Principe de fonctionnement d’un turboréacteur
Les moteurs développés par Safran Aircraft Engines et Safran Helicopter Engines fonctionnent suivant le principe du turboréacteur. La plupart des moteurs civils et militaires proposés par Safran Aircraft Engines ont une architecture de type «double flux » et « double corps ». Ce type de moteur est constitué de deux parties distinctes. Un « corps BP » (Basse Pression) et un « corps HP » (Haute pression). Chaque corps est constitué d’un compresseur et d’une turbine montés sur le même arbre . Les arbres HP et BP sont coaxiaux. Le « corps HP » contient également la chambre de combustion située en amont de la turbine HP.
Le flux d’air est aspiré par la soufflante (ou FAN) du compresseur BP puis est partagé en flux primaire et flux secondaire. Cette architecture est très répandue dans l’aviation civile. Le flux primaire, utilisé comme comburant, participe à un cycle thermodynamique complet : en traversant les deux compresseurs, sa pression et sa température augmentent. Le carburant est ensuite vaporisé dans le comburant et le mélange est enflammé dans la chambre de combustion afin de transformer son énergie chimique en énergie mécanique et thermique. Le flux primaire transfère ensuite progressivement son énergie aux turbines HP puis BP qui sont mises en rotation et entraînent les compresseurs. Sa course se termine dans l’atmosphère après avoir traversé la tuyère d’évacuation. Le flux primaire sortant contribue à la poussée du moteur.
Le flux secondaire est aspiré par les aubes de soufflante et permet de propulser l’avion par le principe d’action-réaction. La poussée du moteur est directement liée à la dimension des soufflantes. D’une manière générale, les soufflantes participent à près de 75 % de la poussée totale. Chaque compresseur est constitué, de différents étages chacun constitué d’aubages mobiles (constituant le rotor) et d’aubages fixes (appartenant au stator). Un ensemble d’aubages mobiles est appelé redresseur, tandis qu’un ensemble d’aubages fixes est appelé distributeur. Les parties tournantes se présentent sous la forme d’un assemblage d’aubes sur un disque.
Les compresseurs conçus et fabriqués par Safran Aircraft Engines sont de types axiaux, car les trajectoires des flux d’air suivent l’axe moteur ou axialo-centrifuge pour les moteurs de plus faible poussée. Ceux conçus par Safran Helicopter Engines sont utilisés dans les hélicoptères et nécessitent une architecture de type centrifuge. Dans ce dernier cas, l’accélération du flux d’air est assurée par la force centrifuge lorsque le fluide traverse le rouet situé après le compresseur .
La fatigue dans les turboréacteurs
Afin de garantir la sécurité des passagers, les motoristes dimensionnent leurs moteurs de manière à assurer leur intégrité en cas de défaillance d’un composant. Le carter est ainsi dimensionné pour contenir les fragments émis lors de la rupture d’une aube de soufflante. Cependant, certaines défaillances ne peuvent pas être tolérées car elles conduiraient à la perte du moteur voire à celle de l’avion. Si un disque se rompt brutalement au cours d’un vol, l’énergie cinétique des fragments ne sera pas complètement absorbée par le carter. La rupture d’un disque peut conduire à l’explosion du moteur et à une collision entre les fragments et la cellule de l’avion . Il existe deux solutions permettant d’éviter ce type d’événements. La première consiste à dimensionner le carter afin qu’il puisse retenir les fragments d’un disque. Avec les matériaux actuels ce choix conduirait à un carter trop lourd. La seconde solution consiste à dimensionner le disque pour que la rupture en service ne puisse pas se produire.
Pour cela, des hypothèses conservatives sont retenues. Des scénarii d’initiation de défaillance sont imaginés, pour chacun d’eux, la durée de vie résiduelle du moteur est déterminée. Les FOD (Foreign Object Damage) sont un bon exemple de cette démarche : un moteur peut aspirer une particule dure (grain de sable, poussière volcanique, etc.) qui conduit à l’apparition d’une anomalie sur la surface du composant. Une fissure peut s’initier depuis cette anomalie et se propager. Les méthodes de prévision de la durée de vie doivent alors permettre de définir quelle est la périodicité des contrôles qui doivent être effectués pour vérifier la présence ou l’absence de telles anomalies. Celles-ci s’intègrent dans une approche plus générale appelée Tolérance aux Dommages. L’hypothèse conservative qui est faite est que toute anomalie doit être vue comme une fissure qui se propage. Ainsi, on suppose qu’après chaque contrôle, une fissure se propage et l’intervalle de contrôle doit être plus faible que le temps mis par une fissure pour se propager et conduire à la rupture.
Cette démarche est coûteuse en caractérisation expérimentale. Pour chaque source de défaillance potentielle (défaut du matériau, FOD, rayures …) les courbes S – N (chargement cyclique – durée de vie) sont déterminées. A cela s’ajoute la prise en compte de la complexité du chargement (interaction HCF – LCF, chargement hétérogène spatialement dans la pièce). C’est pourquoi, afin de réduire le nombre d’essais et les coefficients de sécurité « très » conservatifs utilisés pour la certification d’un moteur, des modèles tenant compte de la physique du processus de fatigue sont développés et validés. C’est dans cette optique que s’est déroulé ce travail de thèse.
Présentation du programme RAMGT
Le programme RAMGT (Robust Aerofoils for Modern Gas Turbines (RAMGT, 2004)) est un programme européen commun à plusieurs motoristes aéronautiques, universités et laboratoires partenaires (Safran Aircraft Engines, Safran Helicopter Engines, Rolls-Royce, Rolls-Royce Deutschland, Avio, ITP, MTU, Volvo Aero Corp., Inasco, Inasmet, Qinetiq et Oxford University) qui a duré 56 mois, pendant lesquels un travail important sur la validation et la robustesse des méthodes actuelles de dimensionnement des aubes de compresseur ou de turbine a été mené. Le but principal a été de comprendre et de caractériser les interactions entre les chargements HCF (High Cycle Fatigue) et LCF (Low Cycle Fatigue), mais également l’influence des FOD (Foreign Object Damage), de la géométrie et du traitement de surface sur la résistance à la fatigue des aubes. Au cours de ce programme, deux matériaux ont été étudiés en particulier : le Ti-6Al-4V et l’Inconel 718. Certaines géométries d’éprouvettes ont été inspirées de celle d’une aube . Ces dernières se caractérisent par la présence de zones plus sollicitées que d’autres, appelées zones à Kt, dont l’effet sur la résistance à la fatigue est plus ou moins marqué selon les cas. Ces concentrations de contraintes apparaissent généralement au niveau de zones caractérisées par une courbure non nulle.
L’une des originalités de ce programme a été la réalisation d’essais non-conventionnels comme les essais CCF (Combined Cycle Fatigue) . Le cycle CCF est constitué d’un cycle LCF (Low Cycle Fatigue) à rapport de charge proche de zéro, avec un temps de maintien, auquel sont superposés 10000 cycles HCF (High Cycle Fatigue, caractérisés par un rapport de charge plus élevé que le cycle LCF).
L’intérêt de ce cycle de chargement est qu’il représente, d’une manière relativement simple, un cycle de vol standard pour les pièces moteur. En effet, au décollage, le chargement centrifuge engendre un chargement statique non-nul (montée en charge LCF). Le couplage aero-élastique (air-aube) et l’excitation de certaines fréquences propres du système se traduisent par l’apparition d’un chargement dynamique de faible amplitude mais de haute fréquence (HCF) qui se superpose au chargement centrifuge. A la fin de la phase de décollage, le chargement centrifuge diminue, de même que les sollicitations dynamiques. La même chose se produit lors de l’atterrissage et de certaines manœuvres en vol stationnaire lorsque l’avion utilise une poussée importante.
La modélisation a représenté une part importante du programme RAMGT. L’effet des contraintes moyennes sur la limite d’endurance ainsi que l’interaction HCF / LCF peuvent être partiellement reproduits par des modèles identifiés à partir des résultats d’essais conventionnels. Pour la partie FOD, l’aspect « petits défauts » a été considéré et dans un but d’unification de l’ensemble des causes menant à la rupture par fatigue, un modèle probabiliste a été développé prenant comme données d’entrée les résultats obtenus sur les éprouvettes impactées et non impactées par les FOD (RAMGT, 2004; Nowell et al., 2003 (1); Nowell et al., 2003 (2); Duó et al., 2005; Oakley & Nowell, 2007). Malgré toutes les études qui ont eu lieu suite à ce programme, les différents modèles développés, n’ont pas un pouvoir prédictif suffisant. Les effets de géométrie d’éprouvette, de rapport de charge et l’abattement sur les courbes de fatigue induit par les FOD n’ont pas pu être totalement maîtrisés (RAMGT, 2004).
Diagramme de Wöhler (Wöhler, 1860)
L’essai de fatigue le plus simple consiste à soumettre chaque éprouvette à des efforts périodiques, d’amplitude et de fréquence constantes, et à noter le nombre de cycles N au bout duquel la rupture se produit ou une fissure de fatigue est détectée. On reporte ce nombre N, en général sur une échelle logarithmique, en fonction de la contrainte maximale des cycles σ. A chaque éprouvette correspond un point du plan (σ, N). A partir d’un lot d’éprouvettes soumis à des amplitudes de contraintes différentes, on obtient une courbe nommée courbe de Wöhler ou courbe S – N (Stress – Number of cycles).
La plasticité comme mécanisme d’initiation de fissures par fatigue
En l’absence d’anomalie et sous l’effet d’un chargement cyclique, certains grains mal orientés peuvent se déformer plastiquement. D’après Miller (Miller, 1987 (1); Miller, 1987 (2)), ce sont les grains pour lesquels l’amplitude de la déformation de cisaillement sur les plans de glissement actifs est maximale qui conduiront les premiers à l’initiation de fissures. Lorsque le nombre de systèmes de glissement actif reste faible, des bandes de glissement persistantes apparaissent sur lesquelles des fissures peuvent se former .
Un mécanisme souvent observé en fatigue (Cottrell & Hull, 1957; Forsyth & Mott, 1957) est celui conduisant à de l’amorçage de fissures induit par la formation d’intrusions et d’extrusions en surface sur les bandes de glissement . Ce mécanisme d’initiation requiert deux conditions, l’existence de bandes de glissement, et une orientation des bandes de glissement vis-à-vis de la surface permettant la formation d’intrusions et d’extrusions. Ainsi, si la scission résolue maximale dans les grains les plus défavorablement orientés est telle que le glissement ne se produit pas, alors l’initiation ne pourra pas avoir lieu. L’amorçage de fissure de fatigue par intrusion-extrusion est compatible avec l’existence d’une limite d’endurance puisque, pour que ce mécanisme puisse se produire, il faut que le l’amplitude du chargement soit suffisamment importante pour conduire à de la plasticité microscopique.
