Principe de l’interférométrie atomique
Historique
L’interférométrie atomique est née de la découverte, dans les années 1920, de la dualité ondecorpuscule de la matière. C’est Louis de Broglie qui à l’âge de 31 ans, inspiré par les travaux de Max Planck et d’Albert Einstein sur la théorie des quanta, postule en 1923 le caractère ondulatoire de la matière. Il déduit de la fameuse formule E = hν introduite par Max Planck pour expliquer le rayonnement du corps noir, qu’il est possible d’associer un phénomène périodique à n’importe quel morceau isolé d’énergie ou de matière.
Il ne faudra pas plus de quatre ans pour que cette relation soit vérifiée expérimentalement à partir de l’observation du phénomène de diffraction d’électrons par un cristal [57]. La mise en évidence de la nature ondulatoire de la matière offrit à Louis de Broglie, le prix Nobel de physique, et à la physique, de nombreuses perspectives nouvelles. Comme il l’avait pressenti, la mécanique classique vivait alors le même bouleversement que l’optique géométrique trois siècles auparavant lorsque Christian Huygens introduisait sa théorie ondulatoire de la lumière. Les fondements de la mécanique quantique étaient posés. Plusieurs expériences similaires suivirent, avec en 1930 l’observation de la diffraction d’atomes et de molécules par un cristal de lithium [58] puis en 1936 avec l’observation de la diffraction de neutrons en France et aux Etats-Unis [59, 60].
Quelques années plus tard, les premiers interféromètres à ondes de matière voient le jour. En 1952, L. Marton propose un schéma d’interféromètre à électrons de type Michelson utilisant une série d’aimants et un cristal de diffraction [61]. L’année suivante, les première franges d’interférences étaient observées [62]. En 1962 le premier interféromètre à neutrons est réalisé [63]. Là encore, le schéma d’interféromètre est emprunté à l’optique physique. Malheureusement, la séparation des deux bras de cet interféromètre de type Mach-Zehnder n’étant que de 60 µm, les auteurs ne parviennent pas à modifier la différence de chemin optique sans détruire la cohérence. C’est donc en 1974 que sont réalisées avec des neutrons les premières véritables mesures interféromètriques [64].
Il faudra attendre les années 1990 pour que soient développés les premiers interféromètres atomiques. Deux approches sont alors adoptées. La première, inspirée des interféromètre à neutrons, utilise pour séparatrices des réseaux matériels et demande un grand savoir-faire en matière de nano-lithographie. En effet, toutes ces expériences réalisées sur des jets d’atomes chauds nécessitent l’utilisation de réseaux matériels de périodes comparables à la longueur d’onde de de Broglie, c’est à dire de l’ordre de quelques centaines de nm. Un interféromètre atomique de type Mach-Zehnder, utilisant trois réseaux de périodes de 400 nm est ainsi démontré en 1991 [65]. Les auteurs montrent qu’un tel interféromètre peut être utilisé pour mesurer des effets inertiels comment notamment l’effet Sagnac. La deuxième approche, inspirée des travaux de L. Kapitza et P. Dirac [66], utilise des réseaux optiques pour séparer et recombiner les paquets d’ondes atomiques par diffraction de Bragg [67, 68].
La transition Raman à deux photons
En 1989, Christian Bordé combine les idées de séparatrices optiques et de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire. Il propose un nouveau type de séparatrices utilisant directement le couplage électromagnétique entre un atome et un champs laser [69].
La résonance magnétique nucléaire
Un système de moment magnétique µ 6= 0 et de moment angulaire J, lorsqu’il est soumis à un champ magnétique statique H0, précesse autour de ce dernier à une fréquence ω0/2π = µH0/Jh appelée fréquence de précession de Larmor. Si un champ magnétique radio-fréquence H1 est appliqué perpendiculairement à H0, le moment magnétique du système subit une rotation d’un angle θ par rapport à H0. Cet angle est maximal pour un champ H1 résonant avec la fréquence de précession de Larmor. Ce phénomène, appelé phénomène de résonance magnétique nucléaire sera mis en évidence en 1938 par I. Rabi [71] à partir de l’expérience . Il obtiendra le prix Nobel de physique en 1944. Une dizaine d’années plus tard, N. Ramsey montre par le calcul qu’il est possible d’obtenir une courbe de résonance magnétique nucléaire plus utile (i.e. plus fine spectralement) en utilisant deux champs radio-fréquences séparés spatialement [72, 73]. Aujourd’hui, cette méthode, appelée spectroscopie Ramsey a été réinterprétée comme étant un interféromètre manipulant les niveaux internes d’une particule [74].
Couplage électromagnétique et « étiquetage » des états externes
De façon similaire aux expériences de spectroscopie RMN, il est possible d’utiliser le couplage électromagnétique entre le moment dipolaire électrique d d’un atome et un champ laser E, afin de manipuler non seulement les degrés de liberté internes de l’atome mais aussi ses degrés de liberté externes. Considérons pour cela un atome à deux niveaux internes |gi et |ei ayant une impulsion p. Appliquons-lui une impulsion électromagnétique de vecteur d’onde k et de fréquence ω résonante avec la transition atomique |gi → |ei. Lors de sa transition, l’atome absorbe un photon et gagne une impulsion ~k. Le couplage électromagnétique permet donc de créer une superposition cohérente de deux états |g, pi et |e, p + ~ki. Notons que la séparation spatiale de ces deux paquets d’ondes étant d’autant plus importante que le vecteur d’onde est grand, l’utilisation d’une transition optique constitue une meilleure séparatrice (vrec = ~k/m ≈ 5.9 mm/s pour le 87Rb) qu’une transition micro-onde (vrec ≈ 10⁻⁷ m/s) ou encore radio-fréquence. La correspondance entre les états internes et externes de l’atome permet « l’étiquetage » [69] de l’état externe de l’atome par son état interne. Une telle propriété est très intéressante car elle facilite la détection des ports de sortie de l’interféromètre. En effet, si les deux paquets d’ondes sont difficilement identifiables par leur état externe, ils le sont facilement par leur état interne.
Oscillations de Rabi
La propriété d’étiquetage décrite précédemment n’est utile que si la durée de vie τ? de l’état excité est grande devant le temps de l’interféromètre. C’est pourquoi ce type de séparatrice a d’abord été réalisée en 1991 avec un jet de Calcium (un atome alcalino-terreux) [75]. En effet, dans le cas d’un alcalin, la durée de vie de l’état excité d’une transition optique est malheureusement très courte car fortement limitée par le processus d’émission spontanée (τ ? = 1/Γ ≈ 26 ns pour la raie D2 du 87Rb). Une astuce intéressante, proposée par Christian Bordé en conclusion de son article de 1989, consiste alors à utiliser une transition à deux photons, permettant de coupler deux niveaux métastables d’un atome (par exemple deux niveaux hyperfins) tout en transmettant une impulsion optique totale de 2~k. Le premier interféromètre utilisant des transitions Raman stimulées fut ainsi réalisé en 1991 par M. Kasevich et S. Chu à Stanford [76].
Application aux capteurs de forces
Le premier capteur de forces utilisant des transitions Raman a été réalisé en 1991 par M. Kasevich et S. Chu à Stanford [76]. Depuis, vingt-cinq ans se sont écoulés et les transitions Raman restent encore les séparatrices les plus utilisées pour la mesure de forces inertielles par interférométrie atomique.
Capteurs inertiels
Suivant la configuration des faisceaux laser Raman, il est possible de mesurer ou un signal de rotation (l’interféromètre constitue alors un gyromètre), ou un signal d’accélération. Les développements récents des gyromètres atomiques sont présentés dans [78]. Récemment, le gyromètre à atomes froids de notre équipe a démontré une sensibilité record de 1 nrad/s après 2h45 de mesures [79]. Si les gyromètres atomiques ne rivalisent pas encore avec les gyromètres optiques, les gravimètres à atomes froids en revanche, qui mesurent l’accélération de la pesanteur g, ont dépassé les gravimètres optiques [80]. Ils ont démontré des performances excellentes aussi bien en sensibilité court terme (∆g/g = 4.3 × 10⁻⁹ à 1 s [81]) que long terme (∆g/g = 5 × 10⁻¹¹ après 1 jour et 3h de mesures [82]). Cette technologie est d’ailleurs aujourd’hui assez mature pour être industrialisée. Elle est notamment commercialisée par une start-up française MUQUANS, spin off de l’Observatoire de Paris et de l’Institut d’Optique.
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Table des matières
I Introduction
I.1 Forces à courtes distances
I.1.1 Unifier la physique
I.1.2 Les théories non-Newtoniennes
I.1.3 La force de Casimir
I.1.4 La force de Casimir-Polder
I.2 Principe de l’interférométrie atomique
I.2.1 Historique
I.2.2 La transition Raman à deux photons
I.2.3 L’interféromètre de Ramsey-Raman
I.2.4 Application aux capteurs de forces
II Dispositif Expérimental
II.1 Atteindre le µK
II.1.1 Le nouveau banc de refroidissement
II.1.2 Les pièges magnéto-optiques
II.2 Atteindre les 100 nK
II.2.1 Le refroidissement évaporatif : considérations théoriques
II.2.2 Protocole expérimental
II.3 Séquences expérimentales
II.3.1 Schéma des lasers
II.3.2 Chargement depuis la mélasse
II.3.3 Chargement depuis le piège dipolaire
III Interféromètres en régime dilué
III.1 Interféromètres piégés
III.1.1 Les états de Wannier-Stark
III.1.2 Couplage Raman et transport atomique dans le réseau
III.1.3 Echo de spin et interféromètres symétriques
III.2 Effets systématiques et biais associés sur la mesure de νB
III.2.1 Déplacement lumineux différentiel à 1 photon
III.2.2 Déplacement lumineux différentiel à 2 photons
III.2.3 Force parasite du piège de confinement transverse
III.3 Sensibilité de la mesure
III.3.1 Influence du piège de confinement transverse
III.3.2 Influence du piège périodique longitudinal
III.3.3 Nouvelle meilleure sensibilité court terme
III.4 Conclusion
IV Interféromètres micro-ondes en régime dense
IV.1 Outils théoriques sur l’effet de rotation des spins identiques
IV.1.1 Brefs rappels sur la théorie de la diffusion
IV.1.2 La statistique quantique à l’origine du champ moyen de spin
IV.1.3 Le régime de Knudsen et l’auto-synchronisation des spins
IV.2 Compétition entre l’écho et l’auto-synchronisation de spin
IV.2.1 Piège dipolaire croisé
IV.2.2 Piège mixte
IV.3 Déphasage, déplacement collisionel et densité magique
IV.3.1 Fréquence moyenne et non-homogénéité
IV.3.2 Densité magique
IV.4 Conclusion
V Interféromètres à séparation spatiale en régime dense
VI Conclusion