Pressions environnementales dans les écosystèmes côtiers et estuariens : impacts sur les communautés et sur les populations
Les stresseurs dans les écosystèmes côtiers
Les milieux côtiers sont particulièrement soumis aux effets des changements climatiques globaux par leur faible profondeur; ils sont aussi exposés à échelle locale à de fortes pressions liées aux activités anthropiques croissantes qui peuvent se traduire par des situations de multi-stress, particulièrement dans les systèmes estuariens (Robins et al.,2016; Hallett et al., 2017; Sinha et al., 2017; Plenty et al., 2018). Le changement climatique global se traduit ainsi par une augmentation significative de la température des eaux côtières, de leur teneur en gaz carbonique et d͛une baisse de leur pH͘ Notons que ces variations hLJdroclimatiques s͛accompagnent également de modifications très sensibles de la pluviométrie en zones littorales se traduisant par des altérations du fonctionnement de l͛écosLJstème côtier;modifications des apports en nutriments͕ altérations de la productivité et de la structure et du fonctionnement des communautés) (Gunderson et al., 2016 ; 2017). Les écosystèmes estuariens sont particulièrement impactés par différentes pressions anthropiques (Birch et al., 2015 ; Ellis et al., 2015 ; Wolanski & Elliott, 2015) : (1) les rejets de contaminants chimiques d͛origine multiple ;domestique͕ industrielle etͬou agricoleͿ͕ ;ϮͿ les rejets d͛eaudž chaudes liés audž activités des centrales nucléaires͕ ;ϯͿ une augmentation du risque hypodžique lié à l͛eutrophisation ;Sun et al., 2011, 2012 ; Hughes et al., 2015), (4) une artificialisation des systèmes se traduisant par une perte de certains habitats comme les zones intertidales (Jickells et al., 2016).
Multi-stress en estuaires : impacts au niveau des individus et des populations
L͛interaction de multiples stresseurs en estuaires͕ leur fluctuation dans l͛espace͕ leur chronicité, et leur intensité, engendre des réponses différentielles selon les espèces considérées͕ qu͛elles soient temporaires ou résidentes, et selon les populations. Le stress thermique peut conduire à des altérations de la physiologie (Somero, 2010 ; Reusch, 2013), de la performance et de la survie de nombreuses espèces côtières (Harley et al., 2006). Les pollutions d͛origine anthropique peuvent elles aussi avoir des effets similaires sur les espèces estuariennes à plus ou moins long terme : perturbations physiologiques, réduction de la fitness͕ modification de l͛abondance et de la biomasse des populations ;Whitfield Θ Elliott, 2002 ; Elliott & Whitfield, 2011 ; Teichert et al., 2017 ; Moore & Olden, 2017). Les effets de ces différents stresseurs͕ qu͛ils soient liés au réchauffement climatique global ou aux pressions anthropiques directes, sont souvent interdépendants et peuvent avoir des effets additifs, antagonistes ou synergiques sur la ressource marine (Harley et al., 2006, Todgham & Stillman, 2013 ; Gunderson et al͕͘ ϮϬϭϲͿ͘ Les effets additifs correspondent à l͛effet combiné des multiples stress présents dans le milieu, plus précisément c͛est la somme des effets de chacun des stress pris indépendamment. Les effets antagonistes se traduisent par un impact du multistress plus limité relativement à celui des effets additifs ; tandis que les effets synergiques conduisent à un impact du multistress supérieur aux effets additifs (Gunderson et al., 2016). Le multistress peut ainsi impacter les organismes de façon directe (altérations sur la physiologie, le comportement, la capacité reproductive, la mortalité, la distribution, la dynamique de population) (Whitfield & Elliott, 2002 ; Jackson et al., 2016), ou de manière indirecte (modification de la disponibilité en habitats, de la ressource alimentaire .
Globalement, les effets du multi-stress sur les organismes estuariens ont été classiquement explorés à différents niveaudž d͛organisation biologiques ;moléculaire͕ phLJsiologique͕ traits d͛histoire de vieͿ ͖ il nous paraît d͛un intérêt majeur d͛intégrer ces travaudž jusqu͛au niveau populationnel (par une approche démographique et/ou génétique) pour mieux appréhender le degré de vulnérabilité des populations naturelles face aux stress environnementaux.
Vulnérabilité des populations aquatiques
Une nouvelle thématique de recherche apparaît dans les milieux naturels : la biologie de la vulnérabilité qui vise à edžplorer le potentiel d͛une espèce ou de populations à se maintenir dans leur environnement, voire à estimer leur potentiel de résilience vis-à-vis d͛un environnement de plus en plus changeant (Dulvy et al., 2003 ; Halpern et al., 2007 ; Williams et al., 2008 ; Huey et al., 2012 ͖ BuckleLJ Θ HueLJ͕ ϮϬϭϲͿ͘ Rappelons ici qu͛une population est définie comme un ensemble d͛individus de la même espèce aLJant la possibilité d͛interagir entre eux au moment de la reproduction͕ et qui ont la capacité d͛échanger des gènes sur plusieurs générations, dans une zone géographique donnée. La population est donc caractérisée par un ensemble de génotypes individuels qui la compose (i.e. le « pool génétique »), elle constitue donc une véritable unité évolutive ; i.e. sa variabilité génétique peut donc être modifiée sous la pression de différentes forces évolutives majeures : migration, dérive génétique, mutation, sélection. Notons que l͛estimation du degré de vulnérabilité d͛une population peut conduire à la mise en œuvre de programmes de conservation pour les populations d͛intérêt d͛une espèce donnée͕ et qu͛elle peut aussi rechercher le lien entre l͛état de santé d͛une population et l͛état de santé de son écosystème (Morrison et al., 2015 ; McKenzie et al., 2016). La vulnérabilité des populations, dépend de leur niveau d͛exposition et de leur sensibilité face audž stresseurs de l͛environnement͘ La capacité de réponse d͛une population audž stress peut être analysée à court terme par sa plasticité phénotypique (acclimatation) ou à long terme, ie sur plusieurs générations, par sa capacité adaptative (impliquant donc une réponse génétique de la population face à la pression de sélection) (Chin et al., 2010 ; Johnson & Welch, 2010 ; Glick et al., 2011 ; Morrison et al., 2015).
La capacité adaptative d͛une population doit lui permettre de réduire sa sensibilité et/ou son exposition audž facteurs de stress͘ Elle dépend de facteurs intrinsèques à l͛organisme comme la capacité de dispersion, la diversité génétique, le taudž d͛évolution (Dawson et al., 2011 ; Beever et al., 2015 ; Morrison et al., 2015). Notons que la plasticité phénotypique d͛un génotype donné, correspond à sa capacité à exprimer différents phénotypes pour un trait biologique donné dans différents environnements ; elle peut affecter la morphologie, la physiologie et/ou le comportement d͛un organisme. Les variations de la capacité adaptative (variations génotypiques) et de la plasticité phénotLJpique ;variations phénotLJpiquesͿ d͛une population déterminent son potentiel évolutif. Ces deux variations interagissent de façon complexe en situation de stress, et peuvent donc conduire à un degré de vulnérabilité propre à chaque population dans son environnement spécifique.
Cycle de vie et aire de distribution du flet
Le flet est une espèce benthique côtière faisant partie de la famille des poissons plats euryhalin Pleuronectidés͕ de l͛ordre des Pleuronectiformes͘ Cette espèce affectionne les fonds meubles des estuaires et des zones côtières (Déniel, 1981). Le flet est un poisson catadrome (Fig.1) qui réalise une ponte en mer à des profondeurs modérées (15 à 30 mͿ souvent localisées à l͛embouchure des estuaires͕ de février à mars. Sa vie juvénile est essentiellement estuarienne et dure 2,5 ans (Dando, 2011). Notons que les petits juvéniles sont essentiellement localisés dans la partie oligohaline (amont) des estuaires, avec leur croissance ils vont progressivement exploiter la partie mésohaline͕ puis enfin la partie polLJhaline ;avalͿ vers l͛âge de 7-8 mois (septembre-octobre) (Dupuy et al., 2015). Durant une grande partie de son cycle biologique, le flet est donc exposé aux nombreuses pressions environnementales qui caractérisent les milieux estuariens. Ce poisson invertivore bioaccumule et biomagnifie potentiellement de nombreux contaminants des écosystèmes côtiers.
Cette espèce, à affinité boréale, affectionne les eaux tempérées à froides. Elle est signalée du Nord de l͛Europe en Mer Blanche, jusqu͛à l͛estuaire du Mondego au Portugal qui marque la limite Sud de la distribution de cette espèce (Fig.2) (Cabral et al., 2007) . Un gradient de température moyenne de la surface de la mer est clairement observé du Nord au Sud de sa répartition allant d͛une température moLJenne de la surface de la mer de ϴΣC au niveau de Bergen (Norvège) à 14°C au niveau de Lisbonne (Portugal) (Bigg et al., ϮϬϬϳͿ Comme d͛autres espèces à affinité boréale͕ l͛abondance du flet a diminué dans le Golfe de Gascogne (Hermant et al͕͘ ϮϬϭϬͿ et dans l͛estuaire de Gironde ;Chaalali et al., 2013). Cette espèce est aussi devenue rare le long de la côte du Pays Basque (Marigómez I. comm. perso). Le long des côtes portugaises, les variations hydro-climatiques permettent d͛edžpliquer sa distribution et son abondance : au Nord, la démographie du flet reste active au niveau des estuaires de Minho et de Lima situés à 50 km de distance (Freitas et al., 2009 ; Ramos et al., 2010 ; Morais et al., 2011). Ce maintien de la population de flet en Minho-Lima serait dû à l͛existence d͛un upǁelling actif durant la saison estivale au Nord-Ouest de la péninsule ibérique (Lima et al., 2007). En revanche, au Sud du Portugal, le flet est devenu extrêmement rare à la latitude de Lisbonne, cette espèce étant abondante dans cette zone il y a quelques décennies (Cabral et al., 2001, Martinho et al., 2013Ϳ͘ La limite Sud de l͛aire de répartition du flet est donc clairement remontée vers le Nord ces dernières décennies à la latitude du Mondego ; les augmentations récentes de la température de surface de la mer dans cette région en seraient la cause principale (Cabral et al., 2007)͘ L͛estuaire du Mondego présente donc a priori la population fonctionnelle de flet la plus au Sud de sa distribution dans l͛Atantique Nord-Est ; le recrutement de flets juvéniles dans cette population présentant cependant une variabilité inter-annuelle forte (Martinho et al., 2009, 2010; Cabral et al., 2007).
|
Table des matières
Introduction
1. Pressions environnementales dans les écosystèmes côtiers et estuariens : impacts sur les communautés et sur les populations
Les stresseurs dans les écosystèmes côtiers
Multi-stress en estuaires : impacts au niveau des individus et des populations
Vulnérabilité des populations aquatiques
Fonctionnement des populations d͛un poisson estuarien ;le modèle flet Platichthys flesus)
et typologie des systèmes estuariens sélectionnés
Cycle de vie et aire de distribution du flet
Les systèmes estuariens retenus pour cette thèse
3. Réponses des populations de flet aux stress estuariens
Vison globale sur les recherches menées au LEMAR sur les réponses phénotypiques et génétiques de populations de flet face aux stress environnementaux
Questions majeures sur la réponse du flet aux stresseurs investiguées au cours de cette thèse
4. Organisation générale de ce manuscrit
CHAPITRE I ͗ Outils mis en œuvre
1.1 Diversité génétique des populations naturelles
Les forces évolutives
Microsatellites
Diversité génétique & taille efficace
Estimation de la taille efficace
Taille efficace & vulnérabilité des populations
Approche démo-génétique chez le flet européen
1.2 Approche en bioénergétique
Bioénergétique & réponses au stress
Modulation de la balance énergétique face aux stress
Marqueurs du métabolisme énergétique ciblés chez le flet
Activités enzymatiques
Expression de gènes
1.3 Les lipides ͗ marqueurs de l͛état des réserves d͛un organisme͕ mais aussi de la fonctionnalité des membranes cellulaires face aux stress
1.4 Approche sans a priori par la protéomique haut débit
1.5 Expérience de « caging »
CHAPITRE II : Approche Démo-génétique sur une population périphérique vs une population centrale
Introduction
Résultats et discussion
Conclusion
Introduction
CHAPITRE III : Réponses bioénergétiques de populations en environnements contrastés
Introduction
Méthodologie
Synthèse des résultats et discussion
CHAPITRE IV : Réponses des populations au stress chimique
Introduction & Méthodologie
Synthèse des résultats et discussion
Conclusion
CHAPITRE V :Réponses de poissons encagés, analysées par la protéomique : caractérisation de l͛état écologique à micro-échelle
Introduction & Méthodologie
Synthèse des résultats et discussion sur les sites encagés
Conclusion sur les sites encagés
Résultats complémentaires sur l͛impact de la technique d͛encagement sur la phLJsiologie des poissons
Conclusion ͗ le caging comme outil de diagnostic de la qualité de l͛environnement
Discussion générale
Conclusions