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Impact de la situation sanitaire sur la santé mentale
L’isolement impacte la santé mentale de l’être humain. Les travaux de Cacioppo et Patrick (2008) montrent en effet la corrélation entre isolement et souffrance psychique.
« La santé et le bien-être d’un membre de notre espèce nécessitent, entre autres, d’être satisfait et en sécurité dans nos liens avec les autres, une condition de «ne pas être seul » que, faute d’un meilleur mot, nous appelons un lien social » (Cacioppo et Patrick, 2008, p. 8) Par ailleurs, Chastang et al., montrent que le caractère incertain de l’avenir, dans le contexte sanitaire actuel, génère de l’inquiétude, notamment celle de vivre dans un monde « aux règles sociales quelque peu différentes de celles dont on avait l’habitude, et dans lesquelles les vulnérabilités seront peut-être encore plus marquées » (2020, p. 448). La crise sanitaire actuelle présente un risque psycho-social important.
En outre, il est fréquent d’observer, parmi la population de patients avec troubles psychiatriques, une fragilité somatique. Celle-ci les expose à des risques de surinfections broncho-pulmonaires (Chastang et al., 2020, p.445). Par conséquent, ces patients présentent plus de symptômes d’anxiété et de stress du fait du risque d’être contaminés (Mazza et al., 2020 ; Ozamis-Etxebarria et al. 2020 ; Özdin S., Özdin, SB. 2020).
Rose, par exemple, est tombée malade en mai 2020 et présentait alors des symptômes de la Covid. Elle a été très inquiète des conséquences du fait de sa fragilité somatique, et sera finalement rassurée d’être vaccinée courant 2021. Par ailleurs, du fait de ses fragilités somatiques, le médecin de Rose lui a conseillé de rester chez elle malgré le confinement qui touchait à sa fin. Rose souffrait déjà de ne pas voir grand monde, et elle a ressenti de la tristesse pendant cet isolement.
Par ailleurs, une série d’études commencent à révéler l’impact de la situation sanitaire sur cette population spécifique mais également sur la population générale. Il semble y avoir une recrudescence de troubles anxieux pour ces deux populations. Une étude montre l’augmentation des manifestations anxieuses dans la population générale lors du premier confinement (Chan-Cheee, Léon, Lasbeur, Lecrique, Raude, Arwidson, du Roscoät, 2020). Daaboul, Tamouza et Leboyer (2021) mentionnent de nombreuses données qui appuient l’hypothèse de conséquences psychopathologiques de la COVID-19 sur l’être humain. Ces observations pourraient s’expliquer d’une part, par un facteur de vulnérabilité spécifique des patients en psychiatrie adulte, notamment un terrain immuno-inflammatoire particulier. D’autre part, des facteurs de stress psychosociaux relatifs à la pandémie pourrait créer une inflammation secondaire, favorable au développement de troubles psychiatriques et neurologiques.
Nous devons donc être particulièrement attentifs à l’impact de la situation sanitaire, notamment l’augmentation de la prévalence des troubles anxieux et dépressifs dans la population générale mais également celle des institutions psychiatriques.
Nous allons voir comment se manifestent les troubles anxio-dépressifs et les nouvelles formes cliniques qui apparaissent depuis la pandémie.
Les troubles dépressifs.
Définitions de la dépression et de l’humeur
Comme le souligne Barnhill, le terme dépression est l’un des plus usités en psychiatrie tout en étant l’un des plus ambigus.
« En tant que symptôme, ce terme peut signifier de la tristesse, mais en tant que diagnostic, il peut être appliqué à des personnes qui disent ne pas se sentir triste. L’humeur dépressive est un vécu humain commun et normal mais il s’agit également d’une affection très invalidante, générant de la souffrance et potentiellement fatale » (Barnhill, 2016, p.59).
André (2002), définit la dépression comme étant un trouble de l’humeur caractérisé par une tristesse pathologique, l’humeur étant, selon lui, « cette disposition fondamentale du psychisme qui fait que l’individu se sent gai ou triste, qu’il est dans l’agréable ou le désagréable, le plaisir ou le déplaisir » (2002, p. 51). Dardennes et Al Anbar (2017) complètent cette définition en précisant que, contrairement à l’émotion, qui est de durée brève et suscitée par un événement (donc avec objet), l’humeur est sans objet et se maintient sur la journée et d’une journée à l’autre.
Lorsqu’elle se prolonge, l’humeur triste devient pathologique et est alors appelée humeur dépressive. La dépression s’installe et la personne perd de ses capacités et de sa joie de vivre (Ibid.). L’humeur dépressive est associée à une tristesse prolongée, à des émotions de peur, d’anxiété, à une émotivité exacerbée et à une incapacité à éprouver du plaisir, l’anhédonie. A force, la tristesse entrave la façon d’être en relation de l’individu et impacte l’ensemble de sa vie en touchant les sphères de sa vie affective, sociale, professionnelle et somatique (Ibid.).
J’invite le lecteur à se référer à l’Annexe V afin d’étudier les critères diagnostics du DSM-5 de l’état dépressif caractérisé plus en détail.
Sémiologies générale et psychomotrice de la dépression
Selon André (2002), la dépression peut conduire à un désinvestissement de son existence. Elle est cause d’une grande souffrance morale et d’anxiété qui peuvent générer des idées de mort et de suicide. Des troubles du sommeil et de l’appétit sont également en jeu. Le ralentissement psychomoteur est l’un des principaux signes cliniques de la sémiologie psychomotrice de la dépression.
Le ralentissement psychomoteur, souvent qualifié d’inhibition psychomotrice (Lemperière, Féline, A., Adès, J. Hardy, P., Rouillon, 2006) constitue un critère diagnostique d’un état dépressif majeur selon le DSM-5. Il vient impacter l’ensemble de la sphère psychomotrice du sujet.
Le ralentissement psychomoteur affecte la fonction de motricité globale du sujet en déséquilibrant le couple inhibition/impulsion au profit du versant inhibition. Pour André et Olivi, il est une manifestation de l’hypokinésie (trouble moteur d’origine psychique), caractérisée par une diminution de l’initiative motrice et une lenteur d’exécution des mouvements, ou bradykinésie (2018, p. 570). Sur le versant psychique, une bradypsychie, c’est-à-dire un ralentissement des fonctions cognitives, peut amener la personne à être indécise, à avoir des difficultés à planifier ses activités et à se projeter dans l’avenir et à maintenir son attention.
L’inhibition peut également se répercuter sur la motricité fine avec une augmentation des temps de réaction et des temps de mouvements sans relation avec la complexité de la tâche. La communication non-verbale est moins expressive : les gestes des mains se font rares et la motricité faciale peut être également réduite et conduire à une amimie (Dardennes et Al Anbar, 2017).
Au niveau du tonus, une hypotonie (moindre résistance des muscles à leur propre étirement) peut être observée. Elle s’associe à un sentiment de faiblesse musculaire générale (asthénie) et se répercute au niveau postural. La posture est en enroulement, le corps se replie sur lui-même. Des troubles tonico-émotionnels peuvent être constatés. Ceux-ci traduisent une difficulté d’adaptation souvent observée dans un contexte relationnel et s’expriment dans la posture, les mimiques et les gestes.
Au niveau de la sphère affective, les sentiments sont appauvris, l’affectivité est émoussée, on constate une réduction des intérêts voire, à l’extrême, une perte de plaisir (ou anhédonie) (Lemperière et al. 2006).
D’après les travaux de Buyukdura et al. (2011) et de Sasayama et al., (2012) (dans Albaret, 2018, p.332), la communication verbale et non-verbale est impactée avec une augmentation des pauses, une diminution de l’intensité vocale et de la vitesse d’élocution, une articulation réduite et une prosodie altérée. A la réduction des expressions faciales peut s’associer une fixité du regard et une diminution du temps de contact oculaire. Des mouvements peuvent également interférer dans l’expressivité du corps en se répétant sans pour autant avoir valeur de communication ; il s’agit de stéréotypies à type d’auto-contacts, qui s’observe particulièrement au niveau du visage et surviennent dans un contexte émotionnel fort.
Epidémiologie et santé publique
D’après Dardennes et Al Anbar, en 2010, la dépression était considérée comme la 2e cause mondiale de handicap.
Les épisodes dépressifs concernent de très nombreuses personnes d’horizons différents, dont la plupart ne connaîtront qu’un ou deux épisodes. Toutefois, « un tiers sera malheureusement frappé de nombreuses récidives et un sixième souffrira d’épisodes chroniques de plus de 2 ans » (2017, p. 308).
La dépression est un véritable problème de santé publique qui étend son spectre sur le monde, et ce, déjà bien avant l’épidémie de COVID-19. Ne dit-on pas de la dépression qu’elle est le « mal du siècle » ? D’après une enquête de l’Inserm (2019), « s’ils se pérennisent, les symptômes liés à la dépression vont avoir des répercussions importantes sur le plan socio-professionnel. Le risque de suicide est particulièrement élevé et concerne 10 à 20 % de ces patients ». Ces éléments sont importants à avoir en tête pour comprendre que la dépression est un véritable problème de santé publique.
De surcroît, la situation sanitaire qui accable de nombreuses personnes génère une nouvelle forme de dépression, la « dépression Covid-19 » (Nasio, 2021, 5 février).
La Dépression COVID-19
Nasio, psychiatre, psychanalyste et écrivain français, nous alerte quant à l’augmentation des consultations pour dépression depuis le début de la pandémie. Selon lui, celles-ci elles auraient été multipliées par huit en France, et par trois dans le monde, ce qui l’amène à dénommer dépression COVID-19 la vague d’épisodes dépressifs qui afflige le monde. « Toutes les mesures, bien que nécessaires, ont des conséquences néfastes sur le moral de beaucoup d’entre nous », explique-t-il (Nasio, 2021).
D’après lui, les signes sont différents de la dépression classique et la cause n’est pas la même. Alors que dans la dépression classique il s’agit d’un choc émotionnel, dans la Dépression Covid-19, il s’agirait plutôt de l’accumulation d’impacts qui s’installent dans le temps, rendant insupportable l’angoisse et l’attente. L’angoisse de la situation augmente avec le sentiment d’être acculé au désespoir et le sentiment de frustration. La tristesse s’associe alors à un agacement, voire une colère. L’agressivité se tourne vers l’extérieur et la colère peut augmenter jusqu’à ce que les patients n’en puissent plus et accusent une grande fatigue C’est à ce moment-là que s’installe la dépression Covid-19.
Formes cliniques des troubles anxieux d’après le DSM-5
Le DSM-5 regroupe dans les troubles anxieux l’anxiété de séparation, le mutisme sélectif, la phobie spécifique, l’anxiété ou phobie sociale, le trouble panique, l’agoraphobie, l’anxiété généralisée, le trouble anxieux induit par une substance et enfin, le trouble anxieux dû à une affection médicale générale.
Parmi les formes de troubles anxieux, la phobie sociale concerne Minh. Il s’agit d’une peur intense du jugement de l’autre, qui peut être invalidante, « car les évitements sociaux privent la personne phobique d’un nombre plus ou moins grand d’activités relationnelles, essentielles à son équilibre et son développement personnel » (André, 2017, p.227).
Sémiologies générale et psychomotrice des troubles anxieux
Les troubles anxieux peuvent engendrer une fatigue, des troubles du sommeil, des troubles neuro-végétatifs, gastro-intestinaux voire génito-urinaires. Ils peuvent se manifester par une sudation importante, une tachycardie, un transit intestinal accéléré, une sensation d’oppression thoracique (qui peut générer des sensations d’étouffement) et parfois une augmentation du volume urinaire (polyurie). D’autres manifestations somatiques peuvent survenir comme des céphalées, des palpitations cardiaques, des sensations d’étouffement. (Carric et Soufir, 2014)
Au niveau du tonus, une posture de repli peut s’observer avec des auto-contacts, notamment au niveau du visage. Des syncinésies toniques peuvent être relevées. Elles sont « provoquées par l’exécution d’un mouvement quelconque et se matérialisent sous forme de contraction ou de raidissement à un ou plusieurs membres » (Ibid., p.244).
La motricité peut être entravée par une agitation ou, au contraire, une inhibition au niveau de la motricité globale, et une maladresse manuelle au niveau de la motricité fine (Fovet, Hernout et Pelissolo, avril 2017). Des signes moteurs sont observés comme des tremblements ou des réactions de sursauts, s’accompagnant d’une hypertonie (augmentation de la résistance du muscle à leur propre étirement) en lien avec l’hypervigilance (Ibid.).
Des troubles psycho-comportementaux peuvent également être repérés de façon plus ou moins marquée et durable selon les individus et peuvent se manifester soit par une agitation, soit une inhibition psychomotrice, avec une diminution et augmentation de l’expression faciale, gestuelle, et de l’activité psychique et associées à une hyperémotivité.
