Principe et enjeux de l’évaluation des spectres de neutrons prompts de fission

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Détection des neutrons et mesure de leur énergie

Le principe de la détection des particules subatomiques repose sur la réponse d’un milieu auquel la particule transfère son énergie. La réponse du milieu est transformée en signal électrique, qui une fois amplifié, devient détectable. Les réactions qui sont utilisées dans les détecteurs pour que la particule dépose son énergie sont basées sur l’interaction électromagnétique.
N’étant pas concernés du fait de leur charge nulle, les neutrons ne sont pas détectés directement. Il faut d’abord passer par une réaction du neutron qui donne à l’état final une particule chargée en mouvement, donc capable d’exciter la matière présente dans le détecteur.
La détection repose donc sur une réaction entre un neutron et un noyau dont on note nA la densité atomique dans le détecteur. On note σ(E) la section efficace de la réaction en fonction de l’énergie du neutron. La probabilité P(E) qu’un neutron d’énergie E soit détecté, correspond à la probabilité qu’il ne traverse pas la longueur d du détecteur sans interaction, soit : P(E) = 1 − e−nA ·σ(E) ·d (1.1)
La réaction nous donne un produit détectable. Ce produit va céder au moins une partie de son énergie au milieu du détecteur. On parlera ici des deux types de réponse exploitées pour la détection des neutrons : l’ionisation et la scintillation.
Chambre à ionisation Il s’agit d’une chambre emplie d’un gaz. La particule chargée incidente interagit avec les électrons orbitaux du milieu. Dans le cas d’un photon, si son énergie est supérieure à l’énergie d’ionisation Eion d’un atome de ce gaz, un électron de l’atome est arraché par absorption de ce photon. Dans le cas d’une particule chargée, une partie Ep de son énergie est cédée à un électron de l’atome par collision inélastique. Si Ep > Eion, l’électron est arraché. Suite à l’ionisation, on a donc création d’une paire ion/électron (figure 1.1).
Les énergies de première ionisation — c’est à dire de séparation de l’électron le moins lié — varient entre 5 et 30 eV pour la plupart des atomes. La chambre possède deux électrodes, maintenues à une différence de potentiel électrique dont la valeur varie selon la nature et l’énergie de la particule incidente que l’on cherche à détecter. Le champ électrique qui en résulte fait migrer les ions vers la cathode et les électrons vers l’anode. Le signal électrique ou pulse reçu, informe l’expérimentateur du passage d’une particule ionisante dans le détecteur.
Le plus souvent, c’est la paroi extérieure de la chambre qui sert de cathode. Le principe de la détection des neutrons dans une chambre à fission (exemple de chambre à ionisation pour la détection des neutrons) est présenté dans la figure 1.2.
Scintillateur Les détecteurs à scintillation sont composés d’un milieu qui peut être liquide, gazeux ou solide. On en distingue deux types : les scintillateurs organiques et inorganiques.
La détection des neutrons, comme on le verra, est d’autant plus efficace que les atomes qui composent le détecteur sont légers ; les détecteurs organiques sont donc les plus adaptés.
Les scintillateurs inorganiques sont utilisés préférentiellement pour la détection des photons, comme le NaI(Tl), car ils sont faits d’atomes lourds ; la section efficace de détection des photons par les scintillateurs étant proportionnelle à Z5 (pour l’effet photo-électrique). Le passage de la particule excite les électrons des molécules du milieu, idéalement sans provoquer d’ionisation car dans ce cas ce n’est pas le mouvement des électrons qui provoque le signal. Le schéma de niveau typique des électrons d’une molécule organique est donné dans Dépôt fissile la figure 1.3. On a des états électroniques, notamment les états singulets S0 et S1 ; à chacun sont associés plusieurs états vibrationnels. A température ambiante, les électrons sont dans l’état S0 « fondamental ». L’énergie Ep de la particule incidente excite les électrons vers les états vibrationnels de S1. La désexcitation la plus probable se fait en deux temps : décroissance vers l’état S1 « fondamental », puis décroissance vers l’un des états vibrationnels S0 par émission d’un photon. Comme, à température ambiante, les électrons sont dans l’état S0 fondamental, le photon émis ne correspond pas à une transition possible vers un niveau excité ; le photon ne sera donc pas réabsorbé par la suite. C’est ce photon qui constitue le rayonnement de scintillation. Il est ensuite converti en signal électrique et amplifié par un photo-multiplicateur couplé au scintillateur. Le principe est résumé sur la figure 1.4.
Dans le cas des détecteurs à ionisation et à scintillation, le passage du produit de la réaction que le neutron a induite, se traduit par la création d’un pulse électrique. La forme et l’amplitude de ce pulse nous donnent plusieurs informations sur la nature de la particule détectée et sur son énergie. Pour la détection des neutrons, on n’utilisera le plus souvent le détecteur que pour obtenir une information binaire, c’est à dire passage ou non d’un neutron.
L’énergie du neutron est alors mesurée par temps de vol comme on le verra. En revanche, la forme du pulse sert à la discrimination entre les neutrons et les autres particules ayant pu provoquer une réponse du détecteur.
Figure 1.4 – Schéma du principe de la détection des neutrons dans un scintillateur couplé à un photo-multiplicateur. Le neutron incident va interagir avec le milieu du détecteur. Les produits de la réaction chargés et en mouvement, comme un proton diffusé dans les cas des détecteurs de proton de recul, excitent sur leur passage les électrons des molécules du détecteur.
Le rayonnement de scintillation est converti en électron par effet photoélectrique dans le photo-multiplicateur. L’électron va se multiplier sur chaque dynode, le signal électrique sera ainsi amplifié d’un facteur 106 environ.
En fonction de l’énergie du neutron à détecter, le choix d’une réaction ou d’une autre se révèlera plus ou moins adapté. Pour que la détection soit efficace, il faut d’une part que la section efficace soit suffisamment élevée pour les énergies des neutrons étudiés, et d’autre part, qu’une large part de l’énergie du neutron soit cédée au produit détectable de la réaction. Si l’énergie du neutron après la réaction est suffisante, il peut en provoquer d’autres en continuant son parcours dans le détecteur. Dans ce cas, les collisions multiples du même neutron ayant lieu dans un temps très court comparé au temps de réponse d’un scintillateur (nano-seconde) ou d’une chambre à ionisation (micro-seconde), les signaux provenant de chacune des réactions vont s’ajouter et on observera un seul pulse de plus haute amplitude.
Ce phénomène ne gêne donc pas la détection [35]. D’autre part, si l’on recherche seulement la présence ou non du neutron et pas son énergie, il importe peu que le neutron dépose toute son énergie ou seulement une partie dans le détecteur avant de fuir. L’essentiel pour la détection est que le neutron subisse au moins une réaction dans le détecteur. Les réactions neutroniques qui sont utilisées pour la détection des neutrons sont :
1. Les réactions d’absorption : (n,α), (n,γ), etc.. Dans ce cas c’est la particule réémise par le noyau composé qui sera détectée. Une réaction souvent utilisée pour la détection des neutrons lents est la réaction 6Li(n,t)α, où t est un triton 3H, dans le cas de verres scintillateurs au lithium. La section efficace de cette réaction est présentée sur la figure 1.5.
2. La diffusion élastique (n,n). Dans ce cas, le produit détectable est le noyau diffusé.
3. La fission (n,f), dans les chambres à fission. Dans ce cas ce sont les fragments de fission qui provoquent le signal. On verra que dans les mesures par temps de vol, on utilise la chambre à fission afin de détecter les fragments.
On parlera ici plus spécialement de deux types de détecteurs : les détecteurs de proton de recul et les chambres à fission.

Le détecteur de proton de recul

Ces scintillateurs, très couramment utilisés pour la détection des neutrons rapides, reposent sur la diffusion élastique neutron-hydrogène H(n,n)H. Pour la diffusion d’un neutron d’énergie cinétique E sur un noyau de masse atomique A, l’énergie de recul Er du noyau dans le référentiel du laboratoire s’écrit [35] : Er = 4A /(1 + A)2 cos2 (θ) E (1.2) où θ est l’angle entre la direction du noyau diffusé et la direction du neutron incident, dans le référentiel du laboratoire. On voit donc que le choix de l’hydrogène (A = 1) est celui qui maximise le transfert d’énergie cinétique au noyau diffusé, en l’occurrence un proton.
L’efficacité de la détection sera alors maximale puisque c’est l’énergie du proton diffusé qui est utile à la détection. Ces détecteurs sont constitués de molécules organiques, qui se trouvent soit sous la forme liquide, soit sous la forme d’un cristal. Parmi les cristaux les plus utilisés, on trouve le stilbène (C14H12) et l’anthracène (C14H10). Dans le cas des détecteurs liquides, le rapport des densités d’hydrogène et de carbone est très impactant pour l’efficacité de la détection, car c’est principalement la diffusion sur l’hydrogène qui participe au rayonnement.
Un cas représentatif est le détecteur NE-213, dans lequel ce rapport vaut 1.213. La figure 1.5 présente les sections efficaces de diffusion du neutron sur l’hydrogène et sur le carbone (pour la composition isotopique naturelle). On voit que la diffusion neutron-carbone est moins probable que la diffusion neutron-proton, et ce sur presque tout le spectre, en dehors de quelques résonances du carbone à haute énergie.
Figure 1.5 – Evaluation JEFF-3.2 [53] des sections efficaces de fission induite de l’235U (courbe pleine), de diffusion élastique neutron-hydrogène (traitillés rouges) et neutroncarbone (courbe bleue), et de la réaction 6Li(n, t)α (courbe rose).

La chambre à fission

La chambre à fission est un détecteur à gaz, généralement de l’argon. Il s’agit d’une chambre à ionisation dans laquelle est placé un dépôt fissile. Le neutron induit une fission, et les fragments de fission ionisent le gaz, provoquant un signal. L’efficacité de la détection est conditionnée par la section efficace de fission σf (E) à l’énergie du neutron incident. Cette section efficace dépend du dépôt fissile, que l’on pourra adapter au type des neutrons que l’on veut détecter. Dans le cas des chambres à fission utilisées dans l’industrie, le dépôt fissile est toujours de l’235U. En effet, la manipulation de l’235U ne nécessite ni dépressurisation ni boîtes à gants. La figure 1.5 montre la section efficace de fission de l’235U en fonction de l’énergie du neutron incident. Elle est maximale pour les neutrons de basse énergie. La détection sera donc maximale pour des neutrons lents ou thermiques.
Remonter à l’énergie du neutron incident à partir du signal reçu requiert une bonne connaissance a priori du phénomène de la fission, notamment de ses rendements en masse, c’est à dire de la distribution en nombre de masse des fragments de fission. Ces informations étant mal connues pour certaines énergies du neutron, il s’avère délicat et peu fiable de déduire l’énergie du neutron que l’on a détecté du signal reçu. On préfèrera se servir de la chambre à fission comme d’une indication binaire : le neutron a été détecté ou n’a pas été détecté. Pour connaître l’énergie du neutron, une technique très utilisée est celle du temps de vol.
Comme on peut le voir sur la figure 1.5, la valeur des sections efficaces indique que les détecteurs basés sur le recul des protons sont utilisés préférentiellement aux chambres à fission pour les neutrons d’énergie supérieure à 1 keV. La part des neutrons prompts de fission émis avec une énergie inférieure à 1 keV est de l’ordre de 10−3 %, c’est pourquoi les scintillateurs organiques sont les plus adaptés aux mesures de PFNS. De plus, ces détecteurs offrent une discrimination précise des neutrons et des gammas, ce qui se révèle capital dans la détection des particules promptes de fission [76].

