Pratiques langagières et parcours migratoires

Théorie de la migration et portraits de migrants 

Il s’agira d’un côté de brosser le portrait d’un groupe de personnes originaires de France qui se sont installés à Toronto, la capitale économique du Canada, entre 1945 et 1999. Comme on le verra dans la partie dédiée à l’histoire démographique et migratoire de cette ville (chapitre 1), la capitale ontarienne offre un terrain fertile de recherche, car elle est à la fois anglophone, pluri-ethnique, plurilingue et comporte une minorité francophone active et revendicatrice. Ainsi, le simple fait d’être francophone confère au groupe étudié ici un statut à part dans l’immigration torontoise, celui de minorité reconnue aux niveaux municipal (Toronto), provincial (l’Ontario) et fédéral (le Canada). L’acceptation de ce statut reste bien sûr une question de choix ou de négociation des migrants eux-mêmes, transplantés dans une société par principe non assimilationiste.

En définissant le langagier comme la somme de ce qui relève des actes de communication et des contenus grammatical, phonologique, kinésique et culturel qui servent à conclure des contrats énonciatifs, je fonderai mes analyses sur la thèse principale que les pratiques langagières (au sens large donc du langagier et du linguistique) et l’intégration ethno-sociale s’influencent mutuellement. Mes hypothèses sont d’abord que l’insertion du migrant dans la société d’accueil dépend de critères tant internes à l’expérience du migrant (son histoire, ses attentes, ses représentations, son expérience du bilinguisme, etc.) qu’externes aux choix conscients qu’il effectue (ségrégation ou hétéro-acceptation, prestige de la culture d’origine, rejet de la francophonie par une partie de la population, tensions à l’intérieur de cette « communauté » francophone, etc.).

D’autre part, je soulignerai que le sentiment d’appartenance aux sociétés d’accueil (le Canada anglais) et de départ (la France) a un fonctionnement paradoxal, dans la mesure où il est à la fois intrinsèquement lié à la communauté, mais repose aussi sur une dynamique avant tout individuelle. Cela posera bien sûr le problème fondamental des notions de groupe ethnique et de communauté. Alors que certains chercheurs (Reitz, 1990 ; De Vries, 1984) affirment que le maintien (en d’autres termes, la rétention) linguistique promeut la cohésion du groupe ethnique et en est même la condition sine qua non, j’avancerai sur ce terrain avec davantage de prudence, à la lumière des 45 témoignages recueillis et des situations d’interactions observées pendant deux ans dans quatre lieux où intervenaient des Français émigrés. Je poserai le problème de la relation entre l’individu et le groupe, adhérant davantage à l’idée exprimée par Le Page et Tabouret-Keller (1985) d’actes identitaires , ou même d’actes d’identification, dans lesquels se reconstruisent et se co-construisent identité et ethnicité dans le discours. On peut supposer que les définitions mettant en avant la nature « groupale » ou collective de l’ethnicité montrent leurs carences dans la mesure où elles partent de l’idée de la distinction nette entre deux groupes dans les sociétés d’accueil et d’origine, ou de déplacement de groupes unis.

En conséquence, j’avancerai qu’il n’y a pas à proprement parler de communauté française à Toronto au sens où l’entendent certains sociologues de la migration et de l’ethnicité. Si elle existe, elle se caractérise en tout cas par la fragmentation et des processus de regroupement aussi évolutifs que ne l’est l’identité en construction d’un migrant. Si ces expatriés français partagent une histoire nationale et culturelle et une langue communes, il convient de souligner que la migration est faite d’un avant, d’un pendant et d’un après temporels et spatiaux. Ce sont ces moments et ces espaces, localisés ou non, qui lui donnent son dynamisme.

Du rapport entre parcours migratoires et pratiques langagières 

La situation torontoise appellera bien entendu des commentaires particuliers. La migration française (et dans certains cas francophones plus généralement) en Ontario se distingue par le passage du migrant d’une francophonie majoritaire à une anglophonie majoritaire, mais aussi à une francophonie minoritaire qui dispose d’un statut « protégé » par diverses lois fédérales et provinciales. Le processus d’adaptation d’un Français immigré dans cette grande métropole nord-américaine est donc non seulement lié à des questions économiques, sociales et culturelles, mais aussi linguistiques : Toronto lui offre en effet la possibilité de mettre à profit deux types de capital culturel et linguistique (au sens de Bourdieu, 1982) : sa langue française d’un côté, sa culture et son origine françaises de l’autre.

Ainsi, en partant du principe que la migration doit être saisie de façon dynamique et évolutive, je poserai qu’elle se compose à la fois d’une expérience pré-migratoire et d’un parcours migratoire. J’avancerai aussi que l’identité et la langue sont d’une part liées par la combinaison de cette expérience et de ce parcours et d’autre part – de façon aussi importante – par le projet d’intégration auquel se rattache le migrant. Même lorsque ce projet est expressément formulé au moment de l’arrivée dans le pays d’accueil, il n’est jamais statique et immuable.

Pour une démarche anthropolinguistique de la migration 

Deborah Cameron (1980, citée par Le Page 1997 : 31) rappelait la vision grossière et naïve de la sociolinguistique quantitative, qui malgré son nom ne savait pas relier le linguistique au social. G. Williams (1992 : 92) a lui aussi critiqué la tendance de la sociolinguistique à baser ses travaux sur des critères principalement linguistiques, alors que le lien qui unit langue et communauté est l’interaction. À notre époque, les cloisonnements disciplinaires sont sans doute moins forts et il convient donc d’œuvrer pour évacuer les concepts d’uniformité linguistique et d’uniformité sociale, ce pour laisser place à l’idée que l’hétérogénéité des pratiques est la règle, sur les plans social et langagier. De surcroît, ce mouvement doit participer de l’effort de la recherche pour mettre en pratique le principe bakhtinien de l’association, non de la disjonction, de l’étude des structures de la langue et de celle des interactions sociales et verbales (Boutet, 1994 : 3).

Blanchet prône une approche ethno-sociolinguistique permettant de rendre compte à la fois du linguistique (les structures linguistiques), de l’interactionnel (le dialogue et la négociation énonciative), du socioculturel ainsi que de son volet ethno-identitaire et, pour finir, de la signification et de l’interprétation symboliques des usages de la langue (Blanchet : 2000 : 72). Il résume sa réflexion en soumettant à son lecteur la nécessité d’une « linguistique de la complexité » (ibid.), expression générique qui illustre bien que pratiquer une langue ne relève pas que de la linguistique, mais d’un réseau complexe et interactif entre les diverses disciplines parfois trop compartimentées des sciences de l’homme.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1.
PERSPECTIVES HISTORIQUES ET DÉMOGRAPHIQUES: LA FRANCOPHONIE TORONTOISE
1-1. Introduction
1-2. La francophonie canadienne
1-2.1. Composition de la francophonie canadienne
1-2.2. L’évolution de la francophonie canadienne
1-3. Population et francophonie en Ontario
1-4. Colonisation, immigration et peuplement au Canada et en Ontario
1-4.1. Survol historique
1-4.2. L’immigration au Canada, ou le peuplement d’un pays
1-5. La ville de Toronto
1-5.1. Données géographiques et démographiques sur la ville et ses banlieues
1-5.2. Toronto, mégalopole multi-ethnique
1-5.3. Un plurilinguisme torontois ?
1-5.3.1. La langue maternelle
1-5.3.2. La rétention linguistique
1-5.3.3. La langue au travail
1-6. La francophonie, la France et les Français à Toronto
1-6.1. La francophonie torontoise
1-6.1.1. Les locuteurs de langue maternelle française
1-6.1.2. Origines des locuteurs de français langue maternelle
La population née en Ontario
Les migrants venues d’autres provinces
Les immigrants francophones
Francophones d’ici, francophones d’ailleurs
1-6.2. Toronto, la France et les Français
1-6.2.1. Les Français de Toronto : statuts et visibilité
1-6.2.2. Données et définitions démographiques
1-6.2.3. Portraits sociologique et socioprofessionnel
Distribution en sexes et en âges
Structure de la famille
Niveau d’éducation
Activité professionnelle et chômage
Catégories socioprofessionnelles et salaires
1-7. Synthèse et conclusions
CHAPITRE 2.
OBJECTIFS ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
2-1- Introduction
2-2. Objectifs de la thèse
2-2.1. Un objectif heuristique
2-2.2. Un objectif social
2-2.3. Le chercheur et son terrain : éthique, plaidoyer ou responsabilisation?
2-3. Méthodologie de la recherche et travail ethnographique de recueil de données
2-3.1. Les entretiens
2-3.1.1. Approche théorique
Les pièges de la mystification
Un instrument aux multiples facettes interprétatives
2-3.1.2. L’entretien et la nature de la relation intervieweur-interviewé: difficultés
Une situation perçue comme artificielle
Un exemple de question tabou : la mort
Position institutionnelle, statut culturel et pratiques sociales des interlocuteurs
2-3.1.3. L’entretien et son protocole
Le corpus de 1994-1995
Les entretiens de 1999 : un groupe pilote
Le groupe principal : les entretiens de 2002
2-3.1.4. L’analyse des discours : choix méthodologiques
2-3.2. L’observation directe et participante
2-3.2.1. Types et objectifs de l’observation directe
2-3.2.2. Observation et éthique de la démarche
2-3.2.3. Les lieux d’observation
L’Institut Molière
L’Établissement Hexagone
Les bureaux de traduction Cholet et Dupré
2-3.2.4. Protocole et pratique de l’observation directe
2-4. Synthèse et conclusions
CONCLUSION GÉNÉRALE 

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