Le cancer du sein métastatique (CSM) est la deuxième cause de décès par cancer chez les femmes dans les pays occidentaux [1]. Malgré les récents progrès réalisés pour les tumeurs présentant une surexpression de ERBB2, l’évolution des autres phénotypes ne s’est guère améliorée ces dernières années et le taux de survie à 5 ans pour le CSM reste faible (26 %) [2]. La voie de la phosphatidylinositol-3-kinase (PI3K)/AKT/cible mammifère de la rapamycine (mTOR) est fréquemment activée dans les cancers du sein HER2-négatifs [3]. Elle est associée à la carcinogenèse du sein, à la positivité des récepteurs hormonaux, à la survie et à la résistance aux hormonothérapies [4,5]. De plus, elle peut jouer un rôle dans la résistance à la chimiothérapie, y compris les taxanes qui sont les principaux médicaments cytotoxiques utilisés pour le CSM [6]. À ce jour, l’alpélisib est le seul traitement ciblant PI3K qui a été décrit comme améliorant la survie dans le cadre des CSM en association avec une hormonothérapie [7]. Son efficacité est limitée aux tumeurs ayant une mutation de PI3KCA. D’autres molécules ciblant cette voie sont en cours de développement, comme les inhibiteurs d’AKT. LY2780301 est un double inhibiteur de la p70S6 kinase et d’AKT, qui s’est révélé sûr en monothérapie [8], ainsi qu’en association avec la gemcitabine pour les tumeurs solides avancées présentant des altérations de la voie PI3K/AKT/mTOR [9]. L’essai de phase IB/II (TAKTIC) a évalué l’innocuité et l’efficacité de l’association LY2780301-paclitaxel chez les patientes ayant un CSM HER2- négatif, avec un taux de réponse objective (ORR) à 6 mois de 63% pour l’ensemble de la population et 56% pour les 18 patientes avec altération de la voie PI3K/AKT/mTOR [10]. D’autres inhibiteurs de d’AKT ont été étudiés pour traiter le cancer du sein. L’association ipatasertib-paclitaxel n’a pas permis d’améliorer les taux de réponse pathologique après un traitement néoadjuvant dans le cancer du sein triple négatif précoce [11], mais augmente la survie sans progression (SSP) en cas de phase métastatique pour ces même tumeurs triplenégatives [12], tout comme le capivasertib [13]. Le Capivasertib n’a pas amélioré la SSP que cela soit dans l’ensemble de la population, ou dans le sous groupe des tumeurs mutées PIK3CA, lorsqu’il est combiné au paclitaxel pour les CSM HER2-négatif et récepteur oestrogénique positif [14]. Combiné au fulvestrant, dans le même contexte, il permet une amélioration de la SSP [15]. Cependant, les altérations de la voie PI3K/AKT/mTOR ne sont pas prédictives de l’efficacité du traitement.
L’étude de l’ADN tumoral circulant (ADNtc) permet de surveiller la réponse ainsi que la résistance aux thérapies systémiques et permet de mieux documenter l’hétérogénéité tumorale que les biopsies tissulaires [16]. Pour le cancer du sein, il a été démontré que les variations de l’ADNtc sont plus sensibles pour détecter les modifications d’évolution de la maladie que les marqueurs tumoraux actuellement utilisés tels que le Ca15-3 [17,18]. Des résultats similaires ont été publiés pour de nombreux sites tumoraux dont le cancer du poumon [19] et le cancer colorectal [20]. L’ADNtc est également un marqueur prédictif de l’efficacité de certains traitements, comme dans le cas du cancer du poumon non à petites cellules, non épidermoïde avec la mutation T790M de l’EGFR, pour lequel l’osimertinib peut être administré sur la simple base d’une analyse plasmatique [21]. En ce qui concerne le CSM, la Food and Drug Administration (FDA) a récemment approuvé l’alpelisib et un test compagnon (le kit therascreen® PIK3CA RGQ PCR) pour détecter les mutations PIK3CA dans du tissu et/ou du plasma. Les analyses plasmatiques de l’essai SOLAR1 ont en effet montré que l’efficacité de l’alpélisib peut être prédite par les résultats de l’ADNtc [22]. Le Hazard ratio (HR) de la PFS était de 0,55 (95% CI 0,39 0,79) pour les patientes ayant une mutation de PIK3CA mise en évidence dans l’ADN plasmatique contre 0,80 (95% CI 0,60-1,06) pour les patientes sans mutation de PIK3CA dans le plasma.
MATERIEL ET METHODES
Plan d’étude, patientes et collecte d’échantillons
TAKTIC est une étude prospective, multicentrique (6 hôpitaux), nationale, non contrôlée, de phase IB/II. Toutes les patientes ont donné leur consentement éclairé par écrit. Conformément à la réglementation française, le protocole d’étude a été approuvé par le comité d’éthique (Comité de Protection des Personnes Sud Méditerranée I) et l’autorité sanitaire française (ANSM) et a été enregistré comme requis (N°EUDRACT 2013-000585-12, NCT01980277). Les détails de cette étude ont été présentés précédemment [10]. En bref, les patientes atteintes d’un CSM HER2-négatif, avec (phase Ib) ou sans (phase II) traitement cytotoxique préalable pour la maladie avancée, étaient éligibles. L’objectif de la phase IB était de déterminer la dose maximale tolérée (DMT) et la dose recommandée en phase 2 (DRP2) de LY2780301 oral (400 ou 500 mg) administrées quotidiennement en combinaison avec le paclitaxel hebdomadaire intraveineux (70 ou 80 mg/m2), tandis que la phase II visait principalement à déterminer l’efficacité de la combinaison, à la fois dans la population globale et chez les patientes ayant une activation de la voie PI3K/AKT/S6 (PI3KAKT+). Le PI3KAKT+ a été défini comme l’identification d’une mutation de PIK3CA et/ou AKT1 par séquençage de nouvelle génération (NGS) ciblé ou la perte homozygote de PTEN par hybridation génomique comparative en réseau (CGHarray) ou par immunohistochimie. L’évaluation tumorale se faisait au cycle 3 jour 1 (C3J1) puis tous les 2 cycles jusqu’à la progression de la maladie ou fin du traitement, en utilisant les critères RECIST 1.1. Dans le cadre de l’étude, des échantillons de sang périphérique ont été prélevés dans quatre tubes EDTA de 5 ml à l’inclusion ou au début du cycle 1 jour 1 (C1J1), à C3J1 (c’est-à-dire après 7 semaines de traitement), et à la progression/fin de traitement.
Étude de l’ADN tumoral circulant plasmatique
Tous les échantillons de plasma ont été conservés à -80°C au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM) après avoir été centrifugés dans les 2 heures suivant le prélèvement sanguin. L’ADN libre circulant (ADNcf) a été extrait du plasma à l’aide de la plateforme Maxwell® RSC Instrument et du Maxwell® RSC circulating cell-free DNA Plasma Kit (Promega™) conformément aux instructions du fabricant. L’ADNcf plasmatique extrait de chaque échantillon a été quantifié par le fluorimètre Qubit (kit d’ADN ds de Qubit HS, ThermoFisher Scientific ™).
Dans un premier temps, nous avons analysé l’ADNtc plasmatique en ciblant les anomalies mono-nucléotidiques par ddPCR (droplet digital PCR, BioRad QX200®). Chaque gouttelette était constituée d’ADNcf avec les sondes pour le loci d’intérêt et le milieu réactionnel pour la Polymerase Chain Reaction (PCR). Les sondes qui se fixent sur le variant et celles sur l’ADN non muté portent un fluorochrome différent ce qui permet de les distinguer et de les compter. Nous avons utilisé une quantité d’ADNfc plasmatique de 1ng par expérience. Le monitoring de l’ADNtc plasmatique était basé sur le suivi des mutations hotspot PIK3CA, AKT1 et TP53 qui avaient été précédemment identifiées sur les échantillons de tumeurs. Chaque point a été analysé au moins sur deux réplicas. Les données de ddPCR ont été analysées avec le logiciel d’analyse QuantaSoft (version 1.7.4). Les résultats sont présentés sous forme de pourcentage, nombre de fraction d’allèles d’ADN mutants cibles par rapport au total d’allèles d’ADN (mutant + type sauvage). Les données issues des réplicas ont été combinées pour l’analyse des fractions de variant allélique (VAF) et un minimum de deux gouttelettes positives par allèle muté ont été nécessaires pour obtenir un point positif [23]. (Figure 1) Dans un second temps, nous avons étudié ces mêmes échantillons, en ciblant les anomalies structurelles de l’ADNtc plasmatique, en utilisant une analyse par séquençage du génome entier à faible couverture (low coverage whole genome sequencing ou LC-WGS). (Figure 2) La constitution des librairies a été réalisée à l’aide d’un kit Diagenode disponible dans le commerce (MicroPlex Library Preparation Kit v2) conformément aux instructions du fabricant. La quantité d’ADNcf plasmatique utilisée était de 5 ng / préparation de librairie. La qualité et la quantité de chaque librairie ont été évaluées respectivement par Agilent 2200 TapeStation system (Agilent HS D1000 Assay kit) et par fluorimètre Qubit (kit Qubit TM dsDNA BR Assay, ThermoFisher Scientific ™). Chaque librairie a ensuite été ramenée à 4 nano-molaires avant d’être poolée en quantités équimolaires (12 librairies par mix). Conformément aux instructions du fabricant, tous les mix de librairies ont été séquencés sur un séquenceur de nouvelle génération (NGS), NextSeq500® d’Illumina (San Diego, CA, USA) avec une moyenne de profondeur de couverture de 0,4×, générant des lectures de 2*75 paires de base (pb). Nous avons déterminé pour chaque point une évaluation de la fraction d’ADNcf issu des cellules tumorales (TF, la fraction tumorale). Les reads obtenus à l’issue du séquençage ont été alignés sur le génome de référence humain (hg19) à l’aide du logiciel bwa (version 0.7.15-r1140). L’alignement a ensuite été traité, de façon à enlever les dupliquas de séquences avec le logiciel Picard (version 2.9.2). Ensuite, un fichier wig contenant le nombre de reads pour des intervalles réguliers de 50000 bp a été généré avec le logiciel readCounter.
Caractéristiques des patientes
Au total, 12 et 35 patientes ont été inscrites et traitées respectivement dans la partie de la phase IB et la partie de la phase II entre janvier 2014 et juin 2017. Au moins un échantillon de plasma était disponible chez 43 des 47 patientes (93,5%) avec 31 patientes de phase II (Figure 3). Des échantillons de plasma étaient disponibles au départ, à C3J1 et à progression chez 39 patientes (12 de phase IB et 27 de phase II), 35 patientes (11 de phase IB et 24 de phase II) et 21 patientes (7 de phase IB et 14 de phase II) respectivement. La progression correspondait au C3J1 chez 2 patientes. Les caractéristiques démographiques des 43 patientes pour lesquelles au moins un échantillon de plasma était disponible, étaient similaires à celles des 47 patientes incluses dans l’essai TAKTIC. Cette cohorte était constituée de femmes dont la moyenne d’âge était de 50,6 ans. La majorité était des carcinomes canalaires infiltrant (79%), récepteurs hormonaux (RH) positif (91%). Environ 50% avait ⩾3 sites métastatiques et 91% avait une atteinte viscérale. Une hormonothérapie et une chimiothérapie dans un contexte métastatique avant inclusion ont été rapportées respectivement chez 28% et 25,6% des patientes. L’efficacité de la combinaison LY2780301-paclitaxel était similaire dans le sous-groupe de 43 patientes par rapport à l’ensemble de la population de l’essai TAKTIC (ORR : 64,28% [49,96%-78,6%] et une SSP médiane de 9 mois [7,49-14,75]). Une activation de la voie PI3K/AKT/S6 a été mise en évidence dans les échantillons de tissus de 19 patientes. Les gènes PIK3CA et AKT1 étaient mutés respectivement dans 12 et 5 cas. Une délétion homozygote de PTEN en immunohistochimie était rapportée dans 4 cas. Le gène de TP53 était muté chez 6 patientes dont 4 étaient associées à une mutation du gène de PIK3CA ou AKT1.
Évaluation pronostique de l’ADNcf initial
Un échantillon de plasma initial était disponible chez 39 patientes. Aucun échec d’extraction de l’ADNcf n’a été rapporté. La concentration moyenne d’ADNcf était de 36,2 ng/ml de plasma (médiane : 9,7 ng/ml de plasma [2,2- 579,6]). Nous n’avons pas mis en évidence de corrélation significative entre la concentration d’ADNcf à l’inclusion et la SSP, mais il existe une légère tendance, avec un risque relatif de 1,03 [0,995-1,064] p=0,0928, par augmentation de 10ng/ml de plasma.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME