«  Prendre soin  » du travail: dispositifs de gestion du flux et régulations émergentes en radiothérapie

Dans différents domaines dont le domaine médical, des processus de plus en plus complexes et technicisés impliquent la participation d’un ensemble de professionnels appartenant à différents corps de métier et apportant chacun leur propre domaine d’expertise. Ceci renvoie à la notion de collectif transverse (Motté, 2012). Pour mener à bien la production attendue, l’ensemble des professionnels du collectif transverse a besoin de coopérer et d’intégrer les différents apports au travers d’un travail d’articulation (Grosjean & Lacoste 1999 ; Schmidt, 2002). L’implication d’un collectif transverse et les besoins du travail d’articulation caractérisent la pratique médicale en milieu hospitalier.

La radiothérapie est un traitement contre le cancer. Ce traitement très technique porte de forts enjeux de qualité et de sécurité du fait de l’emploi de rayons ionisants comme en témoigne la mise en avant des études sur la sécurité du patient et le renforcement des réglementations dans les centres hospitaliers. En radiothérapie, les professionnels du collectif transverse apportent de façon asynchrone et séquentielle les différents aspects du traitement. Cette configuration implique des besoins de coordination et de coopération (Schmidt, 2002), dont le travail d’articulation (Grosjean & Lacoste, 1999).

L’intégration des différents apports dans la production du traitement radiothérapeutique renvoie à la gestion du flux de travail, qui peut se faire de différentes manières au travers des dispositifs tels que des logiciels informatiques, des tableaux de bord, des dossiers, des feuilles papier stabilotées, etc. (Schmidt et al. 2007 ; Munoz, 2010). Dans ce cadre, cette thèse s’intéresse à la gestion du flux de travail entre les professionnels du collectif transverse, avec pour premier objectif de comprendre le processus de production collective du soin en radiothérapie à partir de l’étude des interactions coopératives dans la gestion du flux de travail.

Le projet d’innovation industrielle et le domaine médical concerné

Un projet de conception Informatique pour la Sûreté des Procédés et Installations en Radiothérapie (INSPIRA) 

L’objectif du projet INSPIRA : offrir une réponse technologique aux contraintes de sécurité 

L’objectif annoncé du projet faisant partie du contexte de cette recherche est la conception d’une plateforme Informatique pour la Sûreté des Procédés et Installations en Radiothérapie (INSPIRA). Ce projet veut offrir une réponse technologique aux contraintes de sécurité dans la production du soin radiothérapeutique. Concrètement, il s’agit de répondre aux enjeux de réduction des risques d’incident ou d’accident, d’amélioration des taux de guérison, et de diminution des complications, via le développement d’un ensemble d’outils informatiques soutenant l’activité des professionnels soignants. La plateforme sera constituée de plusieurs outils combinant les plus modernes technologies informatiques : un logiciel de vérification de la dose d’irradiation transmise au patient, des logiciels prédictifs des risques d’apparition de cancers secondaires lié au traitement, d’un dossier patient informatisé dédié à la radiothérapie, et d’un outil informatique de gestion du flux de travail ou outil de workflow. Certains de ces outils s’adressent à un métier de la chaîne, seuls le dossier patient informatisé et l’outil de workflow ont une visée intégrative. C’est dans l’aide à la conception de l’outil de workflow que notre travail s’insère.

Une structuration en lots impliquant différents partenaires

Il s’agit d’un projet de quatre ans financé par des subventions publiques de deux natures avec un budget total de neuf millions d’euros. Le financement provient d’Oséo, une banque publique qui finance les projets d’innovation des PME, et du pôle de compétitivité Medicen qui subventionnent des projets d’innovation jugés pertinents dans le domaine du progrès diagnostic et thérapeutique, ainsi que dans celui des hautes technologies pour la santé.

Le projet rassemble onze organismes et PME de différents domaines :
• PME éditrices de logiciels médicaux ;
• centres de soins spécialisés en radiothérapie ;
• laboratoires de recherche en calcul scientifique, épidémiologie et ergonomie.

Il est organisé de façon classique, en lots (huit au total), renvoyant à la conception des différents outils de la plateforme et à la mise en œuvre des différentes études scientifiques (p.ex. les analyses épidémiologiques de risque de second cancer lié au traitement radiothérapeutique). Un des lots est dédié à la coordination du projet. L’équipe d’ergonomes est présente en tant qu’assistance à maîtrise d’œuvre pour la PME « éditrice de logiciel » spécialisée dans le développement de l’application de gestion du flux de travail (ou outil de workflow).

