Prérogative du créateur de la photographie
Archives de la justice et de la police à Fribourg : bref état des lieux
Les archives judiciaires représentent, aux Archives de l’État de Fribourg, un volume non négligeable. Selon les chiffres dévoilés par l’archiviste cantonal lors d’un colloque intitulé « De la justice aux archives », les dossiers judiciaires occupent déjà près de 270 000 entrées dans la base de données . Ces archives regroupent principalement les fonds des tribunaux d’arrondissement du canton – conservés dans leur intégralité depuis 1803 et au moins jusqu’en 19921– des justices de paix, du Ministère public ou encore de l’office des poursuites. Il s’agit de dossiers très complets, la plupart des pièces y ayant été laissées par le service versant . Parmi celles-ci se trouvent de nombreuses photographies : tirages – collés dans les dossiers ou volants – négatifs et diapositives. Leur volume est toutefois difficile à évaluer. Si chaque dossier n’est pas accompagné de photographies, elles sont nombreuses en matière pénale, dans les cas d’accidents de la circulation, d’incendies ou encore d’homicides, mais aussi en matière civile, par exemple dans des litiges immobiliers ou même dans des affaires familiales. Charles-Édouard Thiébaud, archiviste en charge des fonds judiciaires, estime à 500 ou 600 le nombre de tirages présents dans les seules archives du Tribunal d’arrondissement de la Sarine.
Types de sources consultées
Chacun des axes de recherche a donné lieu à une revue de littérature approfondie. Ainsi, un important corpus de textes fondamentaux, de directives, de lois, de règlements, d’ordonnances, tant au niveau cantonal que fédéral et européen, a été étudié à la lumière de la problématique de la valorisation d’archives photographiques judiciaires ou policières. La consultation de sites web de référence, tels que le site du Conseil international des archives, le site de la Confédération ou encore le site de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, de blogs spécialisés (de juristes ou de journalistes), de supports de cours (Queloz,Muhlstein) et d’articles de presse ont permis d’apporter des compléments intéressants, notamment sur les aspects éthiques du projet.
Par ailleurs, les archives, plus spécifiquement les archives photographiques, constituant le cœur du sujet, des auteurs incontournables en la matière ont évidemment été consultés (Couture, Charbonneau et Robert, Kattnig, Leary), tout comme des travaux ou mémoires réalisés sur ce thème (Blin, Jardinier). La littérature professionnelle, principalement canadienne, française et suisse – y compris fribourgeoise – n’a pas manqué d’être exploitée (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Sibille, Memoriav, Coutaz, Thiébaud et Clément, notamment), de même que les normes – internationales et nationales – de description archivistique, telles qu’ISAD-G ou les RDDA9 canadiennes
Protection des photographies dotées d’un « caractère individuel »
Au sens de la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA) (RS 231.1), une photographie est considérée comme une œuvre, et à ce titre protégée par le droit d’auteur en tant que « création de l’esprit », si elle revêt un « caractère individuel » (art. 2 al.1er LDA).
Ce caractère individuel permet de distinguer l’œuvre des œuvres existantes ; d’après le Tribunal fédéral, il n’est cependant pas synonyme d’originalité10. Pour être protégée, la photographie doit présenter un degré d’individualité suffisant par rapport à un cliché qui aurait pu être pris par une autre personne dans des conditions analogues. Si tel n’est pas le cas, aucun droit d’auteur ne vient limiter sa reproduction ou sa diffusion par un tiers. En revanche, toute photographie constitutive d’une œuvre est protégée dès sa création, sans formalité particulière (art. 29 al. 1er LDA). La difficulté découlant de ces dispositions légales réside dans l’appréciation, malaisée et subjective, du caractère individuel de la photographie. En dernier ressort, cette appréciation incombe au juge saisi de la question
Vers une extension de la qualité d’œuvre à toutes les photographies ?
Conscient de cette difficulté, le Groupe de travail sur le droit d’auteur AGUR12, formé en 2012, s’est prononcé en faveur d’une protection de toutes les photographies, y compris de celles qui seraient dépourvues de caractère individuel (IPI 2017a). Le projet de loi de modification de la LDA, déposé le 22 novembre 2017, reprend cette idée. L’article 2 de la LDA serait ainsi complété d’un alinéa 3 bis, rédigé en ces termes : « Sont également considérées comme des œuvres les productions photographiques et celles obtenues par un procédé analogue à la photographie d’objets tridimensionnels qui sont dépourvues de caractère individuel ». Le caractère individuel de la photographie n’aurait désormais d’incidence que sur la durée et le point de départ du délai de protection – 70 ans à compter du décès de l’auteur dans le premier cas, 50 ans à compter de la confection, que l’auteur soit connu ou pas, dans le second – et non sur l’existence même d’une protection . La modification envisagée est loin d’être anodine.
Toute photographie, y compris celles – souvent banales – de la vie quotidienne ou des vacances, du monde scolaire ou professionnel, y compris les images techniques ou scientifiques, seraient l’objet d’un droit d’auteur. De ce fait, leur reproduction et leur diffusion seraient systématiquement soumises à autorisation du créateur (et à rémunération) pendant le délai légal. Le champ du domaine public s’en trouverait considérablement réduit, ce qui restreindrait de facto les possibilités de valorisation des archives photographiques, que l’auteur en soit connu ou non.
Titularité et étendue du droit d’auteur
En vertu de l’article 6 de la LDA, seule la personne physique qui a créé l’œuvre peut en être l’auteur, qu’il s’agisse d’une personne majeure ou mineure, capable de discernement ou non. Une personne morale ne peut donc jamais être auteur d’une photographie. Tout au plus peut-elle être titulaire des droits patrimoniaux sur l’œuvre, s’ils lui ont été cédés en tout ou partie (Muhlstein 2015). En effet, le droit d’auteur ouvre un faisceau de droits exclusifs de l’auteur (art. 9 LDA), divisés en deux catégories : les droits patrimoniaux d’une part, le droit moral d’autre part. Les droits patrimoniaux – recouvrant les droits de reproduction, de distribution et de diffusion, notamment sur internet (art. 10 LDA) – sont cessibles. En revanche, le droit moral est inaliénable ; il réunit notamment le droit à la paternité de l’œuvre, le droit de divulgation et le droit à l’intégrité de l’œuvre, lequel exclut toute modification sans l’accord de l’auteur (art.11 LDA). Selon certains auteurs, la numérisation d’une œuvre photographique emporte modification de celle-ci et constitue donc une atteinte au droit à l’intégrité de l’œuvre (Muhlstein 2015). Pour d’autres, la numérisation n’est qu’une conversion technique, c’est-à-dire une reproduction au sens de la LDA (Centre de compétence pour le droit numérique 2018). Dans les deux hypothèses, l’autorisation du titulaire des droits est requise et une somme d’argent doit être versée à la société de gestion ProLitteris, qui gère les droits de reproduction et de mise en circulation des photographies (Swisscopyright 2017).
|
Table des matières
1. Introduction
1.1 Archives de la justice et de la police à Fribourg : bref état des lieux
1.2 Problématique
1.3 Types de sources consultées
2. Enjeux légaux, réglementaires et éthiques du projet
2.1 Méthodologie
2.2 Prérogative du créateur de la photographie : le droit d’auteur
2.2.1 Objet du droit d’auteur
2.2.1.1 Protection des photographies dotées d’un « caractère individuel »
2.2.1.2 Vers une extension de la qualité d’œuvre à toutes les photographies ?
2.2.2 Auteur connu
2.2.2.1 Titularité et étendue du droit d’auteur
2.2.2.2 Durée de la protection
2.2.3 Auteur inconnu
2.2.3.1 Durée de la protection.
2.2.3.2 Problématique des œuvres orphelines
2.3 Considération à l’égard des sujets de la photographie : droits fondamentaux et droits de la personnalité
2.3.1 Personnes vivantes
2.3.1.1 Dignité humaine
2.3.1.2 Droit à l’honneur
2.3.1.3 Droit à l’image
2.3.1.4 Droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile
2.3.1.5 Protection des données personnelles
2.3.1.6 Accès au dossier
2.3.2 Personnes décédées
2.3.2.1 Dignité humaine
2.3.2.2 Droit à l’image et droit à l’honneur ?
2.3.2.3 Droit à la piété filiale
2.3.3 Biens.
2.4 Protection du public contre les images choquantes ou interdites
2.4.1 Public mineur
2.4.1.1 Protection contre la pornographie
2.4.1.2 Protection contre les images choquantes ou susceptibles d’exercer une influence néfaste
2.4.2 Ensemble du public
2.4.2.1 Mise en garde contre les images à caractère pornographique
2.4.2.2 Interdiction des images de pornographie dure
2.4.2.3 Interdiction des images d’actes de cruauté
2.5 Synthèse des questionnements juridiques et éthiques propres au projet
2.5.1 Le délai de protection est-il échu ?
2.5.1.1 Photographie isolée
2.5.1.2 Photographie liée à un dossier
2.5.2 La photographie est-elle (toujours) protégée par un droit d’auteur ?
2.5.2.1 La photographie peut-elle être qualifiée d’œuvre ?
2.5.2.2 L’auteur est-il identifié?
2.5.2.3 Le droit d’auteur est-il éteint ?
2.5.3 Le contenu de la photographie fait-il obstacle à sa diffusion ?
2.5.3.1 Les personnes photographiées sont-elles encore en vie ?
2.5.3.2 La nature du contenu impose-t-elle des restrictions d’accès ?
2.5.3.3 Classification fondée sur la communicabilité du contenu
3. Définition de critères de sélection des photographies destinées à la valorisation
3.1 Méthodologie
3.2 Critères de sélection des archives photographiques : théorie et pratique
3.2.1 Critères de tri tirés de la littérature académique et professionnelle
3.2.1.1 Critères liés au support photographique
3.2.1.2 Critères liés au contenu de l’image
3.2.2 Critères de sélection relevés par des professionnels de la photographie au cours des entretiens menés
3.2.2.1 Critères de tri proprement dits
3.2.2.2 Critères présidant à la valorisation des photographies
3.3 Proposition d’une nomenclature de critères
3.3.1 Critères écartés pour défaut de pertinence
3.3.1.1 Critères non pertinents dans le cadre d’un projet de mise en valeur
3.3.1.2 Critères non pertinents au regard des fonds concernés
3.3.2 Critères retenus et classés par importance accordée
3.3.2.1 Critères liés au support photographique
3.3.2.2 Critères liés au contenu de l’image
3.3.3 Mise en perspective avec l’outil de gestion d’archives
3.3.3.1 Critères automatisables
3.3.3.2 Critères non automatisables
3.4 Recommandations concernant la sélection des photographies
4. Propositions relatives au traitement des photographies valorisables : classement, description, indexation
4.1 Méthodologie
4.2 Principes de gestion des archives photographiques
4.2.1 Classement
4.2.2 Analyse de contenu
4.2.3 Description
4.2.3.1 Aperçu des normes et règles de description photographique
4.2.3.2 Principes de description des archives photographiques
4.2.4 Indexation
4.2.4.1 Définition et enjeux
4.2.4.2 Identification des concepts
4.2.4.3 Langages d’indexation
4.2.5 Outils de repérage
4.3 Aperçu de la gestion des archives photographiques par deux institutions valorisant des fonds d’images
4.3.1 Comité international de la Croix-Rouge
4.3.2 Musée gruérien
4.4 Gestion des archives photographiques de la justice et de la police à Fribourg
4.4.1 Traitement actuel des photographies contenues dans les fonds de la justice et de la police
4.4.2 Fonctionnalités de l’outil de gestion des archives en matière de photographie
4.5 Proposition d’une procédure de traitement des photographies
4.5.1 Création d’une collection d’images numérisées
4.5.1.1 Respect des fonds et collection
4.5.1.2 Organisation de la collection
4.5.1.3 Capture des photographies
4.5.2 Traitement des photographies
4.5.2.1 Description au niveau pièce
4.5.2.2 Indexation matière et indexation des noms de lieux
5. Recommandations concernant la valorisation, par les nouveaux médias, des photographies sélectionnées
5.1 Méthodologie
5.2 Principes relatifs à la diffusion et à la valorisation des archives photographiques
5.2.1 Définition des concepts de diffusion et de valorisation
5.2.2 Public des archives photographiques
5.2.3 Modes de valorisation
5.3 Stratégie de valorisation
5.3.1 État et valeur des fonds
5.3.2 Moyens et contraintes
5.3.3 Objectifs et contenu
5.3.4 Public visé
5.4 Nouveaux médias et valorisation
5.4.1 Web 1.0
5.4.1.1 Outils de gestion d’archives
5.4.1.2 Bases de données mutualisées
5.4.1.3 Portails institutionnels
5.4.1.4 Portails thématiques
5.4.2 Web 2.0
5.4.2.1 Blogs : importance du contenu
5.4.2.2 Réseaux sociaux : instantanéité et visibilité
5.4.2.3 Médias sociaux : plates-formes de partage
5.4.2.4 Applications mobiles : archives à portée de main
5.4.3 Nouveaux médias, nouveaux possibles
5.4.3.1 Géolocalisation
5.4.3.2 Réalité augmentée
5.4.3.3 Web-documentaire
5.4.3.4 Web des données (linked data)
5.5 Recommandations
5.5.1 Recommandations générales
5.5.1.1 Hébergement de la collection
5.5.1.2 Visibilité de la collection
5.5.1.3 Contenu associé aux photographies
5.5.1.4 Sites thématiques préexistants
5.5.1.5 Site internet dédié
5.5.2 Recommandations spécifiques pour la mise en valeur individuelle des photographies
5.5.2.1 Mise en scène des photographies
5.5.2.2 Interactivité des contenus
6. Conclusion
Télécharger le rapport complet