Pratolino : art des jardins et imaginaire de la nature dans l’Italie

Le chantier initial

    La création initiale de Pratolino s’est fait globalement en deux étapes : les travaux concernent surtout la construction du palais jusqu’en 1575 puis ensuite la création du jardin lui-même, à peu près terminée en 1586. C’est en effet à cette date que le philosophe Francesco de’ Vieri, professeur à l’université de Pise, publie chez Giorgio Marescotti une description « officielle » dans ses Discorsi delle maravigliose opere di Pratolino e d’Amore, dédiés au grand-duc. Le livre est réimprimé l’année suivante ; on doit à Margherita Azzi Visentini d’avoir très récemment découvert, dans un exemplaire de cette seconde édition, un insert signé de l’éditeur qui comprend une xylographie accompagnée d’une dédicace et d’une légende détaillée5 (fig. 1). L’image, une vue à vol d’oiseau assez schématique, correspond en fait à la gravure que l’on connaissait auparavant – depuis une quinzaine d’années – par un volume paru en 1639 chez Sermartelli, les Annales Sardiniae de Salvatore Vitale6 (fig. 2) : il faut donc dater désormais cette vue de 1587. Par la suite, le bois gravé fut sans doute conservé chez l’imprimeur Sermartelli7. Il s’agit non seulement de la plus ancienne représentation visuelle de Pratolino, mais elle provient apparemment, selon la dédicace de Marescotti, de l’atelier même de son principal concepteur : Bernardo Buontalenti8. À la fin de la légende, le libraire ajoute que « cette construction si riche, splendide et étonnante a été portée au terme où on la voit aujourd’hui, avec une dépense infinie, en l’espace de douze années9 », ce qui reporte effectivement le démarrage du chantier pour le jardin à 1575. De 1586 date également la venue du naturalise bolonais Ulisse Aldrovandi, à l’occasion d’un séjour à Florence au mois de juin  ; il a laissé des notes manuscrites assez précises sur le décor de Pratolino10. Deux descriptions légèrement postérieures se révèlent également utiles. L’une provient du journal de voyage en Italie d’un Français anonyme, qui a cherché à retranscrire l’itinéraire de sa visite en novembre 158811. L’autre, rédigée en italien mais également anonyme, est connue par deux copies manuscrites conservées à la Bibliothèque Riccardiana de Florence et à la Bibliothèque Vaticane de Rome12. Cette description ne porte pas de titre13 ; de légères variantes différencient les versions, qui toutes deux présentent des lacunes l’une par rapport à l’autre et paraissent donc correspondre à des copies d’un texte antérieur, lequel ne nous serait pas parvenu ou n’a pas encore été repéré. Les notations spatiales qui détaillent l’emplacement géographique de la villa et le parcours dans le jardin laissent penser qu’il s’agisse d’un guide à l’attention des voyageurs, ou en tout cas d’une description cherchant à être aussi exacte que possible – mais qui présente néanmoins quelques incohérences quand on la confronte à d’autres sources. Si l’auteur a certainement visité Pratolino, il n’est pas exclu qu’il s’appuie aussi sur d’autres descriptions, celle de Vieri notamment. Aucune date n’est précisée ; un examen attentif du texte permet toutefois de supposer une composition vers fin 1587-début 158814. D’ailleurs, dès août 1587, une description de Pratolino avait été envoyée à Prague où elle fut fort appréciée, la renommée du jardin commençant à grandir dans toute l’Europe : il pourrait bien s’agir du même texte15. Mais revenons vingt ans en arrière. Le matériel d’archives rassemblé par Webster Smith et surtout par Luigi Zangheri dans sa monographie – essentiellement des lettres adressées au grand-duc par Uguccioni qui concernent la conduite du chantier – permet de suivre d’assez près les différentes phases de la réalisation, que je ne détaillerai que pour le jardin. Le chantier se concentre d’abord sur la construction du palais, qui démarre dès le 28 mai 156917 ; en septembre, Buontalenti – qui à cette époque travaille notamment à Boboli – a déjà livré des dessins pour les portes intérieures, et ceux des portes principales des façades méridionale et septentrionale doivent dater d’avant 157120. En septembre 1575, le corps de bâtiment est pratiquement achevé21 ; c’est d’ailleurs l’année mentionnée sur une inscription au centre de la voûte du grand salon, qui constitue la « dédicace » de Pratolino et qui sera commenté En février 1576 les travaux des escaliers des façades et de la maçonnerie du mur d’enceinte sont en cours ; cette dernière est sans doute terminée en avril 1577, puisque l’on procède alors à son enduit22. L’enceinte délimite ainsi le barco23, divisé en deux parties par un mur intérieur perpendiculaire au palais : au nord le « barco nuovo », qui en octobre 1578 est déjà aménagé jusqu’au niveau des futures écuries24, et au sud le « barco vecchio »25, celui que représente la lunette de Giusto Utens (fig. 3 et détails fig. 45, 47, 50, 53, 55, 64, 67). Le tableau appartient à la célèbre série commandée en 1599 par le grand-duc Ferdinand pour sa villa d’Artiminio. Utens, peintre originaire de Bruxelles et installé à Carrare, reçoit les premiers paiements de toiles déjà exécutées en octobre et novembre 1599, mais il continuera au moins jusqu’en 1602 à percevoir des sommes pour ces dix-sept lunettes26. L’année 1577 voit le chantier du jardin particulièrement actif. C’est d’ailleurs à cette date que Raffaello Gualterotti compose un poème à sa louange, dont une version développée paraîtra en 1579, les Vaghezze sopra Pratolino. De nombreux travaux concernent alors les installations hydrauliques. Les documents mentionnent en particulier les « tonfani » (fosses). Il s’agit des bassins irréguliers se déversant les uns dans les autres selon un parcours sinueux de chaque côté du barco sud ; la distinction entre « tonfani vecchi » et « nuovi » pourrait se référer à chacune des deux séries. Le terme employé couramment dans les études modernes pour les désigner, « gamberaie », semble relativement tardif29. Il se réfère à l’une de leurs fonctions, l’élevage de crustacés (gambero : écrevisse). En effet, ces viviers (vivai ou peschiere selon la terminologie courante de l’époque) étaient remplis de poissons, comme le confirme par exemple Vieri, qui utilise deux termes renvoyant à l’idée de « fosse », borro et tonfani30. D’autre part, des conduites sont installées et un lac artificiel est même creusé au-dessus de la villa afin d’augmenter l’alimentation en eau. Buontalenti fournit d’ailleurs en avril 1579 une maquette en bois pour l’aqueduc ou condotto. C’est ainsi un réseau hydraulique complexe qui va être mis en place. Nous le connaissons surtout par le rapport technique et les relevés de l’ingénieur Giuseppe Ruggieri (fig. 10 et 11), qui doivent dater de 175732. Outre les différentes fontaines et peschiere, ce système comprend trois bassins de réserve (conserve) situés hors de l’enceinte du barco et privés de fonction ornementale : la conserva « de Jupiter » au sommet de la villa, ainsi que celles « des Écuries » et « de Cupidon » en bordure ouest du barco nuovo. Une lettre d’Uguccioni en avril 1577 annonce l’achèvement prochain de différents travaux : la maçonnerie des tonfani, la préparation des allées ou viottole du barco, la construction du mur entourant le prato devant le palais ainsi que des escaliers des deux façades, enfin l’achèvement des « corridors et salles souterraines », probablement les grottes du rez-de-chaussée et du soubassement (fig. 27-30). On connaît les projets de Buontalenti pour leur ornementation par deux dessins qui doivent être à peu près contemporains. L’un prévoit des arbustes dans certaines des niches placées dans les travées entre deux colonnes (fig. 37), et se réfère à une paroi de la grotte principale ou Grande Grotte (fig. 38) ; un arbousier et un houx, décorés d’oiseaux de bronze, seront effectivement mis en place. L’autre dessin indique en élévation l’ordonnance dans la partie centrale du soubassement sur la façade méridionale (fig. 31) : trois baies dont les arcades sont ornées de spugne, surmontées d’une balustrade – comme on l’observe chez Utens (fig. 45) –, avec au milieu la statue du Mugnone. En novembre de la même année, un rapport détaillé fait état des travaux en cours ou menés à leur terme. La « casa del fattore » est déjà prête ; il s’agit du bâtiment visible sur la lunette d’Utens en bas à droite (fig. 3), destiné au logement du personnel rattaché à la villa. Plusieurs fontaines et grottes sont alors en chantier : la Fontaine rouge (« Fonte rossa ») ou fontaine des Coqs, la grotte qui lui correspond – c’est-à-dire celle de Cupidon, située juste en amont (fig. 55) –, la fontaine de la Lavandière et enfin la grotte de l’Étuve sous le palais. On termine les tonfani vecchi – sans doute la série occidentale –, alors que les tonfani nuovi et les trois « vivai » sont déjà mis en eau. Ces derniers sont situés entre les gamberaie orientales et la Lavandière (fig. 50). Ce même document indique également des plantations dirigées par Domenico Boschi, qui assume vraisemblablement la fonction de jardinier en chef à Pratolino. L’enceinte du giardino segreto – situé le long de la façade orientale du palais – a été achevée, et ce jardin a été aplani et divisé en compartiments, au nombre de seize semble-t-il, comme indiqué sur la lunette d’Utens (fig. 45). On y a planté des cotogni (cognassiers, Cydonia oblonga) qui serviront de porte-greffe pour des arbres fruitiers, ainsi que des melagrani (grenadiers, Punica granatum L.), sans doute sous la forme d’espaliers (spalliere)39. Dans le reste du barco, des capperi (capriers, Capparis spinosa L.) sont disposés le long de murs ; des arbres forestiers sont transplantés : quatre-cent vingt noccioli (noisetiers ou coudriers, Corylus avellana L.), des allori (lauriers communs ou d’Apollon, Laurus nobilis L.), des faggi (hêtres, Fagus sylvatica L.), des abeti (sapins, Abies alba Miller)40. Enfin, ce même rapport précise la mise en place de « la statue au début de la grande allée » (« la figura in capo allo stradone »), c’est-à-dire le Mugnone en pierre de Giambologna. Ce dernier travaille alors activement pour Pratolino. En effet, le sculpteur né à Douai en 1529 et arrivé à Florence vers 1553 avait été introduit à la fin des années 1560 auprès du jeune prince François par son premier protecteur, Bernardo Vecchietti ; en ce même mois de novembre 1577, il est en train de reprendre une œuvre de marbre blanc et de mischio vert laissée inachevée par Vincenzo Danti43, installé à Pérouse depuis 1573 et décédé l’année précédente. Il s’agit du Persée à cheval sur un dragon, qui sera placé dans une fontaine du barco nuovo. Jusqu’à fontaine de la Lavandière, dont le groupe est sculpté par Valerio Cioli, l’axe formé par cette longue allée (stradone) est donc déjà parfaitement défini dans le barco vecchio. En revanche, son prolongement dans la partie nord n’a pas encore reçu son principal élément, c’est-à-dire la « sculpture-architecture » du même Giambologna, le colosse de l’Apennin46 (fig. 16) : l’appellation barco nuovo se comprend assez bien. Ainsi, dès 1578, le jardin commence à avoir belle allure. Le sculpteur florentin Francesco Moschini le décrit brièvement au duc Octave Farnèse à l’occasion d’une visite guidée par François lui-même : bien conscient des sommes énormes qui y ont été dépensées, il loue les grottes et l’abondance des fontaines, dont la réalisation se poursuit, ainsi que le creusement du lac artificiel47. La construction de l’Apennin démarre l’année suivante, puisqu’en novembre 1579 est préparé le creusement du bassin48, en vue de la réalisation qui s’amorce au début 1580 : en mars, on s’apprête à maçonner le bassin et une voûte pour l’élévation du colosse49. La décoration intérieure, qui semble dirigée par le peintre véronais Iacopo Ligozzi, ne sera pas encore terminée en 1583. Le Journal de voyage de Montaigne, qui visite Pratolino le 22 novembre 1580, fait référence à ce chantier : Et se bâtit le corps d’un géant, qui a trois coudées de largeur à l’ouverture d’un œil, le demeurant proportionné de même, par où se versera une fontaine en grande abondance. Le Journal fait part de son admiration pour les grottes du palais avec leurs jeux d’eau et leurs automates, le stradone et la Lavandière, ainsi que la volière, qui était encore en travaux un an plus tôt. La chapelle (fig. 25), dont Buontalenti avait fourni une maquette en avril 1579, est alors en train d’être achevée, tout comme les écuries, le poulailler d’ornement et le moulin. On peut supposer que c’est aussi vers 1580 qu’est transportée à Pratolino la fontaine monumentale d’Ammannati (fig. 63-66), initialement prévue pour la Sala Grande du Palazzo Vecchio : en effet, dès mai 1579, un rapport de Tanai de Médicis a informé le grand-duc des statues qui la composent et de leur signification55. Elle sera installée au début de la série occidentale des gamberaie, en tout cas avant 1584, date à laquelle Raffaello Borghini la décrit à Pratolino dans son dialogue sur l’art, Il Riposo. Toujours en 1580, d’autres campagnes de plantation sont documentées, notamment de mandorli (amandier, Amygdalus communis L. ou Prunus dulcis (Miller) D.A. Webb) et d’elleri (lierre, Hedera helix L.) sous la conduite du jardinier Simone Casini assisté d’Antonio Vecchietti57. En novembre 1582, le grand chêne au sud du barco est équipé d’un escalier58 (fig. 70-71). Aucun document d’archives n’a semble-t-il été repéré sur la construction de la colline artificielle voisine, celle du Parnasse (fig. 67-68), à laquelle fait cependant allusion Gualterotti dès 1577 dans son poème manuscrit59. Elle était entourée d’un « bosco di lauri tribisondi60 » selon la description de Vieri en 1586. Ces arbres, appelés aussi lauri regi dans les traités horticoles, correspondent aux lauriers-cerises (Prunus laurocerasus L.) d’introduction récente, à distinguer du simple lauro ou alloro (laurier commun ou d’Apollon, Laurus nobilis L.), spontané en Italie. Le 3 décembre 1583 arrive à Florence la grande spugna de Corse, qui sera installée comme fontaine sur l’axe nord entre la fontaine de Jupiter et l’Apennin, entourée de huit colonnes surmontée d’une pergola métallique, au centre d’un « laberinto pieno di allori » – il doit s’agir cette fois de laurier commun. Ce labyrinthe, visible sur la xylographie de 1587 (fig. 1-2), est semble-t-il terminé dès novembre 1584 puisqu’une lettre d’Uguccioni indique alors que tous les allori ont déjà été plantés. Ce document précise qu’un « ser Bonaventura » doit procéder à des plantations, notamment de corbezzoli (arboursiers, Arbutus unedo). On retrouve ce nom dans d’autres pièces d’archives65 : il s’agit en fait de Bonaventura da Orvieto, un ecclésiastique responsable de la construction de nombreuses fontaines à Pratolino selon les notes d’Aldrovandi66. Il est également mentionné par l’Agricoltura sperimentale (1595-98), traité manuscrit dû au dominicain Agostino Del Riccio, qui constitue une véritable mine sur l’art des jardins à Florence et sur les principaux exemples médicéens, et à laquelle nous aurons très souvent recours67. À l’inverse, les écrits sur l’agriculture d’un autre Florentin, Giovanvettorio Soderini, qui datent eux aussi de la dernière décennie du XVIe siècle, donnent des préceptes généraux sur l’art des jardins mais en revanche n’offrent pratiquement aucune référence explicite aux réalisations médicéennes, probablement en raison du passé personnel de leur auteur, lequel devait nourrir une certaine rancœur à l’égard du pouvoir grand-ducal68. Del Riccio explique ainsi que Bonaventura da Orvieto réalisa de nombreux mécanisme hydrauliques à Pratolino, et qu’il fut plus tard l’ingénieur de la villa l’Ambrogiana sous Ferdinand. Le dominicain cite encore d’autres artistes prenant part au chantier : Giovan Battista di Francesco Ferrucci del Tadda restaura les statues antiques du prato de l’Apennin et travailla dans les grottes, en formant Tommaso Francini, ingénieur qui succèdera à Bonaventura sous Ferdinand72. On sait en outre que Cosimo Lotti, élève de Buontalenti, a aussi