Dispositif général des expériences de mesure de spectre

Afin de détecter les neutrons prompts de fission et de mesurer leur énergie, il faut détecter également les fragments de fission en coïncidence avec les neutrons. Ceci est fait, d’une part pour discriminer les neutrons de fission des neutrons du bruit de fond, et d’autre part, afin de connaître l’instant d’émission des neutrons et ainsi calculer leur énergie à partir de leur temps de vol. La réaction de fission a lieu directement dans le détecteur de fragments : l’échantillon dont on veut étudier la fission est placé dans une chambre à ionisation. L’ensemble forme une chambre à fission, bien que dans ce cas le but ne soit pas de détecter le neutron incident, mais les fragments de la fission qu’il provoque. Si on étudie la fission induite par neutron, la cible est placée dans l’axe d’un faisceau de neutrons. Toutes les informations collectées sur les fragments de fission sont déduites de la forme (pulse shape) et de l’amplitude (pulse height) du signal de la chambre à fission.
Pour discriminer les neutrons des autres particules incidentes dans le détecteur de neutron, on se sert de la forme du pulse (pulse shape discrimination). Le pulse comporte une composante « rapide » et une composante « lente » (voir figure 1.6). Le neutron a une composante lente plus importante, c’est ce qui permet de le reconnaître (figure 1.7). Le principe général de la détection des neutrons prompts de fission est résumé sur la figure 1.8.

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Table des matières

Introduction 
L’évaluation des données nucléaires de base
Le processus et les observables de fission
Principe et enjeux de l’évaluation des spectres de neutrons prompts de fission
1 Revue des mesures de spectre 
1.1 Détection des neutrons et mesure de leur énergie
1.1.1 Le détecteur de proton de recul
1.1.2 La chambre à fission
1.1.3 Mesure de l’énergie par temps de vol
1.2 Dispositif général des expériences de mesure de spectre
1.3 Analyse des données
1.4 Revue des expériences disponibles
2 La modélisation du spectre 
2.1 Etat de l’art sur les modèles analytiques
2.1.1 Les modèles historiques : maxwellienne et modèle de Watt
2.1.2 Modèle de Madland-Nix ou de Los Alamos
2.2 Modélisation du spectre via le code FIFRELIN
2.2.1 Echantillonnage des fragments de fission
2.2.2 La cascade de désexcitation des fragments
2.2.3 Accès aux autres observables de fission et corrélation entre ces observables
2.3 Influence des paramètres de modèle sur le spectre
2.3.1 Rappels sur la théorie de Weisskopf
2.3.2 Calcul de la section efficace inverse
2.3.3 Influence de la section efficace inverse sur le spectre FIFRELIN et recherche de paramètres optimaux
3 Calcul du spectre et de sa matrice de covariance 
3.1 Effet de la contrainte de normalisation sur la matrice de corrélation d’un spectre
3.2 Ajustement bayésien des paramètres de modèle
3.2.1 Algorithme d’ajustement et modèle expérimental
3.2.2 Modèles et choix des paramètres a priori
3.3 Traitement des différentes sources d’incertitude expérimentale
3.3.1 Insuffisances de la propagation simultanée des incertitudes statistiques et systématiques
3.3.2 Une solution appropriée : la marginalisation
3.4 Effets comparés des incertitudes dues à la normalisation et à l’efficacité de détection dépendante de l’énergie
3.5 Effet de l’ajout de données mesurées
3.6 Résultat pour 235U(nth,f) et 239Pu(nth,f) et comparaison avec les évaluations internationales
4 Sensibilité du flux neutronique sur la cuve d’un réacteur au spectre 
4.1 Calcul du flux cuve par la simulation Monte-Carlo
4.2 Fonction importance des neutrons sur le flux à la cuve
4.3 Comparaison du flux sur la cuve provenant de différents spectres
4.4 Propagation des covariances du spectre source au flux sur la cuve
Conclusion et perspectives 
Annexe A Rappels de probabilités et statistiques
A.1 Notions de covariance, de corrélation et de variance sous forme matricielle
A.2 Propagation des covariances
Annexe B Le PFNS dans les évaluations internationales : les contraintes du format ENDF
B.1 Structure de la librairie évaluée
B.2 Structure de la file 5
B.3 Structure de la file 35
B.4 Correspondance entre le PFNS et ses covariances dans l’évaluation
B.4.1 Du point de vue de l’utilisateur
B.4.2 Du point de vue de l’évaluateur
Annexe C Résultats additionnels
C.1 Spectre et matrice de covariance associée pour les modèles maxwellien et de Watt
C.2 Propagation des spectres maxwellien et de Watt et de leurs covariances
Annexe D Publications
Bibliographie 

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