèlement, les développements des procédés de technologies sur les semiconducteurs tels que la croissance des matériaux, ont rendu possible la fabrication d’objets permettant de contrôler la propagation des électrons et ont mené à l’explosion du domaine de la microélectronique dont on connaît le panel d’applications. Cependant, la miniaturisation de ces objets semble atteindre ces limites compte tenu du fait qu’elle s’accompagne de l’augmentation des résistances internes des circuits et donc des problèmes liés à la dissipation de la chaleur. Depuis quelques années, la communauté scientifique a commencé à chercher une alternative aux circuits électroniques et a proposé l’utilisation de circuits optiques. Ces circuits optiques, en utilisant la lumière à la place des électrons comme porteuse d’information, donnent en effet la possibilité de transmettre des données à plus grand débit tout en supprimant les problèmes de dissipation de la chaleur et en permettant une miniaturisation à l’échelle micrométrique. Pour concevoir de tels objets, il faut être capable de fabriquer des matériaux dans lesquels la propagation de la lumière est contrôlée: ces matériaux doivent offrir la possibilité d’empêcher ou de permettre, dans certaines plages de fréquences, la propagation de la lumière dans une ou plusieurs directions, la localisation de la lumière à d’autres fréquences. Dans ce contexte, l’utilisation de structures périodiques, c’est-à-dire de structures ayant une constante diélectrique périodique dans une ou plusieurs directions de l’espace, a été proposée très tôt pour contrôler la propagation des ondes électromagnétiques. De la même façon que la périodicité d’un cristal solide régie les bandes d’énergie et les propriétés de conduction des électrons, une structuration périodique à l’échelle de la longueur d’onde des matériaux diélectriques donne la possibilité de réaliser une ingénierie des propriétés dispersives de la matière. Par analogie avec les cristaux solides, ces structures périodiques sont appelées cristaux photoniques (CPs). Des exemples de cristaux photoniques unidimensionnels (1D), bidimensionnels (2D) et tridimensionnels (3D) sont représentés sur la Figure 1. On considère souvent que le domaine des cristaux photoniques démarre en 1987, quand E. Yablonovitch [Yablonovitch1987] et S. John [John1987] ont introduit séparément et dans des contextes différents, le concept de matériaux à bandes interdites photoniques. Il faut noter que des structures périodiques unidimensionnelles comme les miroirs de Bragg ont été utilisées bien avant cette proposition pour contrôler la propagation de la lumière. Depuis, un grand nombre d’études sont menées sur la conception, la fabrication et les applications des cristaux photoniques [Soukoulis1993], [Bowden1993], [Kurizki1994], [Soukoulis1996], [Soukoulis2001]. Les recherches sur les cristaux photoniques couvrent aujourd’hui des domaines les plus fondamentaux comme le contrôle de l’émission spontanée [Yablonovitch87] mais aussi des domaines tournés vers des applications pour l’optique guidée [Bogaerts2004].
En fait, le commencement de ces études date d’avant la proposition de E. Yablonovitch et de S. John en 1987. Dès les premiers pas de l’optique non linéaire, des propositions visant à utiliser des microstructures possédant une modulation de l’indice de réfraction ont vu le jour. L’objectif recherché était la réalisation de la condition d’accord de phase nécessaire à l’obtention de processus non linéaires du second ordre efficaces [Bloembergen1970] [Ziel1975]. Malgré quelques réalisations expérimentales pionnières [Ziel1976], il a fallu attendre les années 90 pour assister à un regain d’intérêt pour l’utilisation des microstructures en optique non linéaire [Janz1993] [Trull1995] [Martorell1997] [Fiore1998] [Balakin1999] [Golovan1999] [Wadsworth2000] [Ranka2000].
