Le XIIIe siècle : un duché autonome (phase 1)
Au XIIIe siècle, la Bretagne est un duché autonome convoité à la fois par les royaumes d’Angleterre et de France. Si la dispersion de la population s’est maintenue avec une région majoritairement rurale, Rennes s’impose toujours à la tête du réseau de peuplement de Haute-Bretagne (Bachelier 2013). La région se compose alors de neuf évêchés 1 dont seuls ceux de Rennes et Nantes offrent quelques ressources documentaires (Chédeville, Tonnerre 1987). L’environnement urbain rennais demeure cependant flou et la topographie est connue grâce à la destruction d’édifices suites aux luttes anglo-françaises comme le monastère Saint-Pierre en 1230 ou à leur reconstruction, comme ce fut le cas du château en 1181 par Henri II Plantagenêt (Bachelier 2013, 329 et 381‑381). La ville se compose de plusieurs paroisses bien identifiées mais son plan précis, ses édifices cultuels et publics nous sont encore inconnus dans les détails. Son rempart, construit au IIIe siècle, semble ne pas connaitre de modification jusqu’en 1421, date de la construction de l’enceinte nord de la ville. Cette enceinte symbolise alors davantage la ville qu’elle ne porte un réel rôle défensif (Bachelier 2013, 383)
Les cimetières paroissiaux
Les sources documentaires sont très ténues et peu d’études s’intéressent aux cimetières paroissiaux et à la place des morts à Rennes durant les périodes médiévale et moderne. Les églises paroissiales polarisent la population (Bachelier 2013, 409). Elles possèdent pour la plupart des aîtres cimétériaux destinés à recevoir les tombes de l’ensemble des paroissiens comme c’est le cas pour les églises de Saint-Étienne, Saint-Aubin, Saint-Germain, Saint-Jean ou Toussaints (fig. 3). S’il s’agit donc bien des lieux de sépultures les plus communs, aucun de ces cimetières n’a pourtant fait l’objet à ce jour de fouilles extensives pour caractériser cette population, les données reposant majoritairement sur des sources historiques et iconographiques. Les inhumations dans les églises associées sont également la règle (Croix 1981, 1005 et 1007-1011) et, contre rétribution, les sujets les plus fortunés peuvent choisir d’y être inhumés, au moins jusqu’en 1776, date de la déclaration royale limitant ce droit à quelques cas marginaux (Bertrand 2000). La plupart des évêques préfère quant à eux être inhumé dans la cathédrale Saint-Pierre depuis le XIIe siècle, les nobles bretons choisissant de leur côté plutôt les églises conventuelles, et notamment celles des Carmes, des Cordeliers ou des Jacobins (Martin 1975a ; Isbled 1992 ; Le Cloirec 2016). Les cimetières d’hôpitaux regroupent à l’opposé les indigents et les défunts contagieux. Sur la base des sources historiques, la constitution d’un gradient économique et social des sujets en fonction de leur choix définitif du lieu de sépulture peut alors être proposée
Couvent des Cordeliers
Le couvent des Cordeliers, fondé en 1240, est le premier couvent des ordres mendiants à s’implanter à Rennes. Il est dans les murs de la ville à partir de 1448, date d’achèvement du deuxième rempart. D’obédience franciscaine, il est très apprécié de la population et partage la faveur des aristocrates rennais. Une bulle papale de 1537 précise qu’il s’agit même du premier couvent franciscain de Bretagne avec ses 50 religieux (Martin 1975a, 118). Le Parlement de Bretagne y siégea jusqu’en 1655, date de l’achèvement des travaux du palais voisin. Les données historiques stipulent que son cimetière s’étendait au nord de la place adjacente (Banéat 1904, 299). La chapelle accueille de nombreuses sépultures et monuments de gentilshommes et ce jusqu’au XVIIIe siècle (Bourde de la Rogerie 1927). Plusieurs dizaines de pierres tombales ont été bouleversées lors de travaux de rénovation au XVIIe siècle, dont celle de Pierre Becdelièvre, trésorier général de Bretagne, décédé en 1504. La mention d’un cardiotaphe dans le chœur de l’église et contenant le cœur de Guy d’Espinay (1522), échanson des reines Anne de Bretagne et Claude de France, et celle d’un cercueil en plomb contenant le corps de Bertrand d’Argentré (1590) et transféré dans l’église Saint-Germain en 1821, illustrent ces sépultures prestigieuses. Les vestiges du couvent ont aujourd’hui presque totalement disparu, notamment avec le percement de l’actuelle rue Victor Hugo en 1829. Le couvent est réquisitionné en bien national et transformé en imprimerie à partir de 1793.
Autopsie
Une autopsie classique a été pratiquée pour chaque organe, à savoir une étude externe, un examen des artères coronaires et une dissection des cœurs pour une inspection interne. Afin de conserver le maximum de données, plusieurs appareils photographiques et une caméra vidéo ont été installés dans la salle d’autopsie (fig. 39/E). Des échantillons de tissus différents ont été collectés pour des examens anatomopathologiques. Les tissus ont été placés dans du formol de 4 % pour une durée de 5 jours. Ensuite ils ont été incorporés à la paraffine et sectionnés avec épaisseur de 5 μm. Les sections de tissu ont enfin été déparaffinées dans le xylène, réhydratées dans de l’alcool et déminéralisée à l’eau, puis colorés à l’hématoxyline éosine. Les lames ont été préparées et étudiées par le Dr Céline Guilbeau-Frugier.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Contexte historique et archéologique du XIIIe au XVIIIe siècle
1.1 Contexte général breton
1.1.1 Le XIIIe siècle : un duché autonome (phase 1)
1.1.2 Du XIVe au XVIe siècle jusqu’aux guerres de la Ligue (phase 2)
1.1.3 Les XVIIe et XVIIIe siècles (phase 3)
1.2 L’organisation des paroisses et les lieux d’inhumations à Rennes
1.2.1 La ville de Rennes
1.2.2 Les cimetières paroissiaux
1.2.3 Les cimetières conventuels
1.2.3.1 Couvent des Cordeliers
1.2.3.2 Couvent des Carmes
1.2.3.3 Le couvent des Jacobins
1.2.4 Les autres cimetières
1.2.4.1 Les cimetières d’hôpitaux
1.2.4.2 Lieux de sépultures isolées : la chapelle Saint-Thomas (actuelle église Toussaints)
1.3 Conclusion : les ressources disponibles
Chapitre 2. Matériel
2.1 Matériel par phase chronologique
2.1.1 Matériel disponible pour le XIIIe siècle (phase 1)
2.1.2 Matériel disponible pour la fin XIVe au XVIe siècle au couvent (phase 2)
2.1.3 Matériel disponible pour les XVIIe et XVIIIe siècles (phase 3)
2.2 Définition, classification de groupes socio-économiques : les hypothèses de travail
2.2.1 Les sujets inhumés dans des secteurs favorisés (groupe A) et probables aristocrates (groupe A’)
2.2.2 Les sujets inhumés dans des secteurs moins favorisés (groupes B et B’)
2.2.3 Les sujets de la salle capitulaire (groupe C)
2.2.4 Les sépultures multiples de plus de deux individus de la phase 2 (groupe D)
2.3 Les données des sources historiques et archivistiques
Chapitre 3. Méthodes
3.1 Méthode de fouille, enregistrement et exploitation des données
3.1.1 La fouille des sépultures
3.1.2 Création du Système de Gestion de Base de Données (SGBD), gestion et traitement des données
3.1.3 Le phasage des sépultures
3.1.4 Traitement spatial, création du Système d’Information Géographique (SIG) et rendu cartographique
3.1.5 Les analyses statistiques
3.1.5.1 Traitement des variables booléennes, discontinues
3.1.5.2 Traitement des variables continues
3.1.5.3 Traitement géostatistique
3.1.5.4 Les résumés
3.2 Méthodes anthropologiques sur os sec
3.2.1 La détermination du sexe
3.2.2 La détermination de l’âge au décès
3.2.2.1 Les individus immatures
3.2.2.2 Les individus adultes
3.2.2.3 La paléodémographie
3.2.3 La morphométrie
3.2.4 Les caractères discrets
3.2.5 Étude sanitaire et paléopathologique
3.2.5.1 L’état de santé en Bretagne d’après les sources historiques
3.2.5.2 Objectifs de l’étude et méthodologie
3.2.6 Méthodes isotopiques
3.3 Les matières organiques
3.3.1 Origine des dépôts
3.3.1.1 Contexte général
3.3.1.2 Des cercueils en plomb
3.3.1.3 Des cardiotaphes
3.3.2 Étude des corps humains bien conservés
3.3.2.1 Déshabillage des corps
3.3.2.2 Examens tomodensitométriques
3.3.2.3 Autopsies et prélèvements
3.3.3 Étude des cœurs humains
3.3.3.1 Des images CT et IRM
3.3.3.2 Opacification coronarienne
3.3.3.3 Réhydratation
3.3.3.4 Autopsie
Chapitre 4. Résultats
4.1 Le monde des morts et son évolution
4.1.1 Le recrutement des groupes socio-économiques
4.1.1.1 Les sujets des groupes A et A’
4.1.1.2 Les sujets des groupes B, B’ et B’’
4.1.1.3 Les sujets du groupe C
4.1.1.4 Les sujets du groupe D
4.1.1.5 Analyse anhistorique par phase
Résumé
4.1.2 Architectures des tombes
4.1.2.1 Typologie des tombes
Des inhumations individuelles et multiples
Les ossuaires et réductions de corps : vers une dépersonnalisation des dépôts ?
4.1.2.2 Les fosses sépulcrales
La forme des fosses
La profondeur des fosses
L’orientation
4.1.2.3 Les enfeus
Les enfeus de l’église
Les enfeus de la chapelle Saint-Joseph
Les enfeus de la chapelle Notre-Dame
4.1.2.4 Les caveaux funéraires
Le caveau de la sépulture 286
Le caveau de la sépulture 288
Le pourrissoir du chœur de l’église
4.1.2.5 Les chapelles internes à l’église
4.1.2.6 Les tombes du commun et la signalétique
Résumé
4.1.3 Pratiques funéraires
4.1.3.1 La position des corps, la présentation du cadavre
La position générale du corps
La position de membres supérieurs
La position des membres inférieurs
4.1.3.2 Les contenants : remarques générales
4.1.3.3 Les inhumations en fosse (pleine terre)
4.1.3.4 Les cercueils
Les cercueils en bois
Les cercueils en plomb
Les cardiotaphes
4.1.3.5 Les inhumations en enveloppe souple
Les linceuls
Le cas de la sépulture de Louis Bruslon de la chapelle du collège Saint-Thomas
Les inhumations habillées : les habits funéraires
Le cas de la sépulture de Louise de Quengo
4.1.3.6 L’embaumement au couvent et la pratique des funérailles multiples
Les traces archéologiques
Les observations sur matériaux organiques
Les sources historiques
4.1.3.7 Les objets accompagnant les morts
Objets liturgiques
Parures
Résumé
4.2 Le monde des vivants et son évolution
4.2.1 Morphologie et phénotype
4.2.1.1 Ostéométrie
Les hommes
Les femmes
Des différences hommes – femmes ?
4.2.1.2 Les caractères discrets
Les caractères hypostotics
Les caractères hyperostotics
Les os suturaires, fontanellaires et surnuméraires
Les foramens, orifices et sillons
Autres variations dentaires
Analyse globale des caractères discrets (évaluation des distances entre groupes)
Résumé
4.2.2 Origine géographique et évolution : les données historiques et isotopiques (soufre, strontium)
4.2.2.1 La question de la mobilité à partir des sources historiques
4.2.2.2 Analyses isotopiques du soufre (34S)
4.2.2.3 Analyses isotopiques du strontium (87Sr/86Sr)
Résumé
4.2.3 L’alimentation : données historiques et isotopes du carbone et de l’azote
4.2.3.1 Les habitudes alimentaires du XIIIe au XVIIIe siècle d’après les sources historiques
4.2.3.2 Analyse isotopique des échantillons de comparaison animale (os et dents)
4.2.3.3 Données isotopiques des humains (os et dents)
Résumé
4.2.4 État sanitaire
4.2.4.1 Des pathologies traumatiques
Localisation des lésions
Le cas particulier des atteintes du groupe D
4.2.4.2 Des infections spécifiques et non spécifiques
4.2.4.3 Les pathologies dégénératives et marqueurs d’activité
Lésions d’arthrose et maladies inflammatoires ou dégénératives
Des enthèses non ciblées vers une activité spécifique
Des marqueurs de posture
4.2.4.4 Les indicateurs de stress non spécifiques
Hyperostose porotique
Cribra orbitalia
4.2.4.5 Autres lésions osseuses
Les pathologies tumorales
Les déséquilibres hormonaux (hyperostose frontale interne, HFI)
La maladie hyperostosique (Diffuse Idiopathic Skeletal Hyperostosis, DISH)
Le syndrome de Klippel-Feil
4.2.4.6 Les pathologies des tissus mous
Une hernie inguinale
Des pathologies cardiaques
Étude des corps entiers conservés : la sépulture de Louise de Quengo
Étude des corps entiers conservés : la sépulture de Louis Bruslon du Plessis
Résumé
Chapitre 5. Discussion : confrontation des données
5.1 Confrontation des données inter-groupes : les élites bretonnes à l’Époque moderne
5.1.1 Des soldats ? Les sujets du groupe D
5.1.2 Des frères dominicains, les sujets du groupe C
5.1.3 Les élites bretonnes, le groupe A
5.1.3.1 Stratégies funéraires
5.1.3.2 Modes de vie
5.1.4 Les sujets les moins favorisés, les groupes B’ et B’’
5.1.4.1 Les sujets les moins favorisés, le sous-groupe B’’
Avant l’implantation conventuelle (groupe B’’, phase 1)
L’aître du couvent (groupe B’’, phase 2)
5.1.4.2 La communauté des sujets du sous-groupe B’
5.2 Et si l’étude avait été anhistorique ?
5.2.1 Approche heuristique de l’échantillon par cartographie
5.2.2 Analyse du recrutement par sérendipité
5.2.3 Hommes et femmes : différences et évolution
5.3 Un aspect méthodologique, l’étude des inégalités sociales via le squelette en contexte archéologique
5.3.1 Ce que nous apprend l’étude anthropologique sur les pratiques et cartographies funéraires
5.3.1.1 Lire l’espace dans le temps… pour formuler des hypothèses
5.3.1.2 La complexification des structures funéraires élitaires
5.3.2 Ce que nous apprend l’étude anthropologique sur la biologie des vivants
5.3.2.1 Indicateurs de l’état de santé
5.3.2.2 Isotopes stables, chaîne trophique, régime du commun, des élites et cas particuliers
5.3.2.3 La stature comme déterminant social ?
5.3.3 Les données qui nous échappent
5.3.3.1 Limites de l’approche et biais de sélection
5.3.3.2. Gini comme indice des inégalités ? Trouver un estimateur simple et unique
5.3.3.3. Les inégalités… une notion complexe, avec ou sans réalité biologique ?
Conclusion générale et perspectives
Les acquis de la recherche
L’importance de poser des hypothèses
Une histoire globale, une histoire de curseur
Les limites : épistémologie et biologie
Perspectives scientifiques
Références bibliographiques
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