Les premières traces de la connaissance et de l’utilisation de matériaux magnétiques par l’Homme datent du premier millénaire avant J.C, en Asie par les Chinois (qui leur donnèrent le nom de « pierre tendre ») et en Europe par les Grecs dont les Magnètès sont probablement à l’origine du mot moderne « magnétisme ». Toutefois, pendant des siècles, l’utilisation des matériaux magnétiques est restée très rudimentaire, tout au plus à des fins d’orientation avec les boussoles, à cause du manque de compréhension des phénomènes à l’origine de leurs propriétés comme peuvent en témoigner les écrits de d’Alembert au XVIIIième siècle dans l’encyclopédie [39]. Ce n’est qu’à partir du XIXième siècle qu’ont été réalisés les premier progrès permettant d’expliquer le magnétisme, grâce au développement des théories de l’électromagnétisme et de la thermodynamique, mais c’est à partir du milieu du XXième siècle avec la compréhension de l’origine du ferromagnétisme que les premières applications modernes des matériaux magnétiques ont vu le jour.
De nos jours, le nombre d’applications des matériaux magnétiques n’égale que leur diversité. On les retrouve aussi bien dans le secteur de l’automobile (avec les moteurs à aimants permanents par exemple [117]) dans des circuits magnétiques incluant des bobines (utilisation d’aimant doux comme Fe-Si pour guider les lignes de champs), comme générateur de champ magnétique (avec des aimants durs de SmCo ou NdFeB pour les plus répandus), ou encore comme générateur d’ondes acoustiques avec les matériaux magnétostrictifs (comme le Terfenol-D ou encore le FeGa [31], pour les sonars de sous-marins par exemple) et même comme réfrigérant avec les matériaux magnéto-caloriques [111] [51]. Toutefois c’est avec le développement de l’informatique que les matériaux magnétiques ont tenu une place de choix où l’orientation rémanente de l’aimantation sert à coder des données.
Désormais, le contrôle de l’état magnétique d’un système est un sujet crucial, le but étant de pouvoir manipuler un système magnétique de façon efficace (c’est à dire en utilisant le moins de matières premières et d’énergie), toujours plus vite, de manière réversible et parfaitement contrôlée. L’application d’un champ magnétique est la méthode préférée pour provoquer un basculement de l’aimantation. Toutefois avec l’évolution des techniques, de nouvelles méthodes originales sont apparues et désormais, l’état magnétique se manipule par le biais d’un champ magnétique (pouvant être généré par des impulsions lasers), d’un courant électrique polarisé en spin [172], d’ondes acoustiques [187], de la température, de la lumière [112][174], en utilisant les ondes de spin [96] . . . , en utilisant des matériaux toujours plus novateurs, décuplant encore le champ des possibles.
Chacune de ces techniques possède ses avantages et inconvénients et toutes nécessitent des matériaux ayant des propriétés particulières, pour pouvoir être appliquées stimulant la recherche de nouveaux matériaux et hétérostructures magnétiques. Parmi ces nouveaux matériaux, on compte depuis le milieu du XXime siècle, les matériaux semi-conducteurs ferromagnétiques, une classe de matériaux hybrides dans lequel la manipulation des propriétés semi-conductrices influence les propriétés magnétiques. Désormais l’un des plus connu est (Ga,Mn)As , un semiconducteur ferromagnétique III-V basé sur le GaAs, matériau clef dans l’opto électronique, dont on maîtrise bien la croissance. C’est ce matériau que nous avons étudié, du fait qu’il existe de multiples manières de contrôler ses propriétés magnétiques telles que sa température de Curie, son anisotropie magnétique, son aimantation à saturation ou encore son dopage. L’une de ces méthodes consiste à phosphorer les couches de (Ga,Mn)As ((Ga,Mn)(As,P) ) pour en modifier les contraintes ce qui entraîne une modification de l’anisotropie magnéto-cristalline. (Ga,Mn)(As,P) représente un banc de test idéal pour la compréhension de mécanismes fondamentaux de la dynamique, mais aussi pour de nouveaux moyens de contrôle de l’aimantation.
