Le taux de césarienne en France en 2016 était de 20,4 %. [1] C’est à dire qu’une femme sur cinq donne naissance par césarienne. Dans près de la moitié des cas, la césarienne est programmée. [2] La césarienne est une intervention chirurgicale qui consiste à extraire le fœtus par incision de l’utérus quand l’accouchement est impossible ou dangereux par les voies naturelles. [3] Elle peut survenir au cours du travail si celui-ci ne se déroule pas normalement : on parle de césarienne en urgence ; avant le début du travail en cas de difficultés prévisibles : on parle de césarienne programmée dans ce cas. Une césarienne programmée peut aussi parfois être effectuée à la demande de la patiente selon certaines conditions, cela s’appelle une césarienne de convenance. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) définissent la césarienne programmée à terme comme une césarienne non liée à une situation d’urgence, réalisée à partir de 37 semaines d’aménorrhées (SA) révolues. [4] Une étude de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie sur la césarienne programmée a mis en évidence des résultats disparates selon les maternités : le taux est plus élevé dans les maternités de niveau 1 et dans les maternités de petite taille. En outre, la fréquence est plus importante dans les cliniques privées (avec un taux de césariennes programmées de 9,4% contre 6,6% dans les maternités publiques). [5] Néanmoins, la France présente un taux d’accouchements par césarienne relativement moins élevé que dans d’autres pays européens ; elle se plaçait au treizième rang en 2010 en terme de fréquence des césariennes. Mais le taux de césariennes est en constante augmentation (14 % en 1990, 18% en 2001 et 20 % de nos jours). [6]
Actuellement, les pères souhaitent être de plus en plus présents et impliqués dans la parentalité, comme le prouve le récent débat public concernant l’allongement du congé paternité. Selon l’INPES (Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé), l’autorisation de la présence du père au bloc opératoire en cas de césarienne intervient dans le choix du lieu de naissance par le couple. [7] Dans le livret d’informations de la HAS à destination des patientes concernant la césarienne [8], il est dit explicitement que l’autorisation de la présence du père dépend de la décision de l’équipe médicale de garde. Il n’y a donc aucun consensus au niveau national. Dans la pratique, la décision d’autoriser l’accès au bloc revient au gynécologue obstétricien qui effectue la césarienne et/ou à l’anesthésiste. L’enquête du Collectif Inter Associatif autour de la Naissance (CIANE) a révélé que lors d’une césarienne programmée, la présence du père était souhaitée à 77 %, alors que celle-ci a été autorisée dans seulement 26 % des cas. [9] On constate donc un écart considérable entre la situation désirée et la situation effective. Le mot père vient du latin « pater », on trouve comme définition pour ce mot : l’homme qui a engendré, qui élève son enfant [3]. Mais depuis le « Pater Familias » à l’époque romaine, où le père exerçait sur sa famille une puissance paternelle, la place du père a connu de nombreuses modifications [10]. Il partage désormais l’autorité parentale conjointement avec la mère et n’est plus le seul décideur des choix concernant l’éducation de son enfant. La valorisation de la maternité (dans les années 1930) a progressivement évincé le père et a favorisé le couple mèreenfant [11]. De plus, les progrès en matière de procréation médicalement assistée ont séparé en plusieurs termes les différentes fonctions pouvant être exercées par la personne appelée le père, de nos jours : il peut être le géniteur (père biologique qui engendre l’enfant et lui transmet la moitié de son patrimoine génétique), la personne qui élève l’enfant sans pour autant avoir des liens de sang avec ce dernier… Les psychanalystes ont introduit la notion du père comme étant l’acteur indispensable de la séparation dans la relation fusionnelle entre la mère et son enfant. [12] Ainsi, on propose lors d’une naissance par voie basse au père de couper le cordon ombilical pour lui accorder un rôle lors de la naissance, mais aussi pour illustrer symboliquement cette introduction dans la dyade mère-enfant. De plus, la plupart du temps, l’homme se réalise père pendant l’accouchement, c’est un moment de prise de conscience. Selon E. Badinter « c’est l’accouchement qui marque le début de la paternité » [13]. Séparer la triade mère père-enfant pendant cette période ralentit le processus d’attachement et génère du stress. [14] Une étude a montré que la pratique du peau à peau avec le père lorsque la mère n’est pas disponible permet de réconforter le nouveau-né et diminue les pleurs [15]. Dans certaines maternités, le père est face à une dichotomie : assister à la césarienne pour être un soutien pour la future mère ou attendre l’arrivée de l’enfant dans la salle de réanimation néonatale ou la nurserie où il pourra assister aux premiers soins, permettant ainsi au père d’être le premier à s’occuper du bébé car libéré de la « concurrence maternelle » [16].
Les cours de préparation prophylactique à l’accouchement (qui étaient centrés sur la prise en charge de la douleur) ont laissé place aux cours de Préparation à la Naissance et à la Parentalité (PNP) qui incluent dans leur programme un accompagnement du couple sur le chemin de la parentalité. Cette préparation s’oriente actuellement vers un accompagnement global de la femme et du couple en favorisant leur participation active dans le projet de naissance. [17] Le soutien à la parentalité est un objectif transversal des séances de PNP. Il comprend la communication d’informations et de repères sur la construction des liens familiaux et les moyens matériels, éducatifs et affectifs qui permettent à l’enfant de grandir. Ce changement a permis d’inclure les pères dans ce moment d’information et d’éducation pour la santé. Tous ces processus de préparation à la paternité conduisent les pères en devenir vers une forme de paternité engagée, c’est-à-dire vers un modèle de père interagissant directement avec son enfant et se préoccupant activement du bien-être et de la santé de celui-ci. [18] La HAS a émis des recommandations sur le déroulement des séances de PNP et affirme que l’éventualité d’une césarienne doit être évoquée et insiste sur le fait que les séances doivent être ouvertes aux futurs pères. [17] Certaines méthodes de gestion de la douleur sont même basées sur l’implication du partenaire, comme la technique de digitopression Bonapace. Il existe même désormais des cours exclusivement dédiés aux futurs pères pour les aider à vivre les changements qui s’opèrent au sein de leur couple, mais aussi dans leur propre vécu psychique et répondre à leurs besoins spécifiques.
Lorsqu’une césarienne programmée est nécessaire, les couples ont tendance à mettre de côté leur projet de naissance. Selon le Professeur Boulot P, «la césarienne devrait être considérée comme une naissance chirurgicalement assistée plutôt que comme une intervention chirurgicale» [20]. Le nouveau concept de « césarienne naturelle » consiste à demander à la mère de pousser au moment de la naissance de l’enfant pour permettre une participation plus active du couple, et ainsi moins « subir » sa césarienne, mais de « réellement la vivre ». Cette notion inclut la présence du père aux côtés de la mère au bloc opératoire et donne même la possibilité au couple d’apporter de la musique qui sera diffusée lors de l’intervention, ce qui améliore le vécu de la césarienne et permet au couple de s’approprier ce moment. [21] Dans cette optique, le concept de réhabilitation précoce post-césarienne regroupe plusieurs conseils pour considérer la césarienne comme une naissance par voie haute certes, mais comme un accouchement tout de même [22]. En effet si l’on s’attache à la définition de l’accouchement [3], on découvre que ce terme représente l’expulsion du nouveau-né hors du ventre de sa mère : la césarienne est donc un accouchement. De ce fait, toutes les conditions doivent être réunies pour favoriser la relation mère / père / nouveau-né. Cette notion de réhabilitation laisse une place au père en salle de césarienne, incite la mère à accompagner l’extraction du foetus par des efforts de poussée, et valorise aussi la réalisation du peau à peau avec le père au sein même du bloc de césarienne, aux côtés de la mère, pour ne pas la laisser seule une fois l’enfant mis au monde. De plus cette stratégie peut être porteuse de satisfaction chez les couples ayant un désir de participation à l’accouchement.
Limites et biais de l’étude
Limites et difficultés rencontrées au cours de la réalisation de l’étude
Initialement, j’espérais faire un double recueil de données : celui qui a été effectué au cours des entretiens avec les couples et un supplémentaire qui reposait sur un questionnaire à destination des praticiens (obstétriciens et anesthésistes). Ce dernier a été impossible à réaliser du fait du refus de participation des praticiens. Différents motifs de refus ont été avancés, notamment le manque de temps et le fait qu’ils n’avaient pas à rendre de comptes sur leurs pratiques. Concernant la première excuse, le questionnaire (disponible en Annexe II) comportait seulement 9 questions dont 7 demandaient uniquement de cocher oui ou non. Ce refus constitue en lui même un résultat qui sera analysé dans la section interprétation et discussion des résultats. Une interrogation a été présente pendant toute la conception de la méthodologie de recherche, à savoir : fallait-il autoriser la présence des femmes au cours des entretiens ou interroger uniquement leurs maris tout seuls. Il a finalement été décidé d’inclure les futures mères car ce sont les principales intéressées et, de plus, il s’est avéré difficile d’isoler les pères. Les couples ont donc été interrogés ensemble. Une autre difficulté a concerné la planification des entretiens. Ils étaient prévus à partir de la planification des césariennes programmées mais les dates étaient souvent modifiées de manière inopinée, ce qui a nécessité de nombreuses visites à la maternité en vain et à justifier le report de la date de fin de recueil de données à une date ultérieure, afin d’obtenir une quantité de données suffisante à l’analyse.
Biais de l’étude
La présence des femmes pendant les entretiens a engendré un biais de subjectivité car les hommes se sentaient parfois contraints à donner une réponse qui ferait plaisir à leur compagne et n’ont pas pu donner totalement leur véritable avis. Le discours des pères a donc été influencé par la présence de leur conjointe. De plus, un biais d’interprétation a été introduit. En effet, lors de certains entretiens, les femmes étaient seules dans leur chambre et leurs conjoints n’étaient pas présents car ces dernières étaient en chambre double, leur accompagnant n’étant pas autorisé à y passer la nuit.
Spécificité et force de l’étude
La réalisation des entretiens la veille de la césarienne a permis de recueillir les attentes et les craintes des couples avant d’être teintées par l’empreinte émotionnelle que la naissance de leur enfant a engendrée. Ainsi, leurs désirs ont pu être recueillis sans être faussés par l’imprégnation affective que le vécu de la césarienne a pu entrainer. De plus, lorsque les personnes interrogées avaient un antécédent de césarienne, elles étaient questionnées sur leur vécu de ce moment, ce qui apporte des informations sur leurs ressentis qui persiste dans leurs souvenirs. Ces informations sont regroupées sous forme de tableaux dans les annexes.
Analyse et discussion des résultats
Le principal résultat de cette étude est la proportion très élevée de futurs pères souhaitant être présents au bloc opératoire pendant la césarienne. Sur les 13 couples interrogés : un seul père (M. D) ne souhaitait pas être présent, ce qui correspond à un taux de plus de 90 % de couples souhaitant être réunis pour vivre ce moment. Ainsi, le résultat de l’enquête CIANE [9] se confirme dans cette étude. De plus, l’INPES [7] a noté que l’autorisation de la présence du père en cas de césarienne intervenait dans le choix du lieu de naissance par le couple. Cette information a été confirmée dans l’étude par la réponse de Mme C qui a affirmé que c’était une condition « sine qua non d’accoucher ici si le père pouvait assister ».
Importance du moment pour le couple
Dans les maternités, nous assistons en tant que professionnel à la « naissance » d’une mère et la « naissance » d’un père. [31] Les bénéfices de la présence du père sont multiples : rassurer la patiente, permettre au père de voir son enfant dès la naissance et d’investir pleinement sa paternité naissante. De nombreux couples ont rapporté l’importance de vivre ce moment ensemble. En effet, la césarienne est perçue comme un moment important pour cinq couples : « C’est un évènement assez magique […] c’est important d’être présent à deux » (M. R), pour M. T « c’est quelque chose d’important dans la vie », selon Mme G « il faut partager ce moment», « voir la naissance d’un bébé c’est fort émotionnellement, il s’en souviendra » a affirmé Mme S. De plus, Mme B et M. R ont insisté sur le privilège « d’entendre le premier cri » de leur enfant. Enfin, M. C a révélé l’importance pour lui d’être présent au moment de la découverte du nouveau-né « l’accueillir, être là en même temps que la maman pendant la rencontre ». La présence du père pendant l’intervention s’est avérée être une évidence pour certains couples : le mot « évidence » a été prononcé par Mme M et Mme Z, les termes « normal » et « naturel » ont aussi servi à décrire la présence des pères pour M. C et Mme T. Selon Mme G et Mme J, étant donné qu’il faut être deux pour concevoir un enfant, il est légitime d’être deux pour l’accueillir : « on a fait l’enfant ensemble », « on ne fait pas un enfant tout seul ». D’après Mme J, son conjoint « ne voit pas les choses autrement » ; dans cette idée, M. R a dit « je ne me vois pas être ailleurs qu’aux côtés de ma femme » et M. T a affirmé qu’ils n’ont « pas eu besoin d’en discuter ». Pour Mme Z et Mme J, la présence de leur conjoint est indispensable : « obligatoire pour moi qu’il soit là », « sans envisager qu’il ne soit pas là ». Par ailleurs, de nombreux couples ont effectué une comparaison entre la césarienne et un accouchement par voie basse. C’est principalement les femmes qui utilisent cet argument pour légitimer la présence de leur conjoint au bloc de césarienne. Ainsi Mme G a révélé : « si ça avait été un accouchement, j’aurai voulu qu’il soit là aussi ». Pour Mme J, il ne faut pas faire de différence entre les deux situations « comme pour la première il était là ». Dans cette idée, Mme L insiste sur le fait que la présence du père est encore plus importante lors d’une césarienne « il faut plus de présence que pour un accouchement voie basse ». Néanmoins, quatre conjoints (M. V, Z, B et R) ont révélé l’importance pour eux d’être présents au moment même de la naissance pour « voir mon enfant naitre», sans faire de distinction par rapport à la voie d’accouchement.
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Table des matières
Introduction à l’étude
Matériels et méthode
Objectifs et choix de la méthode
Population étudiée
Lieu et durée de l’étude
Déroulement des entretiens et de l’analyse
Résultats
Description de la population étudiée
Attentes des couples concernant la césarienne
Représentation de la césarienne
Rôle du père au moment de la naissance
Sources d’angoisse
Analyse et discussion
Limites et biais de l’étude
Analyse et discussion des résultats
Conclusion de l’étude
Bibilographie
Annexes