Comorbidités et étiologie
Selon Boulenger, les recherches ont mis en évidence des comorbidités entre les différentes formes cliniques des troubles anxieux et la dépression, entre 50 et 70%, (Boulenger, 2017, p. 207). Les troubles anxieux peuvent par ailleurs s’associer avec des complications comme des abus et une dépendance à l’alcool.
Des facteurs génétiques et environnementaux ainsi que le rôle des événements de vie ont été mis en évidence concernant leur étiologie (Ibid.). Par ailleurs la situation sanitaire actuelle conduit à l’apparition d’une nouvelle forme clinique, l’angoisse COVID-19 (Nasio, 2021).
Angoisse Covid-19
Il s’agit d’une angoisse décrite par Nasio qui découlerait de la crise sanitaire (Nasio, 2021). Il en définit quatre types :
-l’angoisse liée à la peur de tomber malade et de mourir seul à l’hôpital, sans que les proches ne puissent nous rendre visite et à laquelle s’ajoute la crainte de contaminer l’autre .
-l’angoisse liée au confinement et qui s’exprime sous deux formes : l’angoisse liée à la réduction des habitudes sociales qui nous conduit à ne plus pouvoir toucher, étreindre, fréquenter les gens que nous aimons, une angoisse donc liée au manque de l’autre, et l’angoisse où, au contraire, l’autre nous pèse tandis que nous sommes confinés quotidiennement avec lui, que nous sentons sa présence nous envahir.
-l’angoisse liée à l’incertitude économique : retrouverons-nous du travail, serons-nous en faillite, endettés ?.
-l’angoisse liée à la peur d’un futur incertain, pour lequel nous n’avons aucune idée des conséquences de la crise actuelle.
Au cours de l’année, l’anxiété de Rose a été fluctuante. Elle s’inquiète du fait que son mari travaille sans respecter les gestes barrières notamment, et elle lui demande de « ne pas ramener la COVID à la maison ». Par ailleurs, sa relation conjugale est compliquée. Le fait d’être confinée et de ne pas pouvoir quitter la maison comme elle le souhaite, de ne voir personne d’autre que son mari affecte son humeur. Rose nous confie être soulagée que celui-ci travaille beaucoup et soit finalement peu présent à la maison.
La cohabitation de Minh avec ses parents a été difficile. Celui-ci ressent peser sur lui l’autorité parentale, son père fait les choses à sa place et sa mère est intrusive. Lors de la sortie du second confinement, il m’exprime sa satisfaction due à son retour dans son appartement.
A présent que le contexte général dans lequel j’arrive en stage est présenté et que les liens entre la pandémie et la santé mentale sont établis, je vais maintenant décrire les structures qui m’ont accueillie et les patients que j’y ai rencontré et dont je souhaite parler.
Précisions sur la méthode de présentation des patients, de leur évaluation et prise en charge psychomotrices
J »appellerai Minh et Rose les patients que je rencontre respectivement le jeudi et le vendredi, afin de respecter leur anonymat. Etant donné que peu de tests sont étalonnés pour les adultes, l’évaluation psychomotrice en psychiatrie est particulière. Pour ces raisons et devant la spécificité de la population admise en psychiatrie adulte, Baudet et Carrette (2019) expliquent que le bilan doit être adapté. Il peut comprendre quelques items d’épreuves psychomotrices choisis et s’étaye sur les observations du psychomotricien. L’évaluation peut donc être « à la fois qualitative et quantitative, subjective et objective » (p. 302). C’est donc une silhouette psychomotrice de Minh et Rose que je dessinerai à la suite de la présentation de leur structure d’accueil. Elle se basera sur l’observation psychomotrice pour Minh, et sur la trame d’évaluation psychomotrice qu’a fait passer ma maître de stage à Rose et à laquelle j’ajouterai mes propres observations. Les fonctions psychomotrices étudiées seront définies plus en détail dans le Chapitre 2.
Je présenterai ensuite les axes de travail et projet thérapeutiques pensés pour chacun. Une définition et discussion des médiations choisies sont proposées en chapitre 3.
Le jeudi à l’HJ
Présentation de la structure
Chaque jeudi, je me rends sur un lieu d’hospitalisation de jour. Celui-ci, bien que différent d’un hôpital de jour (HJ), est nommé comme tel sur mon lieu de stage. Il est situé au sein d’un site hospitalier public auquel il est rattaché. Il s’adresse à toute personne dont l’état de santé nécessite des soins de jour et qu’il accueille à la journée ou sur une demi-journée selon ses besoins.
Sur les lieux, je rencontre une équipe pluridisciplinaire qui propose des soins et des activités thérapeutiques variés. Elle se compose de 2 psychomotriciens, d’infirmiers et infirmières, de médecins psychiatres, d’une assistante sociale, d’une éducatrice spécialisée, d’une psychologue, d’ergothérapeutes et art-thérapeutes. De nombreux stagiaires (de filières variées) viennent au cours de l’année pour des périodes plus ou moins courtes. Les patients sont d’âges et d’horizons variés. C’est un lieu où une attention particulière est portée sur la convivialité et le vivre ensemble. De nouveaux locaux sont progressivement investis en 2021. Ils se situent juste à côté de l’HJ, sont plus grands et contiennent plus de pièces. L’HJ actuel est composé, au niveau du rez-de-chaussée, d’un bureau du personnel, d’une salle informatique, d’une cuisine et d’une grande salle commune. A l’étage, nous retrouvons deux bureaux dont celui dédié aux soins infirmiers. Une petite salle est consacrée à la détente et à la lecture. Il y a enfin cette dernière pièce où chacun, qu’il soit patient, stagiaire ou membre du personnel, peut venir partager un moment de musique et de chant. C’est également un lieu consacré aux séances de relaxation.
Place de la psychomotricité
Deux psychomotriciens sont en exercice. Leur palette de propositions est variée et de nombreuses activités se font en équipe pluridisciplinaire. La pandémie et les mesures sanitaires ont impacté l’offre d’activités qui était habituellement proposée mais qui toutefois reprend progressivement son cours dans l’année. Celle-ci comprend des ateliers de chant et musique, des séances d’équithérapie, de relaxation, de balnéothérapie, des ateliers de soins esthétiques ou encore de bricolage.
J’ai démarré mon stage par une semaine complète afin d’aller à la rencontre de chacun, de me présenter en tant que stagiaire pour une longue durée et découvrir les activités. Par chance, cette semaine-là nous n’étions pas en confinement. Fonctionnant sur un principe de thérapie institutionnelle, l’HJ est un lieu vivant, convivial, dédié à la rencontre, à la relation de groupe et au vivre ensemble.
Fin octobre 2020, les psychomotriciens me proposent de rencontrer Minh puis de réfléchir aux axes de travail sur lesquels construire un projet thérapeutique qu’ils valident par la suite.
Le vendredi au CMP
Présentation de la structure
Le vendredi est consacré à mon second stage qui s’effectue dans un Centre Médico-Psychologique (CMP) pour adultes. Il s’agit d’un lieu sectorisé, rattaché à un hôpital public, où sont accueillis des patients souffrant de pathologies psychiques. Les consultations et soins y sont gratuits, c’est-à-dire pris en charge par la Sécurité sociale. Le CMP a pour mission l’accueil, le diagnostic, le soin mais également l’orientation des personnes vers d’autres structures, qu’il s’agisse du Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), de l’hôpital de jour (HJ) ou d’unités de consultation psychiatrique. Sur mon lieu de stage, CMP, CATTP et HJ sont situés au même endroit. Les équipes qui y travaillent sont pluridisciplinaires et collaborent. L’équipe du CMP se compose de médecins psychiatres, d’une cadre de santé, de secrétaires, d’infirmiers et infirmières, d’une assistante sociale, de psychologues et deux psychomotriciennes.
Place de la psychomotricité
La psychomotricité tient une place importante dans la structure, d’autant plus que la demande s’accroît du fait de l’augmentation des troubles anxieux dans la population générale. Des séances individuelles et collectives (en équipe pluridisciplinaire) sont proposées.
Le patient est adressé en psychomotricité sur prescription médicale. Il est reçu lors d’un premier entretien qui permet de recueillir des informations sur son histoire de vie (familiale et antécédents médicaux) et ses attentes. Un bilan psychomoteur est effectué en deux fois après quoi des axes et un projet thérapeutique sont définis et proposés au patient.
L’importance du corps dans la relation
« Le corps tout entier peut participer à l’expression » (Corraze, 1980, p. 121).
Le corps est l’interface qui permet à l’individu d’entrer en relation avec le monde. Cette assertion de signifie pas qu’il se limite à un simple support matériel qui permettrait la communication entre le monde interne de l’individu ou son psychisme, et l’extérieur. Le corps est plus que cela. Il est à la fois le lieu de rendez-vous et l’heure de la rencontre, à l’interface entre l’espace et le temps. Il est l’émetteur et le récepteur d’informations, support de l’expression et de l’impression des affects et des émotions. Il est un partenaire à part entière de la relation dans laquelle il joue un rôle permanent.
« A chaque instant, nous vivons, nous nous exprimons avec notre corps, dans un espace limité et à un moment bien précis dans le temps » (De Lièvre et Staes, 2012, p. 9).
Le corps communique de nombreuses informations sur notre état interne au monde extérieur, que nous en ayons conscience ou non. Nos interlocuteurs traitent ces informations en fonction de leur propre équipement sensoriel, de leur expérience, pour en faire une perception et réagir.
Le langage permet d’exprimer sa pensée, ses émotions, et utilise pour cela une série de signaux transmis par le corps. La communication peut se faire par l’ensemble des signaux de la langue, qu’elle soit écrite ou parlée, mais également par un ensemble de signaux dits non-verbaux, que nous allons définir.
Communications non-verbales
Elles sont considérées comme le langage du corps. D ‘après Corraze, il s’agit de « l’ensemble des moyens de communication existant entre des individus vivants n’usant pas du langage humain ou de ses dérivés non sonores (écrits, langage des sourds-muets, etc… » (2005, p. 15).
Le corps entier communique grâce à un ensemble de canaux de communication non-verbale parmi lesquels nous pouvons lister la voix, les mimiques, l’odeur, le regard, la posture et les gestes.
Le corps permet l’expression des émotions et des affects
Les canaux de communications permettent d’exprimer à notre interlocuteur notre état émotionnel et affectif. Pour Corraze (1980), « l’expression est un concept qui connote la manifestation objective d’un état intérieur » (p. 18).
Damasio (dans Goutte et Ergis, 2011), distingue les émotions primaires ou universelles, que sont le bonheur, la tristesse, la peur, la colère la surprise et le dégoût, des émotions, dites secondaires ou sociales, parmi lesquelles sont cités l’embarras, la jalousie, la culpabilité ou l’orgueil. Une troisième distinction prend en compte les émotions d’arrière-plan, que sont le bien-être, le malaise, le calme ou la tension, que l’on peut détecter, si l’on est attentif, en observant la posture, les mouvements globaux, les mouvements oculaires (Pireyre, 2015).
Les affects peuvent être considérés comme l’ensemble de modifications de l’état de l’individu, qu’elles soient pénibles ou agréables, qui s’expriment par une émotion, un sentiment, ou une sensation et qui sont dus à une stimulation interne ou externe. Un affect peut être relié à une représentation que nous pourrions comparer à une image ou à un scénario qui en serait le support (Manoukian et Massebeuf, 1995). Les affects sont sous l’influence de l’histoire relationnelle de l’individu avec le monde extérieur qui démarre depuis l’aube de sa vie.
« Les conduites émotionnelles, notamment la mimique, constituent un moyen de communiquer socialement, éventuellement d’exercer une influence sur autrui » (Lemperière et al., 2006, p. 17). Les émotions ont une triple composante commune à toutes, à savoir, une expérience subjective, une expression communicative et des modifications physiologiques.
Les découvertes sur les neurones miroirs donnent lieu à une meilleure compréhension de la communication entre individus. Il s’agit de « neurones qui déchargent quand un sujet, singe ou humain, observe une action produite par autrui. Ces neurones semblent nécessaires pour comprendre ces actions » (Baudier, 2008, p. 12). Ils participent à la compréhension mutuelle des intentions entre interlocuteurs et soutiennent la capacité d’imitation et d’apprentissage. En cela, ils sont liés à la transmission et au partage des codes sociaux. Ils contribuent à l’accordage entre interlocuteurs et jouent sur la qualité de la relation.
La place du corps en temps de pandémie
Un corps mis à distance
Les mesures barrières modifient considérablement la place du corps dans la relation. La distanciation physique, le port du masque, et le renoncement au contact réduisent considérablement les possibilités de communication non-verbale au profit d’une communication à distance. Les télécommunications (ensemble des moyens de communication à distance) se démocratisent avec l’augmentation du télétravail, des téléconsultations, des visioconférences, réunions et cours en ligne et appels téléphoniques.
En écartant le corps de la relation humaine, c’est l’être psychomoteur tout entier qui est touché.
L’être psychomoteur en relation, en temps de pandémie
L’homme « est un être psychomoteur. Chacun de ses actes témoigne de la manifestation conjointe de ses fonctions intellectuelles, affectives et motrices » (De Lièvre et Staes, 2012, p. 10). Les fonctions psychomotrices sont indissociables les unes des autres et sont sous l’influence de l’intrication de gènes et d’interactions entre l’individu et son environnement.
Une fonction psychomotrice est « une fonction qui se développe à la fois sous un angle génétique, […] sous un angle neurologique, et à la fois un angle environnemental, contextuel, développemental, qui va dépendre de chaque sujet et qui fait que chaque sujet est différent » (NotreFamille.com Santé, 6 juin 2014).
Les fonctions psychomotrices s’organisent les unes en lien avec les autres, à l’image d’un tissage. Elles s’étayent sur la relation et en deviennent elles-mêmes l’armature. Un impact sur l’une d’entre elles peut se répercuter sur l’ensemble de l’équilibre psychomoteur de l’individu.
La sensorialité en temps de pandémie
Selon Veldam, l’individu est équipé d’organes des sens qui, en s’associant, en s’organisant et en interagissant ensemble, constituent un ensemble désigné sous le terme de « sensorium » (1998, p. 28). Il regroupe l’ensemble des récepteurs sensoriels, des organes de conduite et de régulation. Trois types de sensibilité sont classiquement définis (De Lièvre et Staes (2012, p. 50) :
-la sensibilité extéroceptive recueille des données sur l’environnement, à distance (avec les sens de la vue, de l’ouïe et de l’odorat) ou bien à proximité (par la sensibilité cutanée et le sens du goût)
-la sensibilité intéroceptive fournit des informations internes sur notre organisme (des sensations de faim, de soif, de douleur) .
-la sensibilité proprioceptive permet d’avoir, sans contrôle visuel, des informations sur la position de notre corps dans l’espace, grâce à des récepteurs situés dans les tendons, muscles, fascias et ligaments ou encore dans l’oreille interne (informations au niveau vestibulaire). Une de ses modalités, la kinesthésie, renseigne sur l’agencement des différents segments corporels au cours du mouvement.
D’après Bekier et Guinot (2015, p. 87), la sensation, une fois analysée et traitée par le cortex, devient perception. Elle est sous l’influence de nos expériences et éprouvés corporels passés, de notre équipement génétique, mais également de la culture.
La culture dans tous les sens.
Le « sensorium » fournit à l’être humain les moyens d’entrer en communication avec le monde et d’y participer.
Cette présence au monde se déploie dans la relation, « dans la faculté de rencontrer et d’être ensemble, de vivre dans une communauté » (Veldam, 1998, p.28).
Hall souligne l’influence de la culture sur l’organisation sensorielle et perceptive des informations en provenance du monde. Cette influence s’appuie sur la nature des rapports socio-affectifs entre les individus. Il nous dit ainsi que « l’homme ne peut échapper à l’emprise de sa propre culture, qui atteint jusqu’aux racines mêmes de son système nerveux et façonne sa perception du monde » (1971, p. 231).
Nous allons ici nous intéresser à la place de la sensorialité dans la culture française. Hall souligne « l’importance que les français accordent à la vie sensorielle » (1971, p. 177), celle-ci se manifeste dans leur façon de se réunir. Leur rencontre est multisensorielle. Que ce soit en famille, au travail ou entre amis, ils apprécient se retrouver en ayant, à leur disposition, à boire et à manger. Ils se montrent des vidéos, des photos, et aiment écouter de la musique ensemble.
La fermeture des bar-restaurants, musées, cinémas, salles de concert, ou stades, lieux hautement sensoriels et éminemment relationnels, a privé les Français de tout un pan de leur vie culturelle. Cela est vécu plus ou moins douloureusement selon les personnes.
Rose nous explique qu’avant la pandémie, elle ne sortait pas spécialement et qu’elle n’est donc pas particulièrement affectée par la fermeture de ces lieux. Au cours de l’année pourtant, elle nous confie que le fait de voir du monde lui manque et qu’elle regrette beaucoup notamment les sorties à la piscine. Rose appréciant particulièrement les sensations procurées par l’eau, elle est privée d’un pan sensoriel de sa vie qui lui procurait du bien-être.
« Je ne le sens pas ».
Réduction des afférences olfactives. Cette expression courante est parfois prononcée lors d’une situation de malaise envers une situation ou une personne. Elle vient ici illustrer la place importante que tient l’odorat dans nos vies.
Pour Ras, notre odeur naturelle est comme une « signature » et fait donc partie de notre identité. L’olfaction concourt à l’attachement et à la constitution d’une mémoire sensorielle dès les premiers instants de la vie. Les phéromones et les odeurs participent à nos répulsions ou attirances envers les autres (2012, p. 81).
Le sens de l’odorat est important dans la réunion. Les Français apprécient se parfumer lorsqu’ils se préparent à sortir et parfument leur maison de désodorisants, de parfums d’intérieur ou d’encens avant d’accueillir leurs invités.
Un jour, en décembre, Minh exprime son envie d’« explorer des sensations olfactives (…), de s’approprier un lieu (celui de la séance) et de partager quelque chose d’agréable, comme un don », avec une odeur qu’il choisirait. Il me dit à ce propos qu’il est très sensible aux atmosphères olfactives et que les parfums lui manquent.
En portant le masque et en nous tenant à l’écart les uns des autres, nous sommes privés d’une partie des informations olfactives qui participent à la relation humaine.
« En mains propres ».
Lavage des mains et réduction des afférences tactiles. Les mains font l’objet d’une attention particulière et il est demandé de se les laver fréquemment et de les passer au gel hydroalcoolique, ce qui peut parfois les abîmer. Minh m’explique un jour qu’il souffre particulièrement au niveau de ses mains lorsqu’il met du gel hydroalcoolique. Sa peau, déjà abîmée par l’eczéma, s’irrite et devient encore plus inconfortable.
« On caractérise parfois l’espèce humaine par l’utilisation qu’elle fait de ses deux mains pour sa survie et sa maîtrise de l’environnement » (Hatwell, 1986, p .21). Les mains sont nos principaux outils d’action et d’exploration sur le monde. La densité en récepteurs du tact, les corps de Meissmer, est particulièrement importante au niveau des extrémités des doigts, ce qui souligne leurs fonctions d’exploration et d’action sur le milieu.
En nous demandant d’éviter de toucher les choses de nos mains, les gestes barrières conduisent à une réduction des afférences sensorielles tactiles qui pouvaient nous renseigner sur le monde. La poignée de main est un geste de salutation courant, permettant notamment au psychomotricien d’avoir des informations tactiles et toniques sur le patient lors de sa rencontre. En renonçant à ce geste, nous perdons une partie des informations tactiles qui nous renseignaient sur la peau de l’autre : sa température, son épaisseur, sa moiteur, sa douceur ou, au contraire, sa rugosité.
Réduction des informations en provenance des mimiques.
Notre visage constitue une sorte de « carte de visite » (Ras, 2012, p. 44).
Il renseigne notre interlocuteur de nombreuses informations concernant nos émotions et affects, notamment par les mimiques, qui sont des gestes expressifs effectués par la contraction de certains muscles du visage. Pour Corraze, « il est couramment entendu que notre face exprime sans ambiguïté une large gamme d’affects dont elle est le lieu privilégié d’actualisation » (1980, p. 114).
Le port du masque ne nous laisse plus à voir que les yeux et le front de notre interlocuteur, nous privant d’une partie des informations non-verbales que celui-ci nous transmet. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur le mouvement des lèvres pour comprendre ce qu’il dit et ses intentions et émotions sont moins perceptibles. Par conséquent, il m’a fallu diriger mon attention sur les autres canaux de communication afin de comprendre et me faire comprendre, lors des interactions avec patients.
« Un regard qui veut tout dire »
Du visage, il ne reste que le regard à voir. Le regard est un important canal de communication. L’observation de sa direction, de son maintien, de ses mouvements, fournit des informations sur les émotions qui traversent l’autre. Les yeux sont également le reflet de la santé (une couleur tirant vers le jaune peut supposer une affection du foie ou de la vésicule biliaire). Ras nous dit que le regard « exprime en permanence notre état intérieur » (2012, p. 49).
Le regard de Minh navigue dans la pièce lorsqu’il est à la recherche du mot, de la métaphore qui illustreront le mieux sa pensée. Il s’abaisse et traduit sa gêne lorsque nous évoquons le rapport au corps. Il est plus soutenu au cours de l’année et exprime une certaine assurance, notamment lors du rituel de fin de séance, qui consiste à se remercier soi-même. Le regard de Rose se remplit de larmes à l’évocation de ses frères, il s’illumine lorsqu’elle échange un rire avec nous.
Impact sur les afférences auditives de la voix.
Les émotions modulent l’intensité, la mélodie de la voix, son débit, l’éventuelle accentuation des syllabes, en lien avec le souffle. Voix parlée, voix chantée, elle permet de communiquer au-delà des mots et constitue un support d’expression des émotions et affects.
Le port du masque peut donner l’impression de moins se faire entendre et comprendre entre interlocuteurs. Filtrée par le masque, la voix diminue en intensité et nous pouvons avoir l’impression de devoir forcer sur la voix pour se faire entendre.
De plus, les divers confinements et mesures sanitaires ont conduit à l’augmentation des communications à distance, notamment des téléconsultations.
« Au téléphone, la voix transmet des milliers d’informations qualitatives et trahit notre état émotionnel » (Ras, 2012, p. 20). Malgré cela, la voix est perçue différemment, parfois en décalage dans le temps, ce qui peut contraindre la fluidité de la communication.
Parmi les idées conçues pour maintenir la relation thérapeutique lors du premier confinement, ma maître de stage du CMP a pensé à envoyer des liens vers des supports de relaxation à écouter. Rose nous dit en cours d’année y avoir encore recours, mais qu’il lui est moins facile de se détendre qu’en notre présence. Cela souligne l’importance de la présence du corps des partenaires dans la capacité à relaxer et être relaxé.
Manquer d’air ?
Il est courant que les patients se plaignent de la gêne ressentie par le masque et se sentent limités dans leur souffle, notamment en relaxation, lorsque le patient est invité à inspirer et à expirer amplement. Il a été établi par le médecin hygiéniste du CMP qu’il était possible, sous certaines conditions, d’inviter le patient à retirer le masque, afin de pallier cette contrainte. La pièce doit être aérée et le psychomotricien doit porter son masque et se tenir à deux mètres du patient.
De nouvelles afférences sensorielles
Les afférences sensorielles sont sans doute réduites, mais nous pouvons supposer qu’il s’en crée de nouvelles. Le contact du masque sur le visage constitue une nouvelle afférence sensorielle tactile qui s’inscrit dans notre quotidien et que nous pouvons inclure dans la prise de conscience corporelle en séance. Le masque mais également l’air chaud et humide expiré, viennent réchauffer la zone du visage recouverte, stimulant ainsi nos récepteurs tactiles et thermorécepteurs d’afférences intéressantes.
Lorsque je propose à Minh de prêter son attention aux différences de température entre la partie du visage recouverte par le masque et celle du front, il me dit apprécier le contraste.
Ne pourrions-nous pas également évoquer cette omniprésence de masques dans notre champ visuel, qui se manifeste par un tourbillon de bleu et blanc, qu’ils soient portés sur le visage ou à l’abandon sur le trottoir ? Une patiente a dit un jour qu’elle s’était surprise à remarquer que les acteurs ne portaient pas de masque à l’écran, comme si le masque s’inscrivait tellement dans notre champ visuel quotidien que son absence se fait remarquer.
Tonicité et rencontre en temps de pandémie
Le dialogue tonique. Il s’agit d’un mode de communication non verbal. Guiose (2007) rappelle que c’est Henri Wallon qui, en 1949, a établi le lien entre le tonus et les émotions, en formulant la notion de dialogue tonico-émotionnel. Il souligne la dimension communicative du tonus par l’inscription des émotions dans la tonicité. Ajuriaguerra, dans la continuité de ses travaux, parlera en 1960 de dialogue tonique pour évoquer le premier niveau de relation du nourrisson avec son milieu. Il perdure tout au long de la vie de l’individu. Il s’agit d’un dialogue infra-verbal, fait d’ajustements et de modulations toniques, qui a toute sa place en psychomotricité, notamment dans les relaxations thérapeutiques (Guiose, 2007, p. 61).
Le dialogue tonique « jette le sujet tout entier dans la communication affective » (Ajuriaguerra, 2017, p. 171). Il s’agit d’un « langage sympathique comme une contagion qui passe d’un corps à l’autre » (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 178).
Dans la continuité de ce que nous disions à propos de la fonction sensorielle, le fait de ne plus pouvoir serrer la main de notre interlocuteur nous prive d’informations que nous pouvions obtenir concernant sa tonicité et son vécu émotionnel.