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Table des matières
Introduction
Nomenclature
I/ Cadre de l’étude
Contexte industriel
I.1.1. Principe de fonctionnement d’un turboréacteur
I.1.2. La fatigue dans les turboréacteurs
I.1.3. Présentation du programme RAMGT
Contexte scientifique
I.2.1. Diagramme de Wöhler (Wöhler, 1860)
I.2.2. La plasticité comme mécanisme d’initiation de fissures par fatigue
I.2.3. Comparaison entre traction et torsion cycliques
I.2.4. La limite d’endurance interprétée comme une limite de non-propagation d’une fissure courte
I.2.5. La plasticité comme mécanisme de propagation de fissures par fatigue
I.2.6. Influence de cycles LCF sur la limite d’endurance HCF
I.2.7. Effet de l’environnement sur l’initiation et la propagation de fissures par fatigue
Synthèse
II/ Etat de l’art sur la modélisation de la résistance en fatigue
Introduction
Approches locales fondées sur la mécanique des milieux continus
II.2.1. Introduction
II.2.2. Formulations avec les invariants des tenseurs mécaniques
II.2.3. Formulations de type plan-critique
II.2.4. Formulations énergétiques
II.2.5. Formulations incrémentales
II.2.6. Discussion
Approches non-locales fondées sur la mécanique des milieux continus
II.3.1. Introduction
II.3.2. Formulations fondées sur le concept de volume d’influence
II.3.3. Formulations probabilistes
II.3.4. Formulations introduisant une distance caractéristique
II.3.5. Discussion
Approches fondées sur la mécanique de la rupture
II.4.1. Introduction
II.4.2. Eléments de mécanique de la rupture
II.4.3. Effet de Gradient et d’échelle
II.4.1. Discussion
Synthèse
III/ Constitution d’une base de données expérimentale sur le seuil de nonpropagation de fissure longue du Ti-6Al-4V
Analyse bibliographique
III.1.1. Introduction
III.1.2. Présentation du matériau d’étude
III.1.3. Démarches pour la mesure du seuil de non-propagation de fissure
Dispositif expérimental
III.2.1. Dimensionnement de l’éprouvette
III.2.2. Le dispositif d’essais à hautes fréquences
III.2.3. Procédure de mesure du seuil de non-propagation de fissure longue
Exploitation des données expérimentales
III.3.1. Comparaison des seuils obtenus à faibles fréquences sur la nouvelle éprouvette et sur éprouvettes standards
III.3.2. Influence de la fréquence sur le seuil de non-propagation de fissure
III.3.3. Modélisation et discussion
Synthèse
IV/ Critère de fatigue non-local fondé sur la mécanique linéaire de la rupture
Un critère fondé sur la mécanique linéaire élastique de la rupture
IV.1.1. Introduction
IV.1.2. Un critère multiaxial pour les chargements proportionnels
IV.1.3. Identification du critère TL étendu
IV.1.4. Génération de diagrammes de fatigue sur quelques cas simples et discussion
IV.1.5. Conclusion
Constitution d’une base de données éléments finis en vue de caractériser les effets de gradient et d’échelle sur l’endurance en fatigue
IV.2.1. Présentation de l’étude numérique
IV.2.2. Méthodes d’extraction des intensités des champs de la mécanique de la rupture
IV.2.3. Intensités des champs de la mécanique de la rupture
Diagrammes de fatigue pour les zones à concentration de contraintes
IV.3.1. Méthodes d’estimation des intensités des champs de la mécanique linéaire élastique de la rupture
IV.3.2. Mise en évidence de courbes maîtresses
IV.3.3. Génération de courbes de Kitagawa et Takahashi
IV.3.4. Discussion
Synthèse
V/ Extension du critère de fatigue pour la prise en compte de la plasticité en pointe de fissure
Introduction
V.1.1. Présentation du modèle incrémental
V.1.2. Quelques résultats obtenus et positionnement dans le cadre de ce travail
V.1.3. Modélisation des champs de vitesse de déplacement en pointe de fissure
V.1.4. Détermination de la surface seuil de plasticité
V.1.5. Loi de comportement utilisée pour modéliser le Ti-6Al-4V
Détermination des surfaces seuils de propagation de fissure
V.2.1. Représentation du champ de vitesse de déplacement
V.2.2. Analyse de la méthode de décomposition à partir de calculs éléments finis
V.2.3. Méthodologie de décomposition du champ de vitesse en élasto-plasticité
V.2.4. Détermination de surfaces seuils lorsque la contrainte TZ est nulle
V.2.5. Cas où la contrainte TZ est non-nulle et détermination de diagrammes de fatigue
Synthèse
Conclusions