travaillé dans les grottes de Soderini fut condamné à la confiscation de ses biens et à la peine capitale par Ferdinand Ier pour avoir rendu publique, en 1588, une lettre à Silvio Piccolomini où il critiquait ouvertement les mœurs du défunt grand-duc. La peine fut commue en réclusion hors de Florence : installé dans la villa dei Cedri du Volterrano, Soderini se consacra alors jusqu’à sa mort en 1596 à la rédaction de traités sur les res rusticae : la culture de la vigne, des jardins, des arbres et l’élevage des animaux. Parmi ces quatre volumes manuscrits (BNCF Naz. II, IV, 74-77, anciennement Magliab. XIV, 42-43), seule la partie sur la viticulture contenue dans le premier fut publiée peu après sa mort (voir Soderini – Davanzati – Giachini, 1600, nombreuses rééditions) ; d’autres fragments sont parus au début du XIXe siècle par les soins de l’Accademia della Crusca. La graphie des manuscrits étant assez mal déchiffrable, j’utilise directement la seule édition complète qui soit disponible, procurée par Alberto Bacchi della Lega (Soderini, 1902-07). Les préceptes sur l’art des jardins se trouvent essentiellement dans les trois premiers volumes (I due trattati dell’agricoltura e della coltivazione delle viti ; Il trattato della coltura degli orti e giardini ; Il trattato degli arbori). Les traités de Soderini mériteraient d’être étudiés en détail, en particulier dans leur manière de « récupérer » l’art des jardins médicéens selon une voie beaucoup plus détournée que chez Del Riccio (pour ce dernier, voir infra, appendice 2, « Le bosco regio, catalogue encyclopédique »). Dans le cadre de cette étude centrée sur Pratolino, j’ai plutôt privilégié l’Agricoltura sperimentale pour une double raison : elle ne cesse de faire allusion aux créations grand-ducales, ce qui permet de l’utiliser directement pour une approche des jardins médicéens, en particulier dans la reconstitution de leurs décors, et plus généralement de la culture florentine dans la seconde moitié du XVIe siècle ; d’autre part, il s’agit d’un matériel documentaire qui est presque entièrement inédit et se révèle pourtant des plus précieux pour comprendre le rôle du jardin dans les mentalités de l’époque. Pour ce dernier aspect, les indications de Soderini permettent en fait de compléter et de nuancer sur bien des points celles de Del Riccio, et leurs textes pourraient être mis en parallèle, ce que tenterai de faire à l’occasion, mais non de façon systématique. Il faut enfin signaler que les projets de jardins à plan circulaire connus par une série de dessins (GDSU 3884 et 3886-90 A), parfois attribués à Soderini (voir par exemple Lazzaro, 1990, p. 78), auraient été exécutés par Giovanni Antonio Dosio pour le compte de Niccolò Gaddi comme l’a récemment montré Galletti, 1995, p. 43-48. 69. Del Riccio, BNCF Targ. 56, vol. III, fol. 58r (éd. Heikamp, 1981, p. 90), où il évoque la grotte de la  Pratolino, où il « restaura » les fontaines et certains automates, semble-t-il dès le règne de François. Le sculpteur toscan Carlo Palagi, recommandé en 1580 par François au duc de Bavière, a également été employé pour les grottes et les fontaines de Pratolino. Au XVIIe siècle, les principaux biographes de Buontalenti, son élève Gherardo Silvani et à sa suite Baldinucci dans ses Notizie, lui attribueront l’invention de toutes ces « machines »75. L’ingénieur et architecte a effectivement dirigé le chantier d’après les archives, conçu le palais comme en témoignent également ses dessins et sans doute formulé le projet du jardin jusque dans de nombreux détails ; on ne saurait certes pas réduire pour autant Pratolino à l’œuvre du seul Bernardo. Il faut souligner à ce sujet que son aménagement, comme celui de tout jardin de cette importance, est bien le fait d’une « équipe pluridisciplinaire ». Nous avons déjà croisé les sculpteurs Giambologna et Valerio Cioli, le peintre Iacopo Ligozzi, l’ingénieur Bonaventura, les jardiniers Domenico Boschi, Simone Casini et Antonio Vecchietti. En outre, les documents mentionnent fréquemment Davide (ou Davitte) Fortini, « chapo maestro77 » ou contremaître. Jusqu’à une période assez récente, Fortini n’était connu que par quelques mots de Vasari78 à la fin de la biographie de son beau-père, Niccolò di Raffaello dit Tribolo79. L’examen de la documentation d’archives a permis de découvrir l’importance de cet ingénieur dans de très nombreux chantiers médicéens. En particulier, Fortini a joué un rôle encore difficile à mesurer mais certainement essentiel dans cinq autres grands jardins. Ainsi, il apparaît comme le seul responsable des chantiers de Castello et Boboli entre la mort de son beau-père (1550) et le retour définitif de Vasari à Florence (1555) ; il se révèle actif à Poggio a Caiano et, à partir de 1566, à la Petraia81 ; outre Côme et François, Ferdinand l’emploie  encore en 1578 dans sa villa du Pincio à Rome, où il est probablement consulté pour la construction de la colline artificielle, qui a souvent été rapprochée du mont Parnasse de Pratolino. Fortini a sans doute eu un rôle décisif dans l’exécution des travaux de la villa de François. accompagnée d’un très copieux commentaire critique de Paola Barocchi, reste toujours en cours de publication (8 vol. parus, 1966-1987). J’ai préféré recourir aux deux éditions collectives séparées dont le texte est chaque fois révisé de manière relativement conservative par Aldo Rossi : celle de 1962-1966 dite du « Club del Libro » pour le texte de 1568 (Vasari, 1967) et l’édition proposée en 1986 pour le texte de 1550 (Vasari, 1991), auquel il sera moins fréquemment fait référence ; l’appareil critique n’a pas été directement sollicité dans cette étude, car en règle générale je me suis appuyé sur des travaux plus récents – postérieurs à 1990 – pour l’état des connaissances à propos des indications vasariennes qui concernent l’art des jardins. Enfin, la traduction française dirigée par André Chastel à partir de l’édition de 1568 (Vasari, 1981-89) n’a pratiquement pas été utilisée, dans la mesure où elle se révèle la plupart du temps beaucoup trop éloignée du détail du texte : en particulier, certaines expressions légèrement redondantes sont fréquemment omises afin d’alléger artificiellement la syntaxe, et l’uniformisation du lexique, apparemment destinée à faciliter la compréhension immédiate des descriptions d’œuvres, déforme considérablement la langue vasarienne en l’aplatissant dans certains passages ou, au contraire, en lui donnant une précision qu’elle n’a pas dans d’autres (sur la question cruciale du vocabulaire dans Le Vite, limité dans le nombre de termes mais particulièrement diversifié au niveau sémantique, je renvoie aux travaux de Le Mollé, 1988 et 1995, p. 127-130). Ce sont des options à la limite défendables pour une traduction intégrale, mais qui ne sauraient s’appliquer lorsqu’on traduit un extrait pour le commenter. Comme j’ai constamment cherché à donner des versions aussi littérales que possible des textes cités (pour des raisons exposées ci-dessous, au début de la section consacrée aux  documents en annexe), il m’a souvent semblé plus simple de retraduire les passages de Vasari plutôt que de corriger ponctuellement cette version française.  Sous les ordres de ces personnalités s’activent des artisans, maçons, tailleurs de pierre, menuisiers et toute une main d’œuvre, dont les conditions de travail ne sont pas des plus faciles. Les intempéries retardent régulièrement le chantier, comme en octobre 1578, lorsque des pluies provoquent des effondrements au niveau du lac, ou encore en novembre 1579. Il faut aussi rappeler quelques tristes réalités, qui ont dû s’observer dans tous les grands chantiers ordonnés par les grands-ducs : on utilise des esclaves, comme des Turcs capturés par les galères toscanes, et l’on « réquisitionne » les paysans et leurs bêtes de somme selon le système de la comandata, alors que la misère continue de régner dans les campagnes. En hiver, ils doivent travailler dans la boue et beaucoup tombent malades ; ils se plaignent même de retards de salaire. Grâce à la mise en jeu de compétences variées, de moyens humains d’envergure mais aussi, comme nous allons le voir, de ressources financières conséquentes, la réalisation du jardin a réussi à s’accomplir en une dizaine d’années seulement. À la mort de François en octobre 1587, Pratolino passe par testament à don Antonio, le fils illégitime qu’il avait eu de Bianca Cappello en 1576, avant le décès de sa première épouse Jeanne d’Autriche et son remariage avec la Vénitienne. Devenu grand-duc, le cardinal Ferdinand respecte dans un premier temps la volonté de son frère par un privilège du 6 mars 1588, avant de retirer la villa à don Antonio quelques mois plus tard. L’une des premières interventions du nouveau souverain consiste à faire transporter la fontaine de l’Ammannati à Florence ; les préparatifs s’amorcent dès le mois de mars et le groupe sera installé début 1589 sur la terrasse qui clôt la cour du palais Pitti87 (fig. 82). Pratolino reste néanmoins l’une des résidences préférées de la cour. Ferdinand y poursuit quelques travaux, qui concernent essentiellement le décor de certaines grottes. Francini réalise ainsi plusieurs fontaines, notamment à l’intérieur de l’Apennin. Heinrich Schickhardt indique en 1600 que Gorecano di Parma est alors à la tête du jardin89 : à cette date, Francini est déjà parti s’installer en France, où il entre au service d’Henri IV, notamment pour le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye90. Architecte, Schickhardt accompagne en effet le prince Frédéric de Württemberg alors en voyage à Florence ; on a conservé des notes et des croquis exécutés à l’occasion de sa visite à Pratolino (fig. 21, 27, 44, 69), qui fournissent certains détails intéressants91. Mais la série iconographique la plus complète est sans conteste composée des dessins de Giovanni Guerra conservés à l’Albertina de Vienne (fig. 22-23, 28, 33-35, 38-43, 46, 48, 51,54, 57-58, 62, 65, 68, 70, 72). Ce peintre originaire de Modène a exécuté de nombreuses vues d’autres grands jardins d’Italie centrale, dont Bagnaia et Bomarzo (fig. 111-115). Il semble avoir été chargé d’une véritable campagne documentaire par le cardinal Pietro Aldobrandini, qui poursuivait alors les travaux de reconstruction et d’embellissement de sa villa de Frascati ; en tout cas, Guerra déclare lui-même dans une lettre de décembre 1604 avoir tout juste terminé sa série sur Pratolino, ce qui permet de fixer à cette année la réalisation de ses dessins, pour lesquels la date de 1598 souvent proposée paraît trop précoce. Attentif aux détails de l’ornementation, Guerra permet ainsi de reconstituer assez précisément certains éléments aujourd’hui disparus.

La cour à la campagne

   À partir de là, une question mérite d’être soulevée : comment une telle entreprise pouvait-elle se justifier? En effet, d’autres grandes commandes émanant de François Ier de Médicis et impliquant Buontalenti, qui relèvent de l’urbanisme et de l’architecture militaire, religieuse ou civile – telles la planification de la ville nouvelle fortifiée de Livourne à partir de 1575, le concours pour la façade du Dôme de Florence en 1586-1587 ou encore la construction, entre 1583 et 1588, du palais grand-ducal de Pise23 –, apparaissent d’emblée « légitimes » dans leur effort d’assurer la défense du territoire et de favoriser le commerce maritime, d’embellir les édifices de culte ou de permettre au souverain d’assurer efficacement le gouvernement des provinces de son grand-duché. En revanche, la création d’un tel jardin peut entraîner une sorte de paradoxe : la villégiature, c’est-à-dire le séjour d’une partie ou de la totalité de la cour dans une villa campagnarde aménagée comme un paradis enchanteur, pourrait soustraire le prince à l’exercice du pouvoir, n’intéresser que son plaisir personnel, occasionner de colossales dépenses dont le peuple ne tire aucun bénéfice, risquer de ralentir la marche même des affaires de l’État. On a largement étudié le développement des villas dans l’Italie de la Renaissance en tant que mouvement architectural, culturel et plus largement historique. L’une des tendances qui s’est affirmée dans l’historiographie en souligne les facteurs socioéconomiques et politiques. Ainsi des historiens comme Reinhard Bentmann et Michael Müller ont pu développer une lecture, d’orientation explicitement marxiste, de l’idéologie « capitaliste » de la villa dans la République vénitienne au XVIe siècle. Sans partager forcément l’intention critique – et elle-même idéologique – de ce type d’approche, on peut reconnaître que la création des villas dans l’Italie du Cinquecento s’inscrit dans un phénomène qui a souvent été qualifié de « reféodalisation » ou de « réaction seigneuriale », se traduisant économiquement par le développement des investissements fonciers de la part des classes les plus riches qui sont désormais des classes essentiellement urbaines, la villa étant alors le moyen pour le propriétaire de venir surveiller la gestion du domaine agricole alentour. Sur le plan sociopolitique, cette reféodalisation correspondrait notamment à la transformation des structures républicaines, mises en place au cours de l’époque communale, en États monarchiques dont le souverain tend à imposer un système de rapports hiérarchiques qui rappelle celui des sociétés féodales plus anciennes. La Toscane des Médicis en est peut-être l’exemple le plus significatif. À Venise, dont la situation politique est différente de celle de Florence, les investissements fonciers qui semblent à l’origine de la multiplication prodigieuse des villas sont liés à un contexte économique – l’agriculture présente alors une source de revenus « alternative » au commerce maritime moins sûr et rémunérateur, encore que ce dernier reprenne une grande importance dans la seconde moitié du siècle –, mais aussi politique : le maintien de droits féodaux institués par l’Empire dans la Terre Ferme et cédés définitivement à la République en 1516, qui pouvaient être transmis par l’achat d’un fief et pas seulement par filiation et assurait en contrepartie la fidélité des propriétaires au gouvernement, facteur juridique dont Michelangelo Muraro a dégagé avec grande pertinence l’importance dans la « civilisation des villas vénitiennes ». Autant dire que l’essor du capitalisme agraire dans la péninsule ne suffit pas à lui seul à expliquer la fortune qu’y connaît la villa. De plus, la logique économique d’un Médicis dans la seconde moitié du XVIe siècle n’est plus celle d’un banquier, mais bien d’un prince. Giorgio Spini, en montrant combien le mécénat architectural des Médicis pouvait se rapporter à l’émergence d’un régime absolutiste et même totalitaire mis en place par Côme Ier, rappelle en effet que le prince tient non seulement les rênes du pouvoir économique en Toscane, mais que son intérêt « privé » ne se distingue pas de l’intérêt « public » de l’État, puisqu’il peut user de son pouvoir politique pour s’enrichir, une situation nouvelle par rapport à l’ancienne république oligarchique. Ainsi d’un point de vue financier, son patrimoine particulier n’est pas séparé du trésor « public », dont les entrées d’argent peuvent servir à des dépenses d’ordre « privé »30, ce qui semble être le cas de Pratolino comme l’avons vu. La villa du prince mobilise des enjeux bien plus larges que la celle du riche marchand. Le livre récent de James S. Ackerman sur la typologie et l’idéologie de la villa de l’Antiquité au XXe siècle s’ouvre sur cette définition : Une villa est un édifice construit à la campagne et conçu pour l’agrément et le repos de son propriétaire. Bien qu’elle puisse être aussi le centre d’une entreprise agricole, le plaisir est le facteur essentiel qui distingue la villa de la ferme, et le domaine qui l’entoure de l’exploitation proprement agricole. Ce qui implique de distinguer deux catégories de villas sur le plan économique : L’une est le domaine agricole autosuffisant qui non seulement couvre ses propres besoins, mais dégage en outre un excédent destiné à être vendu sur les marchés urbains ou régionaux et qui suffit à pourvoir au train de vie du propriétaire. L’autre est la villa définie « per semplice diletto » ainsi que la décrit Leone Battista Alberti, conçue à l’origine comme lieu de retraite (…) et qui dépend pour sa construction et son entretien d’une plus-value réalisée dans les centres urbains. Peut-on classer Pratolino dans l’une de ces catégories? Il faudrait dans l’idéal examiner en détail les comptes grand-ducaux, mais quelques observations permettent d’avancer une réponse. L’achat de la propriété d’Uguccioni en septembre 1568 est suivi jusqu’en avril 1586 d’une série d’acquisitions de terrains destinées à constituer, autour de la villa, un véritable domaine agricole, un patrimoine foncier qui semble représenter une dépense d’environ 20000 scudi. Son organisation correspond à celle qui se généralise alors en Toscane, et qui accompagne en fait la « reféodalisation » à laquelle il a été fait allusion en impliquant le remembrement de la propriété terrienne, désormais concentrée dans les mains de quelques familles. Chaque grande villa est au centre d’un domaine agricole, ou fattoria, qui rassemble différents poderi ou « fermes »35, comme c’est par exemple le cas à Castello. À Pratolino, la fattoria regroupe en 1586 une douzaine de poderi ; l’extension se poursuivra par la suite : d’après le relevé de Bernardo Sansone Sgrilli exécuté en 1737 (fig. 12), la fattoria comprendra alors vingt-et-un poderi, formant une surface totale de près de 620 hectares. Pourtant, suggère Giorgio Spini, à la différence de la plupart des autres villas médicéennes, créées ou restructurées par rapport à une stratégie de mise en valeur rurale, Pratolino apparaît « bien plus un lieu de “plaisance” que l’expression d’importants intérêts économiques orientés vers la terre39 ». Non pas que la fonction productive de l’ensemble du domaine soit négligeable – aux cultures agricoles et à l’élevage40 doivent être ajoutées la chasse et la pêche, deux activités que nous évoquerons plus loin. Mais la structure même de la villa semble effectivement en faire tout autant, sinon davantage, un lieu de réception et de représentation qu’un centre administratif pour la gestion rurale où le prince ne viendrait qu’épisodiquement exercer sa surveillance.