Le tonus de fond ou basal, n’engage aucun mouvement mais soutient le sentiment de cohésion d’ensemble du corps et détermine la qualité de présence de l’individu (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 173). Le psychomotricien dispose de différents outils pour l’étudier, notamment les mobilisations passives. En séance de relaxation, je peux constater chez Minh des manifestations tonico-émotionnelles lorsque je soulève son bras. Elles s’expriment par une résistance de ses muscles à l’étirement passif (hypertonie).
Tonicité et rencontre de soi. La tonicité est « un baromètre interne », nous renseignant sur notre état émotionnel et participant ainsi de la rencontre de soi. (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 176). L’individu à l’écoute de ses sensations peut avoir des informations sur son état de tension à la fois physique et psychique, tensions qui s’inscrivent couramment dans le dos et la nuque. Dupont (2002, p. 184) nous explique que cette connaissance de notre état interne s’appuie sur le couple tension/relâchement, en place dès les premiers temps de la vie. Ces deux pôles toniques permettent au nourrisson d’exprimer respectivement son insatisfaction (s’il a faim par exemple), et sa satisfaction (s’il est rassasié). En psychomotricité, nous allons rechercher la prise de conscience de notre état tonique par différentes médiations corporelles avant de pouvoir ensuite soutenir la régulation tonique. En relaxation, Minh parvient à identifier ses schémas de tensions et les relie à son histoire personnelle, notamment à des affects douloureux.
Adaptation posturale en temps de pandémie et tonus de vigilance.
La posture est permise par le tonus de posture qui permet son maintien face aux forces de la pesanteur qui tendent à perturber l’équilibre.
Dialogue postural : « La posture est un indicateur privilégié de l’attitude affective fondamentale : elle nous communique les intentions de rapprochement, d’accueil ou, au contraire, de défi, de rejet, de menace » (Corraze, 1980, p. 146). La posture a une dimension communicative. Je perçois la disponibilité de Rose dans sa façon d’adapter sa posture face à moi. Nous sommes souvent dans une posture similaire : en tailleur, le corps orienté l’une vers l’autre, les mains jointes, dans une attitude de réceptivité. La posture met en forme le corps et s’adapte « pour entamer un dialogue avec les choses, les personnes, le monde » (Lesage, 2021, p. 71).
Dans le contexte sanitaire actuel, nous devons fréquemment adapter notre posture pour nous protèger et protèger les autres.
« Pour une partie d’entre nous, la peur nous envahit quand nous sommes contraints à des contacts, même rapides, avec d’autres personnes, surtout si nous avons le sentiment qu’elles ne prennent pas suffisamment soin de maintenir les distances en nous exposant aux dangers de la proximité géographique » (Torre, 2020, p. 344).
Le tonus et l’état de vigilance sont intimement liés. Le tonus augmente face à un danger et une hypervigilance dans le contexte sanitaire aura pour conséquence une augmentation du tonus. Il arrive qu’en séance le masque d’un patient glisse sous son nez, alors que nous nous sommes rapprochés. Bien que ce genre de situation soit facilement gérable et que le patient remette rapidement son masque, cela peut me mettre dans un état de vigilance tel que je dois ensuite m’appliquer à réguler mon tonus afin qu’il n’y ait pas transmission de tension via le jeu du dialogue tonique entre lui et moi.
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Table des matières
Chapitre Premier. Rencontre dans un contexte pandémique : présentation du cadre d’observation
1. La psychiatrie en situation pandémique
1.1. Une gestion difficile
1.2. Les mesures barrières
1.2.1. Les confinements et couvre-feux
1.2.2. Les gestes barrières.
1.3. Santé mentale et COVID-19
1.3.1. Définition de la santé mentale de l’OMS.
1.3.2. Définition de la maladie mentale.
1.3.3. Impact de la situation sanitaire sur la santé mentale
1.4. Les troubles dépressifs
1.4.1. Définitions de la dépression et de l’humeur.
1.4.2. Sémiologies générale et psychomotrice de la dépression.
1.4.3. Epidémiologie et santé publique.
1.4.4. La Dépression COVID-19.
1.5. Les troubles anxieux
1.5.1. Définitions
1.5.2. Formes cliniques des troubles anxieux d’après le DSM-5
1.5.3. Sémiologies générale et psychomotrice des troubles anxieux.
1.5.4. Comorbidités et étiologie.
1.5.5. Angoisse Covid-19.
2. Présentation des structures de stage.
2.1. « Nous n’étions pas prêts »
2.2. Arrivée sur les lieux.
2.3. Précisions sur la méthode de présentation des patients, de leur évaluation et prise en charge psychomotrices
2.4. Le jeudi à l’HJ
2.4.1. Présentation de la structure
2.4.2. Place de la psychomotricité.
Rencontre avec Minh
• Présentation générale
• Anamnèse
• Silhouette psychomotrice
• Axes et projet thérapeutiques en individuel
• Axes et projet thérapeutiques du groupe d’eutonie
2.5. Le vendredi au CMP
2.5.1. Présentation de la structure.
2.5.2. Place de la psychomotricité.
Rencontre avec Rose
• Présentation générale
• Anamnèse
• Silhouette psychomotrice
• Axes et projet thérapeutiques en individuel
Chapitre 2. Comment la pandémie transforme-t-elle l’être en relation ?
1. La place du corps en relation, en lien avec la culture
1.1. Définition de la culture
1.2. L’importance du corps dans la relation
1.2.1. Communications non-verbales.
1.2.2. Le corps permet l’expression des émotions et des affects.
1.3. La place du corps en temps de pandémie
1.3.1. Un corps mis à distance.
2.L’être psychomoteur en relation, en temps de pandémie
2.1. La sensorialité en temps de pandémie
2.1.1. Définitions.
2.1.2. La culture dans tous les sens.
2.1.3. « Je ne le sens pas ». Réduction des afférences olfactives.
2.1.4. « En mains propres ». Lavage des mains et réduction des afférences tactiles
2.1.5. Réduction des informations en provenance des mimiques
2.1.6. « Un regard qui veut tout dire ». Du visage, il ne reste que le regard à voir
2.1.7. Impact sur les afférences auditives de la voix
2.1.8. Manquer d’air ?
2.1.9. De nouvelles afférences sensorielles
2.2. Le tonus en temps de pandémie
2.2.1. Définitions
2.2.2. Tonicité et rencontre en temps de pandémie.
2.2.3. Adaptation posturale en temps de pandémie et tonus de vigilance…
2.2.4. Le monde sous tension : tensions musculaires et anxiété.
2.3. La motricité en temps de pandémie
2.3.1. Définitions.
2.3.2. « C’est le geste qui compte » : vers de nouvelles praxies
a) Les gestes de salutation.
b) Le port et le retrait du masque.
2.3.3. Ces gestes qui nous « trahissent » : la communication gestuelle de nos émotions
2.3.4. Surveiller ses faits et gestes : l’haptophobie
2.3.5. Pandémie et sédentarisation.
2.4. L’espace et le temps en pandémie
2.4.1. L’espace et le temps en psychomotricité.
2.4.2. Les temps changent.
a) « O tempora, o mores »
b) Continuité/discontinuité des soins : adaptation sur mes lieux de stage à une nouvelle temporalité
c) « Ça traîne en longueur » (Rose) : le temps de l’attente
d) Jours d’isolement et COVID-19.
e) Un avenir incertain.
2.4.3. Le remaniement des espaces en temps de pandémie.
b) Distanciation physique d’accord, mais gare à la distanciation sociale !
c) Une spatialisation spécifique.
d) Réaménagement des espaces de soin.
e) La juste distance ?
f) La proximité : une menace en temps de pandémie.
g) Les espaces qui se confondent : qu’en est-il de l’espace pour penser ?
h) Des espaces qui s’ouvrent ? …
2.5. La représentation du corps en temps de pandémie
2.5.1. Définitions de l’image du corps et du schéma corporel.
2.5.2. Image composite du corps en temps de pandémie.
2.5.3. « Le masque est persona ou maschera, faux visage, noirceur ».
2.5.4. Manque d’activité physique et image du corps.
2.5.6. Schéma corporel : une spatialité de situation.
2.6. Les fonctions cognitives en temps de pandémie
2.6.1. La pandémie nous demande de redoubler d’attention.
2.6.2. Inhiber nos élans !
2.6.3. Une demande constante d’adaptation.
2.6.4. Des projets à remettre… à quand déjà ?
2.6.5. Inscription de nouveaux souvenirs dans notre mémoire psychocorporelle.
3. Le contact en temps de pandémie
3.1. Entre menace et besoin
3.2. On reste en contact ?
Chapitre 3. La psychomotricité, un métier à tisser du lien
1. Clinique de la relation avec Minh et Rose
1.1. « Une réponse à mes questions ». Construction avec Minh
L’installation.
• Première séance. « Comme si vous étiez la gardienne »
• Deuxième séance. « Comme une oasis dans le désert »
• Troisième séance. « Un contact humain en ces temps de pandémie »
• Quatrième séance : « Besoin d’ancrage pour ne pas disperser mon énergie »
• Cinquième séance « Une réponse à mes questions »
• Sixième séance « Un bon point d’amorce »
• Septième séance « On a su mettre le doigt sur le point de tension »
Cheminement dans mon projet thérapeutique.
• Huitième et dernière séance en individuel. « Ramener du lien, ça répond à un besoin et un manque »
• Séances en groupe. « Le refuge »
• Première séance. Le « rebond »
• Deuxième séance. « Une chaleur humaine »
• Troisième séance. « Un soulagement »
Conclusion.
1.2. « Le vendredi c’est ma journée ». Construction avec Rose
Installation
• Première séance. « Ça se relâchait »
• Deuxième séance. « Le vendredi c’est ma journée »
• Troisième séance. Une « bulle »
• Quatrième séance. « Vos mains me disent t’inquiète pas, ça va aller »
• Cinquième séance. Une voix « constante »
• Sixième séance. «La balle dynamise, vos mains me protègent »
• Septième séance. « Les mains dynamisent »
• Huitième séance. « C’est vrai qu’on n’y pense pas à se masser ! »
• Neuvième séance. « Ça m’a fait du bien »
• Dixième séance. « Y a une signification dans la couleur de la balle ? »
• Onzième séance. «C’est pas pareil »
• Douzième séance. « Ça traîne en longueur »
• Treizième séance. Du contact
• Quatorzième séance. A l’auto-contact
• Quinzième séance. « Unifier les sensations sur tout le corps »
• Seizième séance. « Mon corps a pris un coup de vieux »
• Dix-septième séance. « Envie de retrouver ma bulle »
• Dix-huitième séance. «T’inquiète pas, ça va aller, dans la vie et pour tout le reste »
• Dix-neuvième séance. « Légèreté »
• Vingtième séance. « Comme un abri »
• Vingt-et-unième séance. « Ce n’est pas pareil quand je le fais moi »
Conclusion.
2. La psychomotricité, un métier à tisser du lien
2.1. La relation : voie royale de la thérapie psychomotrice
2.1.1. Qualités relationnelles du psychomotricien
a) Capacité d’accueil.
b) Capacité d’écoute.
c) Trois conditions.
e) Des qualités d’ajustement.
2.1.2. Engagement psychocorporel du psychomotricien
a) Une mise en forme qui démarre dès la formation.
b) Connais-toi toi-même.
c) Le dialogue tonique.
2.1.3. Du tact au contact : Toucher direct et toucher à distance.
2.2. Quelques concepts théoriques, supports de la relation thérapeutique
2.2.1. Les concepts de holding et de handling de Winnicott.
Les limites.
2.2.2. Le concept du Moi-Peau d’Anzieu.
2.2.3. La théorie de l’étayage psychomoteur de Robert-Ouvray.
2.3. Le cadre thérapeutique, socle de la construction relationnelle patient/ psychomotricien
3. Avec ou sans contact ? Discussion autour des médiations choisies
3.1. Intérêt des propositions avec toucher thérapeutique
3.1.1. Importance du tact dans le sentiment de soi.
3.1.2. Densité de récepteurs tactiles et conscience corporelle.
3.1.3. Thermorécepteurs et conscience corporelle.
3.1.4. Le contact pour soulager l’angoisse.
3.1.5. Un support de communication.
3.1.6. Contacter la mémoire corporelle.
3.1.7. Se retrouver grâce à la relaxation activo-passive de Wintrebert
3.1.8. Lutter contre la solitude.
3.1.9. Prendre appui pour soutenir la structuration psychocorporelle
3.2. Intérêt des propositions sans toucher thérapeutique
3.2.1. Les limites du toucher thérapeutique.
3.2.2. Ma définition de l’auto-contact.
3.2.3. L’eutonie : un cheminement ludique vers l’autonomie.
3.2.4. La kinésphère : retrouver un espace à soi.
3.2.5. Trouver un appui interne.
3.2.6. Limites des propositions sans contact.
4. Toucher et être touchée : réflexion autour de ma construction professionnelle
4.1. Le contre transfert corporel.
4.2. Perspectives dans ma construction professionnelle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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