Le positionnement de l’équipe d’ergonomes dans le projet

Une demande initiale porteuse d’une vision techno-centrée de la sécurité du soin

La demande initiale de participation à la conception d’un outil de workflow adressée à l’équipe d’ergonomie du Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) du CNAM, enregistrée est marquée par une vision techno-centrée de la production de la sécurité et de la qualité du traitement . L’Homme y est perçu comme un facteur d’infiabilité. Le « risque zéro » est censé être atteint par une augmentation de la vérification et du contrôle automatique via les logiciels. De plus, en tant que produit issu de l’innovation industrielle, il existe un enjeu commercial important en lien avec le succès commercial du produit final. Cet enjeu commercial implique un besoin de conception d’un produit adoptable et adaptable par le plus grand nombre de centres de radiothérapie. Pour cette raison, les partenaires du projet attendaient initialement les ergonomes dans le dernier lot du projet, dans une perspective d’évaluation ergonomique des interfaces de la plateforme. En effet, le label « ergonomique » des interfaces est perçu par les entreprises comme un important levier concurrentiel, et plus   pour les PME du projet soumises à de forts enjeux économiques et commerciaux. Dans ce cadre, en amont du démarrage du projet, l’équipe d’ergonomes a dû négocier son positionnement au sein des lots. Compte tenu de la nature coopérative de la production du soin radiothérapeutique, il a été décidé d’un positionnement dans un lot intégrateur, celui portant sur la conception de l’outil de workflow. Ce type d’outil vise souvent à soutenir la transmission asynchrone d’informations (Terssac & Bazet, 2007) entre des professionnels engagés dans un travail collectif, ce qui nous le verrons, est le cas de la radiothérapie.

Les outils de workflow ont pour fonction d’ordonner le déploiement de l’activité de travail dans le temps et dans le cadre d’un processus prédéfini (Winograd, 1994 ; Bowers, Button & Sharrock, 1995). Ces logiciels sont des outils informatiques qui permettent la transmission d’informations entre individus (Terssac & Bazet, 2007). Ils sont déployés dans le but de contrôler et de suivre l’avancement de projets en général, des dossiers patients dans le cas de la radiothérapie. Ici, l’objectif prescrit de l’introduction de ce type d’outil est d’assurer le flux d’information entre les étapes du processus de traitement et de soutenir la coordination entre les différents professionnels de la chaine de traitement (Levan, 1999). Les outils de workflow sont souvent pensés en termes de soutien à la coordination prescrite. Ils cristallisent des modèles de « processus de travail » correspondant à une vision prescrite du processus de coordination entre les partenaires du travail collectif (Winograd, 1994). Il existe un risque de rigidification des processus de travail pouvant contrarier profondément l’atteinte des objectifs de performance (Suchman, 1995).

Une demande reformulée portant sur le soutien au travail collectif pour la production du soin de qualité 

La demande reformulée concerne la définition d’un outil de gestion du flux de travail qui soit cohérent avec les pratiques professionnelles en vigueur, avec les objectifs des soignants et l’élaboration du soin de qualité.

Dans la perspective d’enrichir les objectifs du projet et les solutions envisagées, les exigences générales de l’outil à concevoir ont pu être redéfinies, afin de de passer :
● d’un point de vue uniquement techno-centré : l’outil doit soutenir la transmission de données automatiques (i.e. des dossiers patients informatisés) entre les différents professionnels de la chaîne ;
● à un point de vue centré sur l’activité : l’outil doit soutenir l’activité de production collective d’un soin de qualité, en répondant aux exigences de sécurité, de qualité du traitement, ainsi que de préservation de la santé des patients et des professionnels (Barcellini, Munoz & Nascimento, 2010).

Ainsi, la demande initiale portant sur la définition d’un outil soutenant le transfert des dossiers ou « portage d’informations » pour la qualité du traitement, évolue vers à la définition d’un outil qui devra soutenir les activités collectives dans le but d’améliorer le travail collectif, la sécurité, et la qualité du soin (Terssac & Bazet, 2007 ; Caroly & Barcellini, 2013).

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Table des matières

INTRODUCTION
CONTEXTE DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 1. LE PROJET D’INNOVATION INDUSTRIELLE ET LE DOMAINE MEDICAL CONCERNE
1 UN PROJET DE CONCEPTION INFORMATIQUE POUR LA SURETE DES PROCEDES ET INSTALLATIONS EN RADIOTHERAPIE (INSPIRA)
1.1 L’OBJECTIF DU PROJET INSPIRA : OFFRIR UNE REPONSE TECHNOLOGIQUE AUX CONTRAINTES DE SECURITE
1.2 UNE STRUCTURATION EN LOTS IMPLIQUANT DIFFERENTS PARTENAIRES
1.3 LE POSITIONNEMENT DE L’EQUIPE D’ERGONOMES DANS LE PROJET
1.3.1 Une demande initiale porteuse d’une vision techno-centrée de la sécurité du soin
1.3.2 Une demande reformulée portant sur le soutien au travail collectif pour la production du soin de qualité
1.3.3 Le périmètre d’action déployé pour enrichir la conception de l’outil de workflow
1.3.3.1 L’apport dans le projet de conception des besoins utilisateurs et des spécifications fonctionnelles issus de l’analyse de l’activité
1.3.3.2 L’évaluation itérative du prototype de l’outil de workflow
2 LA RADIOTHERAPIE, LE DOMAINE MEDICAL CIBLE PAR LE PROJET
2.1 UN DOMAINE ONCOLOGIQUE MARQUE PAR DES EXIGENCES SOCIALES ET REGLEMENTAIRES DE SECURITE ET DE QUALITE
2.2 L’IMPLICATION D’UN COLLECTIF TRANSVERSE ET L’IMPORTANCE DES TECHNOLOGIES
2.2.1 Phases du processus radiothérapeutique
2.2.2 Une diversité d’outils soutenant le travail dans les différentes phases et le transfert entre les phases
2.3 LA PRODUCTION DU SOIN EN RADIOTHERAPIE : LA MOBILISATION D’UN COLLECTIF TRANSVERSE NECESSITANT D’ETRE SOUTENUE
CADRE THEORIQUE
CHAPITRE 2. LA PRODUCTION COLLECTIVE DE LA QUALITE
1 LA QUALITE EN MILIEU DU SOIN : AU-DELA DE LA QUALITE DU SOIN, LA QUALITE DU PROCESSUS DE PRODUCTION DU SOIN
1.1 DE LA QUALITE DU SOIN
1.1.1 La qualité en milieu du soin : une réponse aux attentes sociales et réglementaires de qualité et de sécurité du traitement
1.1.1.1 Définition de la notion de qualité
1.1.1.2 Une exigence sociale grandissante de qualité et de maîtrise des coûts
1.1.1.3 Une réglementation pour la qualité du soin, l’accréditation des centres et la démarche qualité
1.1.2 Les dimensions de la qualité du soin
1.1.3 La traduction collective du cadre réglementaire dans l’élaboration du soin
1.2 … A LA QUALITE DU PROCESSUS DE PRODUCTION DU SOIN ET SES DIMENSIONS : L’EFFICACITE ET LA SECURITE DU TRAITEMENT (CURE) ET LE « PRENDRE SOIN »
1.2.1 La qualité et l’efficacité du traitement (cure)
1.2.1.1 Deux dimensions interdépendantes
1.2.1.2 Les trois critères d’efficacité et de sécurité en radiothérapie
1.2.2 Le care, « prendre soin » du patient et au-delà
1.2.2.1 « Prendre soin » du patient
1.2.2.2 « Prendre soin » des situations de travail singulières
1.2.2.3 « Prendre soin » du travail collectif
2 LA QUALITE DU TRAVAIL. UN TRAVAIL « BIEN FAIT » « A DE LA VALEUR », FAIT SENS ET EST DEFENDABLE PAR QUI LE REALISE
2.1 LA REDEFINITION DES BUTS POUR UN TRAVAIL DE QUALITE
2.2 LES ASPECTS COLLECTIFS DU TRAVAIL ET LA QUALITE DU TRAVAIL
CHAPITRE 3. « PRENDRE SOIN » DU TRAVAIL COLLECTIF POUR LA QUALITE DU TRAVAIL
1 LE TRAVAIL COLLECTIF : « PRENDRE SOIN» DE LA COOPERATION ET DU TRAVAIL D’ARTICULATION POUR LA QUALITE DU TRAVAIL
1.1 LE TRAVAIL COLLECTIF, DEFINITION ET FORMES
