Fondement essentielle des sociétés africaines, la parole y a suscité des croyances, des valeurs qui se perpétuent de génération en génération. Elle a sur ce plan, généré une civilisation dite tradition orale. « Du substantif latin traditio , acte de transmettre qui vient de tradere , faire passer à un autre, transmettre, de dare, donner, transmission de doctrines religieuses ou morales, de légendes de génération en génération » , on peut considérer la tradition orale comme un ensemble de savoirs .C’est le patrimoine culturel des sociétés constituées par « l’ensemble des messages qu’un groupe sociale considère avoir reçu de ses ancêtres et qu’il transmet oralement d’une génération à l’autre ». A ce propos, la tradition crée une harmonie et une continuité à la fois dans le temps et dans l’espace. C’est en elle que se conserve l’Histoire avec les événements marquant les généalogies des rois, des alliances, les mythes d’origines. C’est pourquoi, elle peut être définie comme : « fondement et véhicule de la civilisation du continent et de ses différentes cultures.Elle est la source inépuisable des interprétations du cosmos , des croyances et des cultes , des lois et des coutumes, des systèmes de production et de répartition des biens , des modes de pouvoirs politiques et des stratifications sociales, des concepts et représentations des valeurs morales ».
Elle a façonné l’essentiel de la vie africaine et du coup , elle constitue le premier référent des écrivains africains. La tradition demeure un terrain fertile sur lequel s’épanouit une littérature tout à fait originale, composée de formes longues, de formes courtes et d’éléments extralinguistiques.
Ce riche patrimoine a suscité à son tour une vision du monde où la transmission se fait par la bouche « oris », plus précisément par le corps. L’esthétique de la parole constitue la littérature orale. Elle désigne alors toute production discursive dont le mode d’expression est le verbe. C’est une poésie liée à la vie de tous les jours. A ce titre, la littérature orale se compose et se transmet de façon plus collective à travers les dictons, les devinettes, les contes, les chansons, etc.
Toutefois, la littérature orale consigne les réalités culturelles en rendant compte des institutions, du système des valeurs, de la vision du monde propre à une société. Ainsi, Jean Cauvin classe deux catégories de messages dans l’esthétique orale négro-africaine : « les messages qui transmettent une technique, un art ; un savoir faire et les messages qui sont essentiellement liés à la parole, dont le contenu est une parole ». La parole est souvent un mélange de signaux, d’allusions, d’énigmes et de sous- entendus tirés de la sagesse populaire.
Cette richesse culturelle a attiré avant tout l’intérêt des colonisateurs soucieux de dominer « l’âme Africaine ». Elle a aussi éveillé l’intérêt des africains. La périodisation de la littérature africaine montre son omniprésence au niveau de la poésie, du théâtre alors qu’elle n’a jamais cessé de nourrir et de revitaliser les sociétés africaines. Il est donc aisé de remarquer sa prépondérance dans les récits des écrivains africains. L’oralité est donc l’outil qui a permis de produire, d’accumuler des savoirs et l’expérience sous une forme facile à transmettre qui est l’écriture. On pourrait affirmer avec Maurice Houis que : « l’oralité n’est pas l’absence ou la privatisation d’écritures. Elle se définit positivement par la mémoire, la psychologie, la sociologie de la parole proférée, enfin la culture donnée, transmise et renouvelée à travers les textes de style orale dont les structures rythmés sont des procédés mnémotechniques et d’attention ».
Ainsi, on note son traitement particulier dans l’œuvre littéraire d’Amadou Hamphaté Bâ et d’Ahmadou Kourouma. Au demeurant, il est important de noter la posture des deux auteurs du traitement de l’oralité dans l’œuvre littéraire africain. Il ressort qu’Amadou Hampaté Bâ a produit une riche œuvre dans laquelle figurent : Koumen, texte initiatique des pasteurs peuh, Kaydara, récit initiatique peul, Petit Bodiel et autres contes de la savane, Amkoulel, l’enfant peul, etc.
A son tour Ahmadou Kourouma a publié Monné outrage et défi, En Attendant le vote des bêtes sauvages, Le Diseur de vérité, Allah n’est pas obligé ,Quant on refuse on dit non…Romans très fouillés par la critique littéraire tant par les thèmes qu’ils développent. Ce phénomène explique notre intérêt pour la présence et la fonction de l’oralité dans l’Etrange destin de Wangrin et Les Soleils des indépendances. S’inscrivant dans la mouvance de la perpétuation et de la glorification de l’oralité, caractéristique essentielle des sociétés africaines, Amadou Hampaté Bâ et Ahmadou Kourouma participent à la sauvegarde du réservoir de la tradition orale. Ce faisant, ils écartent les notions de cloisonnement génétique et leurs romans deviennent des genres hybrides, polymorphes, qui accueillent et intègrent les genres oraux.
Dans le même sens, Mikhaïl Bakhtine affirme : « Le roman permet d’introduire dans son entité toutes espèces de genres, tant littéraires (nouvelles, poésies, poèmes saynètes) qu’extra-littéraires (études de mœurs, textes rhétoriques, scientifiques, religieux, etc.).En principe, n’importe quel genre peut s’introduire dans la structure d’un roman et il n’est guère facile de découvrir un seul genre qui n’a pas été, un jour ou l’autre, incorporé par un auteur ou un autre » .De son côté et dans la même logique Gilbert Durant, dans l’introduction à son livre Le décor mythique de la chartreuse de parme, note : « Au sein d’un récit littéraire –orale ou écrit-les séparations entre le mythe, la légende, la conte et le roman sont flous » .
les formes longues
Ainsi appelées par leur longueur, les formes longues désignent le mythe, l’épopée, la légende, le conte et la chanson de geste. Ces formes majeures de la littérature orale sont recencées dans les récits d’Amadou Hampaté Bâ et d’Ahmadou Kourouma.
Le mythe
Dérivé du grec muthos qui signifie étymologiquement « parole », le mythe est un récit chargé de symboles, qui raconte l’origine des traditions, des rites. Il constitue un récit fondateur attesté par toutes les cultures, d’où son caractère universel. Selon le Robert, « le mythe est un récit fabuleux , transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine ».
Mircéa Eliade le définit ainsi : « le mythe relate non seulement l’origine du monde , des animaux, des plantes et de l’homme, mais aussi tous les éléments primordiaux à la suite desquels l’homme est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un être mortel ,sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre et travailler selon certaines règles ». Le mythe rapporte le temps historique à un temps fondamental. Il serait un « Récit qui raconte une histoire sacrée, un événement qui a eu lieu dans le temps primordial et fabuleux des commencements ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Présence de l’oralité dans l’Etrange Destin de Wangrin et Les Soleils des indépendances
CHAPITRE I : les formes longues
1 – Le mythe
2 – L’épopée
3- La légende
4- Le conte
5- Le chant
CHAPITRE II : les formes courtes
1- Le proverbe
2- Les figures de rhétorique
1- La musique
2- La gestuelle
DEUXIEME PARTIE : Fonctions de l’oralité dans l’Etrange destin de wangrin d’Amadou Hampaté Ba et les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma
CHAPITRE I : la fonction pédagogique
CHAPITRE II- la fonction sociale
CHAPITRE III : la fonction esthétique
TROIXIEME PARTIE : Sens et portée de l’Etrange destin de Wangrin et Les Soleils des indépendances
CHAPITRE I : sens
CHAPITRE II : Portée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE
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