Les empilements multicouches interférentiels permettent de réaliser de nombreuses fonctions de filtrage optique et leurs applications couvrent des domaines variés tels que la lunetterie, les télécommunications ou encore l’astronomie. Aujourd’hui, les spécifications concernant les filtres optiques interférentiels sont de plus en plus exigeantes. Une fois le cahier des charges fixé, on procède à une étape dite de synthèse. Celle-ci consiste à concevoir la structure de l’empilement avant sa fabrication. Les algorithmes dédiés aux calculs de couches minces optiques permettent de synthétiser des empilements complexes à très hautes performances. Pour un nombre de couches et des matériaux donnés, ils assurent de concevoir le meilleur filtre possible compte tenu du gabarit visé. La synthèse ne posant pas de réelles difficultés, la plupart des problèmes proviennent de la phase de fabrication. Les filtres interférentiels à hautes performances sont souvent constitués d’empilements d’un grand nombre de couches minces, parfois plus d’une centaine, dont les épaisseurs doivent être précisément maîtrisées. Avec les meilleures techniques de dépôt actuelles telles que l’évaporation assistée et la pulvérisation ionique, la reproductibilité des matériaux déposés est très bonne, et de plus, l’automatisation du matériel rend possible la réalisation d’empilements de plusieurs dizaines de couches. La présence en permanence d’un opérateur à côté du bâti pour stopper le dépôt de chaque couche n’est plus requise, ainsi la réalisation d’empilements nécessitant plusieurs heures de dépôt n’est plus un problème. La principale difficulté concerne la précision de l’arrêt du dépôt de chaque couche et celle-ci est directement liée au choix des méthodes de contrôle. Leur amélioration constitue donc un enjeu majeur pour atteindre des spécifications toujours plus drastiques.
La microbalance à quartz est sans aucun doute le contrôle le plus répandu notamment dans l’industrie. Bien étalonnée, elle assure une bonne reproductibilité du contrôle. Par ailleurs son implantation dans un bâti de dépôt est assez simple. Mais sa précision d’environ 2% sur l’épaisseur déposée pour les meilleurs quartz s’avère toutefois insuffisante pour de nombreux dépôts. Son utilisation est donc restreinte à des empilements simples et robustes aux erreurs de réalisation. Seuls les contrôles optiques permettent d’atteindre les niveaux de performance requis de certains filtres complexes. On en distingue deux types : les contrôles spectrophotométriques et ellipsométriques. Les seconds sont des contrôles indirects qui ne renseignent sur le profil spectral d’un filtre qu’à partir de l’analyse des mesures de changement d’état de polarisation de la lumière transmise ou réfléchie. De plus, ils nécessitent un montage optique relativement contraignant ainsi qu’un étalonnage critique. Les contrôles spectrophotométriques sont en revanche beaucoup plus simples à mettre en œuvre. Les contrôles monochromatiques furent les premiers utilisés. Les critères d’arrêt de chaque couche sont basés sur des mesures de flux à une seule longueur d’onde, cette dernière pouvant éventuellement être différente d’une couche à l’autre. Ils ont prouvé leur efficacité dans un certain nombre de cas notamment en ce qui concerne les empilements dits quart d’onde comme les filtres passe bande pour lesquels il est possible d’avoir une compensation automatique des erreurs de dépôt à la longueur d’onde de contrôle.
Le potentiel des contrôles spectrophotométriques large bande fait l’objet d’études depuis les années 70. Le principe est d’avoir un critère d’arrêt basé non pas sur des mesures à une seule longueur d’onde, mais au contraire sur une large plage spectrale. Pendant longtemps les performances de ce type de contrôle ont été limitées par un appareillage peu adapté. Mais depuis quelques années, le contrôle large bande a connu un regain d’intérêt grâce au développement de détecteurs matriciels à faible coût permettant une acquisition quasi instantanée du signal sur un large domaine spectral. Les possibilités qu’offrent des mesures large bande sont intéressantes :
– caractérisation in situ de couches minces avec détermination de paramètres optogéométriques tels que l’épaisseur ou l’indice de réfraction.
– visualisation en temps réel de la construction du filtre.
– compensation des erreurs de dépôt dans le cadre d’un contrôle large bande, non pas à une seule longueur d’onde comme avec un contrôle monochromatique, mais sur l’ensemble de la plage spectrale contrôlée.
L’objectif premier de ce travail de recherche est donc la conception d’un système optique permettant un contrôle spectrophotométrique large bande de filtres interférentiels en cours de dépôt. Ce dernier doit être implanté sur l’un des bâtis de dépôt du laboratoire permettant la réalisation de couches minces qualifiées pour le spatial. Les mesures en réflexion étant assez délicates, la plupart des contrôles spectrophotométriques ne permettent que des contrôles en transmission ce qui est suffisant pour réaliser la plupart des filtres. Toutefois, cela pose des problèmes dans un certain nombre de cas particuliers. On peut citer à titre d’exemple la réalisation d’absorbeurs large bande susceptibles d’être utilisé pour limiter le niveau de lumière parasite au niveau du plan focal d’instruments d’observation (application CNES). Ce type d’empilement est constitué d’un anti-reflet déposé sur une couche absorbante totalement opaque. Un contrôle direct du dépôt de l’anti-reflet ne peut donc être effectué en transmission, il nécessite une voie de mesure en réflexion. Par ailleurs, dans le cadre de la caractérisation in situ de matériaux, les seules mesures en transmission s’avèrent insuffisantes pour des matériaux présentant de l’absorption.
Principales techniques de contrôle de dépôt de couches minces sous vide
Contrôle par microbalance à quartz
Un quartz, ou cristal de silice, est un matériau présentant des propriétés piézo-électriques. La piézo-électricité met en relation les tenseurs élastique et diélectrique du cristal. Ainsi, une contrainte appliquée sur une lame de quartz en modifie sa polarisation électrique. Inversement, l’application d’un champ électrique provoque une déformation de la lame. Un dispositif de microbalance à quartz [2,3] consiste à coupler la lame de quartz avec un circuit électrique au moyen d’électrodes. On peut ainsi obtenir une oscillation entretenue du quartz. La fréquence de résonance dépend essentiellement de la coupe et de la taille de la lame mais elle est également fonction d’autres paramètres tels que la température. Selon la coupe, différents modes de vibration sont possibles : compression, flexion et cisaillement. On choisit habituellement le mode de vibration en cisaillement (cf figure 1-1) car dans ce cas, la fréquence de résonance est moins sensible aux variations de température.
Lors de la formation d’une couche mince sur la lame de quartz vibrant en cisaillement, la fréquence de résonance du quartz varie à cause de l’augmentation de masse. On peut définir une relation de la forme suivante :
dF = −K.dM
dF : variation de la fréquence d’oscillation du quartz.
dM : masse de matériau déposé.
K : constante dépendant notamment de la fréquence de résonance du quartz ainsi que de la masse volumique du matériau déposé.
La mesure de la variation de fréquence permet de déduire la masse de matériau déposé, puis, via la densité du matériau, l’épaisseur. On peut aussi à partir d’une courbe d’étalonnage déterminer pour chaque couche la variation de fréquence correspondant à l’épaisseur désirée. Les contrôles au quartz sont très répandus dans le milieu industriel. En effet, leur implantation dans un bâti d’évaporation est assez simple, et ils permettent d’obtenir une bonne reproductibilité des dépôts. Les microbalances à quartz sont donc assez bien adaptées pour le contrôle in situ des dépôts de couches minces. Cependant, leur précision reste moyenne, environ 2% pour un quartz bien étalonné ce qui est largement insuffisant pour la réalisation de certains empilements. Plusieurs facteurs limitent les performances d’un contrôle quartz :
– La linéarité de la variation de la fréquence avec la variation de masse déposée n’est pas garantie notamment à cause des variations de température dans l’enceinte en cours de dépôt.
– La microbalance à quartz n’est pas située au même endroit que l’échantillon sur lequel on dépose. Autrement dit il existe un facteur de proportionnalité à déterminer entre l’épaisseur déposée sur le quartz et celle déposée sur l’échantillon. Un étalonnage est donc nécessaire. Ce dernier est d’autant plus délicat qu’il varie en cours de dépôt du fait de la modification du cône d’évaporation au fur et à mesure que la quantité de matériau dans le creuset diminue.
Les microbalances à quartz se classent dans la catégorie des contrôles indirects. D’une part le contrôle n’est pas effectué directement sur l’échantillon traité. D’autre part, on ne mesure pas directement la grandeur souhaitée (l’épaisseur) mais une variation de fréquence. Soulignons enfin que si les microbalances à quartz ne sont pas forcément utilisées pour l’arrêt du dépôt, leur emploi est néanmoins très répandu pour asservir les vitesses d’évaporation. De ce fait, elles équipent la quasi totalité des machines de dépôt.
Contrôles ellipsométriques
Principe de l’ellipsométrie
L’ellipsométrie est une technique d’analyse de surface fondée sur la mesure du changement de l’état de polarisation de la lumière après réflexion (ou réfraction) sur une surface plane. Le terme « ellipsométrie » traduit le fait qu’une onde monochromatique polarisée rectilignement se trouve généralement polarisée elliptiquement après réflexion (ou réfraction) sur un échantillon (cf figure 1-2). Ainsi, l’ellipsométrie consiste à mesurer l’ellipticité de l’état de polarisation de l’onde. Nous allons détailler dans ce paragraphe le principe des mesures ellipsométriques en réflexion. Les mesures en transmission, moins courantes, sont bien évidemment possibles et sont réalisées de manière analogue.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Principales techniques de contrôle de dépôt de couches minces sous vide
1.1. Contrôle par microbalance à quartz
1.2. Contrôles ellipsométriques
1.2.1. Principe de l’ellipsométrie
1.2.2. Mesures ellipsométriques
1.2.3. Méthodes de contrôle ellipsométrique
1.2.3.1. Méthode numérique de résolution directe
1.2.3.2. Arrêt sur le minimum d’une fonction de mérite
1.2.3.3. Arrêt sur l’épaisseur estimée
1.2.4. Conclusion
1.3. Contrôles spectrophotométriques monochromatiques
1.3.1. Quelques rappels de calculs couches minces
1.3.2. Arrêt sur niveau
1.3.3. Arrêt sur dérivée par rapport à l’épaisseur
1.3.3.1. Principe
1.3.3.2. Cas des empilements diélectriques quart d’onde
1.3.4. Conclusion
1.4. Contrôle spectrophotométrique Large Bande
1.4.1. Arrêt sur fonction de mérite
1.4.2. Arrêt sur l’épaisseur estimée
1.4.3. Conclusion
1.5. Conclusion générale
2. Conception et réalisation d’un contrôle spectrophotométrique large bande en transmission et en réflexion
2.1. Contraintes de conception liées au bâti
2.1.1. Présentation du bâti BAK 800 IP
2.1.2. Contraintes de conception
2.2. Conception du contrôle optique
2.2.1. Source et détecteur
2.2.1.1. Choix de la source
2.2.1.2. Choix du détecteur
2.2.2. Etude et choix de la configuration du système optique de contrôle
2.2.3. Optimisation du système sous Code V
2.3. Implantation du contrôle optique
2.4. Calibrage du montage
2.4.1. Correction des réflexions parasites
2.4.2. Problèmes liés à la source plasma
2.4.2.1. Problèmes de lumière parasite
2.4.2.2. Problèmes thermiques
2.5. Modélisation du signal mesuré par le Contrôle Large Bande
2.6. Conclusion
3. Caractérisation in situ de couches minces diélectriques et métalliques
3.1. Principe de recherche des paramètres d’une couche : indices et épaisseurs
3.2. Caractérisation d’un matériau diélectrique : l’oxyde d’hafnium
3.3. Caractérisation de couches métalliques fines (semi-transparentes) et épaisses (opaques)
3.3.1. Caractérisation d’une couche métallique opaque d’hafnium
3.3.2. Caractérisation d’une couche métallique semi transparente d’hafnium
3.4. Conclusion
4. Critère d’arrêt optimal d’un contrôle spectrophotométrique Large Bande : Etude théorique
4.1. Algorithme de simulation d’un contrôle optique
4.1.1. Généralités
4.1.2. Algorithmes de simulation d’un Contrôle Large Bande
4.1.2.1. Arrêt sur fonction de mérite
4.1.2.2. Arrêt sur l’épaisseur estimée
4.1.3. Algorithme de simulation d’un contrôle monochromatique
4.2. Algorithme de simulation d’un contrôle par microbalance à quartz
4.3. Simulations
4.3.1. Anti-reflet large bande
4.3.2. Séparatrice large bande
4.3.3. Rampe
4.3.4. Passe bande
4.4. Vers un contrôle optimal avec compensation d’erreurs
4.5. Conclusion
5. Réalisation de filtres par contrôle spectrophotométrique large bande
5.1. Anti-reflet 4 couches
5.1.1. Réalisations
5.1.2. Simulations de dépôts
5.2. Anti-reflet 16 couches
5.2.1. Réalisation
5.2.2. Simulations de dépôts
5.3. Absorbeur large bande
5.4. Filtre colorimétrique
5.4.1. Exposé du problème
5.4.2. Réalisation
5.5. Conclusion
CONCLUSION