La dynamique de l’aimantation déclenchée par une excitation optique dans (Ga,Mn)As a été étudiée au cours des années 2000 et les plus grandes avancées dans cette thématique ont été réalisées par le groupe de P.Nemec à Prague au tout début de cette thèse avec entre autres, l’identification de mécanismes d’excitation [125] [182] et d’effets magnéto-optiques permettant la reconstruction de la trajectoire de l’aimantation [184]. (Ga,Mn)(As,P) en comparaison n’avait jamais été étudié en pompe-sonde. L’utilisation d’échantillons sur une large gamme de concentration en phosphore permet de modifier les paramètres de nos échantillons. Nous avons ainsi étudié la dynamique de l’aimantation par des impulsions laser de manière exhaustive et systématique sur un grand nombre d’échantillons. Le but est d’étudier tous les aspects de la dynamique, incluant l’excitation, la relaxation et la détection. La bonne connaissance et compréhension de ces mécanismes sont les enjeux de cette thèse, ce qui est un pré-requis pour envisager des mécaniques plus complexes pouvant amener au renversement de l’aimantation.
Présentation de (Ga,Mn)As et (Ga,Mn)(As,P)
(Ga,Mn)As et (Ga,Mn)(As,P) appartiennent à la classe des semi-conducteurs ferromagnétiques dilués, une classe de matériaux où les propriétés semi-conductrices se lient aux propriétés magnétiques. L’utilisation de cette classe de matériaux s’inscrit dans la thématique de l’électronique de spin. L’intérêt est de pouvoir obtenir des hétérostructures complexes avec le même matériau utilisant la charge ainsi que le spin via la création de courant polarisé de spin par exemple), pour effectuer des tâches de stockage ou de traitement de l’information, comme le transistor à spin proposé par Datta et al.[37] ou encore des jonctions tunnel magnétiques [179]. L’utilisation d’un même matériau permet alors de réduire les interfaces entre les différentes parties d’une hétérostructure entraînant une perte de la polarisation des porteurs à l’interface matériaux magnétiques/semi-conducteurs, diminuant ainsi l’efficacité du dispositif.
Parmi les semi-conducteurs magnétiques, (Ga,Mn)As et (Ga,Mn)(As,P) se sont avérés deux composés très prometteurs car basés sur le GaAs, un matériau largement utilisé dans l’optoélectronique et dont la croissance est de nos jours bien maîtrisée. On peut ainsi obtenir des couches minces de (Ga,Mn)As épitaxiées sur des substrats de GaAs, avec une transition abrupte réduisant ainsi les effets d’alliage.
Un long chemin jusqu’aux semi-conducteurs ferromagnétiques dilués
Le début des semi-conducteurs magnétiques est intrinsèquement lié à la compréhension du mécanisme à l’origine du ferromagnétisme. L’acte fondateur qui amena à la découverte de ces matériaux date de 1951 avec le modèle d’interaction magnétique proposé par Zener et al.[215]. Avant de parler des semi-conducteurs magnétiques, resituons le contexte de leur apparition.
Interaction d’échange et ferromagnétisme
Au milieu du XXième siècle, l’origine de l’interaction d’échange entre deux atomes magnétiques était encore mal comprise. Le premier modèle décrivant le ferromagnétisme étant le modèle de Heisenberg [72] où l’énergie d’interaction entre deux atomes i et j voisins avec une aimantation~mi,j était exprimée sous la forme Eij = −Jex ~mi· ~mj , Jex étant l’intégrale d’échange provenant de l’interaction Coulombienne : la description du ferromagnétisme nécessitait alors une valeur positive de cette intégrale. En utilisant un modèle de type Heitler-London, Heisenberg proposa que l’interaction d’échange Jex entre deux atomes i et j voisins séparés d’une distance r12 était due directement à l’interaction des électrons 3d des atomes i et j.
Entre temps, pour expliquer le ferromagnétisme dans les métaux, partant du principe que Jex était négatif pour une interaction directe, C. Zener proposa un modèle d’interaction indirecte entre deux atomes voisins[215][216]. Il considéra que l’interaction magnétique entre deux atomes se faisait de façon indirecte grâce à une hybridation des fonctions d’ondes des électrons localisés de la couche 3d, incomplète, et celles des électrons délocalisés 4s de la bande de conduction. La résultante d’une telle hybridation est une interaction d’échange de type Jsd. Si l’interprétation et le traitement complet de Zener fut remis en cause pour le Fe, le Ni ou le Co [185][83], cette réflexion fut à la base de l’interaction Ruderman-Kittel Kasuya-Yosida (RKKY) comme mécanisme d’interaction entre des atomes magnétiques. D’abord développée pour expliquer des résonances nucléaires de spin anormales par Ruderman et al. [149], ce modèle fut étendu théoriquement aux matériaux magnétiques par Kasuya et al.[83] puis appliqué à CuMn par Yosida et al [212] pour expliquer ses propriétés magnétiques. Dans ce modèle, l’intégrale d’échange est décrite grâce aux oscillations de Friedel provenant de l’écrantage de la densité de charge induite par l’impureté magnétique par les autres charges environnantes. On obtient alors une fonction oscillante autour de 0 en fonction kF rij , kF représentant le vecteur d’onde de Fermi ; le modèle de Zener n’en étant qu’une limite lorsque kF rij tend vers 0.
Afin de tester la validité de l’interaction RKKY, les scientifiques de l’époque se sont concentrés sur des composés où les électrons portant les spins étaient fortement localisés. Cette propriété étant caractéristique des fonctions d’ondes de la couche 4f, l’utilisation d’alliages de terres rares avec des métaux était tout indiquée. L’interaction RKKY s’est avérée très efficace pour expliquer le ferromagnétisme dans des composés « exotiques » de tr-Ru (tr= Pr, Nd, Er [114]) ou encore dans des composés tr-Ir2 (tr étant une terre rare [24]) à l’exception d’un composé EuIr2 où une température de Curie (TC) de 70 K a pu être mesurée mais un faible moment magnétique .
Cette observation était surprenante, l’Eu étant sous la forme Eu3+ dans EuIr2, son moment cinétique total (donc son aimantation) est censé être nul. Or le composé d’EuIr2 présentait une température de Curie élevée (TC=70 K) avec aucune aimantation ce qui était contradictoire en utilisant un modèle simple où l’aimantation est paramétrée par une fonction de Brillouin. Cette contradiction a été résolue quelques années plus tard par le même groupe en étudiant EuO[113] et montra que ce dernier était présent dans leurs couches de EuIr2. La phase ferromagnétique était donc due à ce composé qui avait la particularité d’être semi-conducteur. EuO est devenu le premier matériau d’un nouveau type : les semi-conducteurs magnétiques, un composé alliant des propriétés semi-conductrices couplées à un ordre ferromagnétique. Ces matériaux ont suscité un vif intérêt, d’un point de vue applicatif pour étendre les propriétés des matériaux semi-conducteurs, mais aussi d’un point de vue plus fondamental pour étudier le ferromagnétisme de bande.
De EuO à (Ga,Mn)As
Après ces travaux de nombreux semi-conducteurs magnétiques furent découverts tel que EuH2,EuS, EuSe, EuTe[116][195] ou encore CdCr2Se4[98] et de nombreuses études furent menées afin de caractériser leurs propriétés magnétiques [45], électriques[131] . . . Ces composés, toujours thème de recherche actuel ([177] [133] par exemple), ont été moins étudiés à partir des années 70 du fait de leur composition ainsi que des difficultés à obtenir des couches minces, rendant ainsi leurs intégration difficile avec des semi-conducteurs plus classiques comme le Si (cette difficulté n’a été passée que récemment par Schmehl et al. [162]). Désormais les terres rares sont principalement utilisées dans des alliages avec des métaux de transition pour leurs anisotropie uniaxiale élevée, augmentant les champs coercitifs (pour les aimants durs SmCo par exemple), soit pour leurs coefficients magnéto-strictifs très importants [120].
Avant les années 60, les échantillons préparés étaient principalement polycristallins à cause des méthodes de croissance par dépôt chimique en phase vapeur (premier exemple sur PbS en 1948 par Elleman et al.[50]). A partir du milieu des années 60, l’évolution des techniques de croissance a permis d’obtenir des couches minces monocristallines [165], d’abord de PbS puis des couches de GaAs et Ge[38]. Au début des années 70, les premières épitaxies par jets moléculaires apparaissent avec l’épitaxie de couches minces de GaAs [28]. Cette évolution des techniques a ainsi permis aux scientifiques de se tourner vers des matériaux basés sur des semi conducteurs IV-VI (comme PbMnSe [60]), ou encore des II-VI (CdTe, ZnTe, HgTe, CdS) dans lesquels est incorporée une faible concentration d’atomes magnétiques (quelques %). On distingue ce type de matériaux par rapport à leurs prédécesseurs par l’utilisation de la terminologie de semi-conducteurs magnétiques dilués (DMS).
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Table des matières
I Introduction
1 Introduction
2 Présentation de (Ga,Mn)As et (Ga,Mn)(As,P)
2.1 Un long chemin jusqu’aux semi-conducteurs ferromagnétiques dilués
2.1.1 Interaction d’échange et ferromagnétisme
2.1.2 De EuO à (Ga,Mn)As
2.2 Ferromagnétisme dans (Ga,Mn)As
2.2.1 Structure cristallographique et croissance
2.2.2 Origine du ferromagnétisme
2.2.3 Effet Zeeman géant et magnétisme
2.3 Propriétés magnétiques
2.3.1 Température de Curie
2.3.2 Anisotropie magnéto-cristalline
2.3.3 Ajustement des propriétés magnétiques
2.3.4 20 ans après la première synthèse de (Ga,Mn)As
2.4 Echantillons
2.4.1 Caractérisation de TC, Ms et de l’épaisseur
2.4.2 Caractérisation des Ki : Résonnance ferromagnétique (FMR)
II Effets magnéto-optiques et technique expérimentale
3 Effets magnéto-optiques
3.1 Tenseur diélectrique et équations de Maxwell
3.1.1 Equations de Maxwell
3.1.2 Tenseur diélectrique
3.1.3 Rotation et ellipticité
3.2 Effet Faraday
3.3 Effet Kerr polaire
3.4 Effet Voigt
3.5 Rotation dynamique
4 Technique expérimentale
4.1 Dispositif experimental
4.1.1 Faisceau pompe
4.1.2 Faisceau sonde
4.1.3 Imagerie magnéto-optique
4.2 Calibration de la rotation magnéto-optique
4.3 Signaux typiques
4.3.1 Signal dynamique de type pompe sonde
4.3.2 Signaux magnéto-optiques statiques
4.4 Mécanisme de retournement de l’aimantation
5 Caractérisation des élévations de température
5.1 Détermination de la température effective
5.1.1 Effets de la température
5.1.2 Correspondance fluence-température
5.2 Effets thermiques non localisés
5.3 Elévation stationnaire de température
III Dynamique d’aimantation
6 Etat de l’art et phénoménologie de la dynamique d’aimantation
6.1 Effets de polarisation des faisceaux
6.1.1 Effet de la polarisation de la pompe
6.1.2 Effet de la polarisation de la sonde
6.2 Effet de la température
6.3 Effet de la fluence de la pompe
6.4 Effet du champ magnétique
6.5 Effet de la longueur d’onde
7 Comparaison FMR-pompe sonde
7.1 Modélisation de la dynamique de l’aimantation
7.1.1 Variation du module de l’aimantation : LLG ou LL-Bloch?
7.1.2 Equation fondamentale de la précession
7.2 Théorie : fréquence de précession et amortissement
7.2.1 Fréquence et amortissement
7.2.2 Discussion sur l’amortissement FMR et pompe sonde
7.3 Expérience : comparaison FMR et pompe-sonde
7.3.1 Ajustement des courbes
7.3.2 Fréquences et correspondance FMR/pompe-sonde
7.3.3 Amortissement
7.4 Conclusion sur la correspondance FMR/pompe sonde
8 Excitation optique de la précession
8.1 Théorie : efficacité des couples excitateurs
8.1.1 Résolution analytique
8.2 Forme et durée de l’impulsion excitatrice
8.2.1 Signaux en fonction de la polarisation sonde
8.2.2 Simulation : excitation courte vs excitation longue
8.2.3 Reconstruction de la dynamique
8.3 Efficacité de l’excitation optique
8.3.1 Variation impulsionnelle thermique des Ki
8.3.2 Effets sous champ magnétique : l’influence de φ0
8.3.3 Conditions d’observation de l’effet des porteurs polarisés en spin
8.3.4 Conclusion
8.4 Excitation optique et effets de la pompe
Conclusion