Le domaine de la physique appelé optique traite de l’interaction de la lumière avec la matière. Dans la nature, on observe, en général, que cette interaction ne dépend pas de l’intensité de l’illumination. Les ondes lumineuses sont alors de faible intensité et n’interagissent pas entre elles lorsqu’elles pénètrent et se propagent dans un milieu. Ceci est le domaine de l’optique dite linéaire. Lorsque la lumière devient plus intense, les propriétés optiques commencent à dépendre de l’intensité et d’autres caractéristiques de l’illumination. C’est le domaine de l’optique non linéaire. Dans la plupart des cas, l’origine physique de cette propriété dépend des caractéristiques microscopiques des matériaux dans lesquels la lumière se propage, comme la nature des atomes le constituant, la structure cristalline, etc… Compte tenu de la grande diversité des propriétés microscopiques de la matière, on s’attend à un très grand nombre de processus d’optique non linéaire différents. En fait, si l’ordre de grandeur de ces processus varie considérablement d’un matériau à l’autre, le nombre d’effets non linéaires élémentaires permettant d’appréhender les bases de l’optique non linéaire est relativement restreint. Le but de cette partie est de présenter brièvement les principes de base de l’optique non linéaire dans les semiconducteurs III-V. Ceci permettra d’introduire les notions nécessaires à la compréhension de l’intérêt de ce travail de thèse sur le « mariage » de l’optique non linéaire avec les cristaux photoniques en semiconducteur III-V. Si le lecteur est intéressé par de plus amples détails sur le sujet, nous recommandons les ouvrages [Butcher1990] [Boyd1982]. Cette partie est organisée de la façon suivante: nous commencerons par rappeler les principes de base et le formalisme de l’optique non linéaire. Nous nous intéresserons ensuite plus particulièrement aux processus non linéaires du second ordre et aux propriétés de la susceptibilité non linéaire d’ordre 2 du semiconducteur GaAs, puis aux processus non linéaires du troisième ordre et aux particularités de la susceptibilité non linéaire d’ordre trois des semiconducteurs III-V.
Principes de base de l’optique non linéaire
Origine de la non linéarité: polarisation non linéaire
Afin de décrire simplement et de comprendre les interactions de la lumière avec la matière, les matériaux auxquels on s’intéresse en optique sont souvent modélisés en les considérant comme un ensemble de particules chargées: des électrons et des ions (noyaux des atomes). Lorsqu’un champ électrique est appliqué à cette matière, les charges se déplacent dans la direction du champ, les charges positives dans un sens, les charges négatives dans l’autre sens. Dans les matériaux conducteurs, les électrons peuvent se déplacer librement aussi longtemps que le champ électrique est présent donnant naissance à un courant électrique. Dans les matériaux diélectriques, les charges sont liées fortement les unes aux autres, bien que leurs liens possèdent une certaine « élasticité ». En présence d’un champ électrique, ces charges ont un mouvement uniquement transitoire et s’éloignent légèrement de leur position d’origine. Ces petits déplacements se traduisent par l’apparition dans la matière de moments dipolaires électriques induits, ou autrement dit, par l’apparition d’une polarisation.
Sous l’action du champ électrique provenant d’une onde lumineuse de fréquence ω, les charges du diélectrique vont alors se comporter comme des dipôles oscillant à la fréquence ω du champ excitateur. L’effet du champ magnétique sur les particules chargées est quant à lui beaucoup plus faible et peut être négligé. De plus, étant donné que la masse des électrons est beaucoup plus faible que celle des ions, on peut considérer comme significatif seulement le déplacement des électrons. On peut alors décrire ce système à l’aide d’un modèle mécanique simple où l’électron de masse m et de charge -e est lié à l’ion par un ressort.
Réalisations « classiques » de l’accord de phase
Accord de phase par biréfringence
Nous avons souligné l’importance de l’obtention de l’accord de phase pour obtenir des interactions non linéaires du second ordre efficaces. Usuellement, l’accord de phase est obtenu en utilisant le fait que la plupart des matériaux quadratiques sont également biréfringents. On distingue alors deux manières de réaliser l’accord de phase:
• Dans l’accord de phase de type I, les deux photons à la fréquence ω sont polarisés identiquement (soit suivant l’axe ordinaire, soit suivant l’axe extraordinaire); le photon SH est alors généré suivant la polarisation perpendiculaire. On choisit alors une direction de propagation qui vérifie la relation: ne(2ω)=no(2ω) pour un cristal uniaxe négatif ou n0(2ω)=ne(2ω) pour un cristal uniaxe positif.
• Dans le cas de l’accord de phase de type II, les deux photons du champ fondamental sont polarisés perpendiculairement et le photon SH est polarisé selon l’axe extraordinaire (ordinaire) pour les cristaux uniaxes négatifs (positifs).
La description de la génération de SH dans les milieux massifs nous a permis de mettre en évidence les paramètres importants pour rendre cet effet non linéaire efficace. Nous avons ainsi vu, tout d’abord que le matériau utilisé ne doit pas être centrosymétrique et doit posséder une susceptibilité non linéaire d’ordre 2 la plus forte possible. Ensuite, le calcul de l’efficacité de conversion (équation (1.37)), révèle une dépendance linéaire avec l’intensité du F. Ceci montre qu’il serait intéressant de faire résonner l’onde F dans le matériau non linéaire afin d’augmenter son intensité et donc d’augmenter le rendement de conversion. De ce calcul, nous avons pu déduire qu’une forte dispersion chromatique est un facteur limitant dans les processus non linéaires du second ordre. Pour obtenir des effets importants, il faut absolument réaliser la condition d’accord de phase. De cette manière, l’intensité du SH généré varie comme le carré de la longueur d’interaction. Nous nous sommes ensuite intéressés aux cas du GaAs et des composés ternaires AlxGa1-xAs dont le χ(2) vaut plus de 100pm/V pour x inférieur à 0.4, ce qui est environ 10 fois plus grand que celui du niobate de lithium quasi-accordé en phase. Cette caractéristique est à l’origine de notre intérêt pour réaliser du doublage de fréquence avec l’AlGaAs. Nous avons vu que pour obtenir une polarisation non linéaire du second ordre non nulle, la lumière ne doit pas se propager dans la direction de croissance usuelle [001] et que la longueur de cohérence à 1.55µm vaut seulement 1.6µm compte tenu de la forte dispersion de ces matériaux. Ces paramètres doivent alors être pris en compte si l’on veut obtenir des interactions efficaces.
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Table des matières
Introduction générale
Partie I: Optique non linéaire du second et du troisième ordre dans les semiconducteurs III-V
1. Introduction
2. Principes de base de l’optique non linéaire
2.1. Origine de la non linéarité: polarisation non linéaire
2.2. Formalisme et équation de propagation non linéaire
3. Processus non linéaires du second ordre
3.1. Mélange à 3 ondes
3.2. Génération de seconde harmonique
3.3. Réalisations « classiques » de l’accord de phase
3.4. Cas particulier du GaAs: propriétés de la susceptibilité non linéaire second ordre
3.5. Conclusion
4. Processus non linéaires du troisième ordre
4.1. Mélange à 4 ondes
4.2. Effet Kerr optique
4.3. Applications de l’effet Kerr
4.4. Absorption et indice non linéaires des semiconducteurs III-V
5. Conclusion
Partie II: Les cristaux photoniques: fondements et propriétés pour l’optique non linéaire
1. Introduction
2. Formalisme des cristaux photoniques: calcul du diagramme de bandes photoniques et de la transmission
2.1. Préambule: Equations de Maxwell
2.2. Cristaux photoniques infinis
2.3. Cristaux photoniques finis (la réalité…)
2.4. Conclusion
3. Optique non linéaire dans les cristaux photoniques: bref état de l’art
3.1. Optique non linéaire du second ordre
3.2. Optique non linéaire du troisième ordre
4. Conclusion
Partie III: Conception et fabrication de cristaux photoniques uni- et bidimensionnels pour la génération de seconde harmonique
1. Introduction
2. Outil de modélisation: FDTD 2D non linéaire
2.1. Principe
2.2. Exemple d’applications simples et comparaison avec les résultats analytiques
2.3. Conclusion
3. Cristaux photoniques 1D et 2D pour la génération de seconde harmonique
3.1. Cristaux photoniques 1D en géométrie guide d’onde
3.2. Cristaux photoniques 2D
3.3. Conclusion sur la conception
4. Fabrication des cristaux photoniques 1D et 2D
4.1. Généralités
4.2. Etape 1: préparation des masques de gravure
4.3. Etape 2: gravure du semiconducteur
4.4. Etape 3: finalisation des échantillons
4.5. Conclusion sur la fabrication des échantillons
5. Caractérisation optique des échantillons fabriqués
5.1. Caractérisation des CPs 2D
5.2. Caractérisation des CPs 1D
6. Conclusion
Conclusion