Les divertissements du prince

   Doni, on l’a vu, évoque aussi la villégiature princière en traitant de la « villa civile », dont le propriétaire est « roi, duc ou seigneur puissant et valeureux ». Il apporte lui aussi un témoignage sur la justification possible de sa construction : Nos princes et seigneurs, afin de pouvoir s’éloigner parfois du grand tumulte de la foule, se font de belles villas « à la campagne », comme par exemple Castello du Duc de Florence (…) et tant d’autres. (…) De telles constructions illustres donnent le privilège d’une digne renommée pour plusieurs siècles. La villégiature est ainsi rattachée à la magnificence. Mais après avoir décrit l’agencement de l’architecture et du jardin, Doni s’efforce surtout de rendre compte des activités d’un prince de sa connaissance dans sa villa : les joies de la villégiature semblent compter davantage que le prestige de sa création. Le  souverain vient séjourner à sa villa quatre à six fois par an, pendant une semaine, et s’y livre aux plaisirs de la campagne, avec plus de faste que nos lettrés, cela s’entend. Son arrivée le dimanche est fêtée par une messe solennelle puis par des jeux équestres, suivis d’un banquet apprêté sous la loggia du palais, de nouveaux jeux comme la lutte de paysans, d’une comédie, du dîner et enfin d’un bal. Dès le lundi matin, il part à la chasse aux sangliers, aux cerfs et aux chevreuils. On déjeune au sommet d’une colline, offrant une belle vue, ou à l’ombre d’une forêt épaisse. Le lendemain, jardinage : On plantait divers arbres fruitiers et des vignes ; on faisait tracer des allées, décorer des jardins, et toute la journée était consacrée à l’agriculture, à part l’après déjeuner, où l’on passait un peu de temps à jouer. Le prince s’en va le mercredi matin chasser au faucon ; le reste de la journée se passe en joutes, courses de bague (correre all’anello) et jeux de ballon. Le lendemain, il emmène limiers et lévriers courir le lièvre ou le renard, puis s’amuse encore à divers jeux. Une journée est tout de même employée à écouter les doléances, et à suivre de près les travaux d’aménagement des rivières. Parfois on appareille les rets pour réussir une belle pêche, en présence de toute la cour, avec le plaisir que l’on sait, supérieur à tous les autres qu’offre la villa, selon l’opinion de beaucoup, car à la pêche ne se fatigue que l’œil, tandis qu’à la chasse il faut donner toutes ses forces. Et qui n’aime guère ni la pêche, ni la chasse ou l’oisellerie, fasse ce qui lui plaît le plus. Là encore, l’idée de liberté reste donc essentielle. Il faut d’abord relever l’importance de la chasse, pratiquée sous toutes ses formes : elle est au XVIe siècle l’un des divertissements les plus prisés de l’aristocratie, « car elle a une certaine ressemblance avec la guerre ; elle est véritablement un plaisir de grand seigneur et elle convient à l’homme de cour », indique par exemple Castiglione dans Il Libro del Cortegiano paru en 1528. Machiavel est du même avis, et présente la chasse comme une sorte d’entraînement à la guerre : le prince doit sans cesse aller à la chasse, et par là accoutumer son corps à la peine, et en même temps apprendre la nature des sites et connaître comment s’élèvent les montagnes, comment s’ouvrent les vallées, comment s’étendent les plaines, et comprendre la nature des fleuves et des marais, et à tout cela apporter le plus grand soin (…) : car les collines, les vallées, et plaines, et fleuves, et marais qui sont, par exemple, en Toscane, ont avec ceux des autres provinces certaine similitude ; si bien que de la connaissance du paysage [sito] d’une province, on peut facilement venir à la connaissance des autres. La pratique de la chasse donne ainsi lieu à une « expérience » du paysage, à une connaissance topographique nécessaire au bon stratège : dès lors les activités de la villégiature reçoivent une légitimité politique parce qu’elles permettent un contact direct, y compris corporel, avec la « nature » entendue ici comme ensemble des principes de la géographie physique. Justification qui perd pourtant de sa pertinence dans l’Italie de la seconde moitié du XVIe siècle, essentiellement pacifique après le traité de CateauCambrésis en 1559. Mais Machiavel ne négligeait pas non plus les bienfaits du délassement procuré par les passe-temps campagnards. En décembre 1513, dans la fameuse lettre qui annonce à Francesco Vettori l’achèvement du Prince, il confie son adhésion aux plaisirs de la villégiature : Je vis donc dans ma maison de campagne. (…) Jusqu’ici j’ai piégé les grives de ma main. Je me levais avant l’aube, faisais mes gluaux, et en route, sous une telle charge de cagesattrapes qu’on eût dit l’ami Geta quand il s’en revient du port avec les livres d’Amphitryon ; j’attrapais de deux à six grives. J’ai passé ainsi tout novembre. Depuis, cette façon de tuer le temps si piètre et singulière fût-elle, m’a bien manqué. Voici donc comment je vis. Je me lève avec le soleil, et je vais à un bosco que je possède, et que je fais couper ; j’y reste deux heures à revoir la besogne du jour écoulé et à tuer le temps avec mes bûcherons (…). En quittant mon bosco, je m’en vais à une fontaine et de là à mon uccellare. J’emporte un livre sous le bras, tantôt Dante ou Pétrarque, tantôt l’un de ces poètes mineurs, comme Tibulle, Ovide et autres : je me plonge dans la lecture de leurs passions, de leurs amours, et je me souviens des miennes ; pensées dont je me recrée un bon moment. Lectures légères, conformes à l’otium litteratum et invitant à la rêverie, spectacle du travail des paysans, chasse aux oiseaux : il s’agit bien de cette vie simple et réconfortante, de ce doux « passar tempo » aux accents horatiens dont l’apologie de la villégiature consacre la « renaissance ». On retrouve cette double valorisation, utilité sociale et militaire d’une part, plaisir individuel de l’autre, dans le cas des jeux, la seconde des principales activités de la villégiature princière selon Doni. Ainsi Castiglione les recommande-t-il juste après la chasse pour l’entraînement physique et la bonne réputation du gentilhomme, mais encore pour son divertissement, favorisé par leur varietas : Il est convenable également de savoir nager, courir, sauter, jeter la pierre, parce qu’outre l’utilité qui peut en être tirée pour la guerre, il est nécessaire souvent de faire ses preuves dans les exercices de ce genre, par lesquels on s’acquiert une bonne réputation, surtout auprès de la multitude, à laquelle il faut savoir s’accommoder. Le jeu de paume est aussi un noble exercice et fort convenable au Courtisan (…). Je n’estime pas moins digne de louange de savoir voltiger à cheval (…). Mais, parce qu’il n’est pas possible de passer toujours son temps à des exercices aussi fatigants, et que la trop grande fréquence crée la satiété et fait disparaître l’admiration que provoquent les choses rares, il est nécessaire de varier sans cesse notre existence en faisant des choses différentes. C’est pourquoi je veux que le Courtisan se permette parfois des exercices plus tranquilles et plus paisibles, (…) qu’il rie, qu’il joue, qu’il plaisante, qu’il aille au bal et qu’il danse. Nous verrons au chapitre suivant que les jeux et les exercices physiques entrent aussi dans la panoplie des avantages de la villégiature d’un autre point de vue, médical cette fois. Le texte de Castiglione les intègre plutôt dans le cadre qui sous-tend sa discussion sur le « Courtisan » : l’importance des rapports sociaux et de la civilité dans le fonctionnement de la cour. Une génération plus tard, les traités sur la villégiature détourneront l’argument dans leur condamnation de la vie de cour en prétendant que c’est seulement à la campagne qu’une civilité authentique peut se développer.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Prologue – Pratolino, de sa création à nos jours
Le chantier initial
Fortune et transformations successives
Première partie – Pratiques et perceptions : l’expérience du lieu
Chapitre 1 – « Hilaritas et remissio animi », ou le paradoxe de la villégiature princière
La cour à la campagne
Magnificence
L’apologie rustique
Les divertissements du prince
Villégiatures médicéennes
Une retraite solitaire
D’air pur et d’eau fraîche
Chapitre 2 – Sensations : palper l’espace
Copia et varietas, principes de plaisir
Exercices et promenades
Un lieu dessiné à la mesure du corps : parcours et spatialité
Des sentiers qui bifurquent
Voir à vol d’oiseau
Ombre et fraîcheur
Une stratégie de « climatisation »
L’immersion salutaire, ou l’obsession de la salubritas
Chapitre 3 – Émotions : ressentir le paysage
La gaieté archétypale du locus amœnus
Les mouvements de l’âme
Une physiologie de l’allégresse
Des vertus de la verdure
Les ambiguïtés du rire
Le plaisir de l’effroi
Délices et tourments, ou le jardin comme récit
La terrifiante puissance du lieu : bois sacrés et genius loci
Silence et recueillement
L’émerveillement contemplatif
Vers le sublime
Deuxième partie – Représentations : le théâtre de la nature
Chapitre 4 – L’horizon encyclopédique : collectionner, exposer, posséder Le jardin comme collection
La grotte : Wunderkammer ou mosaïque ?
L’animal entre signe et objet
« I bei fiori pellegrini »
Le prince et la botanique
Catalogage et indexation
Chapitre 5 – Natura naturans : déployer les phénomènes
Les enjeux d’une exégèse
Parcours allégoriques : les mystères de Vénus
Les mouvements des eaux de l’Univers
Représentations météorologiques : allégorie, imitation et métaphore
À l’origine des sources
Une iconographie plurivoque
Programmes médicéens
Jardins hydrographiques
L’esprit de système : un concert poétique
Chapitre 6 – Ars naturans : capter les processus
Le génie du singe, ou l’art d’imiter la nature
Ars naturans
La pensée technique
La « magie » des automates : l’artifice animé
L’asymptote de l’art
La procédure entre logique et biologie
Le prince démiurge et thaumaturge
Troisième partie – Figures de l’imaginaire : le rapport au monde
Chapitre 7 – Daphnis, Vertumne et Vulcain : projection, analogie, création
Figures pastorales
Ut pictura poesis, ut poesis hortus, ut hortus pictura
Le complexe de Daphnis : le moi et la nature
Le complexe de Vertumne : le corps et le cosmos
Le complexe de Vulcain : l’œuvre et l’univers
Conclusion

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *