PRESENTATION DES HEAT SHOCK PROTEINS OU HSPS
Historique des découvertes et évolution des connaissances
La découverte des Heat Shock Proteins (HSPs) a débuté par l’observation de puffs sur des loci spécifiques du chromosome 2L de glandes salivaires de Drosophila busckii, après exposition à un choc thermique de 30 minutes à 30°C (+5°C) (Ritossa, 1962). Ces puffs sont caractéristiques d’un déroulement de l’ADN, permettant une transcription intense de groupes de gènes associée à une réponse au stress thermique (Heat Shock Response ou HSR). Quelques années plus tard, d’autres puffs sont observés après des chocs thermiques sur plusieurs chromosomes chez Drosophila melanogaster et Drosophila simulans. L’amplitude et la durée de ces structures induites se révèleront dépendantes de l’intensité du traitement thermique (Ashburner, 1970). Des profils particuliers d’ARN messagers et un ensemble de protéines de tailles différentes, induits par la chaleur chez Drosophila melanogaster seront mis en évidence peu de temps après (Tissiéres et al., 1974).
Ces découvertes inspirent alors de nombreux travaux de recherche. Les premières séquences nucléiques isolées codent 7 à 9 polypeptides (en fonction des espèces de Drosophile) présentant des homologies de séquences : les Heat Shock Proteins ou HSPs. Elles seront classées et nommées en fonction de leurs poids moléculaires : 80, 72, 70, 68, 28, 26, 23 et 22 kDa (small HSP) (Livak et al., 1978). Les transcrits correspondants aux 70 kDa Heat shock Protein (HSP70) étant les plus abondants, ils seront les premiers à être caractérisés (Artavanis-Tsakonas et al., 1979; Schedl et al., 1978). La synthèse de ces protéines particulières en réponse aux chocs thermiques (Heat Shock Response, ou HSR) est observée dans de nombreux organismes : bactéries, protistes, champignons, plantes, insectes et mammifères (Schlesinger et al., 1982a, 1982b). L’universalité de ces réponses est confirmée par d’importantes homologies de séquences entre les gènes de hsp70 de drosophiles et de DnaK bactériennes caractérisées chez Escherichia coli (Bardwell and Craig, 1984). Les HSP70 et DnaK possèdent un domaine capable de fixer et d’hydrolyser l’ATP (Zylicz et al., 1983). Cette activité du domaine ATPase permet des cycles de liaison/libération de protéines substrats (Lewis and Pelham, 1985). Les premières recherches sur les fonctions des HSP70s montrent leur capacité à dissocier des agrégats de protéines dénaturées et à replier correctement ces dernières pour restaurer leur fonctionnalité. De plus, elles participent au repliement de protéines néosynthétisées et à leur association en complexes (Pelham, 1986). Le terme de chaperonne moléculaire est alors proposé pour les classes de protéines dont la fonction est d’assurer le repliement et l’assemblage de chaines polypeptidiques (Ellis, 1987, 1990). Les Heat Shock Proteins seront ensuite rapidement considérées comme des représentants majeurs de ces chaperonnes moléculaires (Ellis and van der Vies, 1991).
Les HSPs sont localisées dans différents compartiments cellulaires et migrent vers des destinations particulières en réponse aux chocs thermiques (cytoplasme, membrane, mitochondrie et noyau). Un signal d’adressage cellulaire est donc rapidement soupçonné (Arrigo et al., 1980; Velazquez et al., 1980), et un premier type de motif d’adressage nucléaire sera mis en évidence quelques années plus tard (Knowlton and Salfity, 1996). La translocation des HSPs dans la cellule lors de stress thermiques ou lors de stress anoxiques révèle un rôle de protection face à divers stress environnementaux (Velazquez and Lindquist, 1984). Un lien direct est ensuite établi entre les HSPs et la thermotolérance des organismes, puis plus largement dans l’adaptation générale à l’environnement (Alahiotis and Stephanou, 1982; Craig and Jacobsen, 1984; Craig and Schlesinger, 1985; Lindquist, 1986). Les HSPs sont induites par plusieurs facteurs stressants chimiques et physiologiques, susceptibles de causer des dommages cellulaires directs ou indirects (Pelham, 1985). Cependant, la régulation de la synthèse de HSP est également observée lors du cycle cellulaire, en condition non stressante. Par exemple, la HSP70 est induite lors de la phase de synthèse d’ADN précédant la division cellulaire (Milarski and Morimoto, 1986). L’induction des différentes HSPs est variable en fonction des conditions de stress thermique, impliquant des facteurs de régulation transcriptionnels (Lindquist, 1980). La caractérisation des régions promotrices de plusieurs gènes de hsp70 chez Drosophila melanogaster révèle la présence de motifs caractéristiques (Ingolia et al., 1980; Karch et al., 1981). Ces motifs homologues répétés sont directement impliqués dans l’induction thermique de plusieurs gènes de hsp70 (Lis et al., 1981; Mirault et al., 1982). Ces domaines promoteurs fonctionnels sont alors nommés Heat Shock Element (HSE) (Pelham, 1982). Il est établi par la suite que ces HSE interagissent avec des facteurs de transcription spécifiques, les Heat Shock Transcription Factor (HSTF ou HSF) (Pelham, 1985).
A la fin des années 80, de nombreuses HSPs différentes sont identifiées. On les distingue en fonction de leur poids moléculaire, pour définir les grandes classes de HSPs utilisées de nos jours : HSP110 kDa, HSP90, HSP70, HSP60, small HSP (entre 15 et 30 kDa) (Burdon, 1986) et HSP40 (Liberek et al., 1988). A partir des années 90, le séquençage de nombreux de gènes de HSPs rend compte de leur grande diversité au sein de chaque sous famille. Leurs fonctions et leurs modes de régulation se précisent, ainsi que le véritable réseau d’interactions des HSPs entre elles et avec d’autres co-chaperonnes. Dans les années 2000, les HSPs sont particulièrement étudiées chez des organismes exposés aux polluants et deviennent des outils importants en écotoxicologie. On envisage alors de les utiliser comme des indicateurs de l’adaptation des organismes aux variations de l’environnement (Evgen’ev et al., β014). Ces dix dernières années, l’intérêt des chercheurs pour les HSPs s’est renforcé en écologie pour leur usage dans l’évaluation de l’impact du réchauffement climatique (Colson-Proch et al., 2010; Tomanek, 2010). Récemment, les recherches se sont également étendues au domaine de la médecine, où les scientifiques voient dans les HSPs de nouvelles cibles pour les traitements de demain contre de nombreuses maladies neurodégénératives et cancers .
Classification, structures et fonctions principales des HSPs
Les HSPs sont regroupées dans une superfamille de chaperonnes moléculaires pouvant interagir entre elles par oligomérisation. Elles possèdent des homologies de domaine et sont classées selon leur poids moléculaire : les small HSP, les HSP40, les HSP60, les HSP70, les HSP90 et les HSP110 (Fink, 1999; Kiang and Tsokos, 1998). Selon les types, elles sont retrouvées dans le cytosol et divers organites (chloroplastes, mitochondries et réticulum endoplasmique) et peuvent même être exportées dans le milieu extracellulaire (Calderwood et al., 2007; Fink, 1999).
Les small HSPs
Les small HSP (sHSP ou HSPB chez l’humain) sont les plus petites molécules de la superfamille des HSPs. Leur poids moléculaire est compris entre 10 et 30 kDa, l’élément le plus étudié actuellement étant la HSP27 . Elles partagent un domaine C-terminal appelé domaine α-crystallin de 80 à 90 résidus aminés formant un feuillet ȕ, impliqué dans l’assemblage des sHSP en dimères et dans les interactions avec leurs substrats (Van Montfort et al., 2001). Elles possèdent également plusieurs sites phosphorylables, un domaine N-terminal et un motif conservé de 4 acides aminés (WDPF) permettant leur assemblage en multimères et la stabilisation des complexes formés (Lambert et al., 1999). On distingue 5 principales fonctions attribuées aux sHSP (Garrido et al., 2012) : (1) Les HSP18 préviennent l’agrégation de protéines dénaturées en formant des complexes dodécamériques (voies indépendantes de l’ATP) et peuvent agir en coopération avec la HSP70 (voie ATP-dépendante) (Lee et al., 1997) ; (2) La HSPB8 (ou HSP22) peut s’associer avec la co-chaperonne BAG-3 (Bcl-2 associated athanogene) pour stimuler l’autophagie de protéines dénaturées (Carra et al., 2010) .
Les HSP40
Egalement appelées DnaJ chez les procaryotes, elles sont caractérisées par la présence d’un « domaine J » très conservé, d’environ 70 résidus aminés, qui leur permet d’interagir avec les HSP70 et HSP90. On distingue 3 grands types de HSP40, classés en fonction de leurs particularités structurales, et retrouvés dans la plupart des organismes procaryotes et dans tous les organismes eucaryotes (Cheetham and Caplan, 1998). Bien que cette famille regroupe des molécules à la nomenclature complexe, dépendante de l’espèce et du type de HSP40 étudié, on distingue des caractéristiques structurales communes pour les espèces modèles Escherichia coli, Homo sapiens et Saccharomyces cerevisiae définissant ainsi ces 3 types de HSP40 . Les types I et II possèdent un « domaine J » en position N terminale, suivi d’une zone riche en glycines et phénylalanines et d’un domaine carboxyl-terminal. De plus, les HSP40 de type I possèdent une région en doigt de zinc riche en cystéines, spécialisée dans la dissociation de certains agrégats protéiques. Cette région est absente dans le type II, et souvent remplacée par une zone riche en glycines et méthionines. Pour leur part, les HSP40 de type III partagent uniquement un domaine J conservé, et ont des zones de liaisons peptidiques variables et spécifiques de différents substrats (Cheetham and Caplan, 1998; Fan et al., 2003; Tamadaddi and Sahi, 2016). Le domaine J permet la fixation des HSP40 aux HSP70, les autres régions permettent la liaison aux peptides substrats et la régulation de leur activité par des co-chaperonnes.
Les HSP60
Longtemps considérées comme exclusivement localisées dans la mitochondrie, les HSP60 (chaperonine ou GroEL chez les procaryotes) peuvent également être présentes dans le cytosol, proche des ribosomes ou de la membrane plasmique (Boshoff, 2015). Les HSP60 constituent des sous-unités d’un complexe chaperon formé par l’association d’un ou deux anneaux heptamériques de HSP60. Cette association en complexe est contrôlée par l’hétérodimère HSP70/HSP10. La HSP10 (ou GroES chez les procaryotes) viendra ensuite fermer le complexe chaperon fonctionnel (Figure 1.3) (Böttinger et al., 2015; Saibil, 2013). Les complexes de HSP60 assurent des rôles classiques de chaperonnes en présence d’ATP, comme le repliement de protéines néosynthétisées et/ou dénaturées lors de stress cellulaires (Levy-Rimler et al., 2001). Les HSP60 jouent également un rôle dans les voies de signalisation immunitaire, en stimulant la production de cytokines et autres molécules pro-inflammatoires (Boshoff, 2015; Habich et al., 2003). Enfin, elles interviennent de façon complexe dans le signal de mort cellulaire programmée. En effet, elles participent au signal anti-apoptotique par séquestration d’acteurs majeurs de l’apoptose tels que la pro-caspase3 (Campanella et al., 2008), ou les inducteurs Bax (Gupta and Knowlton, 2005) et p53 (Ghosh et al., 2008). A l’opposé, la libération de ces mêmes inducteurs apoptotiques constitue un signal en faveur de l’apoptose (Gupta and Knowlton, 2005). Les HSP60 participent enfin au signal pro-apoptotique comme accélérateur de la maturation des caspases (Xanthoudakis et al., 1999).
Les HSP70
Les HSP70 (ou DnaK chez les procaryotes) constituent une famille de molécules de 68 et 72 kDa et ont été les premières HSPs découvertes, en raison de leur expression abondante lors de stress cellulaires. Les HSP70 sont des membres majeurs de la superfamille des HSPs, ubiquistes et de loin les plus conservées (Boorstein et al., 1994). Leur structure est composée d’un domaine ATPase de 44 kDa (NBD pour Nucleotide Binding Domain) en région N-terminale, et d’un domaine de fixation des substrats d’environ 18 kDa (SBD ou Substrate Binding Domain) séparés par une jonction inter-domaine (Interdomain linker) riche en leucine et particulièrement conservée. L’extrémité carboxyle plus variable d’approximativement 10 kDa (CTD ou C-terminal Domain) ferme le complexe SBD-substrat et permet la fixation de nombreuses co-chaperonnes (Demand et al., 1998; Kiang and Tsokos, 1998).
Les HSP90
Les HSP90 (HptG chez les procaryotes) regroupent des molécules dont le poids moléculaire varie entre 82 (S. cerevisiae) et 90 kDa (H. sapiens). Chez les eucaryotes, elles sont présentes dans le cytosol, le réticulum endoplasmique (sous le nom de Grp94 ou Grp96), dans la matrice mitochondriale (HSP75 ou TRAP1) et dans les chloroplastes. Les HSP90 partagent les mêmes caractéristiques structurales et fonctionnent sous forme de dimères. En région N terminale, elles sont constituées d’un domaine ATPase conservé d’environ β5 kDa (N-Terminal Domain ou NTD), et d’une zone riche en acides aminés chargés, suivie d’un Middle Domain (MD) (environ 35 kDa) plus variables. Les HSP90 possèdent un dernier domaine à leur extrémité carboxyle (C-Terminal Domain ou CTD) nécessaire à leur dimérisation et terminée par le motif hautement conservé MEEVD (Jackson, 2012; Young et al., 2001).
Les HSP100
Les HSP100 (ou HSP110 ou Clp chez les procaryotes) regroupent plusieurs sous-familles de chaperonnes réparties en 2 grandes classes (1 et 2). Les HSP100 de classe 1 sont caractérisées par un domaine N-terminal et β domaines NBD conservés, ainsi qu’un Middle domain de taille variable. Les HSP 100 de classe 2 ne possèdent en revanche qu’un seul NBD, ainsi qu’un domaine N-terminal pour certaines d’entre elles . Les HSP100/Clp sont également incluses dans la superfamille des ATPases de type AAA+ (ATPases Associated with various cellular Activities). Les domaines AAA+ sont constitués d’environ 200 à 250 résidus aminés et sont assimilés aux Nucleotide Binding Domains (NBD) avec des motifs particuliers nommés Walker A et B .
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Table des matières
1 INTRODUCTION GENERALE
1.1 Présentation des Heat Shock Proteins ou HSPs
1.1.1 Historique des découvertes et évolution des connaissances
1.1.2 Classification, structures et fonctions principales des HSPs
1.1.2.1 Les small HSPs
1.1.2.2 Les HSP40
1.1.2.3 Les HSP60
1.1.2.4 Les HSP70
1.1.2.5 Les HSP90
1.1.2.6 Les HSP100
1.1.3 Les organismes, leur environnement et les HSPs
1.2 Particularités des HSP70
1.2.1 Facteurs d’induction des HSP70
1.2.1.1 Fluctuations naturelles de l’environnement
1.2.1.2 Impacts des activités anthropiques
1.2.1.3 Influence des conditions physiologiques
1.2.2 Intérêts des HSP70 en biologie et en médecine
1.2.2.1 Utilisation des HSP70 comme biomarqueur de stress global
1.2.2.2 Applications potentielles des HSP70 en médecine
1.3 Conservation et diversité des HSP70
1.3.1 La famille des HSP70s : Spécificités et rôles
1.3.2 Diversité des HSP70 cytosoliques
1.3.2.1 HSP70 et HSC70
1.3.2.2 Etudes sur les espèces modèles
1.4 Objectifs de la thèse
2 CONSTRUCTION DU JEU DE DONNEES
2.1 Caractérisation par biologie moléculaire de HSP70 chez les crustacés
2.1.1 Analyse préliminaire et définitions des amorces
2.1.2 Matériel biologique
2.1.3 Démarche de biologie moléculaire
2.1.3.1 Protocoles d’extraction des acides nucléiques
2.1.3.2 Protocoles d’amplifications et de clonages des séquences nucléiques
2.1.4 Analyses et bilan des séquences obtenues de novo
2.2 Recherche des HSP70 d’arthropodes dans GenBank
2.2.1 Recherches via Blast dans les génomes et transcriptomes séquencés
2.2.2 Méthode alternative de recherche
2.2.3 Finalisation du jeu de données
2.3 Mise en forme et analyses du jeu de données
2.3.1 Codification des séquences obtenues
2.3.2 Détection des séquences chimériques
2.3.3 Discussion et conclusion
3 CLASSIFICATION ET RELATIONS DE PARENTE DES HSP70 CYTOSOLIQUES
3.1 Classification automatique des séquences nucléotidiques
3.1.1 La méthode agrégative de classification automatique « Les Rosaces »
3.1.2 Résultats
3.2 Relations de parenté des HSP70 cytosoliques
3.2.1 Démarches d’analyses phylogénétiques
3.2.2 Résultats
3.2.2.1 Liens de parenté des HSP70 cytosoliques dans le phylum Arthropoda
3.2.2.2 Diversité des HSP70 cytosoliques dans la classe des Malacostraca
3.2.2.3 Diversité des HSP70 cytosoliques chez les Chelicerata et les Hexapoda
3.3 Comparaisons structurales entre les différentes sous familles
3.3.1 Structures géniques des HSP70 identifiées
3.3.1.1 Comparaison des longueurs des séquences complètes
3.3.1.2 Présence et localisation des introns
3.3.1.3 Comparaison des séquences régulatrices
3.3.2 Structure protéique des HSP70 identifiées
3.3.2.1 Comparaison des structures primaires
3.3.2.2 Comparaison des structures secondaires et tertiaires
3.4 Discussion et conclusions
4 NIVEAUX D’EXPRESSION DES HSP70 CYTOSOLIQUES
4.1 Expériences de chocs thermiques
4.1.1 Protocoles d’expérimentation animale
4.1.2 Protocole de quantification des transcrits
4.2 Revue : Approche comparative de l’expression des HSP70
4.2.1 Etudes d’expression en réponse aux stress thermiques chez les malacostracés
4.2.2 Extensions de l’étude aux HSP70 d’hexapodes et de chélicérates
4.3 Discussion et conclusion
5 PRODUCTION PROTEIQUE DE HSP70 CYTOSOLIQUES
5.1 Matériel et méthode : Protocole de vectorisation et de production protéique
5.1.1 Protocole de vectorisation
5.1.2 Protocole de production et purification protéique
5.2 Résultats
5.3 Discussion et conclusion
6 DISCUSSION GENERALE
7 CONCLUSIONS GENERALES