1.1.1 La coopération et la coordination : la place des interdépendances
1.1.2 Les contributions des différents métiers : le collectif transverse
1.1.3 Le travail d’articulation : intégrer les apports des différents professionnels en s’adaptant à la variabilité
1.1.3.1 Intégrer les contributions de façon structurée en situation nominale
1.1.3.2 Intégrer les contributions en situation non nominale ou d’exception au modèle structuré soutenant le travail d’articulation
1.1.3.3 La mise en place du travail d’articulation
1.2 DES CONDITIONS POUR RENDRE POSSIBLE LE TRAVAIL COLLECTIF
1.2.1 Etablir une synchronisation cognitive et opératoire
1.2.2 Partager collectivement des règles de travail
1.2.3 Réguler collectivement pour un travail d’articulation en situation non nominale ou d’exception
1.3 TRAVAIL COLLECTIF ET FIABILITE
1.3.1 Une approche anticipatrice porteuse d’une conception positive de la fiabilité
1.3.2 Anticiper des situations dysfonctionnelles ou la résilience en situation « standard » ou nominale
2 GUIDER, ANCRER ET MEDIATISER LA COOPERATION ET LE TRAVAIL D’ARTICULATION : UN ENVIRONNEMENT PHYSIQUE SEMIOTISE
2.1 LA DISTRIBUTION DE LA COGNITION ENTRE L’HOMME ET L’ENVIRONNEMENT
2.2 AMENAGER L’ENVIRONNEMENT POUR SOUTENIR LA COOPERATION ET LE TRAVAIL D’ARTICULATION
2.2.1 L’asservissement physique de l’environnement de travail
2.2.2 La sémiotisation de l’environnement à partir de l’élaboration et du partage des signes
2.3 LA MEDIATISATION DE L’ACTIVITE PAR LA MOBILISATION DE L’ENVIRONNEMENT
2.3.1 Des signes de l’environnement amenant de l’activité d’autrui dans sa propre activité
2.3.2 Des instruments qui médiatisent l’action
3 LES PROCESSUS DE FLUX DE TRAVAIL ET SES OUTILS. L’OUTIL DE WORKFLOW POUR ASSISTER LA COORDINATION ET LE TRAVAIL D’ARTICULATION VIA L’INFORMATISATION
3.1 COMBINER LE SOUTIEN DU PROCESSUS NORMATIF ET LES PRATIQUES DE REGULATION EMERGENTE
3.1.1 Des outils qui médiatisent et qui formalisent la coopération et le travail d’articulation
3.1.1.1 Médier la transmission des données
3.1.1.2 Réguler et formaliser l’interaction par une régulation prescriptive
3.1.2 Les limites de penser les outils de workflow comme un soutien unique au modèle normatif du processus
3.1.3 L’intégration des approches prescriptive et émergente
3.2 PENSER ET CONCEVOIR L’INFORMATISATION DU PROCESSUS DE GESTION DU FLUX DE TRAVAIL
3.2.1 Penser le modèle normatif du processus à soutenir
3.2.2 Mettre en lumière les exceptions : les situations incidentelles ou présentant de la variabilité
3.2.3 Analyser les stratégies de régulation émergente
3.3 QUELLES CARACTERISTIQUES POUR LES OUTILS DE WORKFLOW CONÇUS ?
3.3.1 Une flexibilité adaptée aux enjeux de production
3.3.2 Des outils permettant le partage cognitif d’un environnement commun de travail
PROBLEMATIQUE ET STRATEGIE DE RECHERCHE. VERS LA COMPREHENSION DU « PRENDRE SOIN » DU TRAVAIL A TRAVERS L’ETUDE DE LA GESTION DU FLUX DE TRAVAIL
CHAPITRE 4. PROBLEMATIQUE
CHAPITRE 5. OBJECTIFS ET STRATEGIE GENERALE DE RECHERCHE
CONTRIBUTIONS EMPIRIQUES
CHAPITRE 6. LE DISPOSITIF DE GESTION DU FLUX (DGF) : STABILISER ET SOUTENIR LE « PRENDRE SOIN » DU TRAVAIL D’ARTICULATION EN SITUATION NOMINALE
CONCLUSION

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