La chirurgie bariatrique, destinée à traiter les obésités sévères, s’est développée de manière très rapide en France depuis plus de vingt ans. Le nombre d’interventions a été multiplié par plus de vingt, passant de 2 800 en 1997 à 59 300 en 2016 (1). Près de cinq cent actes ont été pratiqués en 2017 dans les établissements de l’île de la Réunion, soit une hausse de plus de 74% en cinq ans.
En 2009, la Haute Autorité de Santé (HAS) a élaboré des recommandations de bonnes pratiques sur la prise en chirurgicale de l’obésité chez l’adulte, préconisant un suivi post opératoire des patients, pluridisciplinaire et à vie, afin de permettre une perte de poids optimale et durable, et d’éviter les carences nutritionnelles et certaines complications chirurgicales (4). Pourtant, selon l’Académie Nationale de Médecine, seulement environ 12% des patients opérés ont, à cinq ans, un suivi qui peut être jugé satisfaisant en France. Ainsi, les médecins généralistes, du fait de leur nombre, leur répartition sur le territoire, et leur proximité des patients, paraissent les plus à même de renforcer le suivi de ces patients .
Originaire de la Réunion, j’ai choisi d’étudier cette problématique qui concerne de plus en plus l’île, où la chirurgie bariatrique connaît un véritable essor, en raison du fléau de l’obésité (2) et du diabète de type 2 (6). Par ailleurs, à ce jour, aucune étude dans le département n’a été réalisée concernant le suivi des patients opérés d’une chirurgie de l’obésité, notamment le suivi par les médecins traitants.
Contexte : l’obésité en Métropole et à la Réunion
Définition de l’obésité
L’obésité est reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 1997 comme une maladie chronique (7). Elle est définie comme une accumulation anormale ou excessive de graisse dans les tissus adipeux, pouvant engendrer des problèmes de santé. L’indice de masse corporelle (IMC) reste le moyen le plus simple pour estimer la masse grasse d’un adulte. Il correspond au poids (en kg) divisé par le carré de la taille (en mètres). Selon la classification OMS, on parle de surpoids pour un IMC ≥ 25 kg/m2 et d’obésité pour un IMC ≥ 30 kg/m2 .
Cependant, l’IMC ne correspond pas forcément au même degré d’adiposité ou au même risque associé, d’un individu ou d’une population à l’autre (7). L’excès de graisse abdominale, qui est associé, indépendamment de l’IMC, au développement des complications métaboliques et vasculaires de l’obésité, est mesuré par le tour de taille chez l’adulte (8, 9, 10). Il doit être < 80 cm chez la femme (en dehors de la grossesse) et < 94 cm chez l’homme. Ces valeurs diffèrent selon l’ethnie .
Le concept de maladie «éco-bio-psycho-sociale» est évoqué par Ziegler O. et al (11) pour expliquer l’origine multifactorielle et complexe de l’obésité. D’une part, elle résulte de l’interaction entre une prédisposition biologique et de multiples paramètres environnementaux (microbiote intestinal, perturbateurs endocriniens, anomalies du sommeil etc) (12). D’autre part, les conduites alimentaires de chacun sont marquées par sa biographie personnelle. Parfois, un trouble du comportement alimentaire (TCA) survient lorsque le sujet perd le contrôle de son comportement alimentaire (13). C’est le cas dans l’hyperphagie boulimique (binge eating disorder), définie selon les critères du « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » IV par des épisodes de suralimentation qui ne sont pas suivis de comportements compensatoires visant à éviter la prise de poids à l’inverse de la boulimie. Sa prévalence est fortement associée à la gravité de l’obésité (14). Certains TCA peuvent être considérés comme une addiction comportementale.
Enfin, l’obésité est également le reflet des inégalités sociales de santé, dont elle peut en partie résulter et qu’elle peut aggraver. Les personnes obèses victimes des stéréotypes sur le poids n’ont pas les mêmes stratégies pour « faire face » (coping), elles ont plus d’épisodes d’accès boulimiques et s’engagent moins dans une démarche de perte de poids .
Prévalence de l’obésité
En métropole
La dernière enquête Obépi-Roche (16), déclarative, réalisée en 2012 fait état d’une prévalence de l’obésité à 15% contre 8,5% en 1997. Les femmes sont plus concernées. D’autres études (17, 18) basées sur des mesures anthropométriques directes retrouvent une prévalence autour de 17% sans distinction entre hommes et femmes. La feuille de route de l’obésité 2019-2022 (19) relève également des inégalités sociales : dès l’âge de six ans, les enfants d’ouvriers sont quatre fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres ; des inégalités territoriales avec une prévalence de l’obésité et des comorbidités associées plus élevée dans les départements d’outre-mer (DOM) que dans l’hexagone. La prévalence de l’obésité morbide concernait en 2006 1,3% des femmes et 0,7% des hommes, et 2,1% des femmes et 1% des hommes en 2016 .
A la Réunion
A partir de l’adolescence, environ un habitant sur dix est en situation d’obésité. Les femmes sont plus concernées avec l’avancée en âge. Dans le Sud de l’île, 21.1% des femmes enceintes en 2017 sont en situation d’obésité. On observe deux différences avec la métropole : les hommes réunionnais sont moins concernés ; et le taux d’obésité sur l’île est stable en fonction de l’âge (il augmente avec l’âge en métropole). Les ménages modestes sont plus touchés.
Ces chiffres sont à mettre en lien avec le contexte démographique, socio-économique et culturel du département. En effet, la population réunionnaise, recensée à 850 727 en 2015, est plus jeune que celle de la métropole, en particulier chez les femmes. La fécondité à La Réunion est la plus élevée des régions françaises, après Mayotte et la Guyane. 36% des réunionnais (contre 8% des métropolitains) bénéficient de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). La part des inactifs (personne déclarant lors du recensement n’être ni employée ni au chômage) parmi les 25-54 ans est supérieure à La Réunion (14.9%) par rapport à la moyenne nationale (9,3%).
Une partie des réunionnais ne respecte pas toujours les recommandations alimentaires : 20% déclarent consommer des boissons sucrées tous les jours ; ils consomment peu de fruits et légumes ; en revanche, les repas sont gras et souvent accompagnés de riz . Seuls quatre habitants sur dix déclarent une activité physique conforme aux recommandations. Une partie de ces comportements peut s’expliquer par l’offre alimentaire, avec notamment un indice des prix à la consommation pour l’alimentation plus élevé sur l’île.
L’obésité : enjeux de santé publique
Les complications de l’obésité
L’obésité est un facteur de risque de nombreuses pathologies chroniques.
Les maladies cardiovasculaires
Elles regroupent les maladies coronariennes, les maladies cérébro-vasculaires, les artériopathies périphériques, l’insuffisance cardiaque. Avec près de 1 100 décès en moyenne par an, les maladies cardiovasculaires sont la cause directe d’un décès sur quatre à La Réunion chaque année (26% des décès sur l’île contre 23% en métropole). A La Réunion comme en métropole, les taux d’admissions en affection de longue durée (ALD) pour maladies cardiovasculaires sont deux fois plus élevés chez les hommes que chez les femmes.
Les facteurs de risque cardiovasculaires
L’hypertension artérielle (HTA) est définie par une pression artérielle systolique ≥ 140 mm Hg et/ou pression artérielle diastolique ≥ 90 mm Hg. Selon le rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et de Santé Publique France publié en 2017, la prévalence des personnes traitées par médicament antihypertenseur en métropole est de 18,6 %. L’île est caractérisée par une prévalence quasiment similaire à 18,7% (21). Le diabète de type 2 est défini par la HAS en 2013 (22) par une glycémie ≥ 1,26 g/l (7,0 mmol/l) après un jeûne de huit heures et vérifiée à deux reprises. Généralement, l’hémoglobine glyquée (HbA1c) cible doit être ≤ 7 % (22) ; mais elle doit être adaptée à chaque cas. En France, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement (tous types) était à 4,67% en 2013, contre 9,79% à la Réunion (23). En 2017, 8% des réunionnais étaient pris en charge pour un diabète (hospitalisés et/ou en ALD et/ou ayant un traitement médicamenteux pour un diabète de type 1 ou 2) (6). Mais ce taux ne tient pas compte des personnes diabétiques qui sont méconnues ou non prises en charge . La dyslipidémie : en France, 18,8% des adultes avaient un LDL-c supérieur à 1,6 g/l en 2006. Entre 2006 et 2015, la cholestérolémie LDL moyenne et la proportion d’adultes avec un LDLc élevé sont restées stables (24).
Le syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS)
Il se caractérise par la survenue, pendant le sommeil, d’épisodes anormalement fréquents d’interruptions de la ventilation (apnées), ou de réductions significatives de la ventilation (hypopnées) (25), entraînant ainsi une hypoxémie et des micro-éveils. Il est défini par la Société de pneumologie de langue française, par la présence d’un critère clinique A ou B, associé au critère C (index d’apnées et hypopnées (IAH) ≥ 5 par heure de sommeil à la polysomnographie). La sévérité du syndrome dépend de l’IAH et de l’importance de la somnolence diurne après exclusion d’une autre cause de somnolence. En France en 2015, entre 4% et 10% de la population souffre du SAHOS. Pourtant, cette pathologie est encore peu connue et il est probable que plus de 50% des apnéiques ne soient pas encore diagnostiqués .
La Stéatose Hépatique Non Alcoolique (NASH)
Maladie non alcoolique du foie, elle est devenue, en raison de l’épidémie mondiale d’obésité, la première cause de maladie chronique du foie. Sa prévalence dépasse désormais les 25 % de la population mondiale, et touche aussi bien les pays occidentaux que les pays en voie de développement.
Les troubles psychiques
Ils sont fréquents chez les patients obèses : la dépression et les autres troubles de l’humeur surviennent chez 20 % à 60 % des femmes de 40 ans ou plus ayant un IMC > 30 kg/m2. En effet, les femmes sont davantage soumises au diktat de la minceur .
Les troubles de la fertilité et anomalies fœtales
Chez la femme, l’hypofertilité liée à l’obésité est souvent en rapport avec une anovulation dans le cadre d’un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). Parfois, elle peut être en rapport avec une endométriose. Une obésité maternelle en début de grossesse est associée à une augmentation de la mortalité fœtale, de la mortalité infantile dans la première année de vie .
Les autres complications
Troubles locomoteurs invalidants ; reflux gastro-œsophagien ; lithiases biliaires ; cancers ; la maladie rénale et urinaire.
Par ailleurs, les personnes obèses sont victimes d’une stigmatisation sociale et de jugements moraux car jugées responsables, par leurs seuls comportements, de leur obésité. Elles sont jugées coupables de « goinfrerie » et de « paresse ». Elles ont souvent une qualité de vie médiocre dont le niveau est comparable à celui des personnes cancéreuses ou gravement handicapées. La stigmatisation peut conduire à la discrimination, y compris dans le système de santé .
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Table des matières
INTRODUCTION
GENERALITES
I. Contexte : l’obésité en Métropole et à la Réunion
A. Définition de l’obésité
B. Prévalence de l’obésité
1. En métropole
2. A la Réunion
C. L’obésité : enjeux de santé publique
1. Les complications de l’obésité
2. Le coût de l’obésité
3. La prévention et l’offre de soins
D. La prise en charge non chirurgicale de l’obésité
II. La chirurgie bariatrique
A. Prévalence et disparités régionales
1. En métropole
2. A la Réunion
B. Indications et contre-indications selon la HAS
1. Indications
2. Contre-indications générales
C. Techniques chirurgicales et parcours pré opératoire
1. Les différentes techniques chirurgicales
2. Le parcours pré opératoire
D. Les bénéfices attendus de la chirurgie bariatrique
III. Un suivi post chirurgical à vie
A. Les complications chirurgicales
B. Les carences vitaminiques et nutritionnelles
C. Les autres éléments importants du suivi post opératoire
1. La prise en charge psychologique
2. Les adaptations thérapeutiques
3. Le dumping syndrom et les lithiases vésiculaires
4. La grossesse
5. La chirurgie réparatrice
D. Les centres spécialisés de l’obésité (CSO)
ETUDE
I. Matériel et méthodologie
A. Schéma de l’étude
1. Modalités de recrutement des médecins généralistes
2. Modalités de recrutement des patients sources
3. Collecte des données
B. Déroulement de l’étude
1. Enquête auprès des médecins généralistes
2. Etude de la file active des patients sources
C. Analyses statistiques
II. Résultats
A. Résultats de l’enquête auprès des médecins généralistes
1. Profil des médecins répondants
2. Réalité du médecin généraliste dans sa pratique
3. Connaissances et compétences du médecin généraliste dans le suivi post chirurgie bariatrique
4. Opinion des médecins sur : leur place dans le parcours de soins ; la coordination avec le CSO ; la chirurgie bariatrique
B. Résultats de l’étude de cohorte
1. Caractéristiques pré opératoires de la file active (N=80)
2. Comparaison des caractéristiques du groupe « revu » et du groupe « non revu »
3. Résultats du bilan post opératoire à 5 ans
III. Discussion
A. Intérêts et limites de l’étude
1. Intérêts
2. Limites
B. Rappel des principaux résultats
C. Mise en perspective des résultats avec les données de la littérature
1. Le profil des sujets étudiés
2. Le contexte réunionnais et métropolitain
3. Les problématiques soulevées par les médecins généralistes
4. Le profil des patients perdus de vue par le CSO
5. Les résultats du bilan à 5 ans de la chirurgie bariatrique
IV. Propositions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES