On désigne communément par le terme vagues les ondes de gravité générées sous l’effet du vent soufflant à la surface de l’océan, et se déplaçant à l’interface océan-atmosphère. Leurs périodes caractéristiques sont de l’ordre de 1 à 30 secondes et leurs longueurs d’onde, de quelques dizaines de centimètres à quelques centaines de mètres. Pour décrire l’état de mer observé sous l’influence de ces vagues, on distingue généralement entre la mer du vent, engendrée sous l’action du vent local, et la houle issue de la propagation de trains de vagues générés ailleurs, dans des régions parfois situées à des dizaines de milliers de kilomètres de la zone d’observation. Ces deux systèmes peuvent coexister sur une même zone. La houle présente un aspect plus régulier que la mer du vent, avec un contenu énergétique moins étalé en fréquence et en direction.
La propagation de ces vagues à la surface du globe suscite l’intérêt depuis toujours, notamment du fait de ses répercussions sur les activités humaines. En premier lieu, les dangers que représentent les tempêtes pour la navigation ou les infrastructures côtières ont motivé l’accumulation de connaissances, au début qualitatives, pour prévoir leur apparition et leur trajectoire. En ingénierie, le calcul des forces hydrodynamiques est essentiel au dimensionnement et à l’étude du comportement des structures en mer (navires, plateformes). Les vagues jouent par ailleurs un rôle clé dans la géomorphologie littorale, dans des processus susceptibles de modifier le paysage tels que l’érosion côtière, le transport ou l’accumulation de sédiments, etc. On peut également citer leur contribution au fonctionnement général du système climatique, la constitution de bases de données océanoclimatiques participant alors à une meilleure compréhension des phénomènes à l’œuvre. Enfin et pour clore cet inventaire non exhaustif, plutôt qu’un facteur de risques certains observateurs voient dans le mouvement des vagues un formidable gisement d’énergie renouvelable. Les tentatives pour récupérer une partie de ce potentiel essaiment ainsi depuis plus de deux siècles, sans être arrivées pour l’instant jusqu’au stade du développement commercial. De tels projets sont en effet confrontés à des difficultés d’ordre technique (efficacité et robustesse des machines) aussi bien qu’économique (coûts élevés de déploiement, de raccordement et de maintenance).
Introduction à la prédiction déterministe de houle
Contexte
Le terme générique de « prévision des vagues » recouvre ainsi l’étude des processus de génération, propagation et dissipation des vagues à l’aide de modèles numériques et de données d’observation. Elle peut être utilisée dans un cadre purement académique comme en opérationnel. Dans son acception la plus large, la discipline met en jeu de nombreux phénomènes physiques, tels que le forçage des vagues par le vent via les interactions aireau, les interactions non linéaires des vagues entre elles, le moutonnement ou encore la modification des vagues sous l’influence de la bathymétrie et des courants, etc. L’enjeu est de choisir ceux qu’il est pertinent de prendre en compte suivant l’application visée et de trouver comment les reproduire efficacement.
Dans ce domaine, on distingue classiquement entre la modélisation stochastique et la modélisation déterministe, deux termes recouvrant des approches différentes du problème.
La modélisation stochastique fournit des informations sur l’état de mer sous une forme statistique. L’état de mer est caractérisé par son spectre de vagues, qui donne la répartition de l’énergie suivant les fréquences et directions de propagation des vagues qui le composent. L’approche stochastique vise alors à rendre compte de l’évolution de ce spectre dans le temps et dans l’espace. Elle repose sur un bilan global d’énergie, modélisant les différents processus à l’œuvre au moyen de termes sources. Cette famille de modèles est la première développée pour permettre la description d’états de mer réalistes, et est restée jusqu’à récemment la seule option viable dans ce domaine. Elle est adaptée à de grandes échelles spatio-temporelles de simulation (modèles globaux ou régionaux, pas de temps de l’ordre de plusieurs minutes) et s’appuie sur des moyens de mesure aujourd’hui bien maîtrisés : mesures et rejeux de vents, bouées, satellites, etc. Elle n’est en revanche pas capable de conserver l’information sur la phase des vagues, indispensable à une description précise de la surface libre. Pour cette raison, les modèles de cette famille sont également appelés « à phase moyennée ».
La modélisation déterministe, quant à elle, résout numériquement les équations de propagation pour des écoulements à surface libre. On considère ici un état de mer stable du point de vue de son contenu énergétique, c’est-à-dire qu’on néglige généralement les processus de génération et de dissipation des vagues pour se concentrer sur la propagation. Cette approche conserve l’information sur la phase des vagues, et est ainsi capable de fournir une description spatio-temporelle de la forme précise de l’élévation de surface libre, au prix cependant d’un coût en calcul beaucoup plus élevé. En conséquence, les échelles spatio-temporelles en jeu ici sont au maximum de l’ordre de la dizaine de kilomètres carrés et de l’heure, un cadre plus restreint que l’approche stochastique. Du fait de ses besoins en puissance de calcul et en données d’entrée (plus détaillées que pour une description statistique), la modélisation déterministe est ainsi longtemps restée cantonnée à l’étude théorique de certains phénomènes, ou à la reproduction numérique d’essais en bassin. Son utilisation à des fins de prédiction s’est développée plus tardivement.
Dans la première approche, en raison de la nature probabiliste des informations fournies, on utilise plutôt le terme de « prévision » de vagues. Dans la deuxième, l’objectif étant la description sans ambiguïté de l’état de mer, on peut parler de « prédiction », même si celle-ci peut toujours s’avérer de mauvaise qualité dans le cas où les données d’entrée ou le modèle présentent des défauts.
Historiquement[1], les premiers travaux sur la modélisation des vagues se sont intéressés à l’approche déterministe avec, dans la seconde moitié du XIXème siècle, la théorie des vagues linéaires d’Airy, la prise en compte par Stokes d’ordre de non-linéarité plus élevés, ou les apports de Boussinesq sur les ondes longues en faible profondeur. Ces avancées significatives ont permis une meilleure compréhension de la physique sous-tendant la propagation de vagues régulières en régime établi. Les états de mers réels, cependant, sont formés de vagues irrégulières générées par le vent, évoluant dans le temps et l’espace, et se propageant dans de multiples directions. Du fait de la complexité des phénomènes à reproduire, de la difficulté de résoudre numériquement les équations, mais également de l’absence de lien entre la théorie et les (rares) données d’observation disponibles à l’époque, cette approche déterministe est ainsi restée sans applications immédiates en termes de prédiction.
La modélisation réaliste des états de mer a démarré avec l’essor des modèles de vagues stochastiques, dont les équations étaient accessibles à la résolution numérique pour les moyens de l’époque. Leur développement a été accéléré par le regain d’intérêt pour la prévision opérationnelle de houle au milieu du XXème siècle. La planification du débarquement allié à la fin de la Seconde Guerre mondiale avait en effet mis en évidence d’importantes lacunes dans la compréhension des mécanismes de génération, propagation et dissipation des vagues. Dans leur étude publiée après-guerre, Sverdrup et Munk (1947) intègrent alors ces thématiques et proposent une approche moderne de la prévision, généralisant les progrès réalisés par le premier service de prévision des vagues au Maroc dans les années 1920 (Gain, 1918; Montagne, 1922). Les travaux de Sverdrup et Munk (1947) sont orientés vers une description paramétrique des états de mer, avec notamment l’introduction de la notion de « hauteur significative » des vagues ( et opèrent une synthèse entre résultats théoriques et observations empiriques. Ils relient les caractéristiques moyennes des vagues observées (hauteurs, périodes) aux conditions de vent rencontrées (vitesse, fetch, durée).
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Table des matières
Introduction générale
1 Introduction à la prédiction déterministe de houle
1.1 Contexte
1.2 Approche stochastique
1.2.1 Description spectrale des états de mer
1.2.2 Principe de fonctionnement
1.2.3 Atouts et limites
1.3 Approche déterministe
1.3.1 Enjeux
1.3.2 Fonctionnement général
1.4 Moyens de mesure déterministes
1.4.1 Mesures ponctuelles
1.4.2 Mesures de champs
1.5 Méthodologies pour la prédiction déterministe
1.5.1 Formulation du problème de propagation et non-linéarités
1.5.2 Modèles linéaires
1.5.3 Modèles partiellement non-linéaires
1.5.4 Modèles non-linéaires
1.6 Bilan
2 Méthode de prédiction proposée
2.1 Introduction
2.2 Exposé de la méthode générale
2.2.1 Hypothèses
2.2.2 Principe
2.2.3 Zone de prédiction accessible
2.3 Modèle de vagues : HOS-NWT
2.3.1 Formulation du problème
2.3.2 Cœur de la méthode HOS
2.3.3 Résolution par méthode spectrale
2.3.4 Génération de la houle : condition en x0
2.3.5 Autres aspects numériques
2.3.6 Avantages du modèle choisi
2.4 Bilan
3 Renseignement de l’état de mer amont sous forme de profil de vitesse
3.1 Introduction
3.2 Moyens de mesure de vitesses en milieu océanique
3.2.1 Cahier des charges
3.2.2 Anémomètre thermique
3.2.3 Vélocimètres optiques
3.2.4 Courantomètre électromagnétique
3.2.5 Vélocimètres acoustiques
3.2.6 Choix d’une technologie de mesures
3.3 Reconstruction de U à partir de mesures par ADCP
3.4 Influence des paramètres de mesures sur la qualité du profil de vitesse reconstruit
3.4.1 Génération des données de référence
3.4.2 États de mer étudiés
3.4.3 Indicateurs d’erreur
3.4.4 Influence de l’espacement des ADCP
3.4.5 Influence de la discrétisation verticale des mesures
3.4.6 Influence de l’état de mer
3.4.7 Configuration de mesures réaliste en bassin
3.4.8 En résumé
3.5 Bilan
4 Étude numérique de la méthode de prédiction
4.1 Introduction
4.2 Principe général de vérification
4.2.1 Simulations de référence
4.2.2 Indicateurs d’erreur
4.3 Prédiction à partir d’un profil de vitesse analytique
4.3.1 États de mer testés et paramètres numériques
4.3.2 Vérification en configuration idéale
4.3.3 Étude de sensibilité de la qualité de la prédiction à la qualité de la condition aux limites
4.4 Prédiction à partir d’une condition aux limites reconstruite
4.4.1 Prédiction avec une configuration de mesures idéale
4.4.2 Prédiction avec une configuration de mesures dégradée
4.5 Bilan
5 Validation expérimentale en bassin sur de la houle irrégulière
5.1 Introduction
5.2 Dispositif expérimental et numérique
5.2.1 Montage expérimental
5.2.2 Mesures de vitesse
5.2.3 États de mer étudiés et simulations de référence
5.3 Analyse des données expérimentales
5.3.1 Réflexion
5.3.2 Qualité générale des mesures
5.4 Reconstruction de la condition aux limites
5.4.1 Traitement des données d’ADCP
5.4.2 Reconstruction de la vitesse horizontale
5.4.3 Évaluation de la vitesse horizontale reconstruite
5.5 Prédictions d’élévation de surface libre
5.5.1 Simulations de prédiction
5.5.2 Zone de prédiction accessible
5.5.3 Erreur moyenne de prédiction
5.5.4 Corrélation
5.6 Conclusion
Conclusion générale